Attention ! Que les bibliophiles sensibles ne lisent pas les lignes qui suivent… certaines images peuvent choquer.
Je me suis toujours demandé comment les vieux ouvrages avaient pu franchir les siècles sans encombre car, à en croire Richard de Bury, les clercs du Moyen-âge ne les tenaient pas pour particulièrement précieux !
On trouve, au hasard des pages de nos incunables, telles ou telles marques, taches, brulures de chandelle, traces de doigt laissées par un ancien lecteur, le Philobiblion nous en explique la cause.
Le Philobiblion composé vers 1340, est le premier traité de l’amour des livres. Son auteur Richard de Bury évêque de Durhan était chancelier d’Angleterre. L’édition princeps date de 1473, la première traduction française de 1856.
Mais laissons la parole à Richard de Bury, qui n’aurait pas boudé le Bibliomane Moderne, s’il était né 600 ans plus tard.
« Il existe en effet une gente écolière fort mal élevée en général, et qui, si elle n'était pas retenue par les règlements des supérieurs, deviendrait bientôt fière de sa sotte ignorance. Ils agissent avec effronterie, sont gonflés d'orgueil et quoiqu'ils soient inexpérimentés en tout, ils jugent de tout avec aplomb.
Vous verrez peut-être un jeune écervelé, flânant nonchalamment à l'étude, et tandis qu'il est transi par le froid de l'hiver, et que comprimé par la gelée son nez humide dégoutte, ne pas daigner s'essuyer avec son mouchoir avant d'avoir humecté de sa morve honteuse le livre qui est au-dessous de lui.
Plût aux dieux qu'à la place de ce manuscrit on lui eût donné un tablier de savetier! Il a un ongle de géant, parfumé d'une odeur puante, avec lequel il marque l'endroit d'un plaisant passage. Il distribue, à différentes places, une quantité innombrable de fétus avec les bouts en vue, de manière à ce que la paille lui rappelle ce que sa mémoire ne peut retenir. Ces fétus de paille, que le ventre du livre ne digère pas et que personne ne retire, font sortir d'abord le livre de ses joints habituels, et ensuite, laissés avec insouciance dans l'oubli, finissent par se pourrir. Il n'est pas honteux de manger du fruit ou du fromage sur son livre ouvert et de promener mollement son verre tantôt sur une page tantôt sur une autre, et, comme il n'a pas son aumônière à la main, il y laisse les restes de ses morceaux. Il ne cesse dans son bavardage continuel d'aboyer contre ses camarades, et tandis qu'il leur débite une foule de raisons vides de tout sens philosophique, il arrose de sa salive son livre ouvert sur ses genoux. Quoi de plus ! Aussitôt il appuie ses coudes sur le volume et, par une courte étude, attire un long sommeil ; enfin, pour réparer les plis qu’ il vient de faire, il roule les marges des feuillets, au grand préjudice du livre.
Mais la pluie cesse et déjà les fleurs apparaissent sur la terre ; alors notre écolier, qui néglige beaucoup plus les livres qu'il ne les regarde, remplit son volume de violettes, de primevères, de roses et de feuilles; alors il se servira de ses mains moites et humides de sueur pour tourner les feuillets : alors il touchera de ses gants sales le blanc parchemin, et parcourra les lignes de chaque page avec son index recouvert d'un vieux cuir; alors en sentant le dard d'une puce qui le mord, il jettera au loin le livre sacré, qui reste ouvert pendant un mois, et est ainsi tellement rempli de poussière qu'il n'obéit plus aux efforts de celui qui veut le fermer.
Il y a aussi des jeunes gens impudents auxquels on devrait défendre spécialement de toucher aux livres, et qui, lorsqu'ils ont appris à faire des lettres ornées, commencent vite à devenir les glossateurs des magnifiques volumes que l’on veut bien leur communiquer, et où se voyait autrefois une grande marge autour du texte, on aperçoit un monstrueux alphabet ou toute autre frivolité qui se présente à leur imagination et que leur pinceau cynique a la hardiesse de reproduire. Là un latiniste, là un sophiste, ici quelques scribes ignorants font montre de l'aptitude de leurs plumes, et c'est ainsi que nous voyons très-fréquemment les plus beaux manuscrits perdre de leur valeur et de leur utilité. »
Bonne Journée, quand même !
Textor