Terminons ce mois d'août en belle humeur. L'été a été chaud, propice au repos et à la réflexion. Je vous propose de clore ces estivales par quelques bons mots de nos ancêtres les gaulois. Et nos ancêtres les gaulois n'usurpent pas leur réputation ! Peut-on rire de tout, en tous lieux et avec n'importe qui ? Il semblerai bien que non. Cependant j'insiste pour faire du Bibliomane moderne un espace biblio-libertaire-compatible et vous le prouve si cela était encore nécessaire.
La curiosité seule m'a poussé récemment à acquérir un modeste petit volume méchamment relié en veau brun largement frotté. Néanmoins la reliure, fut-elle simple, a rempli pleinement son office, elle a protégé un texte des plus curieux, et ce de manière admirable. L'intérieur du volume est ainsi comme neuf, en parfait état, tel qu'on peut le souhaiter pour un volume imprimée en 1670.
De quel ouvrage parlons-nous ?
Recueil de poésies de divers autheurs contenant, la métamorphose des yeux de Philis changez en astres, la métamorphose de Ceyx & d'Alcioné, le temple de la mort & la suite, le temple de la gloire, la belle gueuse, la belle aveugle, la belle sourde, la belle voilée, la belle enlevée, la dame fardée, la riche laide, la vieille amoureuse, la muette ingrate, la souris, et autres pièces nouvelles.
Beau titre à rallonge ! Mais qui en dit long sur la thématique de ce joli recueil de poésies : La femme et l'amour, la galanterie et ses travers, bonheurs et malheurs d'aimer...
Outre les titres cités plus haut et détaillés au titre, les autres pièces ne sont pas à négliger et portent des titres bien évocateurs : Gausserie d'un amant passionné - La fille innocente - Raillerie sur une vieille fille - Satyre contre une laide - Amour de deux soeurs que l'auteur aime, sans pouvoir dire laquelle, ...
Quelques précisions sur cet ouvrage. C'est un volume de format in-12. Publié à Paris chez Augustin Besoigne, dans la grande salle du Palais, vis-à-vis à la Cour des Aydes, en 1670. Aucun privilège n'est annoncé, ni n'est présent dans le volume, sans qu'il y manque rien. Le volume se compose d'une page de titre (voir photographie ci-dessus), d'une table des pièces (6 pages non chiffrées) et de 326 pages chiffrées, la dernière s'achevant bien par le mot FIN. Ce volume est assez joliment imprimé en petits caractères avec chaque pièce décorée en bandeau et cul-de-lampe d'ornements typographiques composés avec goût. A noter également quelques fleurons gravés sur bois, certains n'étant pas sans rappeler ceux utilisés indifféremment par Claude Barbin ou Trabouillet pour leurs éditions. Peut-être ce volume sort-il d'ailleurs de l'imprimerie de Trabouillet, imprimeur de nombreux libraires à cette même époque (la question reste entière).
Quelques recherches permettent de retrouver de nombreuses pièces de ce recueil déjà publiées, sans doute pour la première fois, dans un recueil au titre similaire : Recueil de diverses poésies des plus célèbres autheurs de ce temps. Paris, chez Louis Chamhoudry, 1657. 2 vol. pet. in-12. Il semblerait que la première partie de ce recueil ait paru pour la première fois séparément dès 1651 et la seconde partie en 1655, chez le même éditeur. Nous avons trouvé de nombreuses rééditions de cet ouvrage qui attestent de son succès (1652, 1653 et 1699).
Les auteurs célèbres dont il est ici question ne sont pourtant pas cités... à l'exception des poésies de M. de Chandeville, neveu de Malherbe dont il semblerait que ce soit ici la seule impression de ses œuvres en vers (pièces de peu d'intérêt littéraire à vrai dire). Les autres auteurs conservent tout leur mystère.
Pourtant un poème a plus particulièrement retenu mon attention. En voici le titre :
Sur un pet qu'un amant fit en présence de sa maîtresse. Stances.
C'est on ne peut plus explicite ! Composé de neuf strophes de six vers chacune, le moins qu'on puisse dire est que ce long poème à caractère scatologique est bien tourné. Il est même fort plaisant pour qui aime à rire un peu gras... Nos ancêtres les gaulois ne répugnaient pas à rire gras... La tradition a du bon !
Je vous laisse apprécier ces perles (je ne pouvais passer outre...)
Qui est l'auteur de ce poème scatologique ? Où le retrouve-t-on ?
La tradition veut que ce poème soit sorti de la jeune plume de Saint-Evremond. Dans un petit livre du XVIIIe siècle, qui a pour titre : ”L'art de péter”, l’auteur parle d’un agréable philosophe qui s’appelait Saint-Evremond et qui désignait le pet comme étant un soupir. A la maîtresse devant laquelle il avait fait un pet, Saint-Evremond disait un jour :
Mon cœur outré de déplaisirs,
Était si gros de ses soupirs,
Voyant votre humeur si farouche,
Que l’un d’eux se voyant réduit,
A n’oser sortir par la bouche,
Sortit par un autre conduit."
