C'est en feuilletant un peu de manière aléatoire les volumes du Bulletin de la librairie Morgand que je suis tombé en arrêt devant la fiche n°18164 : LIVRE D'HEURES DU COMTE DE BUSSY-RABUTIN.
Quelle étonnante surprise. Il me semblait bien avoir lu quelque chose quelque part dans un ouvrage sur Bussy-Rabutin une histoire de livre d'heures mais là, j'avais la preuve de son existence sous le nez.
La librairie Morgand aura décidément eu beaucoup de merveilles sur ses rayonnages de bois précieux du 55, passage des Panoramas !
Qu'en est-il de ce petit petit livre. Pour commencer disons tout de suite que ce livre est marqué "vendu" dans le bulletin mensuel d'avril 1890. Un long et savant descriptif suit :
Livre sans indication de date ni de lieu, de format in-16 et comportant 37 feuillets. Le volume est relié en maroquin citron, doublé de maroquin rouge, avec de riches dorures couvrant entièrement le dos et les plats, les tranches sont dorées. Il est indiqué "reliure ancienne", ce qui ne signifie pas, comme chacun sait, "reliure de l'époque".
Voici le savant commentaire d'Édouard Rahir qui à l'époque n'était encore que le bibliographe de M. Damascène Morgand.
"Livre précieux au double point de vue de l'art et de l'histoire et rendu célèbre par trois vers de Boileau. Ce manuscrit dont le texte n'existe plus, ayant été entièrement gratté, renferme 37 feuillets de vélin blanc entourés d'un filet d'or. Huit portent des portraits admirablement peints en miniature et attribués avec la plus grande vraisemblance à Petitot lui-même. Ces portraits dans lesquels il faudrait voir, suivant les vers de la VIIe satire de Boileau :
Étonnant non ?
Plusieurs questions viennent immanquablement à l'esprit ? Quel texte pouvait-il bien contenir ? S'agirait-il de la véritable raison de la disgrâce et de l'exil forcé de Bussy-Rabutin sur ses terres de Bourgogne ? Combien M. Morgand a-t-il vendu ce manuscrit en 1890 ? A qui l'a-t-il cédé ? Qu'est devenu aujourd'hui ce précieux manuscrit ?
Malheureusement je n'ai la réponse à aucune de ces question. Et vous ?
Je vous donne ci-dessous en copie la fiche établie par Édouard Rahir pour le Bulletin Morgand d'avril 1890.
Voici par ailleurs quelques autres documents relatifs à l'histoire de ce livre d'Heures de Bussy-Rabutin, notamment la longue notice que lui consacre Ludovic Lalanne dans le deuxième tome de la Correspondance de Bussy-Rabutin, publié en 1858.
M. Gérard-Gailly, biographe du début du XXe siècle de Bussy-Rabutin, n'est pas du même avis sur la question de ce livre d'Heures. Il remet en question l'idée que ce livre ait été rempli d'impiétés. En 1909, il écrit : "Aujourd'hui encore où cette minime question de littérature revient de temps en temps à flot, princes de la critique ou modestes rédacteurs de notices biographiques, rééditent ou résument dans un concert plein de force cette légende si complètement dépourvue de sens et de fondement." (1)
Il faut avouer que l'argument de E. Gérard-Gailly tient le choc, "Légende, écrit-il, Boileau, en effet, ne pouvait en 1668 flétrir un livre d'Heures qui ne fut pas composé avant 1674, et un livre d'Heures qu'il faudra, pour le connaitre alors, aller voir en Bourgogne, dans l'intimité. De plus, écrit Gérard-Gailly, on se demande pourquoi le roi aurait été intrigué par les trois vers en litige seulement six ans après leur apparition, c'est à dire à une époque où les cendres de la mortification et de l'exil avaient étouffé le feu jadis inquiétant de son capitaine." (2)
Selon Gérard-Gailly (et je suis aussi de cet avis), il faut voir dans les "Saints qu'a célébré Bussy" les dames et les hommes de la cour malmenés dans son Histoire amoureuse des Gaules, publiée sans son accord dès 1665. C'est ce livre qui valut la disgrâce à Bussy-Rabutin et pas un autre.
Que penser alors de ce petit livre d'Heures qui néanmoins, cela ne fait aucun doute, a bien été commandité par le comte bourguignon ? S'agit-il d'un simple livre d'Heures avec personnages historiques reproduits en peinture pour lui "donner à la campagne cet air de la cour qu'il ne sentait plus" ? A-t-il prié à genoux dans la chapelle de son château avec ce livre en mains ? On sait que M. de Bussy-Rabutin a fini ses jours empreint d'une grande dévotion, ce livre n'en est peut-être que l'instrument quotidien ?
