Vous savez que ce sont dans les vide-greniers de Haute-Bretagne que je fais mon marché pendant l’été (et d’ailleurs, j’ai répondu oui à la question du sondage de Bertrand : Continuez vous à rechercher des livres pendant les vacances ?). La Bretagne intérieure est riche d’ouvrages laissés par les moines au cours du Moyen-âge et qui ressortent à l’occasion des successions. On raconte à Bécherel qu’un libraire fut appelé par un agriculteur qui lui demanda s’il était intéressé par un tas de vieilleries qu’il avait sorti d’un grenier. Effectivement des livres anciens avaient été mis en tas au milieu de la cour de la ferme, prêts à être brulés. Le libraire jette un œil et découvre au milieu du tas une édition d’Antoine Vérard. Je ne sais pas si l’histoire est vraie, n’étant pas libraire on ne me propose pas d’aller visiter la cour des fermes, mais je ne doute pas que les poulaillers regorgent d’éditions incunables.
Fig 1 - Lettre d’Or, dans la reliure d’une édition de Johann Amerbach. Un B comme Bretagne ou Brito.
Pour autant je fus surpris, en balade au vide-grenier de Pipriac, de tomber sur la statue de l’inventeur de l’imprimerie, Jan Brito, que voici :
L’histoire de Jan Brito mérite d’être contée.
Il est né à la Ville aux Greniers, en Pipriac dans l’arrondissement de Redon (Ille et Vilaine) vers 1415.
A la Ville aux Greniers, ce jour-là le petit Jean Brulelou qui ne s’appelait pas encore Brito (‘le Breton’) gravait ses initiales sur un morceau de chêne tandis que sa mère préparait de l’encre pour les moines de l’Abbaye de Redon.
Le mélange était prêt ; elle appela son fils pour qu’il l’aide à descendre le chaudron. Jan accourut tenant toujours son couteau et son morceau de bois.
L’anse trop chaude lui brula la main et le bout de bois tomba dans l’encre. Voulant le récupérer il se brula à nouveau les doigts et la douleur lui fit lâcher le morceau de chêne noir d’encre qui s’en alla retomber sur un drap bien blanc.
La fessées qui suivit le fit moins souffrir que ses doigts brulés. Il attendit un moment avant de ramasser son bout de bois gravé et fut très étonné de voir ses initiales reproduites sur le linge, à l’envers.
Eureka ! fit le petit Jan en allant se tremper les doigts dans une baignoire….
Les villes de Haarlem en Hollande, de Mayence en Allemagne, de Strasbourg et d’Avignon se sont longtemps disputées la gloire d’avoir abrité l’inventeur de l’imprimerie et ce, avant Gutenberg. Parmi les prétendants figurent notre Jan Brito
En 1772, le bollandiste Ghesquière découvre un livre de comptes de Jean le Robert, abbé de l’abbaye de St Aubert de Cambrai entre 1432 et 1469, dont un folio 158 contient un passage qui a déclenché toute l’affaire : on y lit « item pour un doctrinal jeté en molle, envoyé quérir à Bruges par Marquet , escrivain de Valenciennes au mois de janvier 1446. »
D’où il fut déduit que le bourgeois de Bruges, Jan Brito en était l’auteur.
Jeté en molle était l’expression consacrée pour parler de l’art d’imprimer, mais aussi des techniques d’impressions xylographiques déjà bien connues pour fabriquer les cartes à jouer.
Cela aurait fait de Jan Brito, le premier typographe, 10 ans avant Gutenberg ! Malheureusement pour cette hypothèse, les bouts de doctrinal qui ont été retrouvés, imprimés par Jan Brito l’ont été sur du papier qui trahissent des ateliers champenois postérieurs à 1464, mais il n’est pas dit qu’il s’agisse de celui cité dans le livre de comptes… !
En effet, dans ses colophons Brito utilise le terme inveniens, suggérant qu’il a construit sa presse lui-même et nullo monstrante pour insister sur le fait qu’il n’a été en apprentissage auprès d’aucun maitre. C’est en quelque sorte un autodidacte. Aurait-il découvert l’imprimerie en même temps que Gutenberg sans rien devoir de lui ?
Jan avait du quitter la Bretagne assez jeune, pour une raison inconnue et avait gagné Tournai, puis Bruges en Flandres, pour y exercer le métier d’écrivain public. On sait peu de chose de son apprentissage. Vers 1430, un atelier d’enlumineurs existe à Rennes, animé par un disciple du Maitre des Heures de Marguerite d’Orléans, épouse de François II. Jan aurait pu y être en contact avec des Maitres brugeois, Bruges était un centre de création important du livre enluminé. Ce qui est sur c’est qu’il a copié des manuscrits où il a mentionné son nom, Johannes Brulelou de Piperiac, datés de 1437 et conservés à la bibliothèque de Leyde, qui ont servi à établir le lien entre Jan Brulelou et Jan Brito puisque qu’apparait en marge une commande d’un libraire de Gand pour l’impression du manuscrit. Or c’est Brito qui se chargea de l’impression.
On retrouve ensuite son nom cité dans différents registres de la « Guilde des librariers », entre 1454 et jusqu’en 1484. Il est officiellement bourgeois de Bruges dès 1455 et le registre des Bourgeois précise : « Jan bortoen, filius Jans van pypryac ».
A l’époque, à Bruges, deux autres imprimeurs officiaient : l’anglais Caxton et Colard Mansion. Caxton prétend avoir fait imprimer le premier incunable brugeois en 1473, ayant appris auprès d’Ulrich Zell, clerc du diocèse de Mayence, lui-même probable apprenti dans l’atelier de Gutenberg.
Bref, Jan Brito n’est peut-être pas le premier imprimeur au Monde mais c’est le premier imprimeur Breton, avec comme date certaine l’année 1477, mentionnée sur une impression.
Curieusement l’art typographique se développe en Bretagne à partir de 1484, l’année où la trace de Jan Brito se perd à Bruges. Cinq ateliers typographiques ont fonctionnés en Bretagne au XVème siècle, dans l’ordre chronologique, celui de Bréhant Loudeac (le Trépassement de la Vierge, déc. 1484) de Rennes (La coutume de Bretagne, 26 Mars 1485) de Tréguier, de Lantenac et de Nantes (1485, 91 et 93).
Les impressions de Bréhant Loudeac forment la série la plus nombreuse et la plus intéressante. Cette commune n’a jamais été qu’un gros village, une paroisse rurale compris dans le domaine de Jean de Rohan, qui fut le protecteur de Robin Foucquet et de Jean Crès, peut-être le premier introducteur de l’art typographique en Bretagne. Les dix premières impressions ont toutes le même format, le même papier avec le même filigrane, le même nombre de lignes à la page ; on dirait le même livre ! Des livres de piété, comme le Trépassement de la Vierge, la loi des Trépassés, le Miroir d’or de l’âme pécheresse, etc. Il faut reconnaitre, sinon un plan arrêté, du moins l’idée de former sous un format facile et en langue française, une sorte de petite encyclopédie morale, religieuse et juridique.
Je ne les ai pas encore rencontrées dans mes vide-greniers.
Bonne Journée
Textor