Quel prix donner à la rareté ? Voilà bien le sujet de philosophie sur lequel j'aurai aimé tomber lorsque je passai mon baccalauréat en 1990 ... pas de chance... ce fut sur la religion et je ne sais quel autre concept néo-platonicien judéo-maçonnique ... je me souviens juste que je commençais ma copie par un arrogant : "Dieu est mort" directement inspiré par ce bon vieux Nietzsche ... la sanction fut brutale... autant le dire tout de suite, ce n'est pas grâce aux points de l'épreuve de philosophie que je pu décrocher le sésame pour l'université... Enfin, au moins j'espère avoir fait bien rire un correcteur passablement lassé par les bonnes copies... bref, passons.
Donc, revenons à ce qui m'amène vers vous ce matin, une interrogation qui me tient depuis ce matin : Quel prix donner à la rareté ? Appliquons si vous le voulez bien cette question au domaine qui nous intéresse ici, la bibliophilie (bien que je reste persuadé que cette question peut et doit se poser dans bien d'autres domaines). En pays de bibliophilie, la rareté est une chose assez courante, si j'ose dire. Le bibliophile chasse avec ardeur les livres rares, c'est même presque son unique but. Rares par l'édition, rares par l’illustration, rares par l'état de conservation, rares par la reliure, rares par la provenance, etc. Le bibliophile veut du rare pour ne pas dire de l'unique. C'est même d'ailleurs sans doute cette quête incessante de l'unica qui fait de la bibliophilie une équation à plusieurs inconnues dont les solutions sont proche de l'infini. Je suis loin d'être mathématicien mais je crois qu'il serait possible de mettre en équation le livre de bibliophilie que nous appellerons B. Pour obtenir B, nous avons recours aux inconnues suivantes : R = rareté de l'édition. A = notoriété de l'auteur. P = Provenance (ex libris, armes). RE = Reliure. E = État de conservation du volume. I = Illustration. Sachant que j'oublie certainement quelques paramètres moins objectifs comme EM = L'émotion que génère un volume pour celui qui en fait l'acquisition. Ou encore MO = l'effet de mode qui donne à un livre une aura temporaire. On pourrait ainsi écrire : B = R + P + RE + E + I + EM ; on pourrait aussi sans doute écrire plus justement : B = R x P x RE x E x I x EM. On pourrait même aller plus loin en donnant à chaque facteur une puissance variable. Ainsi on aurait : B = R^n x P^n x RE^n x E^n x I^n x EM^n. Ce qui complique déjà nettement les choses, il faut bien le dire, et rend la solution pour B, livre de Bibliophilie idéal, assez proche de l'équation insoluble. Après ces mathématiques pour débutant... revenons à la question : Quel prix donner à la rareté ? Sachant comme nous l'avons vu, qu'il ne s'agit que d'un seul des critères de l'équation Bibliophile, la rareté ne fait pas tout, loin de là.
Prenons un exemple. Je viens de faire l'acquisition d'une chose de rien. Format in-8. A peine 8 pages imprimées. Pas de nom d'imprimeur ou de libraire. Pas de date. Pas de reliure. Pas de provenance. Pas de nom d'auteur. Rien qu'un faux-titre en haut du premier feuillet : "Histoire de l'homme aux 43 mille maitresses". Acheté uniquement d'après ce titre accrocheur et sans effectuer au préalable aucune recherche d'aucune sorte. Un prix attractif.
De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'un texte écrit en prose, qui prend la forme d'un conte. C'est l'histoire d'un homme "sain et vigoureux" qui "prit une maîtresse" et, "trompé par ses sens (...) se livra à un enthousiasme si extravagant qu'il regardait comme autant de perfections les défauts de l'objet aimé" (sa maîtresse). Jusque là tout va bien. Ensuite la maîtresse prend ses aises : "La belle, comme c'est l'usage, tira le meilleur parti de son amant (...) Elle le ruina." Voilà qui est ingénieux ! Ensuite viennent les huissiers, les saisies, le commissaire, le procureur, etc. Comme toujours dans ce cas, c'est "Dame justice qui s'enrichit". Vint le temps de "chercher une nouvelle maîtresse à notre homme, toutes les femmes voulurent lui plaire, toutes crurent avoir des droits incontestables à sa couche. (...) On intrigua, on promit des faveurs, on cabala, (...) la concurrence fut nombreuse (...) Quarante-trois mille maîtresses formèrent seules les conditions qu'on exigeaient d'elles (...) elles se soumirent à tout tant elles étaient pressées d'exercer leur puissance, elles prêtèrent même un serment solennel d'avance d'obéir à tout, bien entendu qu'elles se réservèrent mentalement le désir de n'en rien faire." (NDLR : les diablesses !!). Ce qui devait arriver arriva... "elle voulurent se distinguer la première quinzaine par une grande austérité de principes (...) peu après elle levèrent les yeux (...) on les soupçonna non sans motifs, d'avoir du penchant à l'intrigue : elles se choisirent bientôt des favoris, des greluchons (...) bientôt elles livrèrent leurs faveurs, bientôt elles les vendirent (NDLR : les diablesses !!). Tout finit dans une corruption générale que je vous laisse imaginer.
