Voici un histoire que je viens de découvrir au hasard d'une de mes dernières acquisitions. Je la partage avec vous, la curiosité étant sans aucun doute le meilleur moteur de la passion bibliophile.
Je vais essayer de vous résumer l'affaire de Madame la baronne Double. De son nom de jeune fille (ça fait toujours plaisir aux dames de glisser "jeune fille" dans une conversation ...) Henriette-Marie-Adelaïde Biard d'Aunet était née en Suisse en 1848. Elle épousa en premières noces le vicomte Jules de Peyronny (mariage du 1er juillet 1863), puis en secondes noces le baron Double, et c'est précisément cette union qui nous intéresse ici. Le baron Double, célèbre collectionneur, bibliophile émérite, chasseur de reliures historiques aux armes des plus grands personnages et des rois, avait littéralement craqué pour les beaux yeux de la veuve Peyronny.
Ainsi que nous le rappelait l'excellent Bibliophile Rhemus dans l'un de ses savants biblio-commentaires : "Le baron Lucien Double (1848-1895)a été élevé au milieu des livres de la bibliothèque de Louis XIV que son père, Léopold, avait acquise en 1848. Ses deux centres d'intérêt étaient les livres de provenance royale ou princière et les livres d'une haute curiosité bibliographique (incunables, etc.). Sa bibliothèque fut dispersée à Paris en 1897."
Si vous souhaitez lire quelques lignes autographes du Baron Double, je vous invite à lire ou à relire le petit billet que j'avais rédigé il y a de cela quelques mois à propos d'un billet que le Baron Double avait adressé au libraire Durel, ICI.
Mais reprenons le fil de cette histoire conjugale fort distrayante...
Donc, comme je disais, le baron double souffre pour les yeux de la belle dame Peyronny...et comme l'écrit si bien Jules Clarétie dans La vie à Paris en 1896 : "Le Baron Double, le collectionneur célèbre, l'homme qui, de son salon, avait fait un Louvre, un musée de curiosités uniques, avec tel vase de porcelaine, le fameux vase de Fontenoy, qui valait quatre cent mille francs, le baron, libre de sa destinée et de sa vie, rencontre, un jour, une femme charmante (en général on évite de rencontrer les autres... NDLR...), d'un esprit délicat et supérieur, avec la bonté dans cet esprit, - ce qui est rare ; il s'en éprend, il veut l'épouser, il la supplie de lui donner sa main, et, comme est mariée, séparée, comme il faut du temps pour le divorce, on demande le secours d'une législation étrangère, ... et l'on divorce en Saxe. Le mariage du baron a lieu, le père du baron (Léopold) adore sa belle-fille, les salons de la baronne s'ouvrent à tout ce que Paris compte de notoriétés et même d'illustrations. (...)"
Et voilà comment un second mariage, célébré à l'étranger (Londres), en 1885, rend la toute nouvelle baronne Double coupable de Bigamie, son premier mariage n'ayant été annulé qu'en 1887 ! Et tout un imbroglio s'en suit... cette affaire défraiera la chronique mondaine parisienne pendant de nombreuses années. En 1896, la cour d'appel de Paris prononce un arrêt pour l'annulation pure et simple de ce second mariage en raison du caractère frauduleux de sa naturalisation. Évidemment, derrière tout cela, vous vous doutez bien que l'immense richesse du baron Lucien Double, décédé en 1895, suscita de la part de sa famille de viles réticences à continuer de considérer Dame Perrony comme une belle plante gracieuse et aimable... et ce même si le baron lui y voyait des yeux de velours... Ah l'amour !! Enfin...
J'ai retrouvé le texte intégral d'un des arrêts important dans cette affaire, je vous laisse le lire ci-dessous.
En 1890, sans préciser son nom sur la page de titre, le baron Lucien Double offre au public un catalogue des merveilles de son "cabinet" de bibliophile. Il est publié sous le titre : "Cabinet d'un curieux. Description de quelques livres rares. Se donne chez l'auteur, A Paris, 1890" (1 vol. in-8 de 134-(1) pages avec des planches. Ce catalogue a été imprimé aux frais de M. le baron Lucien Double par les soins de la librairie Téchener, ainsi qu'il est précisé au collophon. J'ai la chance de posséder l'exemplaire de Gustave Mouravit, non moins célèbre bibliophile de l'époque, et qui a écrit à la mine de plomb sur la page de garde du volume : "Volume très rare : Description de la collection Léop. Double (et Lucien Double). Précieux à divers points de vue. G. Mouravit." Mon exemplaire sort de la librairie Auguste Fontaine avec le cachet de cette librairie en haut de la garde blanche. Le volume s'ouvre sur une petite présentation par Lucien Double lui-même de sa bibliothèque et surtout de celle de son père, Léopold. Je l'ai lue et relue, je n'y ai trouvé aucune allusion à son épouse tant aimée ... (c'est humain !)