Quid d'Édouard Rahir, de sa fiche et des bibliophiles et bibliographes avant lui ? Argument fallacieux ? Volonté de croire ? Instrument de libraire à l'usage des bibliophiles crédules ?
Voici ce qu'on trouve sur un site récent consacré à Bussy-Rabutin et que nous avons déjà cité ici : http://www.bussy-rabutin.com/ (site préparé par Daniel-Henri Vincent).
Le Livre d’heures et les almanach d’amour
Boileau dans sa satire VIII parue en 1668 écrit :
« Moi ? J’irais épouser une femme coquette ?
J’irais, par ma constance aux affronts endurci,
Me mettre au rang des saints qu’a célébrés Bussy ? »
Il semble que par « saints » Boileau entend les maris trompés que Bussy a mis « dans son histoire galante [et qui ] raconte beaucoup de galanteries très criminelles de la cour. » Il s’agirait simplement d’une allusion à l’Histoire amoureuse des Gaules. Mais Brossette, éditeur de Boileau au début du XVIIIe siècle, cite un petit Livre d’heures de Bussy. Il explique que : « au lieu des images que l’on met dans les livres de prières, étaient des portraits en miniature de quelques hommes de la cour dont les femmes étaient soupçonnées de galanterie. [… Bussy] avait mis au bas de chaque portrait un petit discours en forme d’oraison ou de prière accommodée au sujet. » Gérard-Gailly pense que le livre d’heures, intitulé Prières, a été composé en 1674, sans fournir beaucoup de précisions, et qu’il serait plus anodin qu’on ne l’a dit. On en aurait perdu la trace.
Quant aux almanachs d’amour, ce sont des parodies galantes des prédictions que faisaient des ‘voyants’ pour l’année à venir. Bussy reconnaît en avoir composé : « pour moi qui me suis mêlé autrefois de faire des almanachs d’amour… » dit-il à la comtesse de Fiesque en 1667. Claude Rouben en a identifié deux dans un recueil de Charles de Sercy et à la suite des poésies de Mme de la Suze.
Voir notamment à ce sujet :
ROUBEN (C.), Histoire et géographie galante au Grand Siècle, in XVIIe siècle, n° 93, 1971, pp.56-57.
GÉRARD-GAILLY (E.), Bussy-Rabutin, sa vie, ses œuvres et ses amies, Champion, Paris, 1909, pp. 330-334.
BOILEAU, Œuvres, Édition de G. Mongrédien, Paris, Garnier Frères, sd, p. 50.
On aimerait savoir où se trouve ce satané livre d'Heures aujourd'hui pouvoir, à la lumière des connaissances actuelles, le soumettre à un interrogatoire en règle.
Mais qui sait seulement ce qu'il est devenu ??....
Bonne journée,
Bertrand
Quelle étonnante surprise. Il me semblait bien avoir lu quelque chose quelque part dans un ouvrage sur Bussy-Rabutin une histoire de livre d'heures mais là, j'avais la preuve de son existence sous le nez.
La librairie Morgand aura décidément eu beaucoup de merveilles sur ses rayonnages de bois précieux du 55, passage des Panoramas !
Qu'en est-il de ce petit petit livre. Pour commencer disons tout de suite que ce livre est marqué "vendu" dans le bulletin mensuel d'avril 1890. Un long et savant descriptif suit :
Livre sans indication de date ni de lieu, de format in-16 et comportant 37 feuillets. Le volume est relié en maroquin citron, doublé de maroquin rouge, avec de riches dorures couvrant entièrement le dos et les plats, les tranches sont dorées. Il est indiqué "reliure ancienne", ce qui ne signifie pas, comme chacun sait, "reliure de l'époque".
Voici le savant commentaire d'Édouard Rahir qui à l'époque n'était encore que le bibliographe de M. Damascène Morgand.
"Livre précieux au double point de vue de l'art et de l'histoire et rendu célèbre par trois vers de Boileau. Ce manuscrit dont le texte n'existe plus, ayant été entièrement gratté, renferme 37 feuillets de vélin blanc entourés d'un filet d'or. Huit portent des portraits admirablement peints en miniature et attribués avec la plus grande vraisemblance à Petitot lui-même. Ces portraits dans lesquels il faudrait voir, suivant les vers de la VIIe satire de Boileau :
"Moi ? J'irais épouser une femme coquette ?
