mercredi 11 novembre 2009

Un peu de lecture... Un livre à clef inconnu ou presque... Une énigme difficile ?




Chers amis,

permettez-moi tout d'abord de rendre hommage à mes deux arrière-grand-père morts pour la France au cours de la première guerre mondiale. Celui qui vous écrit chaque jour a une bonne part de son sang qui est l'héritage, pas si lointain, d'un isérois né dans la pauvreté monté Paris pour faire coche d'eau et finalement fauché en 1917 à Montmédy, l'autre, militaire de carrière, ayant traversé tous les conflits de l'Afrique du nord sans encombre, terribles guerres absurdes, avec un état de service long comme le bras, revenu en France en 1918 pour y mourir le 17 octobre 1918, achevé par un éclat d'obus à la cuisse, gisant dans la plaine de Chauny. Triste sort réservé aux héros anonymes ! Un nom épelé une fois l'an face à un monument terne, devant un parterre presque vide. Souvenons-nous ! Cette aparté étant fait, passons à des choses plus réjouissantes.

Je vous propose ce soir trois choses comme l'annonçait le titre du billet : un peu de lecture... un livre à clef inconnu ou presque... une énigme difficile ?

Je travaille actuellement à la saisie intégrale du texte d'un ouvrage publié en 1665, rare, si rare que les bibliographes ne l'évoquent pratiquement pas, si rare que seule la bibliothèque de Grenoble semble en posséder un exemplaire, si mystérieux que je n'arrive pas encore à savoir ce qu'il contient vraiment de vérités, de mensonges, d'inventions et de révélations.

J'ai décidé de vous faire profiter de mes travaux en cours tout en conservant une certaine part de mystère, et ce, afin de ne pas vous influencer outre mesure dans vos potentielles déductions.

Je ne vous donnerai donc pas le titre de l'ouvrage (bien que les plus malins d'entre vous le trouveront aisément s'ils parcourent les archives du Bibliomane moderne - en ce cas merci de rester discret pour les autres...).

Je vous livre ci-dessous la table des nouvelles "historiques" que ce petit livre contient. Il s'agit bien évidemment d'un livre à clef, mais pour lequel visiblement, ni M. Drujon, ni les autres spécialistes du genre, n'ont planché (sauf erreur de ma part bien entendu... ce qui est tout à fait... fort possible...). Ensuite je vous livre l'avis au lecteur "Amy lecteur.", très instructif et qui ne voile qu'à moitié les intentions de l'auteur quant à la véracité des faits qu'il raconte. Enfin, je vous livre la première nouvelle, entièrement saisie à ce jour et qui vous permettra de mieux appréhender l'auteur, son style, l'époque, les personnages, l'histoire et pourquoi pas : une vérité voilée. Je vous laisse vous débrouiller avec tout ceci. Evidemment, si nous sommes lus par des dix-septièmistes confirmés, ils seront sans doute les premiers à apporter des éléments intéressants, et on s'en félicite. Mais à mon avis... pas si facile !


TABLE

DES

HISTOIRES

CONTENVES

en ce livre.


D’Eraste et de la Duchesse de Silesie, nommée Filoxene. Page 1

De Filizel et d’Ildegrade, 37

D’Eraste et d’Ildegrade, 56

De Cleomedon, Rosinde et Eliane, 87

De Dorinde et de Dorclas, 110

Dantenor et de Lydie, 138

De Lindemar et de Stéphanie, 142

De Licidan et de Gracinde, 225

Du Duc de Lucie et de la belle Argie, 236

De Florizel et de Stéphanie, 249

AMY

LECTEUR.


[lettrine I] Je crois qu’il est à propos de vous avertir que ce livre n’est pas une suite des aventures d’Eraste seul, mais plusieurs Histoires différentes auxquelles il a eu la plus grande part. L’on s’est imaginé que le Lecteur s’y délasserait plus agréablement par la diversité des sujets qui le composent, que s’il se trouvait engagé de le lire tout de suite, pour n’y rencontrer qu’à la fin le même plaisir qu’il y trouvera à la conclusion de chaque Aventure. Vous le recevrez, s’il vous plait, comme un Roman, comme une Histoire, enfin comme une narration vraie ou fausse, pourvu que vous en soyez satisfait. C’est la seule intention que j’ai dans la lecture que vous en ferez ; puisque si vous en êtes content, comme je n’en fais aucun doute, j’en ai d’autres qui ne cèderont en rien à celles-ci, et que je vous donnerai avec d’autant plus d’empressement, que je serai assuré de l’accueil favorable que vous leur ferez. Je vous demande seulement que vous ne le censuriez pas sans y avoir fait auparavant une petite reflexion, et sans avoir considéré qu’il est assurément considérable par plus d’une raison, que vous devinerez, si bon vous semble, ou du moins si vous pouvez. Adieu.


