Fables de La Fontaine, Amsterdam, Pierre Brunel, 1718.
2 volumes in-12. Maroquin d'époque.
Édition illustrée de vignettes à mi-pages.
2 volumes in-12. Maroquin d'époque.
Édition illustrée de vignettes à mi-pages.
Redevenons sérieux, encore que le sérieux m'a toujours fait rire. La vie est-elle vraiment sérieuse au fond ? A midi j'écoutais une émission de radio au cours de laquelle un écervelé au nom composé essayait de convaincre des "gens" de se mettre au régime, de manger sain, donc de manger des légumes, de réduire les graisses et les sucres... Conditions sine qua non d'après cet homme de bien pour vivre longtemps. Un intervenant l'interrompt : "On ne vous a jamais dit qu'il valait mieux vivre moins longtemps mais mieux, en prenant du plaisir, que vieux mais ayant mené une vie des plus insipides ?" La réponse fut éludée... La chose était débattue, l'homme sous son habit officiel était en fait là pour vendre un livre... pas vraiment pour vous aider à vivre heureux. Méfions-nous donc de ses idées reçues qui feraient que pour bien vivre il faudrait apprendre à bien mourir, ... vieux. Il y a deux mille ans presque jour pour jour, un homme en a fait la douloureuse expérience. Et comme disait mon grand oncle Gaston (un sévère celui-là ! genre Raoul ... façon puzzle) : " ... il croyait il croyait... maintenant il est fixé !".
Bon, ça c'est fait. Passons aux choses sérieuses.
De la hiérarchisation des exemplaires vue par M. Christian Galantaris.
Hein ! Ça vous bouscule un homme ça non ?
Le soir, tard, quand je ne farfouille pas dans les galeries Flickr à la recherche de ma perdition, je lis des passages de livres, debout, appuyé sur une des étagères de ma bibliothèque. Avant hier soir j'ai sorti le premier volume du Manuel de bibliophilie de Christian Galantaris. Je ne pouvais pas sortir le deuxième volume... puisque je ne le possède pas. Cet ouvrage publié en 1998 aux éditions des Cendres est de bon format (grand in-8 ou petit in-4 selon) et imprimé sur beau papier. J'ai feuilleté, feuilleté encore, je me suis arrêté à quelques endroits, j'ai lu. Je me suis arrêté sur la page 179, un titre : HIÉRARCHISATION DES EXEMPLAIRES. Intéressant. M. Galantaris a le don de vous attirer entre ses lignes, ses constats sont imagés et pragmatiques, en un mot, on sent le Monsieur qui a palpé du bouquin toute sa vie ou presque. Il sait de quoi il cause ! Ainsi je trouve très intéressant de citer ce passage précis de son livre, il éclairera sans aucun doute beaucoup de lecteurs du Bibliomane moderne dans les dédales de la "condition" d'un livre.
La parole est à M. Galantaris.
"Les éléments donnés ci-après à titre d'exemple aideront à comprendre la différence de valeur vénale qui peut exister, en raison de plusieurs paramètres, entre deux exemplaires d'un même ouvrage. Prenons l'édition originale des Pensées de Pascal (1670). Tout lecteur comprend la différence d'attrait, et donc de prix, entre un exemplaire lavé, relié dans les années 1950, en chagrin violet avec marges courtes et tranches jaspées, et un exemplaire en fraîche reliure janséniste de maroquin rouge de l'époque et tranches dorées. Est-il besoin de préciser que la qualité des exemplaires va en augmentant, du moins attractif (1) au plus excitant (8).
1. Reliure moderne, marges courtes, papier bruni ou obscurci par des rousseurs ou - au contraire - outrancièrement lavé et trop blanc.
2. Reliure moderne, marges moyennes (rarement grandes, car la reliure moderne présuppose une ou deux reliures antérieures, chaque reliure imposant un nouveau rognage des marges).
3. Reliure ancienne de basane (dos lisse ou à nerfs, sans décor ou discrètement orné).
4. Reliure ancienne de vélin ivoire souple ou à plats rigides (montés sur carton). Cette condition, plaisante mais modeste sans aucun décor, prend un attrait et une plus-value particulière s'il s'y ajoute une ornementation dorée sur les plats.
5. Reliure en veau ancien (brun, marbré, raciné, blond, etc.), à tranches nues, marbrées, quelquefois dorées avec dentelle intérieure (autant de signes d'une reliure soignée et de qualité). S'il y a une petite dentelle ou des armes sur les plats, la valeur augmente notablement.
6. Reliure ancienne en maroquin (janséniste ou avec trois filets dorés en encadrement sur les plats, dos orné, tranches dorées et dentelle intérieure, etc.).
7. Reliure ancienne en maroquin (à dentelle, aux armes, avec super ex-libris attestant une origine célèbre, etc.).
8. Reliure ancienne mosaïquée, qui se rencontre sur les almanachs ou les livres de piété, mais pratiquement introuvable sur un texte d'une autre nature, à tel point que, si l'intérêt du texte est à la hauteur d'une telle reliure, il y a aussitôt lieu de suspecter quelque opération de remboîtage.
