Qui veut aujourd’hui savoir l’auteur d’un ouvrage ancien publié sous le voile de l’anonyme, doit recourir à la littérature bibliographique adéquate et indispensable.
Tout le monde ici connait en bibliophile averti, le Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes d’Antoine-Alexandre Barbier (1765-1825), savant bibliothécaire et bibliographe. Cet ouvrage connut plusieurs éditions, depuis la première (forcément incomplète de 1806-1809 en 4 volumes in-8), la seconde de 1822-1827 (en partie posthume avec de larges additions), et finalement une troisième édition corrigée de 1872-1879, revue et augmentée par Olivier Barbier, René Billard) et dont il a été fait un supplément par Gustave Brunet en 1889. Il s’agit là de la meilleure édition de cette ouvrage et celle à laquelle il est préférable de se référer.
D’autres ouvrages bien connus également dans ce domaine de l’attribution d’un ouvrage à un auteur soit non désigné, soit masqué sous un pseudonyme soit masqué par des initiales ou des étoiles *** comme on le voit souvent.
C’est à Joseph-Marie Quérard (1797-1865) que nous devons l’ouvrage de référence : « Les supercheries littéraires dévoilées » publié en 5 volumes de 1845 à 1856. Il a donné dans le même domaine deux autres ouvrages : « Dictionnaire des ouvrages-polyonymes et anonymes de la littérature française, 1700-1850 » de 1846 à 1847 et un tome supplémentaire à « La France littéraire » intitulé « Écrivains pseudonymes, etc. » (1854-56). M. Quérard passait pour être le bibliographe le plus distingué de son temps. Les ouvrages de Quérard complètent et corrigent souvent le Dictionnaire des anonymes de Barbier. Les ouvrages seront finalement fondus ensemble en 1889 dans le Supplément donné par M. Brunet.
Ce sont là les ouvrages les plus consultés par les bibliophiles et les libraires, encore aujourd’hui malgré des erreurs d’attributions ponctuellement corrigées par des études universitaires précises qui viennent les contredire. Dans l’attribution d'un ouvrage à un auteur, l’erreur est toujours possible.
D’autres ouvrages, aujourd’hui relégués au rayon anecdotiana, se sont penchés sur le sujet, et il est toutefois toujours intéressant d’en connaître le titre et de les consulter à l’occasion : « Nouveau recueil d’ouvrages anonymes et pseudonymes, par M. de Manne » publié en 1834 (1 volume). M. Quérard a d’ailleurs publié des petites « Retouches » à ce dictionnaire en juillet 1862 (1 volume). Une nouvelle édition sera donnée en en 1868 du « Nouveau dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes » de M. de Manne – On trouve par ailleurs des ouvrages dont la portée et délibérément plus restreinte voire locale, avec par exemple un « Essai d'un dictionnaire des ouvrages anonymes & pseudonymes publiés en Belgique au XIXe siècle et principalement depuis 1830. » par Jules Victor Delecourt et publié en 1863 (1 volume) ; un « Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes du Dauphiné » par Edmond Maignien (1 volume publié en 1892) ; le « Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes publiés par des religieux de la Compagnie de Jésus depuis sa fondation jusqu’à nos jours » par Carlos Sommervogel (1 volume publié en 1884). Et il doit en exister quelques autres.
Il en existe au moins encore un, celui qui nous intéressera aujourd’hui, modeste volume in-12 mais véritable figure novatrice de la science bibliographique.
« Auteurs déguisés sous des noms étrangers, empruntés, supposés, feints à plaisir, chiffrés, renversés, retournés, ou changés d’une langue en une autre. »
Ouvrage publié anonymement (il fallait y penser…) à Paris chez Antoine Dezallier, rue Saint-Jacques, à la Couronne d’or, en 1690, avec privilège du roi.
Ce fort volume in-12 (17 x 9,5 cm) de 615 pages chiffrées est précédé d’un intéressant avis « au lecteur » de 6 pages que je vous donne ci-dessous en fac-similé.
On trouve également au début une ample table des chapitres des quatre parties qui composent l’ouvrage.
L’ouvrage a été achevé d’imprimer le 14 août 1690.
L’auteur de cet ouvrage très original et novateur est Adrien Baillet (1649-1706), théologien et homme de lettres remarqué de son époque.
Bien qu’ordonné prêtre en 1676, il ne se satisfait pas de cette condition et se rend à Paris où il trouve un poste de bibliothécaire auprès de l’avocat général Chrétien François de Lamoignon. Il lit énormément et acquiert un énorme savoir qui lui permet, outre l’établissement du catalogue de la bibliothèque de Lamoignon en 32 volumes, de produire d’intéressants ouvrages d’érudition. On lui doit des ouvrages aujourd’hui remarqués et recherchés des amateurs : Jugement des savants sur les principaux ouvrages des auteurs, 1685-86, 9 volumes - Des Enfants devenus célèbres par leurs études et par leurs écrits, 1688 - Des Satires personnelles, traité historique et critique de celles qui portent le titre d'Anti, 1689, 2 volumes - Auteurs déguisés sous des noms étrangers, empruntés, supposés, faits à plaisir, chiffrés, renversés, retournés ou changés d'une langue en une autre, 1690 - Histoire de la Hollande, depuis la trêve de 1600, où finit Grotius, jusqu'à notre temps,, 1690, 4 volumes - Vie de Descartes, 1691, 2 volumes - Vie de Richer, 1693. Son ouvrage Dévotion à la Vierge et le culte qui lui est dû, publié en 1694 est rapidement mis à l’index (il y met en doute les dogmes de l’immaculée conception et de l’assomption). Ses Vies des saints, composées sur ce qui nous est resté de plus authentique et de plus assuré dans leur histoire, publiées 1701 en 3 volumes subissent le même sort car il y rejette tous les miracles qui ne lui semblent pas avérés. Un homme de conviction donc ! Il meurt âgé de 57 ans.
