La visite des locaux du collège maius de l’université Jagellon à Cracovie donne une petite idée de la manière dont les cours étaient enseignés au Moyen-âge. Les locaux sont disposés autour d’une cour oblongue à galeries, les cellules des étudiants donnant toutes sur cette sorte de coursive. Les Cours ? Beaucoup de transmission orale, peu de support écrit, le Maître dissertant devant ses élèves confortablement assis sur des bottes de paille.
Mais nos chères têtes blondes n’avaient pas forcément toutes une bonne mémoire (Je laisserai Bertrand développer sur la mémoire des blondes) et le besoin de fixer les commentaires du Maître a sans doute du se faire sentir assez vite.
Les imprimeurs surent tirer parti de cette demande nouvelle ; ils ne se contentèrent pas d’imprimer tous les ouvrages disponibles de l’antiquité gréco-latine, mais ils adaptèrent le format de ces supports écrits au besoin des étudiants en inventant en quelque sorte le bon vieux polycopié de notre jeunesse. De leur coté les Professeurs virent bien vite l’intérêt qu’il y avait à faire cours sur un support imprimé, fourni préalablement à leurs élèves.
Selon Jean Letrouit (1), c’est Jérôme Aléandre, venu à Paris en 1508 pour enseigner le latin, le grec et l’hébreu, qui peut être considéré comme le premier théoricien de cette pratique. Il fit imprimer chez Gilles de Gourmont une petite plaquette datée du 30 avril 1509 et contenant le texte grec de trois traités de Plutarque, de manière à ce que ses étudiants eussent le support de cours à leur disposition.
Dans sa préface, il expose sa théorie :
« Comme je m’apprêtais à faire profession d’enseigner publiquement (quum essem publice professurus) diverses langues dans cette fameuse Université (Academia), rien ne m’a paru s’opposer d’avantage à ce que je satisfisse mes souhaits et ceux de mes auditeurs (auditores) que le manque de livres, et notamment de livres grecs et hébreux [ ….] Pour que tous puissent avoir la possibilité d’étudier, il m’a semblé que je ferais quelque chose qui en valait la peine, si je prenais soin de faire imprimer comme un spécimen (aliquod quasi specimen) tiré de quelque excellent auteur, grec d’abord, car mes imprimeurs n’ont pas encore de caractères hébraïques. […] C’est ce que j’ai fait jusqu’ici avec ces trois traités du très grave Plutarque, que j’exposerai en latin. Pour dire vrai, à moins que je ne sois trompé par mon idée et mon grand désir de réaliser ces choses, j’ose espérer, bien plus, affirmer avec assurance que, sous peu, beaucoup de ces petits livres (huiuscemodi libelli) seront imprimés en France, sinon avec une grande élégance, du moins avec assez de correction, non seulement en grec, mais aussi en hébreu. De sorte que, ayant acquis divers livres pour une somme modique et connaissant, grâce à mes leçons (ex nostris prelectionibus), le genre de style particulier à chaque auteur quiconque trouvera ensuite ces mêmes auteurs en édition complète pourra facilement les parcourir, que dis-je, il pourra courir librement, comme dans un champ immense, à travers eux et toute la langue grecque, comme à travers la langue hébraïque et les langues qui en sont voisines, la syriaque et l’éthiopienne » (2)
Voilà ainsi exposées les principales caractéristiques de ces livres de cours, que Marie Madeleine Compère appelle des « feuilles classiques » : prix modique (à l’époque !), tirage très limité puisque fabriqué à la demande pour un nombre d’élèves très réduits, (d’un usage courant et éphémère beaucoup se sont perdus, ce qui explique qu’il est souvent difficile d’en retrouver un second exemplaire de même tirage dans les bibliothèques publiques), conçus pour que l’élève puisse l’annoter : texte bien aéré (imprimé avec un large interligne), marges étendues, bref, à croire que les imprimeurs de l’époque avaient déjà anticipés le fait que des lecteurs bibliomaniaques utiliseraient un décimètre pour mesurer les marges 500 ans plus tard !
Je ne saurais dire si Jérôme Léandre était le premier théoricien de cette pratique - à Paris peut-être - mais ce qui est certain c’est que l’usage des livres de cours existait déjà outre-Rhin, avant 1509.
