Vous souvenez-vous ? Samedi 20 décembre 2008 : Un bouquiniste parisien : Le Père Lécureux (1795-1875) - article publié en son temps par le Bibliomane moderne alors tout à sa tâche de tâcheron bibliophile ! 5 ans ! 5 ans ont passé ! Diantre ! Que le temps passe vite en bonne compagnie ! Je n'ai pas vu passer ces cinq dernières années "bibliophiliques" et pourtant ... (j'ai bien peur qu'en 5 ans quelques bibliophiles qui nous lisaient ne soient déjà plus de ce monde ... et que d'autres n'étaient pas encore nés à la Bibliophilie - une pensée émue pour les premiers et un salut amical pour les seconds).
Bref, passons à autre chose, enfin presque. Cinq ans plus tard je mets la main sur un autographe qui fait écho au passé. Il s'agit d'une lettre envoyée par le bibliophile François Fertiault (l'auteur des Amoureux du Livre paru en 1877) à son ami poète et bibliophile Alexandre Piedagnel. Cette lettre fait partie d'une correspondance d'une bonne vingtaine de lettres acquises l'an passé un peu par hasard. Je ne sais pas encore si je vais conserver ces lettres ou bien les remettre en circulation pour en acquérir d'autres, mais dans l'intervalle, je souhaitais vous faire profiter de ces quelques lignes, qui je pense, intéresseront les lecteurs du Bibliomane moderne (un peu en perdition ces derniers temps je dois bien l'avouer ... au profit du blog Octave Uzanne qui occupe presque tout mon temps (et encore il m'en manque !).
Voici la transcription de la lettre :
Paris 10 février [18]86.
Bien cher Poëte,
De nous deux à vous deux bien cordial merci !
J'allais juste vous écrire, car je viens de mettre la dernière main (du moins je le penseà au "Père Lécureux", que vous trouverez ci-joint. - Dans une note je dirai à qui je dois la matière de ce sonnet.
De ce que vous avez bien voulu m'envoyer j'ai dégagé deux millésimes (naissance et mort) approximatifs. Je vous serais très reconnaissant de me les redresser s'ils ne sont pas justes.
Je suis en plein dans la préparation de mon livre, qui ne paraîtra pourtant que vers la fin de l'année.
Merci encore, et toutes mes sympathies, à vous et à Madame Piedagnel.
F. Fertiault
Voici le sonnet composé par François Fertiault en janvier 1886 :
Le Père Lécureux
(1796 - 1876)
à Alexandre Piedagnel.
C'est lui qui s'en allait recueillant les épaves,
Les tomes orphelins, bien ou mal habillés.
Des pertes il voulait guérir les douleurs graves
En offrant au quêteur ses vieux dépareillés.
Oh ! le bon ! Oh ! l'utile ! Oh ! le brave des braves !
Il consolait toujours les pauvres dépouillés.
Oeil sûr, en son dédale il n'avait point d'entraves ;
Les acheteurs, munis, sortaient émerveillés.
Et, durant soixante ans de bizarre abondance,
Des textes incomplets il fut la providence. -
Mais le sombre venait à l'active fourmi ;
De sa vogue ébranlée on l'entendait se plaindre.
Il est mort en voyant son cher métier s'éteindre ...
Le bouquin secourable a perdu son ami !
F. Fertiault (*)
Voilà. Ce n'est pas grand chose, mais moi cela m'émeut de penser qu'à une certaine époque on pouvait rimer sur les bouquinistes et les libraires de son temps. Qui ferait cela aujourd'hui quand une bonne part s'exprime sans façon, sans style, platement et sans envergure. Il nous manque quelques Fertiault et quelques Cyrano dans ce XXIe siècle bibliophilique pourrissant sous l'égoïsme, l'argent et le venin des hommes de mal.
Bonne soirée,
Bertrand
(*) nous avons retrouvé trace de ce poème publié dans la Revue du Siècle de 1899 (Volume 13, p. 328)