Voici ce que nous dit Barbier à propos de cet ouvrage : « Ce n'était qu'un traité préliminaire qui devait être suivi du « Recueil des auteurs déguisés » ; malheureusement l'auteur mourut en 1706 sans l'avoir publié" (Barbier, I, 320).
Il s’agit donc bien du premier ouvrage publié en France sur ce genre de recherches bibliographiques. C’est l’ancêtre du Dictionnaire de Barbier. A la fin de l’ouvrage on trouve une liste de 1.636 entrées qui constitue le premier essai de « listing » des auteurs déguisés.
Tout au long de l’ouvrage, l’auteur cherche à montrer la fourberie des faussaires : « L’usage de changer son nom devenu trop fréquent dans les derniers temps ; cause et occasion d’une partie des abus qui s’y sont glissés » ; « la fourbe et l’imposture pour séduire les simples qui ne peuvent juger du fonds que par la surface et abuser la bonne foi des autres ».
Mais Baillet, outre le libertinage, l’impiété, la médisance (déjà les anciens aimaient beaucoup cela … cela flatte les ego tout en s’assurant la place que l’on croit devoir se donner …NDLR), l’envie, etc, n’oubliait pas d’aborder le cas de « La modestie dans ceux qui ne cherchent pas à paraître par leurs livres, qui se soucient peu de la gloire imaginaire qu’on peut acquérir par la plume ».
Cet ouvrage est donc un traité bibliographique fort intéressant et très complet, qui se lit plus comme un manuel « à l’usage de » que comme un véritable dictionnaire. Vous pouvez télécharger l’ouvrage ci-dessous (fac-similé) : AUTEURS DEGUISES par Adrien Baillet (1690) Taille du fichier : 20 Mo (ADSL préférable).
En espérant vous avoir fait découvrir ou redécouvrir un ouvrage de documentation que l’on ne rencontre guère sur les étals des libraires, et pour cause… bien souvent ils le gardent précieusement sur leurs tablettes personnelles.
Le vendredi 28 novembre 2008, les éminents moliéristes de par le monde vont gronder !
Il va falloir en effet, force monnaie montrer, pour espérer attirer à soi une mince plaquette de notre plus célèbre comique recouverte de maroquin.
Sortez dès maintenant vos portefeuilles… et recomptez votre pécule !
Chez Pierre Bergé & associés, dès 14h, seront dispersés quelque 145 lots dont seulement une vingtaine retiendra notre attention ici. Parmi d’autres livres anciens et modernes, ce sont, en effet, les quelques numéros consacrés aux éditions originales ou anciennes de Molière que nous allons suivre.
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Ces beaux « Molière » faisaient partie de la bibliothèque choisie (et quel choix !) de l’acteur et comédien François Perrier (1919-2002), de son vrai nom François Pillu. Certains retiendront de cette personnalité le physique classique de l’homme sympathique (c’est le rôle du père de Lacenaire que je retiendrai, en 1990), d’autres retiendront l’excellent narrateur, la voix off de très nombreux films, d’autres enfin retiendront le comédien qui sur les planches a laissé sa marque « Moliériste », justement. En 1960 il jouera le Tartuffe sur une mise en scène de Jean Anouilh. Il sera Orgon aux côtés de Gérard Depardieu en 1984. Il a reçu un Molière d’honneur en 1988 pour l’ensemble de sa carrière théâtrale.
Le catalogue de la vente indique que François Perier, « En bibliophile averti, a recherché les éditions originales de Molière : Tartuffe, Les Facheux, L’Escole des Femmes, Le Dépit amoureux, Le Misantrope, Georges Dandin, Les Fourberies de Scapin, et l’édition de Sganarelle de 1666. Les provenances en sont tout aussi remarquables, Barthou, Jules Lemaître, Lignerolle, Robert Hoe, Edmée Maus, Maxime Denesle. »
Cette vente de pièces moliéresques assez exceptionnelles regroupées ainsi et d’une si grande qualité, va forcément éveiller les envies et les convoitises, gageons que des records seront battus. C’est aussi l’occasion pour nous, plus modestes amateurs, de faire le point sur la cote de ces quelques plaquettes qui s’envolent à prix d’or.
Les voici présentées dans l’ordre de leur passage à la vente du 28 novembre. Nous donnons uniquement les éléments déterminants pour bien fixer et l’attention et l’esprit d’estimation des lecteurs de ce blog, l’estimation donnée par l’expert de la vente (il y a en plusieurs, je ne sais pas lequel a estimé les éditions de Molière ??? Jean-Baptiste de Proyart ? ou Dominique Laucournet ?), ensuite je vous livre quelques prix pour ces mêmes éditions repérés sur des catalogues de libraires de ces dernières années. Pour les provenances qui évidemment ont également leur importance, veuillez vous reporter au catalogue de la vente qui donne tous les détails utiles.
C’est parti.