J'irais, par ma constance aux affronts endurci,
Me mettre au rang des saints qu'à célébrés Bussy?"
les Maris trompés de la cour de Louis XIV, représentent 4 hommes et 4 femmes peints sous la figure de Saints et de Saintes : Sainte Cécile - Saint Sébastien - Sainte Dorothée - Saint Jean-Baptiste - Sainte Catherine - Saint Louis - Sainte Agnès - Saint Georges. Quels sont les personnages célèbres dans l'histoire de la galanterie, représentés dans ces portraits ? A l'exception d'un seul, le roi Louis XIII très délicatement peint sous la figure de St-Louis, avec un manteau fleurdelysé et les attributs de la royauté, les autres n'ont pu être identifiés avec certitude ; les noms de Buckingam, Gaston d'Orléans, Bussy, Mme de Longueville, Mme de Lafayette, etc, ont été mis en avant avec vraisemblance, mais nous n'affirmerons rien après les rédacteurs des catalogues des bibliothèques La Vallière et Didot qui ont longuement décrit ce précieux manuscrit. Nous nous bornerons à faire observer l'ordre dans lequel ces portraits sont classés, les portraits d'hommes suivant immédiatement ceux des femmes ; il y a peut-être lieu de voir dans ce classement plus d'une coïncidence. C'est ainsi que le portrait de Buckingam suit immédiatement celui d'Anne d'Autriche, celui de Louis XIII celui de Mme de Lafayette, etc. En dehors de ces miniatures parfaites d'éxécution, 3 pages portent encore des chiffres entrelacés peints en or, surmontés successivement d'une couronne de marquis, d'une couronne de duc et d'une couronne de comte. La reliure très richement ornée et parfaitement conservée porte sur le dos le mot Prières. Ce titre est le seul indice qui reste de la destination première de ce manuscrit qui fut certainement pour quelque chose dans la longue disgrâce dans laquelle Bussy fut tenu pendant toute sa vie. Les vers de la 8e (sic) satire de Boileau avaient attiré l'attention de tous ; Louis XIV fut le premier à demander des détails sur ce qu'ils signifiaient. L'auteur de l'Histoire amoureuse des Gaules et de la Carte géographique de la Cour, sentant son inconséquence, s'empressa de faire disparaître le texte de son livre. Ce manuscrit porte sur le 2e feuillet de garde : Le deux avril 1720 J'ay remis ces heures à Madame la marquise de Montataire, fille de Monsieur le comte de Bussy-Rabutin. Foucault. Il a depuis appartenu au duc de La Vallière (Cat. de 1783, n°5235), à la duchesse de Chatillon, à la duchesse d'Uzès, à la marquise de Rougé, au vicomte de Lostanges-Beduer et à M. Ambroise Firmin-Didot. A la vente de ce dernier amateur en 1879, ce volume a été vendu 25.000 francs (or) avec les frais."J'irais, par ma constance aux affronts endurci,
Me mettre au rang des saints qu'à célébrés Bussy?"
Étonnant non ?
Plusieurs questions viennent immanquablement à l'esprit ? Quel texte pouvait-il bien contenir ? S'agirait-il de la véritable raison de la disgrâce et de l'exil forcé de Bussy-Rabutin sur ses terres de Bourgogne ? Combien M. Morgand a-t-il vendu ce manuscrit en 1890 ? A qui l'a-t-il cédé ? Qu'est devenu aujourd'hui ce précieux manuscrit ?
Malheureusement je n'ai la réponse à aucune de ces question. Et vous ?
Je vous donne ci-dessous en copie la fiche établie par Édouard Rahir pour le Bulletin Morgand d'avril 1890.
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Voici par ailleurs quelques autres documents relatifs à l'histoire de ce livre d'Heures de Bussy-Rabutin, notamment la longue notice que lui consacre Ludovic Lalanne dans le deuxième tome de la Correspondance de Bussy-Rabutin, publié en 1858.