ERASTE,

NOVVELLE.

[Filet mince]

D’Eraste, et de la Duchesse de Silesie.


[Lettrine A] Avant que je die rien de ce qui se passa chez cette incomparable Duchesse, il est à propos que je parle d’elle, puisqu’elle y avait tant de part. Filoxene n’était pas de ces beautés où l’on ne trouve rien à redire, toutes les parties de son visage n’eussent peut-être pas trouvé leur compte en détail : mais à les considérer ensemble, elles formaient un composé fort agréable ; ce qu’elle accompagnait d’un esprit doux et complaisant, qui sont des charmes bien puissants pour captiver les gens, lors qu’ils y songent le moins. Sa taille n’était pas des plus grande, mais bien proportionnée ; et pour tout dire, en un mot, elle était de la maison de Silesie, qui a toujours été pourvue de tout ce qui rend parfaitement aimable. Toutes les Dames de la Cour de Perse donnaient des repas, et ensuite elles étaient régalées de violons, où tout le monde venait en foule. La Duchesse de Silesie étant un jour chez Miragarde avec la femme de Ballan, Rotinde, Lizée, Ildegrade, Armise, Corisande, et plusieurs autres, dont quelques unes proposèrent l’assemblée chez eux ; mais dès que la Duchesse eut parlé, toutes d’une voix la prirent au mot, et arrêtèrent que ce serait le lendemain ; ce qu’elle accorda avec d’autant plus de joie, qu’elle se plait infiniment à ces sortes de divertissements, et que si l’on la croyait, l’on serait tous les jours chez elle. Armise voyant la partie faite, prit congé de Miragarde, et promit à Filoxene de se rendre le lendemain chez elle ; puis après toute la Compagnie se retira chacune de son côté. Eraste ne fut pas longtemps à savoir ce qu’elles avaient conclu entre-elles, Corisande souhaitait trop se mettre fort avant dans ses bonnes grâces, pour manquer cette occasion : Elle alla droit chez Perfide, où elle ne manqua pas de le rencontrer, et de lui dire adroitement ce qui se venait de passer ; ce qu’Eraste reçut assez froidement, ne sentant pas encore pour elle les mêmes sentiments qu’il a eu depuis. Elle ne se rebuta point, et crut qu’il n’avait pas compris ce qu’elle lui voulait dire ; mais elle fut bien étonnée, quand après lui avoir répété encore la même chose à l’oreille, il s’ôta d’auprès d’elle, et insensiblement sortit de la chambre. Comme il est assez ordinaire de se flatter de son propre intérêt, et que l’on a peine à se persuader des choses que l’on appréhende, Corisande ne pouvait pas s’imaginer qu’il eut rien entendu : Mais Eraste l’avait fort bien oui, et ne voulut pas en faire semblant ; car aussitôt qu’elle lui eut appris, il fit dessein d’y aller en masque, et d’y mener Stephanie : Ce fut ce qui l’obligea à ne vouloir pas que l’on crût qu’il su cette partie. Dès qu’il fut dehors de chez Perfide, il alla chez Stephanie, et lui conta comme il avait fait le sourd à Corisande, lui faisant valoir autant qu’il peut le mauvais traitement qu’il lui avait fait. Il la pria de se masquer, afin de voir plus agréablement tout ce qui se passerait chez la Duchesse de Silesie : il n’eut pas besoin de beaucoup d’éloquence pour la persuader, quelque résolution qu’elle eut faite de ne point sortir. Il alla souper chez Perfide, et revint la trouver tout aussitôt. Afin que la chose fut plus secrète, il ne voulut pas que personne y allât que lui. Stephanie et Theophile, a qui il donna Licine à mener, pour ne le pas laisser inutile. Il ne voulut pas que la Mascarade fut non seulement pompeuse, mais même propre, puisqu’ils prirent tous les plus méchants habits qu’ils purent trouver. Eraste prit une robe de Palais, et en fit mettre une à Stéphanie, et Theophile mit un habit de Vieillard, et Licine un ajustement de Villageoise. Cette troupe ainsi accommodée se mit en chemin pour aller chez la Duchesse, où ils croyaient que personne ne les reconnaitrait ; mais il est assez difficile que le secret que peu de gens ont en partage, vienne si à propos dans les esprits de ceux qui sont témoins de ce que l’on veut cacher, outre qu’il est extrêmement malaisé qu’une personne de la qualité d’Eraste, se puisse empêcher d’être connu. A l’abord qu’ils arrivent, l’on douta quelque temps de