Lot 1 : Les Facheux. Comédie. Paris, Guignard le fils, 1662. In-12. Maroquin rouge de Trautz-Bauzonnet. Estimation : 12.000 / 15.000 euros. Résultat : Retiré
Lot 2 : L’Escole des femmes. Comédie. Paris, Guillaume de Luynes, 1663. In-12. Maroquin de Chambolle-Duru. Estimation : 15.000 / 20.000 euros. Résultat : 14.000 euros
Lot 3 : La Critique de l’Escole des femmes. Comédie. Paris, Claude Barbin, 1663. In-12. Maroquin de René Aussourd (début XXe). Estimation : 3.000 / 4.000 euros. Résultat : 5.200 euros
Lot 4 : Dépit amoureux, comédie. Paris, Claude Barbin, 1663. In-12. Maroquin moderne (non signé). Estimation : 6.000 / 7.000 euros. Résultat : Retiré
Lot 5 : Sganarelle ou le cocu magnifique. Comédie. Paris, Jean Ribou, 1666. In-12. Maroquin de Trautz-Bauzonnet. Estimation : 15.000 / 20.000 euros. Résultat : Retiré
Lot 6 : Le Misanthrope. Comédie. Paris, Jean Ribou, 1667. In-12. Maroquin de Chambolle-Duru. Estimation : 15.000 / 20.000 euros. Un exemplaire en maroquin de Maylander, superbe, proposé en 2003 par la librairie Sourget à 40.000 euros (262.000 francs), n° 59 cat. XXVII. Résultat : 20.000 euros
Lot 7 : George Dandin ou le mary confondu. Comédie. Paris, chez Jean Ribou, 1669. In-12. Veau brun (reliure ancienne). Estimation : 20.000 / 25.000 euros. Résultat : 31.000 euros
Lot 8 : Le Tartuffe, ou l’imposteur. Comédie. Paris, Ribou, 1669. In-12. Maroquin rouge de Duru (1851). Estimation : 15.000 / 20.000 euros. Un exemplaire en veau époque, superbe, proposé en 2001 par la librairie Sourget à 13.000 euros (85.000 francs), n° 81 cat. XXIII. Résultat : 26.000 euros
Lot 9 : L’imposteur ou le Tartuffe. Sur l’imprimé, Paris, Ribou, 1669 (contrefaçon à la date de l’EO). In-12. Maroquin de Maylander (XXe). Estimation : 1.000 / 1.200 euros. Résultat : 1.600 euros
Lot 10 : Les fourberies de Scapin. Comédie. Paris, Pierre Le Monnier, 1671. In-12. Maroquin de Chambolle-Duru. Estimation : 12.000 / 15.000 euros. Un exemplaire en maroquin doublé (moderne, Pierre-Lucien Martin), superbe, proposé en 2003 par la librairie Sourget à 25.000 euros (164.000 francs), n° 86 cat. XXVI. Résultat : Retiré
Lot 11 : L’Escole des Maris, Comédie. Suivant la copie imprimée, Paris, 1674. In-12. Maroquin de Durvand (début XXe). Estimation : 700 / 900 euros. Résultat : Retiré
Lot 12 : La Princesse d’Elide, Comédie. Suivant la copie, Paris, 1674. In-12. Maroquin de Durvand (début XXe). Estimation : 700 / 900 euros. Résultat : Retiré
Lot 13 : Le Sicilien ou l’amour peintre. Comédie. Suivant la copie, Paris, 1674. In-12. Maroquin rouge moderne. Estimation : 700 / 900 euros. Résultat : 700 euros
Lot 14 : Le Malade imaginaire, Comédie. Suivant la copie, Paris, 1679. In-12. Maroquin citron de Trautz-Bauzonnet. Estimation : 700 / 900 euros. Résultat : 800 euros
Lot 15 : Le Malade imaginaire, Comédie. Provient de l’édition de 1682. Exemplaire incomplet. Demi-Basane. Estimation : 500 / 700 euros. NDLR : on se demande ce que cet exemplaire « gâté » fait ici ! Autre vente, autre lieu, il n’aurait jamais eu les honneurs d’un si beau catalogue… Magie des salles des ventes… (il est fort probable que pour autant il reparte auréolé d’un prix coquet…). Résultat : 500 euros (les acheteurs ne s'y sont pas trompés...)
Lot 16 : Monsieur de Pourceaugnac. Comédie. Amsterdam, Weitstein, 1693. Les Fourberies de Scapin, idem. Le malade imaginaire, idem. Maroquin rouge de l’époque. Recueil de 3 pièces en éditions hollandaises. Estimation : 1.500 / 2.000 euros. Résultat : 3.500 euros
Lot 17 : Les véritables prétieuses. Comédie. Suivant la copie, Paris, Ribou, 1660. In-12. Maroquin de Masson-Debonnelle (fin XIXe). Estimation : 500 / 700 euros. Résultat : 1.000 euros
Lot 18 : La Cocue imaginaire. Comédie. Suivant la copie, Paris, 1662. In-12. Maroquin de Trautz-Bauzonnet. Estimation : 500 / 700 euros. Résultat : 500 euros
Lot 19 : Elomire hypocondre ou les médecins vengés. Comédie. Paris, Charles de Sercy, 1670. In-12. Maroquin de Niédrée,1845. Estimation : 500 / 700 euros. Résultat : 500 euros
Lot 20 : Lettres sur la Comédie de l’imposteur. Sans lieu, sans nom. 1667. In-12. Maroquin de Trautz-Bauzonnet. Estimation : 3.000 / 4.000 euros. Résultat : 4.400 euros
Nous arrêterons là, les numéros 21 et 22 concernant Molière mais n’étant pas des éditions de ses pièces. Comme vous le voyez, il n’y a « que » quelques lots d’exception (lots 1 à 8 et 10), les autres sont très bien reliés mais sont soit des contrefaçons, soit des éditions que l’on rencontre plus souvent et qui sont moins recherchées, le prix d’estimation s’en ressent puisque vous devriez pouvoir en acquérir une ou deux pour quelques centaines d’euros.
