dimanche 11 juillet 2010

Une Histoire Naturelle de Pline l’Ancien (1483).


Les vacances approchent ; c’est toujours l’occasion de se rapprocher de la nature ; il me parait judicieux d’emporter dans vos valises l’Histoire Naturelle de Pline. (Attention à la taxe de surcharge à l’aéroport !). C’est un ouvrage passionnant et le premier livre scientifique à avoir été imprimé.

Caius Plinius Secundus naquit en 23 de l'ère chrétienne. Le lieu de sa naissance est incertain, placé selon les uns, à Vérone ; selon les autres, à Côme (Novocomum). Ce qui fait croire que Pline est de Vérone, c'est que des manuscrits portent en effet Plinius Veronensis, mais l’exemplaire présenté ici porte Novocomensis !

Fig 1 Première page de cette édition qui débute par une préface, en aaii, sans autre page de titre ?.

Avec, les renseignements disséminés dans l'ouvrage de Pline, on a pu dresser une histoire de sa vie. Vers 35, son père l'emmène à Rome, où il confie son éducation à un de ses amis, le poète et général Publius Pomponius Secundus. Pline y acquiert le goût d'apprendre. Deux siècles après la mort des Gracques, le jeune homme peut admirer certains de leurs manuscrits autographes dans la bibliothèque de son précepteur. Il leur consacre plus tard une biographie. À Rome, il étudie la botanique au topiaire d'Antonius Castor et voit les anciens « arbre lotus » sur les terrains qui avaient appartenu auparavant à Crassus (voir plus loin , livre 17 ) . Puis Il sert dans l’armée et, en 47, participe à la conquête romaine des Chauques, tribu germanique du littoral. Il note les sites associés à l'invasion romaine en Germanie et écrit une « Histoire des guerres germaniques », en 20 livres, malheureusement perdu aujourd’hui. Cet ouvrage, cité comme référence par Tacite, était probablement une des principales sources sur les peuples de Germanie.

En l'an 63, sous le règne de Néron, il publie son livre intitulé « Des studieux » (Studiosorum libri). C'est l'époque de la naissance du fils de sa sœur, Pline le Jeune., qui nous a laissé une précieuse correspondance sur laquelle je reviendrai un jour.

L'an 78, à cinquante-cinq ans, il dédie son Histoire naturelle à Titus, et un an après, il meurt à Stabies, dans l'éruption du Vésuve, victime de sa curiosité. Pline le Jeune a raconté par le menu dans une lettre à Tacite les circonstances de cette fin tragique.

Fig 2 La table des Matières présente chacun des 37 livres avant d’en détailler chaque chapitre.

Des ouvrages de Pline un seul est arrivé jusqu'à nous, son Histoire naturelle. Pline le jeune nous dit que « L'Histoire naturelle (en 37 livres) est un ouvrage étendu, savant, presque aussi varié que la nature elle-même. »

En fait c’est une sorte d’encyclopédie qui traite de multiples sujets, en partant du monde astronomique jusqu’aux réalisations humaines, tout y passe. Ces principales parties se décomposent comme suit :

- le premier livre expose la structure de l'univers,
- les livres III et IV sont consacrés à la géographie,
- les livres VII à XI aux Animalia, c'est-à-dire à tous les êtres vivants, hommes et animaux,
- les livres XII à XIX à la botanique,
- XX à XXXII à la médecine ;
- les livres XXXIII à XXXXVII traitent des minéraux, métaux et pierres précieuses. et il fait à la fois l'histoire des procédés d'extraction de ces substances, et celle de la peinture et de la sculpture chez les anciens.

Fig 3 Le livre Quatrième

Pline est la référence pour de multiples données sur le monde romain antique. Ainsi, l’exposition présentée actuellement à la Bibliothèque Nationale sur les manuscrits de la mer Morte, rédigés aux environs du Ier siècle av. J.-C. et retrouvés en 1947 dans des grottes près de Qumrân, cherche à percer le mystère du peuple qui a écrit et conservé ces manuscrits (peut-être les Esséniens).
Et savez-vous qui a relaté l’existence de cette communauté ? Pline, bien sur, qui nous dit « qu’à l’occident du lac d’Asphaltie (Mer Morte) les Esseniens (Hessenorum) fuient le littoral tant il est nocif, C’est un peuple unique dans le Monde entier, sans aucune femme, ayant renoncé à tout ce qui est de Vénus, sans argent, vivant dans la société des palmiers. » (Liv. V, 17). Ils pratiquaient un mode de vie très austère selon les prescriptions de la Torah, accessoirement, ils nous ont laissé le texte le plus ancien connu de la Bible.