la vérité, les voyant vêtus comme ils étaient, mais à la fin Eraste en dansant, laissa voir par le devant de sa robe des marques, qui assurèrent tout le monde de ce que l’on ne croyait que légèrement ; Cloridan eut beau l’avertir de la refermer, il ne le pût faire si promptement que Filoxene, qui avait le plus d’empressement à le reconnaitre, ne le vit assez pour n’en plus douter. Elle lui fit les honneurs de chez elle avec tant de grâces, accompagnant ses civilités d’une certaine bienséance, qui arrêtent quelque temps Eraste à la considérer, et même un peu trop attentivement pour le repos de Stephanie, qui jalouse au dernier point, ou feignant de l’être, s’en aperçût tout aussitôt. Toutefois elle ne fit pas semblant de rien, et voulut être plus assurée de la vérité. Eraste alla prendre Filoxene pour danser, et dans ce moment elle lui parut si charmante, qu’il ne peut pas se rendre maître de ses premiers mouvements, qui étaient fort en faveur de la Duchesse. Après qu’il eut dansé, il la considéra toujours avec beaucoup d’attention, et la trouvant plus agréable, plus il la regardait, il se laissa tellement aller à sa passion naissante, qu’il ne songea plus à Stephanie, qui fut demeurée comme un Avocat de peu de réputation, si Cloridan, qui était bien aise de mettre sa cause entre ses mains, ne l’eut entretenue. Comme elle l’avait de tout temps bien plus véritablement aimé qu’Eraste, qu’elle ne considérait que par intérêt, elle trouva dans sa conversation de quoi se consoler agréablement du procédé de ce Prince. Pendant qu’il devenait amoureux de Filoxene, qui n’épargnait rien pour lui plaire, en quoi elle aurait merveilleusement bien réussi, si les premières affections, lorsqu’elles sont un peu fortes, ne se r’allumaient aisément, outre que Stéphanie était assurément bien plus belle que la Duchessse ; mais à la vérité elle n’avait pas l’esprit si brillant, ni de petites manières enjouées comme elle. Tant qu’ils furent dans l’assemblée, s’il n’oublia rien de ce qui le pouvait mettre bien avec l’une ; aussi n’oublia-t-il rien de tout ce qui le pouvait brouiller avec l’autre. Stephanie lui fit de sensibles reproches de ce qu’il ne l’avait amenée là que pour être présente à son inconstance, afin qu’elle n’en pu plus douter ; qu’il n’était pas besoin qu’il ajouta cette dernière marque de sa légèreté pour la persuader, puisqu’il savait bien qu’elle lui avait toujours dit, qu’elle le connaissait pour l’homme du monde le plus changeant. Elle continua toujours jusques au carosse, sans lui donner le moindre loisir du monde de se justifier. A la fin comme il ne vit plus le nouvel objet de sa flamme, il se trouva plus fort, et l’ancienne tendresse qu’il avait eue pour elle faisant son effet, il eut quelques repentir de ce qui s’était passé : il lui dit cent choses pour la désabuser, mais elle qui avait r’allumé ses feux pour Cloridan, trouva de nouvelles glaces pour Eraste ; si bien qu’il ne put rien gagner sur son esprit du reste de la soirée. Ce ne fut pas sans inquiétude qu’il s’apperçut de la colère où il était , il passa la nuit avec tout le chagrin possible, et dès le matin il m’envoya quérir pour lui porter un billet, ce que je fis avec ma fidélité ordinaire ; mais comme Stephanie ne se fiait pas moins à moi qu’Eraste, elle ne l’eut pas sitôt ouvert, qu’elle passa en un moment les yeux par-dessus, et me le donna pour le lire, ce que je ne fis qu’après en avoir fait quelque difficulté. Mais à la fin vaincu par sa persuasion ; elle me le fit prendre, en me disant : Vous savez assez ce qui se passe entre Eraste et moi, et je vous crois de plus assez de mes amis pour que vous puissiez voir ce qu’il m’écrit sur la chose du monde dont il aura le plus de peine à se justifier auprès de moi. Elle me raconta tout ce qu’il s’était passé le jour d’auparavant, et m’exagéra sa manière au dernier point. Cependant je me mis à le lire, et trouvai ce qui suit écrit de la propre main d’Eraste. Hé quoi ! mes chères amours, pouvez-vous bien me trahir comme vous faites, et savoir jusqu’à quel point je vous aime. Ne devez-vous pas être persuadée que ma passion est trop forte pour qu’elle