Une dernière chose. Une remarque sur cette liste. Aucune édition collective de Molière ? Pas de 1666, pas de 1674, pas de 1682 ?? C’est assez étonnant.
Nous publierons en commentaire à ce message les résultats qu’auront obtenus ces éditions de Molière. (les résultats sont insérés dans le message).
Bonnes chances à tous, Xavier et moi seront sur place pour tâter le pouls de cette vente et nous vous en donnerons le compte-rendu très prochainement.
"Les femmes et les métiers du livre (1600-1650)" par Roméo Arbour. Publié par Garamond Press & Didier Erudition, Chicago et Paris, 1997.
1 volume in-8 (23,5 x 16 cm) de 314 pages. Cartonnage toilé bleu, jaquette imprimée en couleurs.
Très joli volume, d'un volume agréablement imprimé pour une lecture reposante et facile.
Je m'en tiendrai à vous fournir les informations imprimées sur la jaquette :
"Quel rôle les femmes jouent-elles dans l'édition française au cours de la première moitié du XVIIe siècle ? A ce jour les historiens du livre n'avaient su répondre que par des intuitions nourries de témoignages partiels ou indirects. La nouveauté radicale de cet ouvrage tient au caractère presque toujours inédit de ses sources, en particulier de minutes notariales exploitées en série. La découverte est à la mesure de l'effort fourni. Chef d'entreprise industrieuse ou modeste revendeuse, mère célibataire avant d'épouser le père de ses enfants, lettrée qui s'adresse au roi dans un style impeccable ou simple créature signant d'une croix, appuyée sur une large parentèle ou au contraire forcée de plaider contre ses propres enfants, l'héroïne de Roméo Arbour offre des visages divers, toujours authentiques, bien souvent surprenants. Un livre indispensable à la connaissance de la France moderne, nanti d'un très riche index, riche en outre de nouvelles pistes ouvertes à la lectrice ou au lecteur curieux."
Concernant l'auteur :
"Né (en 1919) à Saint-Siméon (Bonaventure, Québec), Canada, Roméo Arbour fit ses études universitaires à l'Université d'Ottawa et à l'Université de Paris IV (Sorbonne). Professeur titulaire à l'Université d'Ottawa (1964-1984), il est maintenant professeur émérite (1997). Il a publié Henri Bergson et les lettres françaises (Paris, Corti, 1956). En 1964 il s'oriente vers la littérature française du XVIIe siècle, la diffusion des oeuvres littéraires et l'histoire du livre. Il publie alors L'Ere baroque en France. Répertoire chronologique des éditions de textes littéraires, de 1585 à 1643 (Genève, Droz, 1977-1985), et Un éditeur d'oeuvres littéraires au XVIIe siècle : Toussaint Du Bray (Genève, Droz, 1992). Depuis 1981, Roméo Arbour est membre du comité de direction du projet interuniversitaire "Corpus d'éditions critiques" et du comité de rédaction de la collection "Bibliothèque du Nouveau Monde". [depuis cette date il a publié chez Droz en 2003 un Dictionnaire des femmes libraires en France (1470-1870) ; le Père Roméo Arbour (puisqu'il était également religieux, o.m.i.), est décédé le 18 décembre 2005].
Cet article est un peu un hommage avec quelques années de retard, je ne connaissais pas il y a encore quelques jours ne serait-ce que son nom, aujourd'hui, à la lecture de son livre, j'ai l'impression déjà de le bien connaître. Merci à lui.
Puisque j'en suis aux remerciements et condoléances en retard (mais néanmoins sincères), j'ai appris hier au hasard d'une visite d'une page internet que l'éditeur des Lettres de Mme de Sévigné dans la Pleiade, Roger Duchene, éminent dixseptièmiste, nous avait quitté en avril 2006. Diable ! Le monde va trop vite et j'ai l'impression de parfois perdre pied. Je me suis souvenu avec émotion d'une carte de correspondance accompagnée de quelques mots sympathiques, que m'avait envoyé Roger Duchene dans un exemplaire de son "Madame de Sévigné et la lettre d'amour" (1992, réédité). Hier je dois avoué que je me suis sentis un peu perdu de cette disparition.
Mille excuses pour ces notions sentimentalistes peut-être déplacées ici, mais c'est cela aussi l'attachement à ce qu'on aime ici, le livre, et tout ce qui tourne autour. Et le hommes en sont les principes mêmes.
Dans la lignée de l’article de Bertrand sur la littérature de colportage, je vous offre aujourd’hui quelques gravures sur bois qui illustraient ces fines plaquettes.
Je les ai extraites de deux livres, dont vous avez ici les références :
- Dr. René Helot « La Bibliothèque Bleue en Normandie », Rouen, Lainé, 1928, in-8, 21,5x25, l’ouvrage orné de 40 planches illustré de gravures, 126 pages.
- Charles Nisard « Histoire des livres populaires, ou de la littérature de Colportage, depuis le XV siècle, jusqu'à l'établissement des la Commission d'examen des livres du Colportage (30 Novembre 1852) », il existe une première édition chez D'amyot à Paris, 1854, 2 vol. in-8.Et une deuxième parue chez Dentu à Paris en 1864, 2 vols. in-12, de 496 pages et de 539 pages.Comme dans toute bibliographie, la deuxième édition est préférable.Le « Nisard » est un de ceux, si ce n’est l’ouvrage qui fait référence pour la bibliothèque bleue ; il est illustré de centaines de figures in-texte et hors texte.
