dimanche 19 décembre 2010

Les étrennes aux bibliophiles en 1892 par le libraire parisien L. Conquet.



Les étrennes approchent ! Les étrennes des bibliophiles ! Les étrennes des libraires ! Bref, le monde du livre rare, ancien, d'occasion, la bouquinerie, ou de quelconque autre façon qu'on l'appelle, Bibliopolis se doit de fêter dignement la fin de cette année 2010 pour débuter dans l'allégresse une année 2011 qui s'annonce, d'après les prophéties les plus étudiées, comme étant l'avant dernière...

A la fin du XIXe siècle, entre bibliophiles et libraires, on savait vivre ! Les librairies à chaises avaient encore bonne réputation et la librairie L. Conquet était de celles-là. Ce n'est pas ce soir que je vais vous en tracer l'historique, mais celui-ci viendra en son temps pour satisfaire votre curiosité des choses du livre. Non ! Ce soir, je voulais vous montrer ce que notre ami L. Conquet réservait à ses clients les plus précieux, les plus "bankables" dirait-on aujourd'hui. Car il faut bien le dire, un bon client en librairie est d'abord un client qui achète, un client qui paye (j'ai oublié de laisser ma langue de bois au vestiaire pour ce soir... enfin de langue de bois je crois ne jamais en avoir usé ni abusé). Mais est-ce bien tout ? Évidemment non ! Un bon client est comme un bon libraire... ça se travaille ! Le bon client se doit d'être informé un minimum des "notices bibliographiques", de l'actualité des beaux livres, se doit d'avoir un nez, des yeux et des oreilles... Le bon libraire se doit quant à lui d'avoir toujours un œil sur son tiroir-caisse et sur son bon client, et ce pour le satisfaire, toujours, à toute heure et en toutes circonstances. La satire est légère, le plaisir de la faire ne l'est pas moins... C'était valable hier... Le monde change... enfin presque...


Donc, en cette fin d'année 1891, notre ami L. Conquet prépare en secret, un petit présent destiné à ses amis et clients bibliophiles. Un petit présent, mais pas des moindres ! La notion de présent a changé... il faut bien l'admettre. M. Conquet, fort de son expérience d'éditeur de livres de luxe pour bibliophiles avertis depuis la fin des années 1880, se propose d'offrir à ses meilleurs clients (on n'imagine pas qu'il en destinait quelques exemplaires aux vils rapineurs - visiteurs gratis - qui passaient pour rien dans sa librairie - j'ai oui dire que le sieur Conquet avait caractère de chien et passait pour un des plus mauvais coucheurs de Paris en son temps). Donc, Conquet décide de faire imprimer à ses frais, avec grand luxe, un petit volume de 63 pages intitulé "1892 - Calendrier parisien". En clair, un petit calendrier pour la nouvelle année comme encore aujourd'hui on vous en offre de ci de là dans les différents commerces que vous fréquentez en cette période festive. Mais là attention ! c'est un cadeau pensé pour les bibliophiles. Tous les égards leur sont dus.

Calendrier parisien pour la nouvelle année 1892, avec un texte de Hugues Le Roux et treize lithographies par Dillon. Treize lithographies originales pour un cadeau d'étrennes aux bibliophiles !! Rendez-vous compte !! Les lithographies ont été tirées par MM. Belfond et Cie. Le volume a été imprimé par Chamerot et Renouard à Paris. Le tout avec luxe ! La couverture rempliée est imprimée de fleurs en relief dans les tons de bleu pâle. L'exemplaire que je vous présente est imprimé sur papier vélin et non mis dans le commerce. "Exemplaire offert à"est-il imprimé (voir photo), le reste étant écrit à la plume de la main de Conquet lui-même : "Monsieur Hector de Backer. L. Conquet"


Nous avons donc là, sous les yeux, l'exemplaire du célèbre bibliophile Hector de Backer !

M. de Backer était ce qu'on pourrait appeler un bibliophile averti. Sa bibliothèque fut vendue en cinq parties à partir de février 1926 et années suivantes. Il était Président de la Société des Bibliophiles et Iconophiles de Belgique. J'ai les catalogues de vente de sa bibliothèque sous les yeux et je les consulte souvent tant ils sont riches en éditions originales rares des auteurs classiques mais également en livres anciens illustrés, etc. L'introduction a sa première vente commence en ces termes : "Peut-être un pareil ensemble ne s'est-il jamais rencontré. De bons juges estiment, en effet, que par la richesse, la variété et l'étendue de ses séries littéraires, la bibliothèque réunie par M. Hector de Backer constitue une collection unique dans les fastes de la bibliophilie." Ça pose son homme non ? Il est décédé le 6 janvier 1925 à l'âge de 82 ans (il était donc né en 1843 et était âgé de 48 ans au moment où Conquet lui offre ce calendrier pour les étrennes de la nouvelle année 1892. Le décor est posé.

M. de Backer n'a pas du connaitre un peu M. Conquet, éminent et incontournable libraire de la capitale. Ils devaient être suffisamment proches pour que M. de Backer lui confie très souvent des commissions dans les ventes aux enchères à l'hôtel Drouot ou lui achète directement des livres dans sa librairie (Conquet éditait des livres de luxe mais faisait également le commerce des livres rares dans sa boutique de la rue Drouot, au numéro 5). M. de Backer était donc ce qu'on pourrait appeler un bibliophile méritant et méritoire pour la librairie ancienne parisienne. Il était juste qu'il fisse (c'est comme ça qu'on dit) partie des dignes élus aux étrennes mignonnes !