Mais voilà ! La Baronne Double ou celle qui se faisait appeler comme cela dans les cercles mondains du tout Paris à la fin des années 1880 n'était pas que cela... elle était femme de plume ! Et elle s'en sortait très honorablement si l'on en croit la presse de l'époque et la critique. Elle écrivait dans les journaux et publiait des livres sous le pseudonyme prédestiné d'"ÉTINCELLE" ! Très joli non ? C'est d'ailleurs l'acquisition d'un de ses ouvrages qui me fit découvrir toute cette histoire cocasse. Il s'agit de L'irrésistible, par Etincelle. Paris, Calmann-Lévy, 1893. 1 volume in-12. Un des dix exemplaires sur papier impérial du Japon. Demi-maroquin havane de l'époque signé Canape. Il me reste à le lire pour savoir comment écrivait cette brave dame.
Étincelle alias Mme la baronne Double donc. Il est même écrit dans les arrêts de ce long procès qu'elle pouvait s'enorgueillir d'une "situation brillante et fructueuse que son talent d'écrivain lui avait conquise". Elle avait cependant cessé sa collaboration au Figaro depuis juin 1882 (date à laquelle elle avait demandé sa séparation de corps d'avec son premier époux). Vous suivez toujours ? ... Pas simple les affaires conjugales ! Je continue donc.
J'adore ce passage de l'arrêt : "Attendu que toutes les circonstances qui ont précédé, accompagné ou suivi le mariage célébré à Londres sont donc exclusives de toute bonne foi, et établissent, au contraire, que la célébration de ce mariage a eu pour but unique de voiler une liaison préexistante, et de permettre à Lucien Double et à la défenderesse de revendiquer la situation d'époux auprès d'amis qui n'avaient pas à apprécier la validité du lien qui les unissait (...)" ... Il y a des amis dont on se passerait bien non ? ...
Comment finit toute cette histoire ? Lucien Double meurt le 5 janvier 1895. On sait d'après l'arrêt ci-dessus que le baron avait formé contre elle une demande en nullité de ce mariage (19 novembre 1894)... l'amour ne jouait peut-être plus tant alors... ??? Attendu que ledit Baron avait deux filles naturelles... reconnues (le coquin...) Attendu que la maman dudit Lucien, toujours de ce monde, demande la nullité du mariage également après le décès de son fils... Bref, conclusion, le mariage est annulé et la succession Double revient à sa mère et à ses filles naturelles... Étincelle s'éteint quant à elle à Paris courant de l'année 1897.
Tout est bien qui ne finit pas toujours bien... les histoires d'amour finissent mal... en général, comme dit la chanson.
Je ne sais pas si vous avez tout suivi, je crains avoir été un peu brouillon, sans doute afin de vous permettre d'écrire la suite et la fin de cette histoire que je trouvais amusant de remettre en lumière.
Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne
Je vais essayer de vous résumer l'affaire de Madame la baronne Double. De son nom de jeune fille (ça fait toujours plaisir aux dames de glisser "jeune fille" dans une conversation ...) Henriette-Marie-Adelaïde Biard d'Aunet était née en Suisse en 1848. Elle épousa en premières noces le vicomte Jules de Peyronny (mariage du 1er juillet 1863), puis en secondes noces le baron Double, et c'est précisément cette union qui nous intéresse ici. Le baron Double, célèbre collectionneur, bibliophile émérite, chasseur de reliures historiques aux armes des plus grands personnages et des rois, avait littéralement craqué pour les beaux yeux de la veuve Peyronny.
Ainsi que nous le rappelait l'excellent Bibliophile Rhemus dans l'un de ses savants biblio-commentaires : "Le baron Lucien Double (1848-1895)a été élevé au milieu des livres de la bibliothèque de Louis XIV que son père, Léopold, avait acquise en 1848. Ses deux centres d'intérêt étaient les livres de provenance royale ou princière et les livres d'une haute curiosité bibliographique (incunables, etc.). Sa bibliothèque fut dispersée à Paris en 1897."
Si vous souhaitez lire quelques lignes autographes du Baron Double, je vous invite à lire ou à relire le petit billet que j'avais rédigé il y a de cela quelques mois à propos d'un billet que le Baron Double avait adressé au libraire Durel, ICI.
Mais reprenons le fil de cette histoire conjugale fort distrayante...
Donc, comme je disais, le baron double souffre pour les yeux de la belle dame Peyronny...et comme l'écrit si bien Jules Clarétie dans La vie à Paris en 1896 : "Le Baron Double, le collectionneur célèbre, l'homme qui, de son salon, avait fait un Louvre, un musée de curiosités uniques, avec tel vase de porcelaine, le fameux vase de Fontenoy, qui valait quatre cent mille francs, le baron, libre de sa destinée et de sa vie, rencontre, un jour, une femme charmante (en général on évite de rencontrer les autres... NDLR...), d'un esprit délicat et supérieur, avec la bonté dans cet esprit, - ce qui est rare ; il s'en éprend, il veut l'épouser, il la supplie de lui donner sa main, et, comme est mariée, séparée, comme il faut du temps pour le divorce, on demande le secours d'une législation étrangère, ... et l'on divorce en Saxe. Le mariage du baron a lieu, le père du baron (Léopold) adore sa belle-fille, les salons de la baronne s'ouvrent à tout ce que Paris compte de notoriétés et même d'illustrations. (...)"
