vendredi 29 juin 2012

Du double jeu des estimations basses et des résultats faramineux ...


Les Oeuvres de Jean-Antoine Baïf (1572-173), 4 volumes petit in-8,
maroquin de Trautz-Bauzonnet, estimé 2.000 / 3.000 euros
Adjugé le 6 mars 2010 pour 21.000 euros (soit 137.750 francs d'avant la crise ...)


Le 6 mars 2010 s'est vendu à Bruxelles (Belgique) chez Ferraton, un très bel exemplaire complet des quatre volumes des Oeuvres de Jean-Antoine de Baïf. Exemplaire de qualité relié néanmoins au milieu du XIXe s. par une signature des plus recherchées, Trautz-Bauzonnet, les quatre volumes sont en maroquin rouge avec fleurons au dos des volumes et grand fer losangé au centre des plats. Un ensemble en tous points parfait (presque - en dépit de quelques petits défauts internes signalés dans la fiche bibliographique signalée ci-dessous) :

Jean-Antoine de Baïf. [Oeuvres en rime]. Paris, L. Breyer, 1572-1573, maroquin de Trautz-Bauzonnet. Edition collective en grande partie originale. Jean-Antoine de Baïf. [Oeuvres en rime]. Paris, L. Breyer, 1572-1573, 4 volumes petit in-8°, plein maroquin rouge, dos à 5 nerfs, auteur, titre, lieu et date dorés, fleurons dorés entre les nerfs, grand décor floral en losange doré au centre des plats, double filet doré sur les coupes et les coiffes, dentelle dorée sur 3 côtés des contreplats, contreplats et gardes en papier peigné, tranches dorées sur marbrure, étui moderne commun gainé et bordé de maroquin rouge, ex-libris doré moderne (reliure de Trautz-Bauzonnet). Les 4 volumes, ornés de bandeaux, culs-de-lampe et initiales historiées gravées sur bois, sont entièrement réglés à l'encre rouge.

Les « Oeuvres en rime » constituent l'édition collective en grande partie originale des oeuvres poétiques de Baïf. Ce n'est pas une nouvelle édition de ces oeuvres, c'est la réunion des éditions déjà parues, sous les mêmes dates : 1° Les Oeuvres en Rime de 1573 (édition originale), qui se trouvent donner au recueil son titre général, par commodité probablement, et bien que d'une date postérieure à deux des autres ouvrages qui le constituent ; 2° Les Amours de 1572 (qui contient les deux livres des Amours de Méline déjà publiées en 1552, les quatre livres de l'Amour de Francine déjà parus en 1556 et trois livres de Diverses Amours en édition originale ; 3° Les Jeux de 1572 (édition originale) ; 4° Les Passe-Temps de 1573 (édition originale). 

La pagination de ces quatre ouvrages réunis n'est pas continue.

Description des quatre volumes :

1° Euvres en / Rime de Ian / Antoine de Baif / Secretaire de / la Chambre / du Roy. / A Paris, / Pour Lucas Breyer Marchant Libraire te- / nant sa boutique au second pilier de / la grand' salle du Palais. / M. D. LXXIII. [1573] / Avec privilège du Roy. / 8 feuillets non chiffrés dont le titre, 1 feuillet non signé (extraict du privilège), 272 feuillets foliotés (le f. 84 est paginé 77, du f. 94 au f. 104 toute la pagination est erronée). Tchemerzine signale 10 feuillets préliminaires, l'exemplaire n'en compte que 9.

2° Les Amours / de Ian Antoine / de Baif. / A / Monseigneur le / Duc d'Anjou fils et / Frere du Roy. / A Paris, / Pour Lucas Breyer. 1572. / 8 feuillets non chiffrés dont le titre, 232 feuillets foliotés (le f. 31 non paginé, f. 116 paginé 117, 1 rousseur pâle à qq. ff.). Contient 6 poèmes d'Etienne de la Boétie.

3° Les Ieux de / Ian Antoine / de Baif. / A / Monseigneur le / Duc d'Alençon. / A Paris, / Pour Lucas Breyer Marchant Libraire tenant / sa boutique au second pilier de la grand' salle / du Palais. / M. D. LXXII. [1572] / Avec privilège du Roy. / 4 feuillets non chiffrés, 232 feuillets foliotés (le f. 209 est paginé 210, f. 216 est paginé 217, f. 218 est paginé 821, f. 228 non chiffré, f. 230 est paginé 228, f. 232 est paginé 230, titre légèrement sali, manque un petit coin de papier à la fabrication au f. 11). La date du titre a été changée en celle de 1573 par l'adjonction manuscrite d'un I au chiffre M.D.LXXII comme à plusieurs exemplaires pour uniformiser la datation des 4 volumes.

4° Les / Passetems / de Ian Antoine / de Baif. / A / Monseigneur / Le Grand Prieur. / A Paris, / Pour Lucas Breyer Marchant Libraire te- / nant sa boutique au second pilier de / la grand' salle du Palais. / M. D. LXXIII. [1573] / Avec privilège du Roy. / 4 feuillets non chiffrés dont le titre, 128 feuillets foliotés par erreur 126 (l'erreur se produit aux ff. 101 à 104 qui sont paginés deux fois, et aux ff. 114, et non 117 comme l'indique Tchemerzine, et 118 qui font défaut dans la pagination) (Tchemerzine/Scheler, I, 264-279 avec plusieurs fac-similés ; pas dans Adams).