Ce passage correspond à la quatrième strophe de notre poème, avec quelques variantes que je vous laisse apprécier.
crepitus ventris humanum est aurait déclamé Pétrone à Néron pour le divertir sous la Rome en flammes... On voit bien que nos anciens avait une autre idée de la chose. Qui aurait aujourd'hui l'idée de faire à une galante une telle poésie sur le sujet ?
Pour compléter la fiche bibliographique de ce poème à retenir par cœur pour faire grande impression dans les soirées mondaines un peu étriquées, sachez que ce poème a probablement paru pour la première fois au format in-4 de 8 pages, en 1652, sous le titre : "La Défense du pet, pour le Galant du carnaval. Par le sieur de S. And." La Bibliotheca Scatologica (Scatopolis, chez les marchands d'aniterges, l'année scatogène, 5850, p.35, n°74) indique : "L'auteur qu'on dit être Saint-Evremond, badine très-joliment avec son sujet. Il s'agit d'un amant qui, ayant eu certain laisser-aller dans un tête-à-tête avec sa maîtresse, cherche à se justifier au moyen d'arguments qui nous paraissent sans réplique ; voici l'avant-dernier :
"Si pour un pet fait par hasard,
Votre coeur, où j'ai tant de part,
Pour jamais de moi se retire,
Voulez-vous que dorénavant
Vous me donniez sujet de dire
Que vous changez au moindre vent ?"
La Bibliotheca Scatologica poursuit : "Cette plaisanterie, l'une des meilleures du genre, a reparu en 1679 avec nom d'auteur, Bardou, sous le titre de : le Pet éventé. Si ce nom de Bardou n'est point un pseudonyme, il est évident que ce flibustier littéraire s'est approprié le bien d'autrui, croyant dissimuler son larcin à l'aide d'un titre renouvelé. Des faiseurs de recueils d'anecdotes et de poésies ont également reproduit cette débauche d'esprit, en indiquant quelquefois Saint-Evremont comme l'auteur."
Je vous l'avoue, lire ce recueil par touches successives, le soir, au coin du feu, promet de beaux moments rigolards du temps de Louis XIV. Si je me penchais d'un peu plus près sur chacune des pièces en vers que contient ce recueil j'y trouverais sans aucun doute quelque légère production de Scarron et autres auteurs burlesques et libertins de ce temps. Laissons-nous encore un peu de temps pour le plaisir de la découverte.
Bonne rentrée à toutes et à tous,
Bertrand Bibliomane moderne
La curiosité seule m'a poussé récemment à acquérir un modeste petit volume méchamment relié en veau brun largement frotté. Néanmoins la reliure, fut-elle simple, a rempli pleinement son office, elle a protégé un texte des plus curieux, et ce de manière admirable. L'intérieur du volume est ainsi comme neuf, en parfait état, tel qu'on peut le souhaiter pour un volume imprimée en 1670.
De quel ouvrage parlons-nous ?
Recueil de poésies de divers autheurs contenant, la métamorphose des yeux de Philis changez en astres, la métamorphose de Ceyx & d'Alcioné, le temple de la mort & la suite, le temple de la gloire, la belle gueuse, la belle aveugle, la belle sourde, la belle voilée, la belle enlevée, la dame fardée, la riche laide, la vieille amoureuse, la muette ingrate, la souris, et autres pièces nouvelles.
Beau titre à rallonge ! Mais qui en dit long sur la thématique de ce joli recueil de poésies : La femme et l'amour, la galanterie et ses travers, bonheurs et malheurs d'aimer...
Outre les titres cités plus haut et détaillés au titre, les autres pièces ne sont pas à négliger et portent des titres bien évocateurs : Gausserie d'un amant passionné - La fille innocente - Raillerie sur une vieille fille - Satyre contre une laide - Amour de deux soeurs que l'auteur aime, sans pouvoir dire laquelle, ...
Quelques précisions sur cet ouvrage. C'est un volume de format in-12. Publié à Paris chez Augustin Besoigne, dans la grande salle du Palais, vis-à-vis à la Cour des Aydes, en 1670. Aucun privilège n'est annoncé, ni n'est présent dans le volume, sans qu'il y manque rien. Le volume se compose d'une page de titre (voir photographie ci-dessus), d'une table des pièces (6 pages non chiffrées) et de 326 pages chiffrées, la dernière s'achevant bien par le mot FIN. Ce volume est assez joliment imprimé en petits caractères avec chaque pièce décorée en bandeau et cul-de-lampe d'ornements typographiques composés avec goût. A noter également quelques fleurons gravés sur bois, certains n'étant pas sans rappeler ceux utilisés indifféremment par Claude Barbin ou Trabouillet pour leurs éditions. Peut-être ce volume sort-il d'ailleurs de l'imprimerie de Trabouillet, imprimeur de nombreux libraires à cette même époque (la question reste entière).
