En 1774, paraît « Die Leiden des jungen
Werthers », un des premiers écrits d’un jeune inconnu de 25 ans, Johann
Wolfgang Goethe, fils de Johann Caspar Goethe, jursite, et de Catharina Textor,
issue de la noblesse de robe. Ce roman épistolaire, qu’on ne présente plus,
emblématique du courant « Strum und Drang », précurseur du
romantisme, le rend immédiatement célèbre dans l’Europe entière. L’histoire
malheureuse de la passion amoureuse de Werther pour Lotte, fiancée de son
meilleur ami, se termine mal, par le suicide de Werther. Le roman sera accusé
d’avoir provoqué une vague de suicides... Johann Wolfgang sera ennobli en 1782,
et s’appellera donc von Goethe à partir de ce moment.
Plusieurs traductions en français paraissent dès 1774, à
Paris. En 1776 paraît une édition illustrée par Daniel Chodowiecki,
l’illustrateur des premières éditions allemandes, chez Dufour et Roux, à
Maestricht. Cazin le publie en 1784, sous le titre « Passions du jeune Werther ».
En 1809, paraît la première édition, chez Didot l’aîné,
traduite par le comte Henri de la Bédoyère. Il s’agit d’un in-8, illustré par
trois gravures en taille-douce d’après Moreau le Jeune, dont une en
frontispice, par Simonet et De Ghendt.
Il a été tiré quelques exemplaires sur papier vélin avec les figures
avant la lettre, et ces gravures existent à l’état d’eau-forte pure.
Moreau le Jeune, vignette pour
« Les Souffrances du Jeune Werther », Didot 1809, épreuve avant la
lettre (signature au trait), gravée par Simonet.
Moreau le Jeune, vignette pour
« Les Souffrances du Jeune Werther », Didot 1809, épreuve avec la
lettre, gravée par De Ghendt.
Ces illustrations sont anachroniques : les costumes
sont ceux de l’époque de publication, soit 35 ans après l’époque du roman. Ils
n’ont plus rien de commun avec l’ancien Régime, et correspondent bien au
romantisme de l’ouvrage.
Une autre traduction paraît en 1844, sous le simple titre de
« Werther », par Pierre Leroux, chez Hetzel, en 1844. Cette édition
in-8 est illustrée de 10 eaux-fortes de Tony Johannot, avec son nom gravé à la
pointe. Elles sont tirées avant la lettre sur chine appliqué. Dans les
réimpressions, elles sont avec la lettre.
Tony Johannot, vignette « du
verre d’eau », pour « Werther », Hetzel, 1844, gravure sur chine
appliquée, avant la lettre.
On peut comparer les traitements de Johannot et de
Moreau : l’un traite son sujet de façon classique, tout en modernisant les
costumes décor, et l’autre au contraire le traite de façon romantique, en
s’attachant à la vérité des habits...
Tony Johannot, vignette « du clavecin »,
pour « Werther », Hetzel, 1844, gravure sur chine appliquée, avant la
lettre.
Tony Johannot (1803-1852), d’origine allemande, avec son
frère Alfred, est le digne représentant, voire le chef de file, des
illustrateurs romantiques. Son nom est associé aux grandes réalisations de
cette époque : le Paul et Virginie de Curmer (1838), les Français peints
par eux-mêmes (1840), le Voyage où il vous plaîra (1842)... Dans cette suite, Tony Johannot s’est attaché
à respecter les costumes et décors de l’époque du roman.
Tony Johannot, vignette « du
clavecin », pour « Les Souffrances du Jeune Werther », Crapelet,
1845. Si l’atmosphère n’a guère changé, le parti pris est différent :
comme Moreau, Tony Johannot adapte la scène à la période contemporaine.
Page de titre des « Souffrances du
jeune Werther », Crapelet, 1845. On devine la décharge d’une gravure sur
la page de titre. Il s’agit de la gravure du Clavecin, qui a été reliée à une
autre page du livre.
