mardi 11 janvier 2011

Le coup de gueule du Bibliomane moderne ou satire contre les faquins, pendards et aultres gredins es librairie ...



Chose promise, chose due ! Je vous avais dis que je pousserais mon coup de gueule, c'est parti !

Je commencerai tout d'abord par une énumération linéaire et circonstanciée : paltoquet, gougnafier, gredin, fripon, vil maraud, bougre d'âne, cornichon, fils de Satan, moule à gaufre, zapotek, bachi-bouzouk, vermine, canaille, fripouille, scélérat, garnement, bandit, voyou, sacripant, arsouille, petite frappe, malhonnête, filou, voleur, méchant, faquin, vaurien, pendard, dévoyé, crapule, brigand, requin, malandrin, pirate, flibustier, escarpe, misérable, perfide.

Cornegidouille ! Que cela fait du bien ! Il fallait que ça sorte !! Mais diable pourquoi ce soir le Bibliomane moderne est-il aussi remonté et déverse-t-il sa bile avec autant d'âpreté dans les colonnes du blog ? Ah Mesdame, Messieurs ! l'heure est grave ! il est temps de dire aux faquins que ce sont des faquins !


Mais commençons par le commencement... Ce weekend j'ai été, comme on pourrait dire ... un peu occupé voyez-vous... samedi matin à l'heure du passage du facteur pour la livraison des colis de la librairie... je n'avais pas encore fermé l'œil (pour cause d'accouchement intempestif de ma femme qui avait décidé sans me demander mon avis de devancer l'appel de près de 10 jours... ) et je savais que je ne serais pas en mesure de réceptionner les quelques paquets que j'attendais.

Rien de grave jusque là me direz-vous, j'attendrais donc lundi pour passer prendre mes colis en dépôt au bureau de poste. Ce qui fut fait. Et pour tout vous dire, c'était bien la première fois que je rentrais dans une maternité avec un sac rempli de trois petits colis. J'avais laissé les plus gros à la maison pour les déballer tranquillement le soir à mon retour.

Bref, me voilà avec quatre paquets de petite taille à déballer, gentiment, sans faire trop de bruit pour ne pas réveiller bébé... sur les trois paquets, un était sous carton rigide et les deux autres des enveloppes souples. Une des enveloppes, enveloppe blanche avec face intérieure avec plastique à bulles avait méchamment souffert du voyage postal, c'était flagrant. On aurait dit qu'un 38 tonnes était passé dessus !! Ce qui fut d'ailleurs sans doute le cas ! Un peu paniqué par l'aspect délabré du colis, je décidai de l'ouvrir en premier. Je n'eus pas beaucoup de mal à le faire d'ailleurs, l'enveloppe étant presque entièrement déchirée. Dès le départ, je sentais assez mal ce qui allait suivre... je ne savais pas quel livre contenait ce paquet... je fus vite au courant ! Seul, sans protection que le plastique à bulle de l'intérieur de l'enveloppe, je sortis le volume... un plein veau brun de la fin du XVIIe siècle. Au premier coup d'œil je vis que le volume avait souffert ! Plus même ! Le 38 tonnes avait du rouler dessus... le premier plat était cassé net en deux, entrainant également la rupture des mors de la reliure. Volume écrasé, tordu, rompu, pour ainsi dire saccagé ! Dans ces cas là je ne peux même pas vous dire ma fureur ! (le fait d'être dans une maternité a retenu mes cris et mes gestes...) ... j'étais en rage, un vil gredin de basse espèce, qui croyant que parce qu'on vend un livre ancien peu cher, pas assez cher à ses yeux sans doute, on expédie le livre dans les pires conditions possibles, à la va vite, à la j'en foutre, bref, on saccage un livre de plus de 300 ans, par négligence, facilité voire malhonnêteté ! Il s'agissait de l'édition originale en reliure de l'époque des Poésies de Madame Deshoulières (in-12, Paris, Mabre-Cramoisy, 1688). Je précise que le vendeur de ce livre n'est pas un professionnel et qu'il s'agissait d'une femme... ce qui dans les deux cas n'excuse ni n'explique rien... Dramatique voyage donc pour ce livre qui finit en piteux état et qui désormais aura besoin d'une restauration qui sans doute ne suffira pas à lui redonner tout son lustre ! Beau gâchis pour un emballage inadapté ! Je demande pourtant systématiquement à ce que les livres, quel qu'en soit le prix, soit emballés avec soin, dans du plastique à bulle, le tout renfermé dans un carton rigide plus grand et solide. Je passe sur les vendeurs de livres qui s'assoient sur le fait que vous leur demandez expressément à ce que le livre vous soit expédié en colissimo recommandé (donc avec signature) et qui vous l'expédient sans aucune recommandation ni suivi... Ni vu ni connu... allons-y gaiement ! ... Vous voyez là j'étais déjà passablement énervé, avec raisons je pense (vous me donnerez votre sentiment sur la question). Mais ce n'est rien comparé à ce qui a suivi ...