Fig 4 Livre 5, Gens Hessenorum

Contrairement à d’autres textes antiques, l’Histoire Naturelle de Pline l’Ancien n’a jamais été perdue. Tout à l’inverse, même, il a fait l’objet, dès l’Antiquité et jusqu’à la fin du Moyen-âge, de copies multiples du texte entier, aussi bien que d’abréviations, et de commentaires, si bien que le texte a fini par être assez corrompu.

Fig 5 les animaux aquatiques

La première édition voit le jour à Venise, sous les presses de Johannes de Spira en 1469 (et non pas Nicolas Jenson comme le mentionne certaines sources), suivie l’année suivante d’une seconde édition publiée à Rome par Giovanni Andrea Bussi, évêque d’Aléria, sur la presse de Sweynheym et Pannartz.. À peine publiée, cette édition, rééditée en 1472, fait l’objet d’une levée de boucliers et son éditeur est voué aux gémonies. Les critiques les plus vives émanent d’un autre ecclésiastique, Niccolò Perotti (1430-1480). Celui-ci publie, annexé à son Cornucopiae, un texte mettant en évidence les vingt-deux erreurs fondamentales de Bussi. Il produit lui-même une édition (la 4ème) en 1473, à Rome, chez les mêmes Sweynheym et Pannartz, qui n’est pas exempt de critiques.

Philippe Béroalde s’attaque donc au sujet et publie une édition à Parme en 1476, ce texte sera repris par les éditions suivantes (Trevise, 1479 ; Parme, 1480 et 1481) puis par celle présentée ici, imprimée à Venise par Rainaldus de Novimagio, en 1483. Mais là encore des publications mettent au jour de nombreuses erreurs dans l’établissement du texte. L’une des plus connues fait suite à un échange de lettres entre Ange Politien et Niccolò Leoniceno, médecin établi à Ferrare. Cet échange déboucha sur la publication du célèbre De erroribus Plinii et aliorum recentiorum medicorum, en 1492, c’est le début d’une traque aux erreurs des copistes, qui aboutit à la publication des Castigationes d’Ermolao Barbaro, gros travail de critique textuelle et de collation de manuscrits, mais aussi de réflexion sur le texte. Les principales corrections de Barbaro seront fréquemment adoptées par les éditeurs successifs du texte.

Voici quelques extraits du livre tirés de la traduction d’Emile Littré, tantôt insolite, tantôt poétique, pour vous donner envie de lire la suite :

Fig 6 Extrait du Livre 6, le Pont Euxin

« Le Pont-Euxin appelé jadis Axenus (IV, 24) à cause de la barbarie inhospitalière des peuples qui en habitaient les rives, s'épanche, lui aussi, entre l'Europe et l'Asie, grâce à une malignité particulière de la nature, qui cède sans terme à l'avidité de la mer. Ce n'était pas assez que l'Océan entourât les terres, et que, augmentant l'étendue des lieux inhabités, il eût englouti une partie des continents; ce n'était pas assez qu'il eût fait irruption à travers les montagnes brisées, qu'il eût arraché Calpé à l'Afrique, et noyé des espaces plus grands que ceux qu'il laissait découverts; ce n'était pas assez que par l'Hellespont il eût versé la Propontide aux dépens de nouvelles terres qu'il dévorait; il fallait qu'à partir du Bosphore de Thrace il se développât en une autre immensité, toujours insatiable, jusqu'à ce que le Palus-Méotide joigne à ces eaux débordées son contingent de spoliations. »

Fig 7 Début du Livre 8, l’Eléphant

« Passons aux autres animaux, et parlons d'abord des animaux terrestres. L'éléphant est le plus grand, et celui dont l'intelligence se rapproche le plus de celle de l'homme; car il comprend le langage du lieu où il habite; il obéit aux commandements; il se souvient de ce qu'on lui a enseigné à faire; il éprouve la passion de l'amour et de la gloire; il possède, à un degré rare même chez l'homme, l'honnêteté, la prudence, la justice; il a aussi un sentiment religieux pour les astres, et il honore le soleil et la lune. »

C’est vrai qu’un troupeau d’éléphants qui arrive sans bruit au point d’eau par une nuit de pleine lune possède un côté mystique ….