Je ne me suis pas servi de l’Histoire de l'édition française, parue chez Promodis en 1983, la collection complète est constituée de 4 volumes, l’étude dirigée par Roger Chartier et Henri-Jean Martin.Volume 1 : le livre conquérant, du moyen âge au milieu du XVIIe siècle, 629 pages.Volume 2 : le livre triomphant 1660-1830, 653 pages.Volume 3 : le temps des éditeurs, du romantisme à la belle époque, 539 pagesVolume 4 : le livre concurrencé 1900-1950, 539 pages.Il n’y a rien de plus complet aujourd’hui, vous pouvez les acquérir sans vous poser de question, c’est un très bel achat que vous ne devriez pas regretter. La littérature de colportage est, bien sur, traitée dans le premier volume.
Place aux illustrations, et à demain, ou vous verrez ici même quelques belles pages de titres de nos poètes dramatiques français…
C'est avec grand plaisir que je vous présente sur ce blog un site internet consacré en grande partie à la reliure ancienne. Peut-être quelques uns parmi vous sont-ils déjà passés sur ce site, par hasard ou suite à une recherche sur Google. Nombreux sont peut-être ceux qui ne le connaissent pas encore, et c'est à eux d'abord qu'est destiné ce billet de présentation.
M. Miller, comme il l'explique lui-même, était un simple collectionneur de livres, jusqu'au jour où il fit l'acquisition d'un bréviaire de 1647 dont la reliure décorée lui donna envie d'en savoir plus sur le relieur qui avait bien pu exécuter pareille merveille. De collectionneur de livres il est devenu collectionneur de reliures.
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Ne sachant pratiquement rien du décor des reliures anciennes, ceci l'amena tout naturellement à se lancer dans un vaste programme de recherches consacré aux décors dans leurs moindres détails. Ainsi, il put identifier, d'après des photographies de détails des fers dorés apposés sur les reliures, avec l'aide de quelques bibliographies et catalogues de ventes de bibliothèques (notamment la bibliothèque Raphaël Esmerian), la plupart des relieurs français des XVIe au XVIIIe siècle.
La méthode très poussée que M. Miller a mis en place pour parvenir à détacher des reliures les décors dorés (voir les photographies qui sont explicites) est très efficace et permet une comparaison positive fiable.
Un travail de titan ! M. Miller livre tout ceci aux amateurs, dans la plus pure ligne des humanistes du XVIe siècle, pour faire un don de savoir utile et indispensable à l'ensemble de la communauté bibliophile. Nous vous invitons à une visite approfondie et régulière de son site, régulièrement mis à jour. Les quelques photos qui illustrent cet article sont des copies d'écrans de Virtual bookbinding faites avec l'accord de M. Miller.
M. Miller contribue avec Virtual bookbinding et sa méthode, à faire avancer de façon très significative, l'étude des reliures décorées du XVIe au XVIIIe siècle, période où les plus grands relieurs ne signaient que rarement leurs chefs-d'œuvres.
Un grand merci à M. Miller pour m'avoir autorisé à publier ici des photographies issues de son site, et bon courage à lui pour continuer ce vaste travail de classification. Le site est en anglais.
La boutique de Barbin devait se situer à droite sur cette gravure par André Perelle,
sur le Perron de la Sainte Chapelle.
Lorsque vous vous intéressez aux livres publiés dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, il est inévitable à un moment donné que vous tombiez sur un livre édité par Claude Barbin. Libraire-éditeur de la Princesse de Clèves (1678), des Contes (1665-1666) et des Fables de La Fontaine (1668), de Boileau, Racine, Saint-Evremond, Molière ; éditeur des auteurs anciens, Sénèque, Cicéron, Plaute, Ovide, etc. Barbin a édité les plus grands auteurs de son siècle, il est impossible à l’amateur des livres du siècle de Louis XIV de passer outre ce libraire de talent qui finit pourtant sa carrière sans laisser la fortune qu’il était en droit d’attendre de son succès.
On ne sait rien de certain sur les origines du libraire Claude Barbin. Selon quelques commérages du temps, il aurait été le fils adultérin de Léonore Dori, femme de Concino Concini, maréchal d’Ancre, dame d’atour de Marie de Médicis, et de Claude Barbin, intendant de la reine mère, plus tard secrétaire d’état aux finances. Mais cette hypothèse est peu crédible du fait de l’âge de Barbin donné dans son brevet d’apprentissage (Léonore Dori, dite la Galigaï, fut en effet exécutée en 1617). D’après son brevet, Barbin avait treize ans en 1641. Il est donc plus vraisemblable qu’il naquit vers 1628, soit onze ans après sa mère supposée… En revanche, il se peut que le libraire ait été le fils naturel ou légitime de Claude Barbin, ancien intendant de la maison de Marie de Médicis car on trouve seulement dans son brevet, au sujet du père, qu’il fut « vivant bourgeois de Paris ». Sa mère dénommée est une certaine Anne Picard. Quoi qu’il en soit, c’est probablement un garçon d’une certaine condition que Richer accepta comme apprenti pour quatre ans.
Barbin entre en libraire en 1640, période marquée par un désordre important dans l’imprimerie française. Avec des règlementations sévères, une mauvais organisation des apprentis mal préparés (peu instruits sinon illettrés) dans des ateliers de maîtres eux-mêmes mal formés, Barbin arrive au mauvais moment.
