jeudi 10 novembre 2011

Francis Bedford (1799-1883) : the eminent bookbinder.



Le personnage qui vous est présenté ce soir est un relieur. Un relieur d'art diront certains. Assurément excellent artisan, démontrant par ses travaux une parfaite maîtrise de son art. Habile faiseur de beaux livres, créateur audacieux souvent, devancier diront certains, servile copieur diront les autres. Quoiqu'il en soit, ce relieur d'outre manche, mérite qu'on s'attarde, et sur son parcours professionnel, et sur son oeuvre. Il est à mon sens, l'un des rares relieurs anglais à mériter autant d'éloges. Ceux qui me lisent régulièrement ici savent tout le bien que je pense de l'art de la reliure en Angleterre entre le XVIIe et le XIXe siècle. Rares sont les spécimens de reliures anciennes venues de la Perfide Albion parvenus jusqu'à nous dans les conditions optimales que peut souhaiter un bibliophile exigeant. Mais là, j'avoue, je m'incline.


Francis Bedford, c'est son nom. La suite est en anglais et est un extrait de : "The Rushton M. Dorman, Esq. library sale catalogue (1886): the study of the dispersal of a nineteenth-century american private library", volume I, edited by Samuel J. Rogal, p. 47 :

"Born at Paddington, London, the son of a courier attached to the court of George III, Francis Bedford (1799-1883) went off to a school in Yorkshire, during which time his father died. Upon the young man's return to London in 1817, his guardian, one Henry Bower of No. 38 Great Marlborough Street, apprenticed him to a bookbinder by the name of Haigh, in Poland Street, Oxford Street ; following a short term there, he moved on to another binder named Findlay, also situated in Poland Street. At the end of his apprenticeship, Bedford entered the bookbinding trade as an assistant to one of the best bookbinders of his day, Charles Lewis (1786-1836), at No. 35 Duke Street, St. James, London and he eventually succeeded Lewis as head of the firm. From 1841 until dissolution in 1850, he functionned in partnership with John Clarke, who excelled in binding books in tree-marbled calf, at No. 61 Frith Street, Soho. Because of ill health, Bedford left England for the Cape of Good Hope, and after returning to England he resumed his trade at Blue Anchor Yard, York Street, Westminster, and also conducted business at 91 York Street. He died at his residence in Shepherd's Bush, Hammersmith, London, on 8 june 1883. Bedford profited significantly from the patronage of the Duke of Portland. The firm of Sotheby, Wilkinson, and Hodge disposed of Bedford's books in March 1884, the sale realizing a total of £ 4.876 16s. 6d." (The editor).

Voilà qui résule très bien son parcours professionnel depuis son apprentissage chez des mêmes relieurs anglais du début du XIXe siècle jusqu'à son installation et sa consécration à Londres.


La reliure que j'ai sous les yeux et que vous pouvez voir ci-dessus, laisse croire à un travail tout droit sorti de l'atelier d'un Trautz-Bauzonnet, d'un Lortic ou d'un Cuzin, voire d'un Duru. De prime abord, rien ne laisse à penser que cette reliure est "anglaise". Le texte qu'elle recouvre (le Manon Lescaut de 1733, nous aurons l'occasion d'en reparler très bientôt d'ailleurs), a certainement incité le relieur anglais à "franciser" sa reliure au point d'en faire un pastiche parfait des meilleures productions françaises de l'époque.