Le deuxième colis était une enveloppe de papier kraft, un peu gonflée. Expédiée en recommandé (j'ai signé à la poste le matin pour récupérer ce colis), je n'avais pas regardé le nom de l'expéditeur. Une fois à la maternité (oui je vous rappelle le lieu pour la solennité du récit...), je regardai le nom de l'expéditeur. Ah ! M. XXX. libraire de son état (ou déclaré comme tel), donc je savais de quel livre il s'agissait ! les Heures Royales dédiées à la Reyne etc..., 1778, reliure plein maroquin rouge de l'époque avec décors de tulipes et de grenades mosaïqués sur les plats, pièce de mosaïque au dos, dentelle dorée, volume supposé en parfait état, bref, une merveille que j'attendais de pied ferme ! Mon sang ne fit qu'un tour, vous imaginez ! Une reliure digne de figurer dans Michon, en parfait état, envoyée dans une simple enveloppe kraft !!! J'ouvris le colis délicatement mais à vitesse accélérée... outre l'enveloppe kraft le petit volume (c'est un in-12) était enroulé dans deux ou trois tours de plastique à bulles puis pour finir dans un film plastique étirable alimentaire (vous voyez de quoi je parle)... volume démailloté... ouf !!! miracle !!! trois fois miracle !!! le volume était sain et sauf !!! Mais quelle chance !!! Quelle stupidité ! Quel faquin ! Quel gredin ! Quel pendard !! peut bien oser envoyer un volume de cette préciosité d'une valeur historique (outre la valeur financière non négligeable) dans une simple enveloppe kraft !! même sous quelques couches de plastique à bulles !! Aucun carton fort pour protéger les coins et les coiffes de la reliures, aucun carton plat pour protéger le volume des chocs sur les plats, bref, une négligence totale ! un dédain du livre ! un non-science de la librairie ! à vomir ! De la part d'un libraire qui fréquente Drouot assidument, qui propose régulièrement de bons livres à la vente, c'est impardonnable ! c'est inqualifiable ! Comment peut-on se moquer de la sorte du destin d'un livre rare, parfaitement conservé après plus de deux siècles. Il se trouve que j'avais repéré que ce livre avait figuré au catalogue de la librairie Morgand et Fatout dans les années 1880. On aime à croire que Morgand n'expédiait pas ses livres de la sorte ! Dans ce cas le volume a miraculeusement été préservé, mais c'est vraiment un miracle ! il était dit que ce volume ne serait pas endommagé, parce que toutes les conditions étaient réunies pour que ce petit volume finisse pulvérisé dans sa simple enveloppe kraft souple sans aucune protection. Il ne servira à rien de désigner nommément ce vendeur sans aucun scrupule vis à vis des beaux livres, ceux qui cherchent un peu le reconnaitront facilement en voyant le livre que je vous montre en photographie ci-dessus. Espérons simplement qu'un excès de remords lui fasse changer sa manière de faire... rien n'est moins sûr !


Voilà, voilà comment mes nerfs sont parfois mis à rude épreuve en matière de librairie ! Mais mon témoignage serait injuste si je ne disais que d'autres libraires prennent un soin tout spécial à ce que les livres soient emballés de la plus sûre façon. Un des gros colis que je déballai le soir en rentrant était de ceux-là. Et c'est heureux... De multiples couches de plastiques à bulles pour emballer un volume, le tout replacé dans un carton plus grand, bien solide, l'ensemble bien calé, bien ajusté. Certains (une majorité) connaissent leur métier et surtout ont du respect pour les livres qui vendent ! C'est heureux !

Vos réactions m'intéressent ! Suis-je le seul à m'insurger contre ces pratiques douteuses de vendeurs sans scrupules et surtout sans aucun égard par rapport aux livres qu'ils expédient ? Ai-je tort de m'énerver ainsi lorsque je défend qu'un livre est un morceau d'histoire, un objet qui a souvent traversé des siècles sans encombres et qui doit être choyé et préservé ? Suis-je trop radical ?

On pourrait étendre le débat ou la question à ces libraires qui désormais, par facilité, de peur de se tromper ou par négligence, indiquent "plein cuir" ou "demi-cuir" sans plus jamais préciser s'il s'agit de basane, de veau, de chagrin ou de maroquin ?!! J'en reste parfois complètement ébahi. Je me dis que le métier de libraire est en train de partir en vrille... que pourtant dans ces libraires il y en a qui ont leur carte de membre du SLAM qui normalement garantit déontologie et professionnalisme... Je ne sais plus alors à quoi ni à qui il faut se vouer. Et dans ce cas je me dis que ce qui me guide moi ne doit guère être loin du bon chemin : la passion des livres !

A bons entendeurs,
A bons lecteurs,
A bons commentateurs

Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne

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