Parlons de ce petit volume maintenant. Format 16 x 11 cm environ. Le volume est broché. M. de Backer n'a pas jugé utile (ou bon) de coupé son exemplaire et donc de le lire (les grands bibliophiles ne lisent pas c'est bien connu). Donc, ce volume, resté vierge, se présente comme un petit bijou de typographie mais surtout enrichi d'une illustration originale des plus soignées.

Les treize lithographies par Dillon sont superbes (voir photos). Elles sont ici en double état, à savoir un état sur papier de Chine avant le calendrier imprimé en rouge, et un état définitif sur papier du Japon. Henri Patrice Dillon(*), assez peu connu aujourd'hui, donne ici une belle idée de ce que pouvait produire de mieux la lithographie à la fin du XIXe siècle. Finesse, élégance, douceur et délicatesse du trait, ombrés, bref, une merveille (enfin je trouve).

Je vous laisse apprécier la délicatesse de ce Calendrier parisien pour 1892.











M. L. Conquet avait eu la délicatesse de joindre une de ses cartes de visite dans le volume... elle y était restée depuis... la voici en photo ci-dessous. Elle est restée vierge. M. Conquet gardant toujours un oeil sur son tiroir-caisse donne en quatrième de couverture de ce petit Calendrier la réclame pour l'édition de bibliophiles "En préparation" de "Le myosotis par Hégésippe Moreau. Environ 140 compositions par Robaudi gravées sur bois par Clément Bellenger." La chose est dit !


Je ne connais pas les relations entre M. de Backer et le libraire Conquet, mais il sera amusant d'y revenir en temps utiles car j'ai acheté dernièrement comme je l'avais signalé ici, un important lot de lettres et billets autographes de bibliophiles de cette période et de libraires, dont plusieurs de MM. de Backer et Conquet... à suivre donc...

PS : Qu'on n'aille pas se vexer la rate en pays de bibliophilie ou de librairie sur le ton un tantinet amusé de mon billet... il faut rire de tout... et je prends le parti d'en rire... avec tout le monde...

Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne

(*) H.-P. Dillon, peintre et lithographe, né au Consulat de France à San Francisco le 28 novembre 1850 de William Guillaume, consul de France et de Jeanne Amica Anderson en 1851. Il meurt à Paris au 2 rue Ambroise Paré le 16mai 1909. Son père William Guillaume Patrice Dillon est né en 1810 à Armagh en Irlande. Il sera en relation avec Guizot qui, à cette époque, est ministre des Affaires Étrangères et l’envoie comme Consul de France à San Francisco. Le grand père du peintre est Charles Dillon et sa grand-mère Lennon Marie. Sa sœur Amélie Dillon épouse Jacob Paul Calixte, né à Alès en 1841 et décédé à Cesson (77) en 1928. Elève de Pils, de H.Lehmann, professeurs et chefs d’atelier de peinture, de José Frappa, de Carolus Duran et d’Alexandre Cabanel (originaire de Montpellier 1823-1889). Il expose au Salon de Paris à partir de 1876. Tout d’abord il exécute des compositions importantes comme Les Funérailles de Paul Bert, ou La Fondation de l’Ordre des Jésuites dans l’église de Montmartre, œuvres qui sont remarquées. Mais il s’adonne bientôt à des sujets moins solennels et plus conformes à son talent délicat. On lui doit quantité de petites toiles pleines de sentiment et de la plus grande intimité : Jeunes femmes ou Vieillards lisant à la lumière d’une lampe, ou bien des tableaux comme : Une répétition au Théâtre libre, rue Blanche, dans lequel a réuni la brillante phalange d’artistes et d’écrivains qu’Antoine a groupé autour de lui lors de ses débuts directoriaux. Il obtient une mention honorable au Salon de 1890, une médaille de 3 ème classe au Salon de 1892 et il est hors concours, membre du groupe II à l’exposition du centenaire de la lithographie. Il prend part à l’exposition Universelle de 1900 avec une lithographie : La Claque. Dillon prend une place marquante aux Expositions de la Société des Peintres Graveurs chez Durand-Ruel, puis à la Société des Lithographes, dont il fut plus tard vice-président. C’est surtout comme lithographe qu’il est le plus apprécié. Son œuvre, dans ce genre, est absolument remarquable. Sa personnalité s’y affirme avec une grâce charmante et une expression pleine d’esprit. Les lithographies de Dillon furent tirées toutes à petit nombre. Ses lithographies de petits formats dont les titres disent bien l’esprit agréable et léger : Le cirque Fernando, La claque, Le guignol, L’appel des danseuses, Le ponton des bateaux-mouches sur le quai du Carrousel, et cette Répétition au Théâtre Libre qu’abrite aujourd’hui le Musée Renan-Scheffer à Paris, phalange d’auteurs et de comédiens groupés dans la salle de la Rue Blanche autour d’Antoine, leur patron, assemblée de figures réalistes traitées dans des gris précieux à la Manet sur un fond vague et flou. Dillon emploie les mêmes qualités dans les illustrations que pendant de longues années il fournit à la maison d’édition Arthème Fayard. Une cruelle maladie, une angine de poitrine, vint attrister la fin de sa vie. C’est un esprit charmant, fin, délicat, d’une bonhomie pleine d’indulgence et il ne compte que des amis. Dillon est fait Chevalier de la Légion d’Honneur le 22 décembre 1898.

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