dimanche 22 novembre 2009

Quand bibliophilie rime avec autographophilie ou l'art de prendre le thé chez les Kropotkine.




Bon, je m'étais dis que s'il n'y avait aucun commentaire publié sur mon dernier billet "Le rêve américain d'Etienne Cabet ou quand l'utopie politique rencontre le bibliophile" j'arrêtais immédiatement le Bibliomane moderne pour cause de désintérêt volontaire flagrant des bibliophiles et bibliomanes modernes pour la cause utopique. Je savais déjà que le monde allait mal, mais là, j'avoue que j'en suis resté sur le flanc. Le bibliophile moderne ne serait donc qu'une machine à penser droit ?

Mais voilà que in extremis Sylvain sauve le Bibliomane moderne d'un naufrage annoncé. Merci Sylvain ! Merci mille fois et honte aux autres pour cet abandon idéaliste prononcé (tout ceci avec de grands sourires amusés bien évidemment).

Alors me voici reparti pour un tour, puisque un seul homme peut vous redonner courage pour tous les autres, allons-y !

Titre : Quand bibliophilie rime avec autographophilie, ou l'art de prendre le thé chez les Kropotkine.

Restons tout d'abord sur les mêmes accords. L'utopie n'a pas qu'un nom. L'avenir du monde ne connait pas qu'une seule issue.

Présentation générale :

Pierre Kropotkine. Paroles d'un révolté. Ouvrage publié, annoté et accompagné d'une préface par Elisée Reclus. Nouvelle édition. Paris, Librairie Marpon et Flammarion, rue Racine, 26, près l'Odéon. Ouvrage publié pour la première fois en 1885 en librairie. Il s'agit d'articles parus précédemment dans le journal Le révolté entre 1879 et 1882. C'est Elisée Reclus, son ami qui décide de les réunir en volume en 1885. Le volume que je tiens en mains n'a pas de date d'édition imprimée mais il doit s'agir d'une réimpression des années 1900. Il sort des presses d'Émile Colin, imprimeur à Lagny. L'exemplaire est relié en demi-toile anglaise marron avec de larges coins, à la bradel. La reliure est en parfait état. L'intérieur frais, bien qu'imprimé sur un papier tout à fait ordinaire et assez épais. Le volume est plus qu'agréable à lire et à toucher.

Est-ce bien de la bibliophilie me direz-vous ? Je n'en sais rien moi-même à vrai dire. Ce que je sais c'est que Pierre Kropokine était encore en vie au moment de cette nouvelle édition puisqu'il mourut en 1921 seulement. En 1900 il était âgé de 58 ans. Peu de temps avant la parution de cet ouvrage, Pierre Kropotkine avait été condamné à 5 ans de prison pour incitation à la révolte lors des grèves des soieries lyonnaises (1883). Il est amnistié en 1886. En 1878, Pierre Kropotkine avait rencontré Sophie Ananiev ou Ananief (orthographe francisée bien évidemment). Il passeront le reste de leur vie ensemble. A sa libération, Kropotkine décide avec sa femme, Sophie Ananief donc, de séjourner à Londres. Ils resteront trente ans en Angleterre où le mouvement anarchiste anglais prend de l’ampleur. Le 14 mars 1916, paraît un manifeste dit des Seize dont Kropotkine et Jean Grave sont les promoteurs. Ce texte, qui sera condamné par l’ensemble du mouvement anarchiste, s’élève contre les projets de paix et prône une attitude jusqu’au boutiste en faveur des démocraties alliées. En mai 1917, Kropotkine revient en Russie où il est chaleureusement accueilli. Il refuse de participer à un quelconque gouvernement et ne cesse de dénoncer la dictature qui s’instaure. Il meurt à Dmitrov le 8 février 1921 et son enterrement sera la dernière grande manifestation des anarchistes en Russie. Sophie Kropotkine meurt en 1938.

J'ai joins dernièrement à cet exemplaire des Paroles d'un révolté, deux autographes qui réunissent Pierre Kropotkine et sa femme Sophie.



Tout d'abord, il s'agit d'une carte de visite de Pierre Kropotkine, à l'adresse du 9. Chesham Street à Brighton (Angleterre), non datée (on peut dater cette lettre de l'année 1912 ou au plus tard 1913 puisque "la barbarie moderne" évoqué ci-dessous parait en 1912). Elle est adressée à Charles-Ange Laisant, mathématicien et anarchiste, ami du couple Kropotkine. En voici la transcription complète :

"Je vous remercie de tout cœur pour vos félicitations pour les paroles si pleines d'amitié que vous m'avez adressées et je regrette infiniment que l'état de ma santé m'empêche de vous écrire plus longuement. Vous ai-je remercié, cher ami pour "la barbarie moderne". C'est un livre puissant qui fera bonne besogne. Tombé malade quelques jours après mon anniversaire, je me remets, mais assez lentement, le temps est trop mauvais. Dans 8-10 jours nous comptons partir pour le midi. Beaucoup d'amitiés de la part de nous deux. Bien fraternellement à vous. P. Kropotkine."



La chance m'a permis d'acquérir, presque en même temps, une lettre de la main de Sophie Kropotkine, datée du 12 septembre 1913 et adressée au même. En voici la transcription :

"Sep. 12 1913, Cher Monsieur Laisant, nous serons enchantés de vous voir mardi prochain chez nous avec monsieur votre fils et femme. Si vous pouvez venir vers les quatre heures pour prendre avec nous le thé, ce sera encore mieux et on aura le temps de causer. En attendant ce plaisir, bien cordialement, Sophie Kropotkine."

Cette dernière lettre est écrite sur un papier portant le timbre sec à l'adresse du 9, chesham street, Brighton.


Voilà, c'était une manière de réunir en un billet, quelques propos sur une édition d'un des ouvrages de Pierre Kroptkine, de vous faire ressentir que l'émotion d'une lettre autographe peut bien souvent dépasser celle d'un livre, fut-il en édition originale ou rare. Ici nous vivons un instant chez les Kropotkine à Brighton, nous y prenons presque le thé... c'est émouvant.

Je me suis peut-être un peu trop éloigné des canons de la bibliophilies pour certains, ce n'est pas grave, on dira alors que j'ai écris ce billet pour les autres.

Permettez-moi, pour terminer, de vous laisser sur cette conclusion d'un autre de ses ouvrages "L’Entraide, un facteur de l'évolution" (1902) :

« Dans le monde animal nous avons vu que la grande majorité des espèces vivent en société et qu'ils trouvent dans l'association leurs meilleures armes dans la lutte pour la survie : bien entendu et dans un sens largement darwinien, il ne s'agit pas simplement d'une lutte pour s'assurer des moyens de subsistance, mais d'une lutte contre les conditions naturelles défavorables aux espèces. Les espèces animales au sein desquelles la lutte individuelle a été réduite au minimum et où la pratique de l'aide mutuelle a atteint son plus grand développement sont invariablement plus nombreuses, plus prospères et les plus ouvertes au progrès. La protection mutuelle obtenue dans ce cas, la possibilité d'atteindre un âge d'or et d'accumuler de l'expérience, le plus haut développement intellectuel et l'évolution positive des habitudes sociales, assurent le maintien des espèces, leur extension et leur évolution future. Les espèces asociales, au contraire, sont condamnées à s'éteindre. »

Ce genre de considérations permet, en général, de passer une douce et agréable nuit.

Bonne soirée,
Bertrand

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