Fig 8 Livre 10 La nature des oiseaux : les autruches

« … ce ne sont pas des oiseaux, et elles ne s'élèvent point de terre. Leurs pieds sont semblables à ceux du cerf, fourchus; elles s'en servent pour combattre, saisissant des pierres, qu'elles lancent envoyant contre ceux qui les poursuivent. Dévorant tout indistinctement, elles ont la singulière faculté de tout digérer; mais leur stupidité n'est pas moins singulière : elles s'imaginent, avec un corps si grand, que lorsqu'elles ont caché leur tête dans les broussailles on ne les voit plus.»

Fig 9 Liv 14 Le bon vieux temps

« Ce dont je ne puis assez m'étonner, c'est que le souvenir de certains arbres et la connaissance des noms que les auteurs ont rapportés aient disparu. Et cependant qui ne penserait, vu les communications ouvertes entre les parties du monde, vu la grandeur majestueuse de l'empire romain, que la civilisation a fait des progrès, grâce à l'universalité des échanges et à la jouissance commune d'une paix fortunée, et qu'une foule d'objets qui jadis étaient demeurés cachés sont devenus d'un usage vulgaire ? Mais aujourd'hui on ne trouve plus personne qui connaisse tout ce que l'antiquité a relaté; tant l'industrie des anciens a été plus féconde, ou leur habileté plus heureuse. Il y a mille ans qu'Hésiode, à l'origine même des lettres, a commencé à donner des préceptes aux agriculteurs, suivi en cela par bon nombre d'autres. De là accroissement de labeur pour nous; car il faut rechercher non seulement les découvertes des modernes, mais encore celles des anciens, au milieu de l'oubli que l'incurie a jeté sur les choses. Quelles causes assigner à cette léthargie, si ce n'est les causes générales du monde? »
Cette envolée démontre, s’il est besoin, que l’homme a toujours regretté le temps passé !


Fig 10 Les arbres fruitiers (Livre 15)


Fig 11 L’histoire des arbres de Crassus (Livre 17)

« Les arbres croissant spontanément sur la terre et dans la mer sont décrits. Reste à décrire ceux que le génie inventif de l'homme forme plutôt qu'il ne les fait naître. Mais auparavant j'exprimerai mon étonnement qui après la pénurie primitive que j'ai décrite (XVI, 1) où la forêt appartenait en commun aux bêtes fauves, et où l'homme disputait aux quadrupèdes les fruits tombés, aux oiseaux les fruits pendants, le luxe ait attaché aux arbres un prix si exorbitant. L'exemple le plus célèbre de cet excès est, je pense, celui de L. Crassus et de Cn. Domitius Ahenobarbus.

Crassus fut un des plus illustres orateurs romains; il possédait une maison magnifique, cependant il y en avait de plus belles : celle de Catulus, qui vainquit les Cimbres avec Marius, placée aussi sur le mont Palatin,..... Un jour, Cn. Domitius, d'un naturel emporté, et enflammé par la haine, que la rivalité rend plus agressive, fit un grave reproche à Crassus d'habiter, lui censeur, une maison d'une aussi grande valeur, déclarant en donner 6 millions de sesterces. Crassus, qui à une présence d'esprit imperturbable joignait une finesse railleuse et spirituelle, répondit qu'il acceptait, à part six arbres qu'il se réservait. Je n'en donne pas un denier, dit Domitius, si les arbres n'en sont pas. Eh bien, Domitius, reprit Crassus, lequel des deux donne un mauvais exemple et mérite d'être noté par sa propre censure, de moi qui demeure honnêtement dans une maison reçue par héritage, ou de vous qui estimez six arbres 6 millions de sesterces ? Ces arbres étaient des lotos (cellis australis, L.) dont les rameaux touffus donnaient un ombrage délicieux ».


Fig 12 Livre 23, Des remèdes tirés des arbres cultivés


Bonne Journée
Textor

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