Comme preuve, ce Juvenal imprimé à Leipzig par Jacob Thanner et daté de 1507. Jacob Thanner dédit son livre, dans une sorte de brève préface imprimée sous le titre, ad juventutem , à la jeunesse.
Né probablement pendant le règne de Claude, vers 45 ou 65, Juvénal a été très lu dès l'Antiquité tardive et au Moyen Âge - il existerait près de 500 manuscrits médiévaux des Satires – Il dresse un tableau au vitriol de la Rome impériale, transformée en lupanar. La langue de Juvénal permet de se faire une idée de la variété des parlers latins, selon les classes sociales et les régions. Boileau puisera dans cet ouvrage les matériaux de ses textes satiriques.
Fig 4 Les 6 premières satires sont ainsi annotées puis le reste de l’ouvrage est resté vierge de toute annotation (l’élève aurait-il été renvoyé !!?)
Jean Letrouit distingue 2 types de livres de cours en fonction des annotations qui y figurent. Le premier type est le plus rare, mais c’est celui qui est méthodologiquement le plus important. Il est constitué par des ouvrages comportant non seulement une note manuscrite relative à la prestation pédagogique, mais encore une indication manuscrite personnelle constituée de l’ex-libris de l’élève, et éventuellement de la date et du prix d’achat. (Tel est le cas du Dun Scott présenté sur ce blog le 23 juillet 2009 fig 5). Le deuxième type est constitué d’imprimés ne présentant que des indications relatives à la prestation pédagogique, à l’exclusion de toute note personnelle permettant d’identifier l’élève assistant au cours, comme ce Juvenal (Pour l’instant, car je n’ai pas encore décrypté toutes les pattes de mouche !)
Il apparait qu’une autre classification serait aussi possible, non pas en fonction des marginalia mais de la méthode d’impression, selon que le livre ait été imprimé spécialement pour un cours donné, une certaine année ( ce qui permettrait en théorie de retrouver le nom du professeur) de ceux qui ont été imprimés pour un public plus large et non spécialement réalisé pour un cours donné (les plus nombreux). M-M Compère a effectué ce recensement mais pour les livres de la seconde moitié du XVIème siècle dont les exemples présentés n’ont pas les mêmes caractéristiques que les ouvrages allemands du début du XVIème. (3)
En attendant la poursuite des recherches sur ce livre, que je n’ai encore repéré nulle part, je serais intéressé de savoir si vous avez déjà rencontré des « polycopiés » allemands de ce type, datés d’avant 1507. Un exemplaire est passé en vente en Mai 2009. Imprimé également à Leipzig par Martin Landsberg, il n’est pas daté. L’expert de la vente donne une fourchette de dates plutôt large (1495-1505), ce qui a permis de le qualifier « d’incunable ou de post-incunable », mais l’exemplaire pourrait aussi bien être plus récent puisque Landsberg a exercé jusqu’en 1510 environ.
Bonne Journée
Textor
(1) « La prise de notes de cours sur support imprimé dans les collèges parisiens au XVIème siècle » par Jean Letrouit, Revue de la BNF Juin 1999.
(2) Plaquette décrite par Henri Omont in «Essai sur les débuts de la typographie grecque à Paris (1507-1516) », Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, n° 18, 1891, p. 23-24, avec reproduction de la préface p. 54-57.
(3) Cf Marie Madeleine Compère - Les Collèges français (XVIe-XVIIIe siècles), Répertoire, t. 1- 3, France du Midi, Paris, C.N.R.S.1984 – 2002. Après avoir mené à bien divers travaux sur la formation des jésuites, les copies d’élèves et l’enseignement des humanités en général, l’auteur s’est intéressé aux éditions scolaires et à l’explication des auteurs proposée par le professeur, en particulier dans la classe de rhétorique. Les « feuilles classiques », catégorie d’édition en vigueur entre la mi-XVIe siècle et la mi-XVIIe ont fait l’objet d’une première mise au point dans le cadre du séminaire sur le « cours magistral ». http://www.inrp.fr/she/cours_magistral/expose_feuilles_classiques/expose_feuilles_classiques_complet.htm