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M. Gérard-Gailly, biographe du début du XXe siècle de Bussy-Rabutin, n'est pas du même avis sur la question de ce livre d'Heures. Il remet en question l'idée que ce livre ait été rempli d'impiétés. En 1909, il écrit : "Aujourd'hui encore où cette minime question de littérature revient de temps en temps à flot, princes de la critique ou modestes rédacteurs de notices biographiques, rééditent ou résument dans un concert plein de force cette légende si complètement dépourvue de sens et de fondement." (1)
Il faut avouer que l'argument de E. Gérard-Gailly tient le choc, "Légende, écrit-il, Boileau, en effet, ne pouvait en 1668 flétrir un livre d'Heures qui ne fut pas composé avant 1674, et un livre d'Heures qu'il faudra, pour le connaitre alors, aller voir en Bourgogne, dans l'intimité. De plus, écrit Gérard-Gailly, on se demande pourquoi le roi aurait été intrigué par les trois vers en litige seulement six ans après leur apparition, c'est à dire à une époque où les cendres de la mortification et de l'exil avaient étouffé le feu jadis inquiétant de son capitaine." (2)
Selon Gérard-Gailly (et je suis aussi de cet avis), il faut voir dans les "Saints qu'a célébré Bussy" les dames et les hommes de la cour malmenés dans son Histoire amoureuse des Gaules, publiée sans son accord dès 1665. C'est ce livre qui valut la disgrâce à Bussy-Rabutin et pas un autre.
Que penser alors de ce petit livre d'Heures qui néanmoins, cela ne fait aucun doute, a bien été commandité par le comte bourguignon ? S'agit-il d'un simple livre d'Heures avec personnages historiques reproduits en peinture pour lui "donner à la campagne cet air de la cour qu'il ne sentait plus" ? A-t-il prié à genoux dans la chapelle de son château avec ce livre en mains ? On sait que M. de Bussy-Rabutin a fini ses jours empreint d'une grande dévotion, ce livre n'en est peut-être que l'instrument quotidien ?
Quid d'Édouard Rahir, de sa fiche et des bibliophiles et bibliographes avant lui ? Argument fallacieux ? Volonté de croire ? Instrument de libraire à l'usage des bibliophiles crédules ?
Voici ce qu'on trouve sur un site récent consacré à Bussy-Rabutin et que nous avons déjà cité ici : http://www.bussy-rabutin.com/ (site préparé par Daniel-Henri Vincent).
Le Livre d’heures et les almanach d’amour
Boileau dans sa satire VIII parue en 1668 écrit :
« Moi ? J’irais épouser une femme coquette ?
J’irais, par ma constance aux affronts endurci,
Me mettre au rang des saints qu’a célébrés Bussy ? »
Il semble que par « saints » Boileau entend les maris trompés que Bussy a mis « dans son histoire galante [et qui ] raconte beaucoup de galanteries très criminelles de la cour. » Il s’agirait simplement d’une allusion à l’Histoire amoureuse des Gaules. Mais Brossette, éditeur de Boileau au début du XVIIIe siècle, cite un petit Livre d’heures de Bussy. Il explique que : « au lieu des images que l’on met dans les livres de prières, étaient des portraits en miniature de quelques hommes de la cour dont les femmes étaient soupçonnées de galanterie. [… Bussy] avait mis au bas de chaque portrait un petit discours en forme d’oraison ou de prière accommodée au sujet. » Gérard-Gailly pense que le livre d’heures, intitulé Prières, a été composé en 1674, sans fournir beaucoup de précisions, et qu’il serait plus anodin qu’on ne l’a dit. On en aurait perdu la trace.
Quant aux almanachs d’amour, ce sont des parodies galantes des prédictions que faisaient des ‘voyants’ pour l’année à venir. Bussy reconnaît en avoir composé : « pour moi qui me suis mêlé autrefois de faire des almanachs d’amour… » dit-il à la comtesse de Fiesque en 1667. Claude Rouben en a identifié deux dans un recueil de Charles de Sercy et à la suite des poésies de Mme de la Suze.
Voir notamment à ce sujet :
ROUBEN (C.), Histoire et géographie galante au Grand Siècle, in XVIIe siècle, n° 93, 1971, pp.56-57.
GÉRARD-GAILLY (E.), Bussy-Rabutin, sa vie, ses œuvres et ses amies, Champion, Paris, 1909, pp. 330-334.
BOILEAU, Œuvres, Édition de G. Mongrédien, Paris, Garnier Frères, sd, p. 50.
On aimerait savoir où se trouve ce satané livre d'Heures aujourd'hui pouvoir, à la lumière des connaissances actuelles, le soumettre à un interrogatoire en règle.
Mais qui sait seulement ce qu'il est devenu ??....
Bonne journée,
Bertrand
(1) GERARD-GAILLY, E. Un académicien grand seigneur et Libertin Au 17e Sicle. Bussy-Rabutin Sa Vie..., p. 332. (lecture possible en ligne - partielle)
(2) Ibid, 332.