Les poètes du XVIème siècle
bénéficient de la faveur des blogs ces dernières semaines, je saisis cette
opportunité pour placer dans la conversation une de mes dernières acquisitions,
le premier livre de Théodore de Bèze. Un recueil de poésies en latin qui ne va
pas déplaire à Bertrand comme nous l’allons démontrer.
Théodore de Bèze est né en
1519 dans la sainte ville du Vezelay, en pays bourguignon, il était le fils du
Bailli de cette ville, et la chance de Théorore fut d’avoir, outre des
capacités intellectuelles au dessus de la moyenne, deux oncles ecclésiastiques.
A l’époque avoir des oncles ecclésiastiques était bien plus intéressant
qu’aujourd’hui, car c’était la promesse d’un héritage substantiel issu des
confortables bénéfices de leur charge. Donc, dès l’âge de 9 ans le petit
Théodore fut confié à l’humaniste Melchior Wolmar, proche des milieux réformés,
qui venait d’ouvrir un internat à Orléans. Theodore de Bèze obtint sa licence
en droit en 1539 et mena la vie insouciante et turbulente des étudiants
fortunés. C’est au cours de ces années d’études qu’il commença à écrire des
vers latins pour distraire ses condisciples.
Fig 1 La page de titre de
l’édition originale des Poemata publiée chez Conrad Bade en 1548.
Fig 2 La belle marque représentant un atelier
d’imprimerie est inspirée de celle de son père.
A la suite de ses études, il
gagna Paris et se lia d’amitié avec un cercle d’intellectuels, lesquels se
retrouvaient chez l’imprimeur Michel Vascosan : Adrien Turnèbe, George
Buchanan, Mellin de Saint Gelais, ou Salmon Macrin. Le Cénacle de la Rue St
Jacques était formé. La vie était joyeuse, les filles admiratives et les amours
torrides. Faisant fi des codes sociaux, Théodore se fiança avec une jeune fille
d’un rang inférieur au sien (Pouah !) au grand scandale de la famille. La
belle Claudine Denosse sera célébrée dans les Poemata.
Mais voilà, en 1548, Dieu
apparut à Théodore de Bèze et, passablement courroucé, lui signifia qu’il était
temps d’arrêter de faire la noce. Transfiguré par cette expérience mystique,
notre poète embrassa illico la religion réformée, liquida ses bénéfices qui
n’étaient qu’argent sale et partit pour
Genève, accompagné de sa maitresse qu’il épousa selon le rite réformé : La
sanction ne se fit pas attendre, il fut condamné à mort pour « hérésie symoniacale avec la blasphème
hérésie luthérienne » et brulé
en effigie place Maubert, en Mai 1550.
Une chance pour nous,
Théodore de Bèze avait eu le temps, avant de fuir à Genève, de confier son
manuscrit de poèmes latins à l’imprimeur Conrad Bade (le fils de Josse Bade) qui les
publia in extremis aux ides de Juillet
1548, avant de quitter lui aussi Paris sans attendre les représailles.
Fig 3 Le portait de l’auteur
à 29 ans, à l’époque de la publication des Poemata.
L’ouvrage est composé de
cinq parties dont les quatre premières sont assez formelles : Les Sylves, les
Icônes, les Elégies et les Epitaphes. Des vers classiques d’étudiant nourris de
références antiques. La dernière partie, la plus importante est d’une autre
tournure. Ce sont des épigrammes dédiés à une Muse prénommée Candida. Les
thèmes ne sont pas piqués des hannetons et j’ai hésité longtemps avant de
présenter quelques pages de ces poèmes érotiques au cas où les chastes lectrices
de ce blog entendraient le latin.
Fig 4 Epigrammata. Ad
Candidam
Fig 5 Formosas videam …
Au fil des allusions et des
situations scabreuses, on comprend que de Bèze se moque surtout des
superstitions catholiques. L’épigramme « in spurrinam » met en scène
un fidèle catholique qui, désespérant de ne pas avoir d’enfant, quitte sa femme
et parcourt les pèlerinages d’Europe et d’Asie, allant jusqu’au sommet du
Sinaï. A son retour, usé de fatigue, il retrouve sa femme …avec trois
enfants !
Evidemment, Theodore de Bèze, devenu le bras droit et successeur
de Calvin, regretta toute sa vie cette erreur de jeunesse, si peu en ligne avec
sa nouvelle conduite et se justifia en
invoquant son maitre Melchior Wolmar, à
qui l’œuvre avait été dédiée : « Par
désir de gloire et pour contenter les vœux d’un maitre à qui je devais tout, je
fus entrainé à publié ce petit livre ».
Fig 6 La dédicace de
Theodore de Bèze, Vezelius (Vézélien) au précepteur helvète Melchior Wolmar.
Il dut subir non seulement
les attaques des milieux catholiques mais également les sarcasmes des austères
calvinistes. François Bauduin, ancien secrétaire de Calvin passé au
catholicisme, raillait son camarade Bèze, jadis poète très élégant et devenu
théologien féroce. La polémique allait bon train, la perverse Candida aurait
été son épouse Claudine Denosse et l’épigramme « de sua in Candidam et
Aubertum benevolentia » (Sur l’affection de Bèze pour sa Candida et son
ami Aubert) une allusion à la bisexualité du théologien.
Mais voilà, le sexe fait
vendre et ces Poemata eurent beaucoup de succès. 3 éditions successives de
piètre qualité virent le jour sans nom d’éditeur (dont deux dites à la tête de
mort). Théodore de Bèze se résolut alors à réviser le texte, en expurger les
passages les plus scabreux et à publier une deuxième version augmentée, à Genève,
chez Henri Estienne, en 1569, bien moins drôle.
Fig 7 Colophon de l’édition
de 1548
Je vois bien comment
Bertrand pourrait conclure ce papier, alors que les soldes battent leur plein
dans toutes les librairies : « Ne soldez pas Theodore, il b...
encore ! »
Bonne soirée
Textor
(1) Théodore de Bèze, Poemata , Paris,
Conrad Bade, 1548, pet in-8 de 100 pages, cahiers signés a-f8 et g2.
(2) Reliure
plein basane fauve, double filet doré, dos orné (Reliure du XVIIe siècle).