diminue. Depuis hier je n’ai point dormi, et si vous ne redonnez mon repos je n’en aurai jamais. Je vous en conjure dès à présent, et ne vous quitterai pas tantôt, que vous ne m’ayez assurée que vous croyez ce que je vous dis. Adieu, mes chères amours, je meurs d’impatience de vous voir moins en colère, puisque c’est sans sujet. Je fis ce que je pus pour lui persuader ce qu’Eraste m’avait ordonné de faire, mais si j’y eu au commencement un peu de peine ; toutefois elle me dit qu’elle verrait bien s’il l’aimait effectivement, et que par sa façon d’agir elle connaitrait ce qu’elle en devrait croire à l’avenir. Enfin je la quittai dans la disposition de n’être pas fort longtemps à se r’accommoder. Je portai ces nouvelles à Eraste, qui m’attendait avec la plus grande impatience du monde. Son attente inquiète fut un peu adoucie par ce que je lui appris, et il m’ordonna de retourner lui dire qu’il irait la voir immédiatement après le diner, à quoi j’obéis promptement ; et dès qu’il eut dîné il s’y en alla, où je le lairai, pour vous dire que cette aventure fut utile à toutes ces deux Dames. Stephanie eut un collier de perles, et le Duc de Silesie le gouvernement qu’il a possédé jusqu’à la mort. Eraste étant chez Stephanie, il fit tant qu’il la désabusa ; mais je crois qu’elle en fit plus pour le collier, que pour ce qu’il lui dit. Quoi ! mon cœur, lui disait-il, vous voulez donc me faire mourir, puisque vous m’aimez assez faiblement pour me croire inconstant sur les plus faibles apparences du monde. Il est vrai que j’ai été longtemps auprès de Filoxene, mais j’étais bien aise de la traiter le mieux que je pourrais, puisqu’elle m’avait reconnu, et que c’était la moindre chose que je pouvais faire pour tous les empressements qu’elle eut, et pour le régal que vous savez qu’elle nous fit ; vous devez être assurée que tant que je vivrai, je n’aurai jamais d’amour que pour vous ; et se mettant à ses genoux, il lui dit qu’il n’en partirait pas qu’elle ne l’eut assuré qu’elle était persuadée de son amitié, et que désormais elle ne le traiterait pas avec tant de cruauté : Et pour l’y obliger davantage, il lui donna un collier de perles qu’il avait acheté depuis peu de la Duchesse d’Etrurie vingt mille écus. Stephanie ne peut résister à des persuasions si pressantes, et le releva avec tant de majesté et de beauté tout ensemble, que dans ce moment il l’aima plus que jamais. Elle lui donna des marques de son côté de ce que peut faire d’obligeant une Maîtresse pour ce qu’elle aime le plus. Ils furent quelques jours dans la meilleure intelligence du monde. Mais le changement est trop naturel pour qu’il ne se rencontre pas également par tout. Eraste aimait effectivement Stephanie, mais soit qu’il commença un peu de s’en lasser, ou que ses façons de faire le rebutassent (car elle le traitait quelquefois avec des mépris incroyables.) Il s’apperçut bien que la Duchesse de Silesie était plus avant dans son cœur qu’il ne s’était imaginé. Dès qu’il la voyait, il sentait une certaine émotion que l’on n’a point quand on est indifférent ; et malgré lui ses pas le menaient toujours où elle était. Il faisait tout ce qu’il pouvait pour s’en empêcher : il se représentait à tous moments les rares qualités de Stephanie, et tout ce qui le devait obliger de l’aimer. Il réussissait même pendant un instant, dans la résolution qu’il faisait de lui être fidèle ; mais dès qu’il voyait le nouveau sujet de sa flamme, un certain charme secret reversait toutes les propositions qu’il s’était faites au contraire. Son cœur commençait à pencher insensiblement du côté de Filoxene. Il trouvait tout ce qu’elle faisait toujours admirablement bien, et tout ce que faisait Stephanie ne lui paraissait plus si charmant. Cela le mettait dans de furieuses inquiétudes ; mais à la fin il se résolut d’amuser l’une, et d’aimer l’autre ; et pour cet effet il commença par le gouvernement qu’il donna au Duc de Silesie. Stephanie ne manqua pas d’en entrer en de merveilleuses jalousies ; mais Eraste jouait si bien son personnage, qu’elle crût encore longtemps avoir le dessus. Il ne laissait pas néanmoins de voir presque tous les