vendredi 25 février 2011

Paolo Giovio, le chroniqueur des Peoples (1574).


Je me suis dit qu’il y avait déjà un moment que je ne vous avais pas présenté une petite chronique de la désormais célèbre série :
« il n’est pas blême, mon livre d’emblème ».

Voici donc le dernier opus : une édition italienne imprimée par Guillaume Rouille en 1574, qui regroupe le Dialoguo de l'impresse militari et amorose, de Paolo Giovio (Dialogues des devises d’armes et d’amours) auquel ont été ajoutés les Imprese Heroiche e Morali ritrovate da M. Gabrielli Symeoni, fiorentino (les Devises héroïques et morales du seigneur Gabriel Symeon, florentin).


Fig 1 Page de titre, à la marque de Rouille, c’est la partie du livre qui a le plus souffert.


Fig 2 Le Portrait de Paolo Giovio


Paolo Giovio, évêque de Nocera, natif de Come (1483 – 1552) est une figure intéressante de l’humanisme italien. Il était à la fois médecin, historien et biographe, un peu comme le Bibliophile Rhémus. Il commença à exercer à Come mais l’arrivée de la peste, qui pourtant aurait pu lui donner du travail, le fait fuir vers Rome. Il devint alors le médecin personnel du Cardinal Jules de Médicis (le futur pape Clement VII). Histoire de ne pas être pris en défaut si son protecteur venait à passer l’arme à gauche, il écrivit un traité, le De optima victus ratione, dans lequel il met en doute l’efficacité de la pharmacopée de son époque. (Finalement, il avait raison, la meilleure stratégie pour combattre la maladie restait la fuite !)

Après quoi, il écrivit quelques traités historiques tout à la gloire de son mentor, Clément VII, notamment une chronique des guerres d'Italie et d'Allemagne sur lesquelles il nous livre ses réflexions sous forme de dialogues fictifs entre Arioviste, chef des Suèves et César. (De Bello Germanico). Giovio se vantait d’avoir deux plumes pour les princes, l’une d’or et l’autre de fer, suivant qu’il en recevait ou non des faveurs. Au moins, il ne pratiquait pas la langue de bois !


Fig. 3 Jean de Médicis, depuis nommé pape Léon, pris pour devise un joug de bœuf pour signifier qu’il ne voulait pas être tyran de son pays. (Appréciez le paradoxe !)


Fig. 4 « Qui crépite annonce le silence ». Les conseillers tremblent de peur devant le marquis de Vast, comme lorsqu’on entend le son de cet instrument fait de petits marteaux qui remplacent les cloches et annoncent le saint jour des ténèbres. (Avant Pâques).


Giovio a plus d’une corde à son arc. Il aimait les peoples, et fréquenta ou entretint une correspondance avec les intellectuels, comme Léonard de Vinci, l’Arétin ou Pietro Bembo, mais aussi les puissants, François 1er, Charles Quint. Saviez-vous que c’est lui le véritable inventeur de Facebook ? En 1536 il se fit bâtir une villa à Borgo Vico, au bord du lac de Côme, probablement sur l’emplacement de l’antique villa de Pline le Jeune, qu’il appela le Musée, pour le seul plaisir de pouvoir y placer ses antiques, et tous les portraits des peoples, ses amis. Cette collection, « la plus célèbre d’entre toutes » lentement amassée avec le concours de son frère Benedetto, contenait plus de quatre cents portraits des figures marquantes de l’Histoire, véritable ancêtre de nos musées modernes. Ces tableaux, parmi lesquels figurait un portrait réputé authentique de Christophe Colomb (grande fierté de Giovio), étaient accompagnés de poèmes « éloges » notés sur des parchemins suspendus au cadre, rapportant brièvement la vie du personnage portraituré.

Une édition de cette galerie de portraits, intitulée « Le inscrittioni poste sotto le vere imagini de gli huomini famosi, le quali a Como nel museo del Giovio si veggiono » Torrentino 1552 était en vente au Grand Palais l’année dernière mais le marchand américain en demandait un prix prohibitif, donc vous ne les verrez pas !!

J’ai choisi pour illustrer l’œuvre de Giovio, son livre le plus … emblématique, un ensemble de harangues militaires d’éminents hommes de guerre de la Renaissance, arrangé autour du triptyque image – devise – commentaire, comme le veut le genre. La particularité de celui-ci réside dans le fait que la devise en latin est à chaque fois dans un bandeau intégré à la scène, et que l’image est toujours inscrite dans un ovale. (sans les encadrements d’arabesques, à la différence des éditions précédentes).

Fig. 5 Un Vaillant capitaine bourguignon, Monsieur de Gruer, Bailli de Dijon, amoureux d’une Dame rustique et rétive, laquelle avait encore un mari, fit représenter le mari en homme velu qui suivait un bœuf mené par sa femme toute aussi nue et chevelue ; avec la formule Menatemi e non temete.


