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jeudi 27 novembre 2008

Physionomie du bibliophile : Jules Janin (1804-1874)




« Glouton, coureur, méchant, lâche et galeux ; en somme, feu mon chien était presque un homme. »
Jules Janin


O ! Il a osé !

A peine remis d’une crise de Janinisme aïgue, nous voilà repartis dans les méandres de la vie du brave et bon Jules Janin.

Pour ceux qui auraient raté un épisode sur le Bibliomane moderne, je rappelle à nos aimables lecteurs courageux et entêtés, que Jules Janin est devenu subitement une sorte de mascotte à laquelle nous avons consacré successivement plusieurs articles.

Certains diront que la folie nous guette, qu’il serait temps de retrouver la raison et d’abandonner une bonne fois ce bonhomme rondouillard aux allures de pacha que nous ne cessons de porter aux nues. Et ils auraient sans doute raison. Mais la raison…

Bref, tout cela pour vous dire, qu’encore une fois, au détour d’une lecture fortuite, je suis tombé sur une série de physionomies du Monsieur, et que je me voyais mal vous cacher cette découverte plus longtemps. La science n’attend pas !

Ainsi, ce sont plus d’une dizaine de représentations du maître bibliophile, d’après des gravures du temps, que je vous propose de voir ce soir.

Ces gravures sont extraites de la revue bibliophilique rédigée et dirigée par Octave Uzanne, Le Livre moderne (on trouvera vite d’où vient l’inspiration pour le titre de ce blog… NDLR), revue du monde littéraire et des bibliophiles contemporains. Revue imprimée chez Quantin à Paris, et qui compta seulement deux années de parution (1890-1891) pour 24 numéros ou livraisons. Je vous reparlerai très bientôt de cette sublime revue à faire pâlir tous les apprentis sorciers qui oseraient aujourd’hui éditer une revue bibliophilique digne de ce nom, et juste un peu à la hauteur.

Mais revenons au brave Jules, « le Prince des critiques, le Diable à quatre du feuilleton, le Jupiter étonnant de la Quotidienne, du Constitutionnel et des Débats. »

L’autre brave de la bibliophilie, Octave, nous le dépeint comme un « épicurien de la gloire », à l’humeur « anacréontique » (il aimait la table et bacchus…).

Paul de St-Victor disait : « Il restera toujours un rayon sur son nom, autour de sa mémoire un vol d’abeilles murmurantes ; ce souvenir de grâce et de charme qui est le souvenir de la renommée. » (et il avait raison, tout au moins en ce qui nous concerne).

Uzanne nous dit que l’idée lui est venue d’un article sur cette série de portraits gravés de l’écrivain, en contemplant la collection d’un iconophile. Il nous apprend par ailleurs qu’on ne compte pas moins de trente portraits différents de Jules Janin et environ le même nombre de caricatures et de charges, depuis ses débuts en 1827 jusqu’à sa mort en 1874.

« Un embonpoint chaque jour plus accentué » nous dit-il. Mais également la variation des modes, des coiffures. Au début svelte et élégant, avec sa coiffure « à la girafe », ses cheveux bouclés, et à la fin de sa vie, plein de rondeur, ventru bonhomme, c’est devenu un « gros père » comme dit Uzanne.

Laissons découvrir au lecteur bibliomane moderne, cette série de portraits enlevés et qui donnent avec le recul, tout le sens du mot « temps ».

Cliquez sur les images pour les agrandir


Les avantages d’internet sont évidents aujourd’hui pour retrouver ce genre de documents iconographiques, et quelle n’a pas été ma joie et ma surprise de voir qu’un site internet était entièrement consacré à Jules Janin, sa vie, son œuvre et son image. Je vous laisse le découvrir si ce n’est déjà fait. Bonne visite.

Site internet qui prolonge l’exposition présentée à la Bibliothèque de la ville de St-Etienne en 2004, année du bicentenaire de la naissance de Jules Janin dans cette ville : http://www.lectura.fr/expositions/julesjanin/indexjanin.htm

Voici en rappel et pour ne pas perdre le fil rouge… les autres articles consacrés à Jules Janin sur le Bibliomane moderne.

- L’Horace de Jules Janin (1860) - Encore ce bon Jules Janin - Le Livre (1870) - L'amour des livres par M. Jules Janin (1866)

PS : Au risque de lasser, deux autres articles sont déjà prévus sur le sieur Janin. Un concernant la vente de sa bibliothèque et un autre qui reste à découvrir…

Source : O. Uzanne, Le Livre moderne, 1890, tome II, pp. 193-204.

Amitiés,
Bertrand

dimanche 23 novembre 2008

L’Horace de Jules Janin (1860)


Revoici Jules Janin.