jours Filoxene en particulier, et s’empoisonna si fort, qu’il ne trouvait de plaisir ni de remède à son mal, que lors qu’il était auprès d’elle, en peu de temps elle eut sujet d’être satisfaite de sa libéralité. Il ne lui laissa pas la liberté de rien souhaiter, il prévenait les ennuis qu’elle pouvait avoir ; et la moindre apparence de désirer quelque chose lui tenait lieu de demande. Cependant si Stephanie était abusée, elle trompait aussi de son côté ; Son cher Cloridan était mieux avec elle que jamais, ils se consolaient avec usure du chagrin, qu’apparemment ils devaient avoir. Elle tomba malade, Eraste prit ce temps-là pour voir plus librement la Duchesse. Il faisait forces parties où elle se trouvait éternellement ; leurs affaires allaient admirablement bien, quand la vieille Menalippe, poussée d’un sentiment obligeant pour Corisande, voulut se mêler dans les divertissements du Roi, et tâcher de les mettre bien ensemble, elle avait beaucoup d’esprit, et peut-être trop ; mais elle était laide, vieille et sèche, qui ne sont pas autrement des qualités de mise parmi des gens qui ne respirent que l’amour. Eraste fit une assemblée où il nomma les hommes et les femmes qui devaient danser : Menalippe fit tout ce qu’elle put pour en être, mais elle n’en vint pas à bout. Il n’y avait que ceux qui étaient nommés qui entraient. Elle ne laissa pas de s’y introduire adroitement, elle était vêtue d’une robe de velours vert ; d’abord qu’Eraste la vit, le dépit et le chagrin lui prirent, car il ne l’aimait pas. Il vint à elle, et lui dit à la fin ; Madame vous avez employé le vert et le sec pour venir en un lieu où il n’y a que de la jeunesse. Elle ne laissa pas de pousser sa pointe, et si tant qu’elle fit remarquer à loisir Corisande à Eraste, qui étant préoccupé de Filoxene, la vit sans reflexion. Menalippe enragée de se voir traitée de la sorte, résolut de nuire tout autant qu’il lui serait possible à la Duchesse de Silesie, et dès l’heure même alla trouver Stephanie, en qui elle trouva beaucoup de disposition à détruire la nouvelle autorité que la Duchesse avait sur l’esprit d’Eraste. Elle n’oublia rien de tout ce qui la pouvait maintenir dans cette pensée ; et pour cet effet ils résolurent qu’ils feraient en sorte que quelqu’un put se mettre bien dans l’esprit de Filoxene, et par ce moyen donner de la jalousie à son Amant, et en même temps toutes deux, chacunes de leur côté, le tenir de près, l’une par mille reproches, et l’autre en lui mettant Corisande à la tête, si elle pouvait en venir à bout. Leurs desseins étant pris ainsi, ils choisirent Lucile, beau, bien fait, et plein d’esprit, qui s’attacha auprès d’elle ; mais véritablement il y trouva beaucoup de vertu, et beaucoup de préoccupation pour Eraste : Néanmoins à l’amour près, il fut si bien dans son esprit, qu’il donna de l’ombrage à son rival, qui pour s’en défaire lui donna d’assez beaux emplois, qui l’obligèrent à s’éloigner de la Cour. De sorte que voilà le premier dessein de la conjuration rendue inutile pour celles qui l’avaient projetée, mais pour Lucille il s’en est fort bien trouvé. A l’égard de Crisande, Menalippe n’y réussit pas mieux, et leurs projets furent en peu de temps conçus et rendus inutiles. Aussi bien Eraste qui se lassait aussitôt, quand on lui résistait trop fortement, commença à se rebuter de ne rien gagner sur l’esprit de la Duchesse de Silesie, qui avait trop de vertu et trop d’esprit pour ne pas tirer tout ce qu’elle pourrait, sans rien donner qui put la mettre en état d’être sensible à l’amour intéressé d’Eraste. Petit à petit les empressements ne furent plus si grands, les émotions diminuèrent, et il se retrouva toujours à ses premières amours, c'est-à-dire auprès de Stephanie, qui prit plus de soin qu’à son ordinaire à se rendre complaisante, quelque peine qu’elle eut à se contraindre, et à déguiser ses sentiments, qui étaient plutôt portés pour son utilité, que pour la personne d’Eraste qu’elle n’a jamais véritablement aimé." (fin de la première nouvelle).


Merci aux courageux qui ont lu jusqu'au bout.

Bonne soirée,
Bertrand

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