Fig. 6 En ma jeunesse quand j’étais amoureux à Pavie, dit Giovio, je fus contraint par nécessité de prendre un parti dommageable, celui de l’animal qu’on appelle Castor et qui, sachant qu’il est poursuivi par les chasseurs à cause de ses génitoires qui ont grande vertu en médecine, se les arrache avec les dents, (Aîe !) et les laisse aux chasseurs avec un mot en grec, Anatki, qui veut dire nécessité.


Fig. 7 Une rondelle couronnée et transpercé d’une flèche pour le duc de Guise, signifiant qu’il est bon chevalier pour prendre et assaillir une ville et tuer ses ennemis à la campagne. ( ?)


D’abord publié au format in-12 sans illustration, à Rome en 1555, les dialogues ont été ensuite imprimés par Guillaume Rouille sous ce format en 1559, puis, joint aux emblèmes de Syméoni dans une version française en 1561 sous le titre: « Dialogue des devises d’armes et d’amours, avec un discours de M. Loys Dominique sur le mesme subjet, traduit de l’italien par le S. Vasquin Philieul. Auquel avons adjousté les Devises héroiques & morales du seigneur Gabriel Symeon ».

Cette édition de 1574 contient 102 emblèmes pour le Dialogo dell impressa et 35 pour les Deviso heroico. Les figures gravées sur bois, et le portrait de l’auteur sont dessinés par le Maître à la Capeline ; Baudrier préfère s’extasier sur les seuls encadrement, absents ici : "Les encadrements de ces vignettes sont d’une remarquable exécution et sont, à notre connaissance, une des premières œuvres de cet artiste." (Baudrier IX-255 & 277). Il faut espérer que le Maitre de la Capeline ne s’est pas contenté de réaliser les encadrements mais qu’il a aussi dessiné les emblèmes ! Benezit identifie le Maitre à la Capeline avec ''Thomas'' Maitre Peintre qui dirigea le travail des artistes pour l'Entrée de Charles IX à Lyon en 1564 (Dictionnaire critique, 1948, p. 222). Ce ''Thomas'' pourrait être Thomas Arande, artiste actif à Lyon de 1552 à 1561.

Fig. 8 Le duc de Come, qui avait le signe Capricorne commun avec Auguste déconfit ses ennemis florentins à la bataille de Mont Murlan, et il put dire : Je ferai par propre vertu ce que me promet mon horoscope. Sous ce Capricorne bondissant, une jolie vue de Florence, avec le Duomo de Brunelleschi et le pont sur l’Arno. Qui a repéré la boutique des Giunta ?


Pourquoi regroupa-t-on les devises de Giovio avec celles de Gariel Syméoni ? Je l’ignore. Ses devises n’ont rien de comparables à celles de Giovio, mais le style des vignettes est identique puisque c’est également le Maitre à la Capeline qui en serait l’auteur.

Symeoni est un humaniste florentin (1509-1575), ingénieur et poète à ses heures, Il voyagea un peu partout en Europe pour s’attirer les faveurs d’un Prince, mais de tempérament orgueilleux et inconstant, il ne parvint à se fixer nulle part.. Il nous laisse des vers et des petites monographies historiques. C’est lui qui le premier identifia le site de Gergovie dans la plaine de Limagne (dommage qu’il ne soit pas allé chercher Alésia … !). Un temps à Lyon, il fréquenta le cercle littéraire et érudit de Maurice Scève et de Guillaume Du Choul. (Cf Chatelain, Livres d’emblèmes et de devises, p. 106).

On sait par une mention figurant sur un manuscrit d'un livre d'emblèmes de Symeoni que le graveur de Guillaume Rouille, en l'occurrence le Maître à la Capeline, devait se rendre chez Du Choul pour y copier des représentations d'animaux. Les vignettes de ce livre nous donnent donc une idée d'un autre ouvrage perdu à ce jour, Des animaux féroces et estranges, qui semble avoir été conservé par la famille de l’imprimeur jusqu’au XVIIIe siècle.

Sur le fond, les devises de Syméoni sont des enseignements moraux plutôt convenus, qui tranchent avec l’image laissée par ce personnage turbulent, mais pas très inspiré.

Fig 9 Page de titre des emblèmes de Syméoni. Illustration de l’expression « avoir la tête dans les nuages ».


Fig. 10 La devise d’un vrai gentilhomme qui relève un pauvre tombé à terre, est Bis dat qui tempestive donat. Le bienfait est double à celui qui donne sans attendre de récompense.


Fig. 11 En revanche, on trouve souvent des personnes iniques et cruelles qui, nonobstant qu’on leur montre toute l’amitié du monde, sont sans pitié, comme la Mort qui ne laisse de tuer un homme qui lui crie merci.


Bonne Journée
Textor

LinkWithin

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...