Jules Janin aime les beaux livres, sa « pharmacie de l’âme » ; il aime écrire, inlassablement ; il aime manger, il souffre de la goutte ; il aime le talent de Mademoiselle Rachel, il lui consacre un livre orné de photographies ; il aime Adèle sa femme, sa collaboratrice, à qui il adressera plus de 700 lettres.
Jules Janin n’aime pas Napoléon III, il est orléaniste ; il n’aime ni le printemps ni l’été car sa femme s’absente pendant six mois ; il n’aime pas les vendredis car il faut écrire le feuilleton.

Ce qu’il aime par-dessus tout, c’est le poète latin Horace dont il possède vingt éditions différentes sur ses tablettes. Il cite, pense, parle et vit avec Horace. A la fin de l’été 1858, après avoir mis le mot fin à son livre « Rachel et la Tragédie » (Amyot, 1859) il se lance corps et âme dans la traduction des Œuvres du poète. Il faut dire qu’Ambroise Firmin-Didot a placé la barre haut en publiant en 1855 une édition charmante d’Horace qui a ravi l’Exposition Universelle par son format elzévirien, sa typographie et les photographies originales qui l’illustrent. Hélas pour le public, cet Horace-là est en latin, certes savamment revu par le philologue allemand Johann Friedrich Dübner mais les jolis exemplaires dans leur reliure d’éditeur en maroquin de Lortic ne sont pas souvent ouverts…
Louis Hachette, un ancien condisciple du lycée Louis-le-Grand soutient l’enthousiasme de Janin : « J’ai l’intention d’imprimer votre Horace en un format de poche. Il faudra que Lahure fasse un petit bijou typographique. Je vais voir si one ne pourrait pas y introduire quelques gravures de simple ornement » (14 sept. 1859). La première édition paraît en août 1860 (2) : « On recherchera longtemps les papiers de Chine ou d'Annonay de cette traduction nouvelle, imprimée avec tant de zèle et de bonheur par M. Lahure, au compte de M. Hachette » écrira Janin dans l’Ami des livres (3).

Les 3000 exemplaires s’arrachent en un mois (4) pour se recouvrir souvent de maroquin et de dorures et figurer ainsi en bonne place dans les belles bibliothèques du second Empire.

Les Œuvres d’Horace, traduction nouvelle par M. Jules Janin, Paris, Hachette, 1860. Reliure de Petit , successeur de Simier. Ex-libris de Napoléon Mortier, troisième Duc de Trévise, Chambellan de Napoléon III (1804-1869).

Victor Hugo, de son île de Guernesey, est enthousiaste comme beaucoup : « Vous traduisez Horace comme il me semble qu'Horace vous traduirait, avec un ravissant mélange d' obéissance et de liberté […] J'ouvre ce charmant Janin-Horace et ma cellule est pleine de soleil. » (23 sept. 1860) (5). Voilà Horace devenu lisible. Il ne faut pas être trop exigeant sur la fidélité de la traduction : c’est bien du Janin-Horace, on écrit même perfidement que Janin a réinventé Horace…

La seconde édition se prépare fébrilement. De nombreuses corrections sont apportées avec l’aide de…Dübner. Trois mille exemplaires (plus 100 sur Hollande) sortent en Février 1861 (6) et sont épuisés en septembre. Curmer, également très ami avec Janin, publie dans le même temps sur souscription un petit recueil de photographies pour illustrer son Horace (7). N’est-ce pas Janin qui écrivait au pied du berceau du daguerréotype, en 1839 : « Le dagueréotype (sic) est destiné à reproduire les plus beaux aspects de la nature et de l’art, à peu près comme l’imprimerie reproduit les chefs d’oeuvre de l’esprit , populariser chez nous, et à peu de frais, les plus belles œuvres des arts. » ? (8).

Ce recueil est composé de 23 photographies sur albumine, contre-collées sur papier, s’ouvrant sur celle d’un profil en médaillon de Janin, sculpté par Bogino et se poursuivant par un curieux mélange de reproductions de profils gravés à l’antique, de gravures de tableaux de Rubens ou de Raphaël représentant Bacchus, Silène et des nudités, et de monnaies antiques, probablement les premières à être photographiées d’après nature.

Illustrations photographiques pour Horace. Traduction de M. Jules Janin. Paris, Curmer, 1861. Frontispice gravé des Dédicaces et planche photographique de monnaies.

Les planches sont uniquement précédées de quelques pages de dédicaces versifiées, une grande spécialité de Janin. Quelques amateurs du temps ont pris soin de faire précieusement insérer par leur relieur ces photographies, qui se sont très bien conservées, dans leur exemplaire des Oeuvres d’Horace.