Les madrigaux de Monsieur de La Sablière,
édités en 1680 par Claude Barbin. EO.
Barbin ne resta pas longtemps chez Richer. Moins de deux ans en fait. Peut-être incapable ou peu soumis ? en tous les cas Barbin échoua chez Corrozet dans la librairie de la rue Saint-Jean-de-Latran. Corrozet avait été reçu libraire en 1636 et avait sa boutique de libraire sur le perron de la Sainte-Chapelle. Pendant que la France frondait allègrement, on ne sait rien de ce que fit le jeune Claude Barbin jusqu’à sa réception comme maître libraire en mars 1654.
Barbin loua sa première boutique en son nom en novembre 1656 « sise en la Grande Salle du Palais à Paris qui est la huitième en entrant à main gauche ». Il paya 300 livres de loyer annuel.
Le premier livre portant l’adresse du libraire Claude Barbin s’intitule « Le fantôme amoureux » de Philippe Quinault (6 octobre 1656). Il porte l’adresse bibliographique « A Paris, chez Claude Barbin, dans la Grande Salle du Palais, du côté de la Salle Dauphine, au signe de la croix. » Il restera à cet emplacement jusqu’en 1662.
Deuxième partie des contes de La Fontaine.
Rare édition donnée par Claude Barbin à la date de 1667.
La concurrence était rude entre libraires à l’époque. Barbin choisit dès ses débuts le chemin de la littérature précieuse, en publiant des auteurs nouveaux, inconnus ou méconnus. Position courageuse s’il en est.Pour survivre dans ces conditions Barbin stockait et proposait à la vente des éditions publiées par d’autres libraires et sous son nom des titres dont la vente était assurée. Ainsi il publia Guez de Balzac, Le Tasse, Marc-Aurèle. Il se risqua en 1659 à publier en association avec Charles de Sercy le « Recueil des Portraits et Eloges en vers et en prose dédié à son altesse royale Mademoiselle. »
A la fin de l’année 1658, Molière arriva à Paris. Barbin s’associa en 1660 avec Guillaume de Luyne et Charles de Sercy, pour publier la première édition des « Précieuses ridicules ». En 1661-1662, Barbin donna d’autres éditions de Molière en association toujours avec d’autres libraires renommés (Sercy, Luyne, Guignard, Quinet). Barbin semblait lancé dans le métier.
Seconde édition des poésies de Malherbe,
donnée par Barbin en 1689.
En 1660, il épouse Etiennette Auger, marchande lingère dont la famille tenait une boutique au Palais. Barbin dota sa fiancée de 5.000 livres tandis que les parents de la jeune fille dotèrent le couple d’une boutique « d’une boutique assise en la salle Dauphine où est pour enseigne le nom de Jésus » ainsi que des biens pour une valeur de 15.000 livres. Etiennette meurt en couche moins d’un an après leur mariage. L’inventaire après décès qui suivit montra un stock encore modeste en nombre de volumes dans sa librairie. On sait qu’à ce moment il possédait dans sa boutique 137 volumes in-folio, ne représentant environ que 11 titres différents. Un in-folio était prisé environ 5 livres. 89 volumes in-4, 175 volumes in-8, 240 volumes in-12, plus de nombreux paquets de livres encore ficelés non décrits en détails. Ses propres livres ne représentant qu’une toute petite partie de l’ensemble.
Barbin prospérait. En 1662 il quitta la grande salle pour s’installer sous l’arcade située alors devant le portail de la Sainte-Chapelle. Tandis qu’aujourd’hui la communication entre les deux étages de la Sainte-Chapelle se fait par deux escaliers ménagés dans la façade, il y avait au dix-septième siècle et jusqu’en1850 un escalier de quarante-quatre marches qui montait de la Cour du May et par lequel on entrait dans la chapelle haute ou dans la Salle des Merciers. Sur ces marches se trouvait la boutique de Barbin, où eut lieu la célèbre bataille du Lutrin de Boileau.Claude Brossette raconte qu’à cause de cette bataille on appela ensuite le perron « la plaine de Barbin ».
Désormais l’adresse bibliographique des éditions données par Barbin fut, à quelques variantes près « sur le perron de la Sainte-Chapelle ». Il publie les Maximes de La Rochefoucauld (1664), Nouvelles en vers tirées de Boccace par La Fontaine (1665).
La boutique de Barbin était un des emplacements les plus spacieux de cet endroit. C’était le rendez-vous des lettrés. Située juste à côté du Palais, lieu de passage très fréquenté, Barbin était assuré d’une promotion permanente.
Barbin épouse en secondes noces Marie Cochart en février 1669, fille d’un bourgeois de Paris qui n’apporta en dot que 1.000 livres. Ils eurent deux fils, Charles Barbin qui au décès de son père était contrôleur général de la marine à Saint-Malo et Jules-Paul Barbin qui s’occupera à la fin du siècle des affaires de la librairie familiale.
Barbin continua avec succès à éditer de nombreux auteurs aujourd’hui renommés. Ménage en 1676, Molière en 1674-1675, Racine en 1676, etc.