En 1845, 34 années après la première édition, le comte de la
Bédoyère fait paraître une nouvelle traduction, chez Crapelet. Dans la préface
il indique que « cette traduction des Souffrances
du jeune Werther est moins une seconde édition, comme le titre l’annonce,
qu’une traduction nouvelle ». Cette édition in-8 contient 4 eaux-fortes
hors texte de Burdet d’après Tony Johannot. Cette fois-ci, Tony Johannot, comme
avant lui Moreau, a modernisé les décors et les costumes. Par contre, il a peu
modifié l’esprit des scènes représentées.
Tony Johannot, vignette « de
la visite au Pasteur », pour « Werther », Hetzel, 1844, gravure
sur chine appliquée, avant la lettre.
Tony Johannot, vignette « de
la visite au Pasteur», pour « Les Souffrances du Jeune Werther »,
Crapelet, 1845.
Ce sont les trois seules éditions recensées par Carteret,
pour la période romantique. Il note au sujet de cet ouvrage, qu’ « on
a souvent inséré dans les livres du début du XIXe une macédoine de gravures,
mode de l’époque qui rompait un peu trop l’homogénéité ; la comparaison
des mêmes sujets traités inférieurement nuisait généralement à la suite qui
illustrait le livre, quand elle avait des qualités. Cette mode qui tournait à
la manie est heureusement tombée en désuétude au XXe siècle. »
Effectivement, on trouve des exemplaires regroupant des
tirages divers de ces suites, avec d’autres gravures, notamment des portraits,
poussant parfois le nombre total de gravures à des sommets.
L’exemplaire personnel du comte de la Bédoyère regroupe par
exemple 45 gravures, dont la suite de Tony Johannot pour Hetzel, la suite du
même pour Crapelet, en trois états, et la suite de Moreau. Cet exemplaire dans
une reliure signée Trautz-Bauzonnet, est en vente actuellement chez un grand
libraire parisien, pour 2300 euros.
Un autre exemplaire, proposé 1600 euros chez un autre
libraire, relié de maroquin rouge signé de Perreau, regroupe la suite Crapelet
de Tony Johannot en 4 états : avec la lettre, avant la lettre sur chine,
avant la lettre sur blanc, eaux-fortes pures, la suite Johannot pour Hetzel, et
la suite Moreau, en deux et trois états pour l’une d’entre elles.
Le catalogue Morgand-Fatout, aimablement mis à disposition
par Bertrand, indique pour sa part une dizaine d’exemplaires. Augmentés de
suites diverses, ils sont reliés de maroquin par les grands noms de la reliure
de l’époque, Chambolle-Duru, Capé, Cuzin, R . Petit.
L’exemplaire présenté ici contient la suite de Moreau en
deux états, avant la lettre et avec la lettre, la suite de Tony Johannot pour
Hetzel, avant la lettre sur chine, et bien sûr la suite de Tony Johannot pour
Crapelet. On peut retracer une partie de son parcours.
Goethe, « Les Souffrances du
jeune Werther », Crapelet, 1845, maroquin brun de Allô.
Il a été relié par Allô, en maroquin brun. Paul Charles Allô
est actif entre 1860 et 1890.
Dentelle intérieure, avec la
signature de Allô.
Un exemplaire correspondant à cette description figure dans
le catalogue Morgand-Fatout sous le numéro 26788 (année 1895).
Extrait du catalogue de la
librairie Damascène Morgand, 1895.
Est-ce le même ? on est fortement tenté de le croire...
Cet exemplaire a ensuite fait partie de la collection de
Antonio Santamarina, dont il porte le cachet sec sur la page de titre.
Cachet sec du collectionneur
Antonio Santamarina.
Cet homme politique argentin, président de l’Academia
Nacional de Bellas Artes, grand collectionneur (1880-1974) a vendu sa
bibliothèque en 1955, à Bueno Aires. Mais je n’ai pas trouvé son catalogue (à
part sur des sites de ventes). On ne peut donc pas vérifier s’il y figure.
Bonne journée,
Calamar