Le texte se termine de manière un peu étrange : "Qu'arriva-t-il de ce bouleversement ? Il arriva que je m'éveillai, que je vérifiai si tout ce que j'avais vu en songe était vrai (...)" La dernière phrase est aussi énigmatique que toute la fin d'ailleurs : " (...) qu'on achetait un jour d'élection les voix de ceux qu'on méprisait ; qu'on s'enivrait patriotiquement ; qu'on ne parlait plus des aristocrates, parce que tout le monde l'était devenu." (fin).
Voilà bien un texte curieux ! Que signifie ce galimatias ? Ce qui est certain : il s'agit d'un texte imprimé pendant ou peu après la révolution française, sans doute 1789 ou 1790. Le papier, les caractères et quelques allusions permettent d'en être sûr. S'agit-il d'une métaphore de la situation de la Révolution française, des aristocrates, des personnages de la Révolution française masqués ici pour faire pamphlet ? Je le crois volontiers. La fin du texte laisse supposer que l'auteur s'en prend aux évènements de son temps : "on ne parlait plus d'aristocrates, parce que tout le monde l'était devenu" (dit-il voir dans son rêve).
Rareté vous avez dit rareté ? Oui ! sans conteste. Ce petit éphémère anonyme et publié vraisemblablement clandestinement ne se trouve nulle part (si vous exceptez cet exemplaire même que je viens d'acheter à un libraire). Ce document est donc rare, voire très rare. Quel prix lui donner ? Attention ! ma question était à double sens. Je ne parle pas seulement du prix en euros (quel prix marquer sur un document d'à peine 8 pages, fut-il très rare et de la fin du XVIIIe siècle ?), je veux parler aussi du "prix" moral, ou émotionnel si vous préférez, je veux parler de l'estime que vous pouvez porter à un tel document, curieux et introuvable... mais dont personne ne parle et personne ne sait rien ? Difficile.
A votre avis ? Comment réagissez-vous face à de tels documents ? imprimés ou manuscrits. Votre opinion sur la chose m'intéresse car je suis curieux des choses rares, voire uniques. Cela crée chez moi comme une émulation (je n'ose pas dire une forte excitation... j'ai peur des foudres du Bibliophile Rhemus...).
Dans l'attente de vos réactions,
Bonne journée,
Bertrand Bibliomane moderne
Note : désormais ce document ne sera plus aussi rare puisque j'ai choisi de vous en faire cadeau sous forme numérique. Ainsi vous pourrez le lire en intégralité et ainsi sans doute y voir des éléments qui m'auront échappé.
Donc, revenons à ce qui m'amène vers vous ce matin, une interrogation qui me tient depuis ce matin : Quel prix donner à la rareté ? Appliquons si vous le voulez bien cette question au domaine qui nous intéresse ici, la bibliophilie (bien que je reste persuadé que cette question peut et doit se poser dans bien d'autres domaines). En pays de bibliophilie, la rareté est une chose assez courante, si j'ose dire. Le bibliophile chasse avec ardeur les livres rares, c'est même presque son unique but. Rares par l'édition, rares par l’illustration, rares par l'état de conservation, rares par la reliure, rares par la provenance, etc. Le bibliophile veut du rare pour ne pas dire de l'unique. C'est même d'ailleurs sans doute cette quête incessante de l'unica qui fait de la bibliophilie une équation à plusieurs inconnues dont les solutions sont proche de l'infini. Je suis loin d'être mathématicien mais je crois qu'il serait possible de mettre en équation le livre de bibliophilie que nous appellerons B. Pour obtenir B, nous avons recours aux inconnues suivantes : R = rareté de l'édition. A = notoriété de l'auteur. P = Provenance (ex libris, armes). RE = Reliure. E = État de conservation du volume. I = Illustration. Sachant que j'oublie certainement quelques paramètres moins objectifs comme EM = L'émotion que génère un volume pour celui qui en fait l'acquisition. Ou encore MO = l'effet de mode qui donne à un livre une aura temporaire. On pourrait ainsi écrire : B = R + P + RE + E + I + EM ; on pourrait aussi sans doute écrire plus justement : B = R x P x RE x E x I x EM. On pourrait même aller plus loin en donnant à chaque facteur une puissance variable. Ainsi on aurait : B = R^n x P^n x RE^n x E^n x I^n x EM^n. Ce qui complique déjà nettement les choses, il faut bien le dire, et rend la solution pour B, livre de Bibliophilie idéal, assez proche de l'équation insoluble. Après ces mathématiques pour débutant... revenons à la question : Quel prix donner à la rareté ? Sachant comme nous l'avons vu, qu'il ne s'agit que d'un seul des critères de l'équation Bibliophile, la rareté ne fait pas tout, loin de là.