Succès qui ne tardèrent pas à attirer les foudres du fléau des libraires de ce temps : la contrefaçon. Les affaires furent prospères entre 1660 et 1680 pour ce libraire audacieux, mais suite à un édit général de 1686 limitant le nombre d’ateliers parisiens à trente-six, la concurrence à Paris diminua et la concurrence des impressions provinciales et étrangères devint de plus en plus sévère. Ce sont alors des contrefaçons de Lyon et Amsterdam notamment qui minèrent le marché florissant du livre français. Pour survivre à cette fâcheuse tendance, Barbin eut l’excellente idée de s’associer pour l’édition de plusieurs livres à des libraires de province et notamment avec des libraires lyonnais (Muguet, Briasson et Amaulry entre autres) , avec lequel il partageait le privilège des réimpressions, lui permettant ainsi de mieux contrôler le marché de ses éditions.
Dans ce contexte déjà difficile de l’édition française dans le derniers tiers du XVIIe siècle, vint s’ajouter une crise profonde de l’économie générale du pays, rendant moins facile l’écoulement des éditions littéraires. C’est dans ce contexte que l’on vit l’entreprise ancienne de Cramoisy chuter et les faillites ne furent pas rares. C’est à peine si la petite entreprise de Claude Barbin survécut au marasme de 1695. Barbin fut contraint de revendre maison et biens pour dégager une valeur numéraire de 8.000 livres. Barbin fut obligé de contracter de nombreuses dettes pour rester à flots. Il céda encore en 1695 des lots de livres à d’autres libraires. Ainsi Jean-Henri Mauvais, sieur de La Tour, racheta 25.000 exemplaires d’une cinquantaine d’ouvrages que Barbin avait publiés et qu’il vendit avec les droits de privilège. Cette vente fut conclue pour 40.000 livres payables par somme de 3.000 livres chaque trimestre jusqu’à parfait paiement. Tout fut vendu ou presque. A partir de 1695, le fonds delivres n’était plus à Barbin.Il devait traiter, selon l’anecdote, avec un agent de La Tour pour avoir quelques exemplaires des éditions qu’il avait publiées. Par une convention de mars 1697, La Tour tira plus grand avantage de son investissement. Les libraires qui s’associèrent en la compagnie dite de Barbin pour acheter son fonds de livres étaient six. Pierre Aubouyn, Pierre Emery, Charles Clouzier, Michel David, Henry Charpentier et Charles Osmont convinrent de payer le stock 45.000 livres. Le nombre d’éditions lancées par Barbin diminua d’années en années à partir de 1692. En 1692 il publie vingt-deux ouvrages nouveaux, douze en 1693, dix en 1694, et seulement huit en 1695. En 1696, année de la cession de son fonds à La Tour, c’est un seul ouvrage qu’il publiera. En 1697 sa situation financière semble s’être suffisamment assainie pour voir la publication de huit ouvrages dont deux resteront dans les annales de l’édition : Œuvres de Monsieur de Molière (dernière édition du siècle) et les très célèbres et rarissimes Histoires ou contes du temps passé par Charles Perrault. En 1698 il publie à nouveau huit ouvrages. Barbin arriva au bord de la faillite, il dut même emprunter à l’un de son collègue Thierry la somme de 5.000 livres (1697). Il emprunta à ses fils. Il ne parvenait pas à payer tous ses créanciers. Triste anecdote, le jour même de son décès, Barbin était en train de vendre ses biens.
Il mourut dans sa maison rue de la Callandre le 24 décembre 1698. L’inventaire de ses biens fut rapidement mis en œuvre, et malgré les difficultés de sa librairie, on constate qu’il possédait encore un nombre important de livres, il avait même encore des livres sous presses chez des imprimeurs. 1.151 volumes in-4, 7.433 volumes de petit format, plus de 9.000 petits volumes dans un autre lieu. On notera de nombreux restes qui aujourd’hui combleraient plus d’un bibliophile : 72 exemplaires des Lettres portugaises en deux volumes in-12, 120 exemplaires de la Vie de Scaramouche, 176 exemplaires des Conversations du Chevalier de Méré, 10 exemplaires des Réflexions et Maximes de La Rochefoucauld, 7 exemplaires d’Esther, 13 exemplaires d’Athalie, on trouva aussi plus de 200 exemplaires des Œuvres diverses de Boileau, non reliés « en paquets ». Au final son fonds de livres fut prisé 4.609 livres et 15 sols et le total de ses biens seulement 10.832 livres 3 sols 1 denier. A titre de comparaison, lorsque Sébastien Cramoisy, directeur de l’imprimerie Royale, mourut en 1669, sa fortune dépassait 400.000 livres et celle de Guillaume Desprez (l’éditeur des Pensées de Pascal et des ouvrages de Port-Royal) fut évaluée à 226.357 livres à sa mort en 1709.
Barbin ne fut pas un des grands libraires de l’époque. Les ouvrages qu’il avait publiés, si célèbres qu’ils soient, ne lui apportèrent jamais la fortune. Mais parmi les éditions qui portent sur leur page de titre son nom et l’adresse de sa boutique, figurent de nombreuses impressions des ouvrages les plus considérés de l’époque et les plus recherchés des bibliophiles aujourd’hui. Voilà ce qui distingue Claude Barbin de ses collègues.
Contrefaçon des Oeuvres diverses de Nicolas Boileau,
parue un an après l'EO donnée au format in-4.
