mercredi 25 février 2009

M. Anatole Claudin (1833-1906) : De la bibliophilie et de la bibliomanie en 1862.



Page de titre de la première partie de la vente.
M. Anatole Claudin, libraire-expert, a 29 ans !



Tout le monde ici, ou presque, connait bien ou a déjà entendu parler des savantes notices et remarques bibliographiques de M. Anatole Claudin (1833-1906), cet éminent libraire-expert.

Des bibliophiles il est surtout bien connu pour avoir augmenté de notes bibliographiques le catalogue de la vente des livres de M. Rochebilière (1882-1884).

On lui doit cependant quantité de travaux tous plus intéressants les uns que les autres et s'il ne fallait en citer que quelques-uns, je vous indiquerais son Histoire de l'inmprimerie en France au XVe et au XVIe siècle (ouvrage publié entre 1900 et 1914, le quatrième et dernier volume fut donné en 1914 par Paul Lacombe), une petite Etude sur le premier livre imprimé à Agen (1894), les Enlumineurs, les relieurs, les libraires et les imprimeurs de Toulouse aux XVe et XVIe siècle (1893), Les Origines de l'imprimerie à Paris. La première presse de la Sorbonne (1899), Les débuts de l'imprimerie à Poitiers. Les bulles d'indulgence de Saintes. Jean Bouyer, saintongeais (1894), etc.

Les derniers ouvrages cités n'étant que de petites plaquettes de quelques pages publiées le plus souvent "chez l'auteur", peu de pages donc, mais quelles pages !
M. Anatole Claudin se lit avec un plaisir immense. Mais n'oublions pas l'autre contribution de M. Claudin à l'histoire de la bibliophilie. Ce sont ces dizaines de notices d'introduction de catalogues de vente de livres que l'on retrouve disséminées un peu partout en tête des catalogues les plus variés, et ce, entre les années 1860 et le début du XXe siècle.

Je n'ai pas à ma disposition la Bibliographie des publications d'Anatole Claudin mais elle existe et a été publiée en 1936 par M. Seymour de Ricci (tirage limité à 100 ex.).


Ce qui m'amène à vous parler de M. Claudin aujourd'hui, c'est la découverte d'une de ces introductions "bien senties" comme il savait les rédiger, et qui se trouve en tête du "Catalogue raisonné de la bibliothèque d'un château de Lorraine et de livres rares et curieux, manuscrits et imprimés, provenant de la collection de M. W... S... de Londres."

Cette imposante bibliothèque, riche de plusieurs milliers de livres et documents les plus variés, s'est déroulée en 1862, 1864 et 1865. Le catalogue est divisé en 3 tomes (avec près de 3.500 lots). J'ai sous les yeux un modeste en demi-reliure de l'époque de ce riche catalogue, avec les trois tomes reliés ensemble (seules les tomes II et III ont les prix notés au crayon en marge dans mon exemplaire).

Ce qui va nous intéresser ici, c'est le petit mot d'introduction rédigé par M. Claudin et placé en tête de la première partie de la vente.

Je vous laisse avec M. Claudin :

"Une préface à un catalogue, et à un catalogue de vente encore ! A quoi bon ? me dira un critique morose, les bons livres parlent assez d'eux-mêmes sans qu'il soit besoin de les vanter outre mesure. D'accord, mais là n'est pas notre but. Nous n'avons pas, il est vrai, à offrir aux amateurs la bibliothèque du financier Solar, la collection choisie entre mille du bibliophile La Bédoyère, les richesses incomparables des ventes De Bure, Renouard, Ch. Giraud, etc., où tout est beau, tout est rare, où l'on n'a que l'embarras du choix. Le catalogue que nous présentons au public est celui d'une bibliothèque sérieuse, formée par un savant, par un érudit, un travailleur, bibliophile dans une juste mesure, mais non bibliomane. La bibliomanie selon nous, c'est la passion des livres poussée à son dernier paroxysme, c'est la folie littéraire ; celui qui en est atteint est ou un monomane ou un ignorant. Le monomane et l'ignorant achètent et accaparent le livre rare sans discernement : l'un par manie et par aberration d'esprit ; l'autre, doctus cum libro, pour suivre la mode du siècle, a amassé à force d'argent une collection où resplendissent l'or et le maroquin, pour faire parade des connaissances qu'il ne possède pas. La Bruyère, notre grand moraliste, avait bien raison lorsqu'il comparait sa bibliothèque à une tannerie ! Les noms de Bauzonnet, de Duru, de Capé, de Lortic et de tant d'autres artistes habiles de nos jours, ne brillent pas dans les pages de ce catalogue ; le veau brun, le veau fauve, le vélin antique, parfois accompagné d'un vieux maroquin mis en oeuvre par Boyet, Padeloup, Derome, se pressent à l'envi dans les rangs serrés de cette nombreuse collection. Ce sont, en un mot, des livres de bon aloi, bien différents en cela des exemplaires lavés, et, qu'on offre malheureusement quelquefois au public des ventes, et dont l'or et le maroquin d'apparat, ne servent qu'à voiler les défauts, pour mieux tromper la crédulité des amateurs. (...)

La notice continue par un discours voilé sur les anciens possesseurs ces deux belles bibliothèques mises à l'encan. Qui saura reconnaître ces deux bibliophiles sous les allusions à demi-voilées de M. Claudin ?

"Nous ne raconterons pas, suivant l'usage, la vie littéraire bien remplie de M. L. P., un des possesseurs de cette bibliothèque, pas plus que celle de M. W. S... membre de la Société des Antiquaires. "

Voyez l'esprit mordant et subtile de M. Claudin lorsqu'il écrit :

"On a ressassé de ces biographies bénévoles, officieuses, et pour ainsi dire officielles, mises en tête d'un catalogue, qui transforment un libraire en un confectionneur d'oraisons funèbres. La vie d'un homme se reflète dans sa bibliothèque ; c'est là que l'on voit quel a été le but de ses études littéraires ; on distingue à première vue si c'était une intelligence sérieuse et multiple, ou simplement superficielle ; on arrive à découvrir, avec une sorte de respect pour sa mémoire, que telle branche des connaissances humaines a été plus particulièrement cultivée par lui ; qu'elle a été son thème favori, l'objet principal de ses recherches incessantes : "Dis-moi quels livres tu lis, je te dirai qui tu es !".

M. Claudin poursuit avec une critique en règle fort intéressante du système bibliographique tel qu'il était en 1862. N'oublions pas que M. Claudin lorsqu'il écrivait cette notice, n'avait que 29 ans ! Ce n'était pas de ces vieux barbons qui donnent leçon par mérite de l'âge, mais bien cet érudit qui donnera à la fin du XIXe siècle, l'image d'une époque de grande érudition par les livres. M. Claudin en est l'exemple flagrant (avec le Bibliophile Jacob, Paul Lacroix, mais également Jules Le Petit, les libraires Auguste Fontaine, Damascène Morgand et autres.)

Et j'aurai le plaisir de vous donner la suite demain.

Bonne journée,
Bertrand

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