Je lis dans une notice rédigée encore une fois dans la langue de Shakespeare : "But the very best of MM. Cape, Cuzin, Chambolle-Duru, De Samblancx, Gruel and Engelmann, Joly, Lortic, Marius-Michel, Niedree, Quinet, and Ruban, attains a very high standard of excellence. Now and again, no doubt, we find a French binder who has sacrificed forwarding to finishing, having made his book so solid and so stiff that it can scarcely be opened, and so compacted that if it is opened unwarily the back is broken beyond repair. Books I have seen fresh from the hands of a Parisian binder as brilliant as a jewel casket, and as hard to open as a safe-deposit vault when you have forgotten the combination. The relatively high position held by the binders of Great Britain was momentary only, and at best it was due to the temporary decadence of the craft in France. Of late years, at least, bookbinding has shared the misfortune of most of the other fine arts in England, and has lingered in a condition only less lamentable than that of sculpture and painting because it contented itself chiefly with dull and honest imitation of the dead-and-gone masters. Every artist must needs serve his apprenticeship and follow in the footsteps of a teacher, but where Trautz, for example, sought inspiration only, Bedford and the other British binders found models which they copied slavishly. The workmanship of the bindings that left their shops was honest and thorough, but the decoration was lifeless and colorless. The British artisan forwarded conscientiously, but the finishing of the British artist was sadly to seek." (Notes of a Book-Lover by Brander Matthews).

Puis plus loin on lit : "How inert the art of bookbinding was in England during nearly four-score years can be seen by glancing over the "Catalogue of Fifteen Hundred Books. Remarkable for the Beauty or the Age of their Bindings" issued by Mr. Quaritch in 1888. Here the curious inquirer will find, under numbers 1325-1345, a score of books bound by Francis Bedford, whom Mr. Quaritch declares to be the best binder who ever lived - meaning thereby, no doubt, the best forwarder; and everyone of these books is finished in imitation of some French binder. (...)"

Un relieur d'exception pour une grande partie du métier, libraires et bibliophiles s'accordent à lui tresser des couronnes de laurier, semble-t-il méritées. Je lis un autre commentaire : "the leading Victorian binder" La classe ! ... "He was described by Hobson as "an admirable craftsman, content as a designer to be merely imitative". Et encore : "Americans were among the best customers of Francis Bedford, and the catalogue of the Grolier Club exhibition proves that they have been persistent purchasers of the best work of contemporary French binders. And yet Francis Bedford was capable of original work, simple always, but with a quiet dignity of its own."

Mais les bibliophiles français n'étaient pas en reste. Français ou exilés de France. C'est en effet à Londres que le Duc d'Aumale, bibliophile qu'on ne présente plus, rencontra le relieur Bedford et lui confia certains travaux de reliure. Le duc d'Aumale appréciait le travail de "l'habile et modeste Bedford" lit-on dans Le Duc d'Aumale et les relieurs de son temps, le choix du Prince en 1862 (extrait de Le Cabinet des livres du duc d’Aumale, Livres imprimés rares : XVe - XIXe siècles. Liste des ouvrages exposés). Bedford a semble-t-il réalisé des reliures à décor rétrospectif sur des impressions du XVIe siècle pour le Duc d'Aumale (Pouahh ! des maroquins de Bedford sur des Post-incunables s'écrie d'ici le Textor !)

L'exemplaire en maroquin rouge que vous pouvez voir ci-dessous n'a pas de provenance avérée. Pas d'ex libris. Je ne sais donc pas à qui il a appartenu. Je sais juste qu'il a été vendu aux enchères en 1897 (on le retrouve mentionné dans le Book Sales of 1897 - catalogue auquel je n'ai pas accès malheureusement). Il faut que je regarde dans le copieux catalogue de la collection Robert Hoe, sait-on jamais.

Comme dit plus haut, les livres de la bibliothèque personnelle du relieur Francis Bedford ont été vendus chez Sotheby's en mars 1884, peu de temps après sa mort survenue en 1883.

Bedford a-t-il mis les pieds en France ? Si oui a-t-il cotoyé quelques grands relieurs français de son temps ? Capé ? Duru ? Bauzonnet ? Je n'ai pas réussi à le savoir.

Pour terminer cette petite présentation succinte d'un grand nom de la reliure du XIXe siècle, à placer au même niveau que les plus grands, voici une petite galerie de reliures sorties de son atelier. Vous pouvez constater à la fois le clacissisme de Bedford et sa créativité évidente aussi.







Si vous possédez quelques reliures signées F. BEDFORD, n'hésitez pas à m'envoyer une photo à bertrand.bibliomane@gmail.com Je me ferai un plaisir de l'ajouter à celles-ci.

Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne

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