Nous passerons rapidement sur les successeurs de Claude Barbin. C’est sa veuve, Marie Cochart qui continua un temps le commerce des livres. Mais Claude Barbin avait de telles dettes à rembourser, notamment à son fils, que le véritable propriétaire des livres était le fils, Jules-Paul Barbin. Ce qui est curieux, c’est qu’il continua d’utiliser l’adresse de « Claude Barbin, sur le Perron de la Sainte-Chapelle », sans doute pour préserver l’image et la réputation « littéraire » que recouvrait encore ce nom. C’est la veuve Barbin qui publia en 1699 les deux premières éditions des Aventures de Télémaque par Fénelon, seule publication sous le nom de Barbin qui occasionna le scandale. Le fils, Jules-Paul Barbin mourut en décembre 1701 et c’est la veuve qui reprit, avec de grandes difficultés, les rennes de la librairie. Elle dut à son tour emprunter des capitaux pour acquérir en son nom la boutique. Elle débita des livres dans sa boutique jusqu’à sa mort en décembre 1707, date de la publication du Diable boiteux de Lesage au sujet duquel il convient de rapporter l’anecdote que l’histoire aura retenu. « deux seigneurs de la cour mirent l’épée à la main dans la boutique de Barbin, pour avoir le dernier exemplaire de la seconde édition ». Vous verrez ci-dessous en reproduction la page de titre de cette seconde édition si convoitée à l’époque. Est-ce le dernier exemplaire tant convoité ? On en rêverait presque…
La célèbre et rare seconde édition du Diable boiteux de Lesage,
pour laquelle deux seigneurs en vinrent aux armes dans la boutique de la veuve Barbin.
Il est évident, rien qu’à la lecture que ces quelques lignes de vie bien abrégées, que le sieur Claude Barbin, aussi bon libraire qu’il put être était un piètre gestionnaire et il est vraisemblable qu’un autre à sa place et avec ses capacités à choisir les bons auteurs, aurait fait fortune. Il n’en était pas de même de sa femme, qui, d’une nature résistante et d’un esprit commercial entêté (ah ! les femmes… ndlr), réussit à survivre aux difficultés financières que lui avait léguées son mari (ah ! les maris…ndlr).
Pour terminer nous citerons quelques traits esquissés à l’époque sur ce libraire en vue des milieux nobles et lettrés de l’époque.
Madame de Sévigné (encore elle…ndlr) écrit à sa fille en 1672 « c’est ce chien de Barbin qui me hait, parce que je ne fais pas des Princesses de Montpensier. »
Le jeune Esprit Fléchier envoie ce poème à Mlle de La Vigne :
« Le terrible homme que Barbin / Il ne songe soir et matin / Qu’à débiter livre sur livre, / Recueil sur recueil amoureux, / Et si Dieu ne nous en délivre, / Un jour il nous vendra tous deux. / Sottise en vers, sottise en prose, / De demoiselle qui compose / Et de galant qui veut être caché, / Il vend tout et même il s’engage / De donner la clef de l’ouvrage / Et le nom de l’auteur par-dessus le marché. / De quoi sert-il d’être discrets ? / Le Palais saura nos secrets, / L’on en fera quelque histoire nouvelle, / Du moins malgré moi, malgré vous, / On entendra parler de nous / Sur le Perron de la Sainte-Chapelle. / Je consens que nul ne l’estime, / Mais si par malheur on l’imprime, / J’enrage contre mon destin. / Et je ne cesserai de dire, / Le terrible homme que Barbin.
Barbin était homme de livres plus qu’homme de librairie, Barbin s’intéressa au lettrés de son temps, il rechercha toujours à ce qu’on lui confie de nouveaux manuscrits. La réputation de Barbin comme libraire astucieux, artificieux même, provient dans une large mesure de sa publication des ouvrages de Saint-Evremond, considérées comme fort fautives. C’est exagéré, on sait aujourd’hui que Desmaizeaux a largement forcé le trait sur la « mauvaiseté » des éditions Barbin de Saint-Evremond (Voir les dernières recherches de René Ternois). « Faites-moi du Saint-Evremond ! » lui faisait-on dire à l’époque chez un auteur qui écrivait assez bien. Mythe ou réalité ?
Barbin n’imprima jamais lui-même. Il se servit le plus souvent des services des imprimeurs de la rue Saint-Jacques, notamment Denis II Thierry. Ses livres sortirent également des presses de Laurent Rondet, Charles Chenault, Jacques Langlois et les Maurry de Rouen (pour les ouvrages de Thomas Corneille). Sortant des presses d’autrui, ces livres furent imprimés en quantité assez restreinte. 1.500 exemplaires semble être le chiffre du tirage d’une belle vente annoncée. La marque de libraire de Barbin, deux B entrelacés n’apparut qu’en 1679. Auparavant ce sont de simples fleurons floraux ou typographiques qui servent de décor au titre de ses livres, imprimés bien souvent sur un médiocre papier (mais pas toujours).
Voici en quelques lignes ce qu’on pouvait faire ressortir d’un ouvrage que je ne me lasse par de feuilleter, consulter et consulter encore, et qui a pour titre : « Claude Barbin, libraire de Paris sous le règne de Louis XIV ». Ce volume, parut dans la collection « Histoire et civilisation du livre – 5 – » et écrit par Gervais E. Reed, publié à la librairie Droz à Genève en 1974. (in-8 de 131 pages).
J’aime Barbin. J’aime ses livres. Cela ne s’explique pas, cela se ressent. Je suis bien désolé de ne pouvoir mettre une image sur sa physionomie. Aucun peintre, aucun graveur n’a daigné nous laisser son portrait. Nous ne serons de lui que ce qu’il nous a laissé de grand, ses livres, et sa ruine.
En espérant que vous avez pris autant de plaisir à lire jusqu’au bout ces lignes, que j’en ai pris moi-même à vous les retranscrire,