Prenons un exemple. Je viens de faire l'acquisition d'une chose de rien. Format in-8. A peine 8 pages imprimées. Pas de nom d'imprimeur ou de libraire. Pas de date. Pas de reliure. Pas de provenance. Pas de nom d'auteur. Rien qu'un faux-titre en haut du premier feuillet : "Histoire de l'homme aux 43 mille maitresses". Acheté uniquement d'après ce titre accrocheur et sans effectuer au préalable aucune recherche d'aucune sorte. Un prix attractif.
De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'un texte écrit en prose, qui prend la forme d'un conte. C'est l'histoire d'un homme "sain et vigoureux" qui "prit une maîtresse" et, "trompé par ses sens (...) se livra à un enthousiasme si extravagant qu'il regardait comme autant de perfections les défauts de l'objet aimé" (sa maîtresse). Jusque là tout va bien. Ensuite la maîtresse prend ses aises : "La belle, comme c'est l'usage, tira le meilleur parti de son amant (...) Elle le ruina." Voilà qui est ingénieux ! Ensuite viennent les huissiers, les saisies, le commissaire, le procureur, etc. Comme toujours dans ce cas, c'est "Dame justice qui s'enrichit". Vint le temps de "chercher une nouvelle maîtresse à notre homme, toutes les femmes voulurent lui plaire, toutes crurent avoir des droits incontestables à sa couche. (...) On intrigua, on promit des faveurs, on cabala, (...) la concurrence fut nombreuse (...) Quarante-trois mille maîtresses formèrent seules les conditions qu'on exigeaient d'elles (...) elles se soumirent à tout tant elles étaient pressées d'exercer leur puissance, elles prêtèrent même un serment solennel d'avance d'obéir à tout, bien entendu qu'elles se réservèrent mentalement le désir de n'en rien faire." (NDLR : les diablesses !!). Ce qui devait arriver arriva... "elle voulurent se distinguer la première quinzaine par une grande austérité de principes (...) peu après elle levèrent les yeux (...) on les soupçonna non sans motifs, d'avoir du penchant à l'intrigue : elles se choisirent bientôt des favoris, des greluchons (...) bientôt elles livrèrent leurs faveurs, bientôt elles les vendirent (NDLR : les diablesses !!). Tout finit dans une corruption générale que je vous laisse imaginer.
Le texte se termine de manière un peu étrange : "Qu'arriva-t-il de ce bouleversement ? Il arriva que je m'éveillai, que je vérifiai si tout ce que j'avais vu en songe était vrai (...)" La dernière phrase est aussi énigmatique que toute la fin d'ailleurs : " (...) qu'on achetait un jour d'élection les voix de ceux qu'on méprisait ; qu'on s'enivrait patriotiquement ; qu'on ne parlait plus des aristocrates, parce que tout le monde l'était devenu." (fin).
Voilà bien un texte curieux ! Que signifie ce galimatias ? Ce qui est certain : il s'agit d'un texte imprimé pendant ou peu après la révolution française, sans doute 1789 ou 1790. Le papier, les caractères et quelques allusions permettent d'en être sûr. S'agit-il d'une métaphore de la situation de la Révolution française, des aristocrates, des personnages de la Révolution française masqués ici pour faire pamphlet ? Je le crois volontiers. La fin du texte laisse supposer que l'auteur s'en prend aux évènements de son temps : "on ne parlait plus d'aristocrates, parce que tout le monde l'était devenu" (dit-il voir dans son rêve).
Rareté vous avez dit rareté ? Oui ! sans conteste. Ce petit éphémère anonyme et publié vraisemblablement clandestinement ne se trouve nulle part (si vous exceptez cet exemplaire même que je viens d'acheter à un libraire). Ce document est donc rare, voire très rare. Quel prix lui donner ? Attention ! ma question était à double sens. Je ne parle pas seulement du prix en euros (quel prix marquer sur un document d'à peine 8 pages, fut-il très rare et de la fin du XVIIIe siècle ?), je veux parler aussi du "prix" moral, ou émotionnel si vous préférez, je veux parler de l'estime que vous pouvez porter à un tel document, curieux et introuvable... mais dont personne ne parle et personne ne sait rien ? Difficile.
A votre avis ? Comment réagissez-vous face à de tels documents ? imprimés ou manuscrits. Votre opinion sur la chose m'intéresse car je suis curieux des choses rares, voire uniques. Cela crée chez moi comme une émulation (je n'ose pas dire une forte excitation... j'ai peur des foudres du Bibliophile Rhemus...).
Dans l'attente de vos réactions,
Bonne journée,
Bertrand Bibliomane moderne
Note : désormais ce document ne sera plus aussi rare puisque j'ai choisi de vous en faire cadeau sous forme numérique. Ainsi vous pourrez le lire en intégralité et ainsi sans doute y voir des éléments qui m'auront échappé.