lundi 16 juillet 2012

Theodore de Bèze : Les Poemata, une erreur de jeunesse (1548)



Les poètes du XVIème siècle bénéficient de la faveur des blogs ces dernières semaines, je saisis cette opportunité pour placer dans la conversation une de mes dernières acquisitions, le premier livre de Théodore de Bèze. Un recueil de poésies en latin qui ne va pas déplaire à Bertrand comme nous l’allons démontrer.

Théodore de Bèze est né en 1519 dans la sainte ville du Vezelay, en pays bourguignon, il était le fils du Bailli de cette ville, et la chance de Théorore fut d’avoir, outre des capacités intellectuelles au dessus de la moyenne, deux oncles ecclésiastiques. A l’époque avoir des oncles ecclésiastiques était bien plus intéressant qu’aujourd’hui, car c’était la promesse d’un héritage substantiel issu des confortables bénéfices de leur charge. Donc, dès l’âge de 9 ans le petit Théodore fut confié à l’humaniste Melchior Wolmar, proche des milieux réformés, qui venait d’ouvrir un internat à Orléans. Theodore de Bèze obtint sa licence en droit en 1539 et mena la vie insouciante et turbulente des étudiants fortunés. C’est au cours de ces années d’études qu’il commença à écrire des vers latins pour distraire ses condisciples.


Fig 1 La page de titre de l’édition originale des Poemata publiée chez Conrad Bade en 1548.



Fig 2  La belle marque représentant un atelier d’imprimerie est inspirée de celle de son père.


A la suite de ses études, il gagna Paris et se lia d’amitié avec un cercle d’intellectuels, lesquels se retrouvaient chez l’imprimeur Michel Vascosan : Adrien Turnèbe, George Buchanan, Mellin de Saint Gelais, ou Salmon Macrin. Le Cénacle de la Rue St Jacques était formé. La vie était joyeuse, les filles admiratives et les amours torrides. Faisant fi des codes sociaux, Théodore se fiança avec une jeune fille d’un rang inférieur au sien (Pouah !) au grand scandale de la famille. La belle Claudine Denosse sera célébrée dans les Poemata.

Mais voilà, en 1548, Dieu apparut à Théodore de Bèze et, passablement courroucé, lui signifia qu’il était temps d’arrêter de faire la noce. Transfiguré par cette expérience mystique, notre poète embrassa illico la religion réformée, liquida ses bénéfices qui n’étaient qu’argent sale  et partit pour Genève, accompagné de sa maitresse qu’il épousa selon le rite réformé : La sanction ne se fit pas attendre, il fut condamné à mort pour « hérésie symoniacale avec la blasphème hérésie luthérienne »  et brulé en effigie place Maubert, en Mai 1550.

Une chance pour nous, Théodore de Bèze avait eu le temps, avant de fuir à Genève, de confier son manuscrit de poèmes latins à l’imprimeur Conrad Bade (le fils de Josse Bade)  qui  les publia  in extremis aux ides de Juillet 1548, avant de quitter lui aussi Paris sans attendre les représailles.


Fig 3 Le portait de l’auteur à 29 ans, à l’époque de la publication des Poemata.


L’ouvrage est composé de cinq parties dont les quatre premières sont assez formelles : Les Sylves, les Icônes, les Elégies et les Epitaphes. Des vers classiques d’étudiant nourris de références antiques. La dernière partie, la plus importante est d’une autre tournure. Ce sont des épigrammes dédiés à une Muse prénommée Candida. Les thèmes ne sont pas piqués des hannetons et j’ai hésité longtemps avant de présenter quelques pages de ces poèmes érotiques au cas où les chastes lectrices de ce blog entendraient le latin.


Fig 4 Epigrammata. Ad Candidam



Fig 5 Formosas videam …


Au fil des allusions et des situations scabreuses, on comprend que de Bèze se moque surtout des superstitions catholiques. L’épigramme « in spurrinam » met en scène un fidèle catholique qui, désespérant de ne pas avoir d’enfant, quitte sa femme et parcourt les pèlerinages d’Europe et d’Asie, allant jusqu’au sommet du Sinaï. A son retour, usé de fatigue, il retrouve sa femme …avec trois enfants !

Evidemment, Theodore  de Bèze, devenu le bras droit et successeur de Calvin, regretta toute sa vie cette erreur de jeunesse, si peu en ligne avec sa  nouvelle conduite et se justifia en invoquant son maitre Melchior Wolmar,  à qui l’œuvre avait été dédiée : « Par désir de gloire et pour contenter les vœux d’un maitre à qui je devais tout, je fus entrainé à publié ce petit livre ».


Fig 6 La dédicace de Theodore de Bèze, Vezelius (Vézélien) au précepteur helvète Melchior Wolmar.


Il dut subir non seulement les attaques des milieux catholiques mais également les sarcasmes des austères calvinistes. François Bauduin, ancien secrétaire de Calvin passé au catholicisme, raillait son camarade Bèze, jadis poète très élégant et devenu théologien féroce. La polémique allait bon train, la perverse Candida aurait été son épouse Claudine Denosse et l’épigramme « de sua in Candidam et Aubertum benevolentia » (Sur l’affection de Bèze pour sa Candida et son ami Aubert) une allusion à la bisexualité du théologien.

Mais voilà, le sexe fait vendre et ces Poemata eurent beaucoup de succès. 3 éditions successives de piètre qualité virent le jour sans nom d’éditeur (dont deux dites à la tête de mort). Théodore de Bèze se résolut alors à réviser le texte, en expurger les passages les plus scabreux et à publier une deuxième version augmentée, à Genève, chez Henri Estienne, en 1569, bien moins drôle.


Fig 7 Colophon de l’édition de 1548


Je vois bien comment Bertrand pourrait conclure ce papier, alors que les soldes battent leur plein dans toutes les librairies : « Ne soldez pas Theodore, il b... encore ! »

Bonne soirée
Textor


(1) Théodore de Bèze, Poemata , Paris, Conrad Bade, 1548, pet in-8 de 100 pages, cahiers signés a-f8 et g2. 

(2) Reliure plein basane fauve, double filet doré, dos orné (Reliure du XVIIe siècle).

Cf Barbier Mueller, Ma bibliothèque poétique, « Mignonne, allons voir… » n°101. 

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