Signalons à ceux qui s’intéressent à la naissance de
l’imprimerie, le dernier opus de la collection « Etudes et Rencontres de
l’Ecole des Chartes » consacré aux imprimeurs et libraires à l’âge de
l’humanisme. Ce recueil d’études réunies par Christine Bénévent, Annie
Charon, Isabelle Diu et Magali Vène, rassemble les communications du colloque
tenu à l’Ecole des Chartes et à la Bibliothèque Sainte Geneviève en Mars 2009
(et attendu depuis ce temps !). Il vient de paraître en septembre dernier
et vous le trouverez à la librairie Champion, près de l’Odéon (pour les
parisiens) et sur le site des éditions Droz (pour les autres).
Les différentes contributions permettent d’approcher les multiples facettes
de l’éditeur-imprimeur de la Renaissance, tantôt intellectuel engagé accompagnant
ses auteurs dans leur débats d’idées (quand il ne le lâche pas pour épouser la
thèse des détracteurs, comme le fit Josse Bade avec Érasme !) tantôt homme
d’affaire avisé dont l’unique souci était la concurrence des autres ateliers.
Ce qui étonne c’est que cette concurrence ne se jouait pas entre les numéros
pairs et impairs de la rue St Jacques mais entre des villes souvent lointaines
comme le match Bâle-Paris (entre l’imprimerie de Froben et celle de Claude
Chevallon pour les textes patristiques).
Au fil des études, nous croisons le jeune Paul Manuce,
Josse Bade, Guillaume Rouillé ou encore Gilles Corrozet. Michel de Vascosan
tient la vedette puisque deux articles lui sont consacrés. Saviez-vous que
Vascosan fut le premier à délaisser la marque d’imprimeur, dès 1540, sans doute
après des démêlés avec ses beaux-frères, eux aussi héritiers de la Praelium
Ascensianum ? Sa page de titre, totalement dépouillée de décor, laisse
alors apparaître pour tout ornement la perfection de la typographie. Je vous
présenterai un jour mon exemplaire de la première traduction de l’Histoire de
Paul Emile qui répond à ce critère.
Mais, c’est une autre étude qui a retenu mon attention,
celle que Rémi Jimenes a consacré à un exemplaire extraordinaire des œuvres de
Saint Bernard imprimé en 1551 par l’Atelier du Soleil d’Or. Il faut dire que
j’ai un petit faible pour l’atelier du Soleil d’Or et sa business woman (NDLR : si Textor se met à parler l'Octave en employant à tout va les anglicismes ... mais où va-t-on ?),
Charlotte Guillard. Vous savez, cette minette de 20 ans qui devint la première
femme imprimeur après avoir fait les yeux doux à Bertholt Rembold, un
proto-imprimeur parisien associé à Ulric Gering. L’ayant promptement enterré,
elle publia seule quelques titres avant d’épouser en seconde noce l’imprimeur
Claude Chevallon qui finit par suivre le même chemin que Rembold, laissant la
veuve éplorée libre de diriger pendant vint ans encore l’atelier du Soleil
d’Or. (Une autopsie reste à faire sur le corps des deux maris).
Charlotte Guillard aimait le bel ouvrage et savait
s’entourer (en témoigne le procès qu’elle fit à la corporation des papetiers
pour la mauvaise qualité de leur production). Elle devait aimer aussi que ses
publications soient les plus justes possibles alors que les productions de
l’époque étaient souvent fautives. C’était un argument de vente. Mais il est difficile d’être renseigné sur les
pratiques d’ateliers en matière de corrections typographiques. C’est sans
compter Rémi Jimenes qui a de commun avec les Bénédictins le goût du travail
analytique. Il a découvert, je ne sais comment, dans le fond ancien de la
bibliothèque municipale de Lyon, un exemplaire très curieux des œuvres de Saint
Bernard dont les pages correspondent à deux états du même texte : au
recto, la page annotée par le correcteur et au verso la page définitive, si
bien qu’il lui a été possible, après, j’imagine des heures de réflexions et une
grande science de la typographie, de reconstruire la méthode de travail du
correcteur. (Ou plutôt des deux correcteurs qui se sont partagé les
corrections). L’inversion des caractères, la correction des silhouettes
correspondant à des lettres mal enfoncées dans la forme, ou le manque de
caractères, comme les u tildés, remplacés par des types d’attente, chacune des
corrections est traquée et analysée, véritable archéologie du texte imprimé. Les impressions en blanc, ces lignes de caractères
aléatoires utilisés pour caler les blocs sont ici encrées, ce qui facilite leur
étude. L’auteur tire de leur analyse des informations incroyables sur
l’ordonnancement des cassetins, et la fréquence avec laquelle les blocs de
lettres achevés d’imprimer étaient désagrégés et les types remis dans leur
cassetin.
Grace à ces minuscules indices, l’atelier du Soleil d’or
s’anime. On imagine Louis Miré, le chef correcteur, un sanguin qui se prenait
pour le patron de l’atelier, s’indigner devant les quelques mille trois cents
trente cinq erreurs qu’il avait repérées, ou encore houspiller l’ouvrier qui
conservait ses blocs de calage pendant des mois et qui n’avait pas encore remis
les lettres en circulation vingt formes plus loin, alimentant la pénurie. La
pauvre Charlotte Guillard se confiera à ses lecteurs dans une préface du Lexicon Grecolatinum, en déplorant tout
le souci et les tracas que lui causait la gestion de son Soleil d’Or et de
cette bande de lapins crétins.
Bonne Journée
Textor