Et voilà comment un second mariage, célébré à l'étranger (Londres), en 1885, rend la toute nouvelle baronne Double coupable de Bigamie, son premier mariage n'ayant été annulé qu'en 1887 ! Et tout un imbroglio s'en suit... cette affaire défraiera la chronique mondaine parisienne pendant de nombreuses années. En 1896, la cour d'appel de Paris prononce un arrêt pour l'annulation pure et simple de ce second mariage en raison du caractère frauduleux de sa naturalisation. Évidemment, derrière tout cela, vous vous doutez bien que l'immense richesse du baron Lucien Double, décédé en 1895, suscita de la part de sa famille de viles réticences à continuer de considérer Dame Perrony comme une belle plante gracieuse et aimable... et ce même si le baron lui y voyait des yeux de velours... Ah l'amour !! Enfin...
J'ai retrouvé le texte intégral d'un des arrêts important dans cette affaire, je vous laisse le lire ci-dessous.
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En 1890, sans préciser son nom sur la page de titre, le baron Lucien Double offre au public un catalogue des merveilles de son "cabinet" de bibliophile. Il est publié sous le titre : "Cabinet d'un curieux. Description de quelques livres rares. Se donne chez l'auteur, A Paris, 1890" (1 vol. in-8 de 134-(1) pages avec des planches. Ce catalogue a été imprimé aux frais de M. le baron Lucien Double par les soins de la librairie Téchener, ainsi qu'il est précisé au collophon. J'ai la chance de posséder l'exemplaire de Gustave Mouravit, non moins célèbre bibliophile de l'époque, et qui a écrit à la mine de plomb sur la page de garde du volume : "Volume très rare : Description de la collection Léop. Double (et Lucien Double). Précieux à divers points de vue. G. Mouravit." Mon exemplaire sort de la librairie Auguste Fontaine avec le cachet de cette librairie en haut de la garde blanche. Le volume s'ouvre sur une petite présentation par Lucien Double lui-même de sa bibliothèque et surtout de celle de son père, Léopold. Je l'ai lue et relue, je n'y ai trouvé aucune allusion à son épouse tant aimée ... (c'est humain !)
Mais voilà ! La Baronne Double ou celle qui se faisait appeler comme cela dans les cercles mondains du tout Paris à la fin des années 1880 n'était pas que cela... elle était femme de plume ! Et elle s'en sortait très honorablement si l'on en croit la presse de l'époque et la critique. Elle écrivait dans les journaux et publiait des livres sous le pseudonyme prédestiné d'"ÉTINCELLE" ! Très joli non ? C'est d'ailleurs l'acquisition d'un de ses ouvrages qui me fit découvrir toute cette histoire cocasse. Il s'agit de L'irrésistible, par Etincelle. Paris, Calmann-Lévy, 1893. 1 volume in-12. Un des dix exemplaires sur papier impérial du Japon. Demi-maroquin havane de l'époque signé Canape. Il me reste à le lire pour savoir comment écrivait cette brave dame.
Étincelle alias Mme la baronne Double donc. Il est même écrit dans les arrêts de ce long procès qu'elle pouvait s'enorgueillir d'une "situation brillante et fructueuse que son talent d'écrivain lui avait conquise". Elle avait cependant cessé sa collaboration au Figaro depuis juin 1882 (date à laquelle elle avait demandé sa séparation de corps d'avec son premier époux). Vous suivez toujours ? ... Pas simple les affaires conjugales ! Je continue donc.
J'adore ce passage de l'arrêt : "Attendu que toutes les circonstances qui ont précédé, accompagné ou suivi le mariage célébré à Londres sont donc exclusives de toute bonne foi, et établissent, au contraire, que la célébration de ce mariage a eu pour but unique de voiler une liaison préexistante, et de permettre à Lucien Double et à la défenderesse de revendiquer la situation d'époux auprès d'amis qui n'avaient pas à apprécier la validité du lien qui les unissait (...)" ... Il y a des amis dont on se passerait bien non ? ...
Comment finit toute cette histoire ? Lucien Double meurt le 5 janvier 1895. On sait d'après l'arrêt ci-dessus que le baron avait formé contre elle une demande en nullité de ce mariage (19 novembre 1894)... l'amour ne jouait peut-être plus tant alors... ??? Attendu que ledit Baron avait deux filles naturelles... reconnues (le coquin...) Attendu que la maman dudit Lucien, toujours de ce monde, demande la nullité du mariage également après le décès de son fils... Bref, conclusion, le mariage est annulé et la succession Double revient à sa mère et à ses filles naturelles... Étincelle s'éteint quant à elle à Paris courant de l'année 1897.
Tout est bien qui ne finit pas toujours bien... les histoires d'amour finissent mal... en général, comme dit la chanson.
Je ne sais pas si vous avez tout suivi, je crains avoir été un peu brouillon, sans doute afin de vous permettre d'écrire la suite et la fin de cette histoire que je trouvais amusant de remettre en lumière.
Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne