samedi 16 juin 2012

Propos de Cazinophiles.


S’il y a un salon qui n’est pas galvaudé c’est bien celui de la Poésie qui se tient ce week-end sur la place Saint Sulpice à Paris. J’y suis allé faire un tour entre deux averses. Il y avait deux choses à ne pas manquer sur ce salon : la fontaine des quatre point cardinaux (point sans s), au centre de la place, et le « Fontaine » dans l’allée des poètes. Le « Fontaine », comme nous l’appelons déjà tous, est la somme encyclopédique consacrée par Jean-Paul à l’imprimeur-libraire Hubert-Martin Cazin, l’éponyme galvaudé, édité par L’Hexaèdre et préfacé par Christian Galantaris.


Fig 1 Le stand des éditions L’Hexaèdre.

Il est tout de même assez rare en bibliophilie de laisser son nom à un format de livre reconnaissable entre tous au point que des libraires n’hésitent pas à vendre des Cazins datant d’avant la naissance d’Hubert-Martin Cazin (1724-1795). Pourquoi , me direz-vous, et bien parce que Cazin n’a pas inventé le Cazin, pas plus qu’Emile de Poche n’a inventé le livre de poche. Il faut chercher du côté de l’associé Valade. Il est donc prudent d’avoir le Fontaine dans votre documentation pour faire des achats avisés et changer de trottoir lorsqu’un bouquiniste vous propose un faux Cazin.

Hubert-Martin avait succédé à son père, libraire à Reims, en 1755, avant de monter à la capitale pour poursuivre sa carrière, rue des Maçons, rue des Noyers, puis rue du Coq. C’est à Paris que Cazin fit la connaissance du libraire et imprimeur Jacques-François Valade, éditeur depuis 1779 d'une collection dans le petit format in-18. Ils s'associèrent en 1782.

« Avis aux Amateurs, il s’imprime à Paris une superbe collection de petits formats, en beaux papiers, belle impression, belles gravures, & en toute supérieure à celle imprimée à Lyon ». Elle n’est pas belle la réclame ? Nous pouvons reprendre la même formule pour l’ouvrage de Jean Paul Fontaine : le papier est de qualité, l’impression impeccable, et les photos qui accompagnent le texte d’un tirage irréprochable. Seul l’exemplaire de Bertrand a été grignoté par les souris mais cela lui donne encore plus de prix. La reproduction in extenso au milieu de l’ouvrage d’un facsimilé du catalogue de Cazin appartenant à un cazinophile anonyme est à elle seule jubilatoire.

Cazin a toujours passionné les bibliophiles, peut-être aussi parce qu’il se livra au commerce des livres prohibés, dits "philosophiques", fournis par les imprimeurs de Liège, Genève ou Neuchâtel. Cela lui valut d'être destitué de sa qualité de libraire en 1759 et en 1764. Il fut réhabilité à chaque fois grâce aux relations de son beau-frère, procureur au bailliage ducal. Dénoncé en 1776, il fut embastillé pendant deux mois. C’est donc l’odeur du soufre qui accompagna Cazin toute sa vie et jusqu’à sa mort, d’un éclat de mitraille, le 15 Vendémiaire An IV, (et non pas le 13 comme l’affirme sottement toutes les bibliographies).


Fig 2 L’auteur dédicace son livre au Textor.

La dernière étude bibliographique d’importance sur Cazin est celle de Brissart-Binet, elle date de 1859, à une époque où la recherche dans les archives sur internet était pour ainsi dire inexistante. Il était temps de pallier cette lacune : « Il serait d’un bon bibliophile rémois de rechercher à distinguer et à réunir tout ce qui est véritablement l’œuvre de Cazin. Il y a du reste un travail à faire sur ce célèbre libraire ». Entendant cet appel d’Antoine-Louis Paris, Jean Paul Fontaine a relevé le défi. 15 ans de travail assidu et quotidien, des milliers de kilomètres parcourus à travers le Monde pour collationner les exemplaires des bibliothques et le résultat est là, contenu dans ces 332 pages.

Il faut saluer au passage la maison L’Hexaèdre ; cet éditeur fait partie de ces amoureux du livre qui ne compte ni leur temps ni leurs moyens pour imprimer de beaux ouvrages, sans se soucier de savoir si les auteurs sont bancables. Ces petits éditeurs sont fichus d’être encore là dans cinquante ans quand le livre-papier de consommation courante aura disparu.

S’il fallait une critique sur cette impression, je dirais qu’il est étonnant de voir les tables finales paginées à la suite du corps de l’ouvrage alors que ce n’était certainement pas l’usage à l’époque de Cazin. Ce léger défaut, qui sera probablement corrigé au second tirage, ne retire rien au plaisir de feuilleter le volume dont chaque détail a été pensé pour séduire les cazinophiles, comme ces vignettes et autres culs de lampes qui décorent les espaces à la fin des chapitres.


Fig 3 Un client ...

Une seule certitude suffit à celui qui cherche. Comme l’annonce l’introduction, « Cazin l’éponyme galvaudé » va perturber les esprits et chambouler les bibliothécaires dans leurs convictions. J’ai ouï-dire que la bibliothèque de Harvard allait en commander une centaine d’exemplaires …

Bonne lecture !
Textor

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