Les livres anciens brochés sont jusqu'à la fin du XVIIe siècle extrêmement rares. Les bibliophiles du XIXe siècle qui trouvaient un Elzévier non relié et à toutes marges l'exhibaient comme un trophée.
Naturellement cet inventaire ne tient nul compte des provenances (excepté pour les reliures armoriées). Or, il est bien évident que si un livre, fût-il dans une modeste basane ancienne, portait la signature de Voltaire sur le titre, il serait aussitôt promu au rang de relique et la fixation de son prix ne tiendrait plus aucun compte de la modestie du matériau de reliure, de même s'il était aux armes d'un personnage célèbre.
Signalons aussi que, dans la description d'un livre ancien, la mention "reliure ancienne" ne signifie pas forcément "reliure de l'époque", car de nombreux livres du XVIe siècle et même du siècle suivant ont été reliés à nouveau au XVIIIe siècle, période ou les bibliophiles commençaient à se montrer plus exigeants sur ce point.
Il ne semble pas utile de composer un tableau semblable pour les livres romantiques ou modernes, les mêms critères pouvant s'appliquer à eux. Il existe cependant une contrainte supplémentaire : la sacro-sainte couverture, que l'on commence à relier dans les livres à partir de la fin du second Empire (sous l'influence des Goncourt) et à laquelle les collectionneurs d'éditions originales attachent une réelle importance. De fait, les prix varient sensiblement en raison de sa présence ou de son absence."
Mille mercis M. Galantaris de nous permettre de nous délecter de si beaux textes sur l'amour des livres. Ce livre est aujourd'hui difficile à trouver à moindre frais, et c'est bien dommage.
Vous voilà parés désormais ! Vous disposez de votre "échelle de Richter" du bibliophile ! La terre peut bien trembler, vous saurez maintenant faire la différence entre un bouquin, un livre et un beau livre. Notez toutefois (et je suis de cet avis puisque c'est moi qui le donne...) qu'on peut choisir de consacrer toute sa vie au niveau 1 sans être pour autant un infâme bibliophile indigne, et que l'on peut consacrer toute sa vie au niveau 8 tout en restant bête comme ses pieds (et dieu que c'est bête un pied !) ...
Vos remarques sont les bienvenues. Sans doute ne manquerez-vous pas de déceler, comme on pourrait le faire, des niveaux supplémentaires ou des niveaux intermédiaires.
Imaginez : L'exemplaire relié en maroquin du Procès Fouquet (16 volumes in-12 si je me souviens bien), aux armes d'Omer Talon, du procureur général au procès, le tout avec sur la garde blanche du premier volume un mot manuscrit de la main de Louis XIV expliquant en quelques lignes les causes réelles de la disgrâce de son ministre des finances... Bien sur cet exemplaire n'existe pas, ou alors je ne l'ai pas encore rencontré... comme quoi la bibliophilie véhicule tous les fantasmes, j'ai bien dis tous les fantasmes. Et c'est bien ça qui me plait.
Sur ce, bonne nuit,
Bertrand
Bon, ça c'est fait. Passons aux choses sérieuses.
De la hiérarchisation des exemplaires vue par M. Christian Galantaris.
Hein ! Ça vous bouscule un homme ça non ?
Le soir, tard, quand je ne farfouille pas dans les galeries Flickr à la recherche de ma perdition, je lis des passages de livres, debout, appuyé sur une des étagères de ma bibliothèque. Avant hier soir j'ai sorti le premier volume du Manuel de bibliophilie de Christian Galantaris. Je ne pouvais pas sortir le deuxième volume... puisque je ne le possède pas. Cet ouvrage publié en 1998 aux éditions des Cendres est de bon format (grand in-8 ou petit in-4 selon) et imprimé sur beau papier. J'ai feuilleté, feuilleté encore, je me suis arrêté à quelques endroits, j'ai lu. Je me suis arrêté sur la page 179, un titre : HIÉRARCHISATION DES EXEMPLAIRES. Intéressant. M. Galantaris a le don de vous attirer entre ses lignes, ses constats sont imagés et pragmatiques, en un mot, on sent le Monsieur qui a palpé du bouquin toute sa vie ou presque. Il sait de quoi il cause ! Ainsi je trouve très intéressant de citer ce passage précis de son livre, il éclairera sans aucun doute beaucoup de lecteurs du Bibliomane moderne dans les dédales de la "condition" d'un livre.
La parole est à M. Galantaris.
"Les éléments donnés ci-après à titre d'exemple aideront à comprendre la différence de valeur vénale qui peut exister, en raison de plusieurs paramètres, entre deux exemplaires d'un même ouvrage. Prenons l'édition originale des Pensées de Pascal (1670). Tout lecteur comprend la différence d'attrait, et donc de prix, entre un exemplaire lavé, relié dans les années 1950, en chagrin violet avec marges courtes et tranches jaspées, et un exemplaire en fraîche reliure janséniste de maroquin rouge de l'époque et tranches dorées. Est-il besoin de préciser que la qualité des exemplaires va en augmentant, du moins attractif (1) au plus excitant (8).