Quelques recherches permettent de retrouver de nombreuses pièces de ce recueil déjà publiées, sans doute pour la première fois, dans un recueil au titre similaire : Recueil de diverses poésies des plus célèbres autheurs de ce temps. Paris, chez Louis Chamhoudry, 1657. 2 vol. pet. in-12. Il semblerait que la première partie de ce recueil ait paru pour la première fois séparément dès 1651 et la seconde partie en 1655, chez le même éditeur. Nous avons trouvé de nombreuses rééditions de cet ouvrage qui attestent de son succès (1652, 1653 et 1699).
Les auteurs célèbres dont il est ici question ne sont pourtant pas cités... à l'exception des poésies de M. de Chandeville, neveu de Malherbe dont il semblerait que ce soit ici la seule impression de ses œuvres en vers (pièces de peu d'intérêt littéraire à vrai dire). Les autres auteurs conservent tout leur mystère.
Pourtant un poème a plus particulièrement retenu mon attention. En voici le titre :
Sur un pet qu'un amant fit en présence de sa maîtresse. Stances.
C'est on ne peut plus explicite ! Composé de neuf strophes de six vers chacune, le moins qu'on puisse dire est que ce long poème à caractère scatologique est bien tourné. Il est même fort plaisant pour qui aime à rire un peu gras... Nos ancêtres les gaulois ne répugnaient pas à rire gras... La tradition a du bon !
Je vous laisse apprécier ces perles (je ne pouvais passer outre...)
Qui est l'auteur de ce poème scatologique ? Où le retrouve-t-on ?
La tradition veut que ce poème soit sorti de la jeune plume de Saint-Evremond. Dans un petit livre du XVIIIe siècle, qui a pour titre : ”L'art de péter”, l’auteur parle d’un agréable philosophe qui s’appelait Saint-Evremond et qui désignait le pet comme étant un soupir. A la maîtresse devant laquelle il avait fait un pet, Saint-Evremond disait un jour :
Mon cœur outré de déplaisirs,
Était si gros de ses soupirs,
Voyant votre humeur si farouche,
Que l’un d’eux se voyant réduit,
A n’oser sortir par la bouche,
Sortit par un autre conduit."
Ce passage correspond à la quatrième strophe de notre poème, avec quelques variantes que je vous laisse apprécier.
crepitus ventris humanum est aurait déclamé Pétrone à Néron pour le divertir sous la Rome en flammes... On voit bien que nos anciens avait une autre idée de la chose. Qui aurait aujourd'hui l'idée de faire à une galante une telle poésie sur le sujet ?
Pour compléter la fiche bibliographique de ce poème à retenir par cœur pour faire grande impression dans les soirées mondaines un peu étriquées, sachez que ce poème a probablement paru pour la première fois au format in-4 de 8 pages, en 1652, sous le titre : "La Défense du pet, pour le Galant du carnaval. Par le sieur de S. And." La Bibliotheca Scatologica (Scatopolis, chez les marchands d'aniterges, l'année scatogène, 5850, p.35, n°74) indique : "L'auteur qu'on dit être Saint-Evremond, badine très-joliment avec son sujet. Il s'agit d'un amant qui, ayant eu certain laisser-aller dans un tête-à-tête avec sa maîtresse, cherche à se justifier au moyen d'arguments qui nous paraissent sans réplique ; voici l'avant-dernier :
"Si pour un pet fait par hasard,
Votre coeur, où j'ai tant de part,
Pour jamais de moi se retire,
Voulez-vous que dorénavant
Vous me donniez sujet de dire
Que vous changez au moindre vent ?"
La Bibliotheca Scatologica poursuit : "Cette plaisanterie, l'une des meilleures du genre, a reparu en 1679 avec nom d'auteur, Bardou, sous le titre de : le Pet éventé. Si ce nom de Bardou n'est point un pseudonyme, il est évident que ce flibustier littéraire s'est approprié le bien d'autrui, croyant dissimuler son larcin à l'aide d'un titre renouvelé. Des faiseurs de recueils d'anecdotes et de poésies ont également reproduit cette débauche d'esprit, en indiquant quelquefois Saint-Evremont comme l'auteur."
Je vous l'avoue, lire ce recueil par touches successives, le soir, au coin du feu, promet de beaux moments rigolards du temps de Louis XIV. Si je me penchais d'un peu plus près sur chacune des pièces en vers que contient ce recueil j'y trouverais sans aucun doute quelque légère production de Scarron et autres auteurs burlesques et libertins de ce temps. Laissons-nous encore un peu de temps pour le plaisir de la découverte.
Bonne rentrée à toutes et à tous,
Bertrand Bibliomane moderne