Jean-Antoine de Baïf est le fils naturel de Lazare de Baïf, ambassadeur du roi auprès de la République de Venise. Lazare de Baïf ne pouvait pas se marier à cause de son état ecclésiastique, mais il reconnut l'enfant, en prit soin et, lui-même humaniste extrêmement cultivé, lui fit donner une excellente éducation - un de ses maîtres fut Dorat - et le nomma son héritier universel. Après la mort de son père (1547) Jean-Antoine suivit Dorat au collège de Coqueret, dont son précepteur allait devenir principal, et il y fit la connaissance de Ronsard et de du Bellay. Emule de ses amis, il publia en 1552, âgé à peine de vingt ans, son «canzoniere», Les Amours, en deux livres, qui chantent une femme idéale, Méline. Deux ans plus tard, au cours d'un séjour à Poitiers en compagnie de Jacques Tahureau, il fit la connaissance d'une jeune femme, Françoise de Gennes, qu'il a chantée sous le nom de Francine dans Les Amours de Francine, (1555). En quatre livres : près de deux cent cinquante sonnets et une quarantaine de chansons. Etant entré dans les ordres, il put obtenir quelques bénéfices ecclésiastiques et fut enfin nommé par Charles IX secrétaire de la chambre du roi, ce qui lui permit de vivre à Paris dans l'entourage immédiat du souverain. S'étant associé avec le musicien Thibaut de Courville, il fonda en 1570, grâce à la protection du roi, une «Académie de poésie et de musique», qui se proposait notamment la réalisation, sur un plan expérimental, d'une idée chère à la Pléïade à ses débuts, celle de l'association intime entre poésie et musique, première ébauche, en fait, du Conservatoire. En 1572 il fit paraître ses Oeuvres en rime, en quatre volumes, réunissant sa production de vingt ans, neuf livres de Poèmes, neuf livres d'Amours, cinq livres de Jeux, cinq livres de Passetemps. (notice Ferraton, Bruxelles).

On ne peut faire plus complet !

Et tout ça sur une estimation à 2.000 / 3.000 euros frisant le ridicule d'assez près.

Résultat des courses : 21.000 euros au marteau ! (et là le ridicule ne tue plus... il fait devenir un peu plus riche).

Riche d'enseignements je veux dire ! Car de deux choses l'une, soit vous n'avez pas eu le résultat de cette vente et vous pensez que votre exemplaire relié par Trautz vaut 2.000 / 3.000 euros (car vous n'êtes décidément pas bibliophile et vous vous fiez aux estimations des experts les yeux fermés car ce sont des experts et que des experts savent c'est même pour ça qu'on les paye), soit vous avez le résultat de la vente à 21.000 euros (soit en gros dix fois l'estimation basse...) et vous vous savez riche à millions. Dans un cas comme dans l'autre, bien malin qui pourra dire, ce qui est bien ou mal. Savoir ou ignorer. Croire ou ne pas croire. Car enfin nous savons bien depuis un moment déjà, puisqu'on n'arrête pas de nous le rabâcher, qu'être expert n'est absolument pas "donner à l'avance le prix des livres", car en ce cas cela reviendrait à s'appeler Nostradamus ou Joseph Moult !

Bref, comme vous le voyez par le truchement de cet exemplaire choisi, il ne faut (jamais) pas toujours regarder dans un catalogue l'estimation (seule) d'un lot ... surtout pas plusieurs mois après la vente ... une fois que l'effervescence est passée, que les livres redeviennent sages (et les acheteurs aussi). Pour ma part j'ai eu accès à ce résultat parce que je suis abonné à auction.fr (site internet payant qui référence les ventes de dizaines de milliers de livres passés en vente aux enchères ces dix ou quinze dernières années, en France et à l'étranger (Europe surtout). Mais ce résultat est-il accessible à tous ? Je n'ai pas cherché à le savoir. Je vous laisse me le dire.

A noter par curiosité que la Librairie ancienne Sourget (Chartres) proposait (et propose encore - actuellement encore en ligne tout au moins) un exemplaire en plein vélin à recouvrement (vélin du XIXe s.), exemplaire relié pour Sainte-Beuve vers 1830, complet des quatre volumes, au prix de 17.500 euros. Exemplaire non lavé (ce qui n'est certainement pas le cas de l'exemplaire relié par Trautz-Bauzonnet mentionné ci-dessus). Cherchez l'erreur !? La librairie ancienne, dans ces cas là, aussi dénigrée qu'elle peut l'être, reste en lice. Mais il paraît que celui qui achète en salle n'a jamais tort, que de toute façon il n'était pas seul (on rigole quand on connait les procédés employés parfois pour faire croire à la multitude ...), et qu'au final, même s'il a tort, cela ne se fait pas d'avouer publiquement ou même (surtout) en privé, qu'il s'est fait ... (je vous laisse trouver le terme le plus adéquat ... on l'a tous vécu au moins une fois). Oui je sais ... ça fait mal ! (sourire).

Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne

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