1. Reliure moderne, marges courtes, papier bruni ou obscurci par des rousseurs ou - au contraire - outrancièrement lavé et trop blanc.
2. Reliure moderne, marges moyennes (rarement grandes, car la reliure moderne présuppose une ou deux reliures antérieures, chaque reliure imposant un nouveau rognage des marges).
3. Reliure ancienne de basane (dos lisse ou à nerfs, sans décor ou discrètement orné).
4. Reliure ancienne de vélin ivoire souple ou à plats rigides (montés sur carton). Cette condition, plaisante mais modeste sans aucun décor, prend un attrait et une plus-value particulière s'il s'y ajoute une ornementation dorée sur les plats.
5. Reliure en veau ancien (brun, marbré, raciné, blond, etc.), à tranches nues, marbrées, quelquefois dorées avec dentelle intérieure (autant de signes d'une reliure soignée et de qualité). S'il y a une petite dentelle ou des armes sur les plats, la valeur augmente notablement.
6. Reliure ancienne en maroquin (janséniste ou avec trois filets dorés en encadrement sur les plats, dos orné, tranches dorées et dentelle intérieure, etc.).
7. Reliure ancienne en maroquin (à dentelle, aux armes, avec super ex-libris attestant une origine célèbre, etc.).
8. Reliure ancienne mosaïquée, qui se rencontre sur les almanachs ou les livres de piété, mais pratiquement introuvable sur un texte d'une autre nature, à tel point que, si l'intérêt du texte est à la hauteur d'une telle reliure, il y a aussitôt lieu de suspecter quelque opération de remboîtage.
Les livres anciens brochés sont jusqu'à la fin du XVIIe siècle extrêmement rares. Les bibliophiles du XIXe siècle qui trouvaient un Elzévier non relié et à toutes marges l'exhibaient comme un trophée.
Naturellement cet inventaire ne tient nul compte des provenances (excepté pour les reliures armoriées). Or, il est bien évident que si un livre, fût-il dans une modeste basane ancienne, portait la signature de Voltaire sur le titre, il serait aussitôt promu au rang de relique et la fixation de son prix ne tiendrait plus aucun compte de la modestie du matériau de reliure, de même s'il était aux armes d'un personnage célèbre.
Signalons aussi que, dans la description d'un livre ancien, la mention "reliure ancienne" ne signifie pas forcément "reliure de l'époque", car de nombreux livres du XVIe siècle et même du siècle suivant ont été reliés à nouveau au XVIIIe siècle, période ou les bibliophiles commençaient à se montrer plus exigeants sur ce point.
Il ne semble pas utile de composer un tableau semblable pour les livres romantiques ou modernes, les mêms critères pouvant s'appliquer à eux. Il existe cependant une contrainte supplémentaire : la sacro-sainte couverture, que l'on commence à relier dans les livres à partir de la fin du second Empire (sous l'influence des Goncourt) et à laquelle les collectionneurs d'éditions originales attachent une réelle importance. De fait, les prix varient sensiblement en raison de sa présence ou de son absence."
C. Galantaris,
Manuel de bibliophilie,
premier volume, "du goût de la lecture à l'amour du livre",
Paris, éditions des Cendres, 1998, pp. 179-181.
Manuel de bibliophilie,
premier volume, "du goût de la lecture à l'amour du livre",
Paris, éditions des Cendres, 1998, pp. 179-181.
Mille mercis M. Galantaris de nous permettre de nous délecter de si beaux textes sur l'amour des livres. Ce livre est aujourd'hui difficile à trouver à moindre frais, et c'est bien dommage.
Vous voilà parés désormais ! Vous disposez de votre "échelle de Richter" du bibliophile ! La terre peut bien trembler, vous saurez maintenant faire la différence entre un bouquin, un livre et un beau livre. Notez toutefois (et je suis de cet avis puisque c'est moi qui le donne...) qu'on peut choisir de consacrer toute sa vie au niveau 1 sans être pour autant un infâme bibliophile indigne, et que l'on peut consacrer toute sa vie au niveau 8 tout en restant bête comme ses pieds (et dieu que c'est bête un pied !) ...
Vos remarques sont les bienvenues. Sans doute ne manquerez-vous pas de déceler, comme on pourrait le faire, des niveaux supplémentaires ou des niveaux intermédiaires.
Imaginez : L'exemplaire relié en maroquin du Procès Fouquet (16 volumes in-12 si je me souviens bien), aux armes d'Omer Talon, du procureur général au procès, le tout avec sur la garde blanche du premier volume un mot manuscrit de la main de Louis XIV expliquant en quelques lignes les causes réelles de la disgrâce de son ministre des finances... Bien sur cet exemplaire n'existe pas, ou alors je ne l'ai pas encore rencontré... comme quoi la bibliophilie véhicule tous les fantasmes, j'ai bien dis tous les fantasmes. Et c'est bien ça qui me plait.
Sur ce, bonne nuit,
Bertrand