Les éditions se succèdent, la troisième en 1865 puis une dernière, posthume en 1878.

Bien sûr, on juge la traduction, on trouve aussi « bizarre » la Table dans laquelle Janin s’est ingénié à trouver un titre en vers français pour chaque Ode (« Je vivais au hasard et négligent des dieux ») (9). Cette Table sera d’ailleurs modifiée dans la seconde édition et retrouvera une présentation plus académique. On ne dit rien par contre de l’épigraphe au titre : « Sans peser, sans rester, VH ». Se rend-on compte qu’elle est extraite des Contemplations (I, 13, A propos d’Horace) de Victor Hugo, alors en exil ? Janin a-t-il glissé ailleurs d’autres allusions politiques ?

Ce n’est pas d’usage mais terminons par la Préface. On la lit d’abord sans trop faire attention. Ses 24 pages se terminent par ces mots entre parenthèses : « traduit de la préface du petit Horace in-12, imprimé à Amsterdam, par Daniel Elzevier ». Cette édition de 1676 a été très estimée de tous temps (10). Cependant, le curieux qui veut comparer les deux préfaces est surpris : celle de l’édition hollandaise ne compte que deux pages ! Dans la seconde édition de la traduction de Janin, la Préface devient Dédicace, la référence à Elzevier est conservée (« imprimé dans Amsterdam ») ; dans la troisième, cette mention a disparu…

Pourquoi avoir voulu déguiser cette Préface ? Il faut en relire le début : « Et ce fut, Monseigneur, avec un zèle infini, que votre illustre père, ami de toute honnête gloire et du beau langage, entoura votre heureuse enfance des plus belles œuvres de l'esprit humain, les plus fécondes en grâce, en politesse, en éloquence… » et se rapporter à la fin « Enfin ce livre excellent, je le confie à tes mains juvéniles, ô noble enfant d'une mère austère, la plus tendre et la plus dévouée des mères, d'une aïeule voisine du ciel (corrigé dans l’édition de 1861 en consolation suprême d’une aïeule.. ), et d'un prince enlevé trop vite à l'amour du genre humain. ». Le corps de la Préface est consacré à Horace et à tous les exemples dont « Monseigneur » pourra tirer profit pendant sa lecture.

Quelques critiques du temps ont parfois souligné du bout de la plume cette étrange Préface apocryphe, sans insister davantage. D’autres ont bien deviné quel dédicataire mystérieux elle masquait…et dont le nom devait rester prudemment tu.

Laissons encore planer ce petit mystère pour en faire une devinette….

Article rédigé et envoyé par
Raphaël, un lecteur fidèle du Bibliomane moderne.

Illustrations photographiques pour Horace. Traduction de M. Jules Janin. Paris, Curmer, 1861.
Photographie du portrait de Jules Janin par Bogino.

Références :

(1) Mergier-Bourdeix , Jules Janin, 735 lettres à sa femme, 1979, III, p. 528. L’appendice V, pp. 525-534 est consacré à l’histoire de la traduction de l’Horace.

(2) Les Œuvres d’Horace, traduction nouvelle par M. Jules Janin, Paris, Hachette, 1860. in-12, 14 x 9 cm.

(3) J. Janin, l’ami des livres, Paris, Miard 1866. http://le-bibliomane.blogspot.com/search/label/Jules%20Janin

(4) Mergier-Bourdeix , Jules Janin, 735 lettres à sa femme, 1979, III, pp. 219, 525-534.

(5) Clement-Janin - Victor Hugo en exil, d'après sa correspondance avec Jules Janin et d'autres documents inédits.Paris, Aux Editions du Monde Nouveau, 1922, pp.133-134.

(6) Les Œuvres d’Horace, traduction nouvelle par M. Jules Janin, Deuxième édition. Paris, Hachette, 1861.

(7) Illustrations photographiques pour Horace. Traduction de M. Jules Janin. Paris, Curmer. 1861.

(8) J. Janin, « Le dagueréotype » (sic), L'Artiste, 1839, p. 147.

(9) Léone d’Albano, In Revue Orientale et Américaine, L. de Rosny. Ed., Paris, Challamel, V, pp. 83-84.

(10) Quinti Horatii Flacci Poemata, Scholiis sive Annotationibus instar commentarii illustrata a Ioanne Bond.Amsterdam, Elzevier, 1676.

samedi 22 novembre 2008

Encore ce bon Jules Janin - Le Livre (1870)



Jules Janin (1804-1874) photographié par Nadar


La bibliophile et la bibliomanie réunis, ce sont toutes les batailles de l’Iliade et de l’Eneide réunies.

Ce sont des triomphes, des défaites et des surprises à l’infini !

Quoi de moins étonnant alors que cette passion ne lasse pas.

Pour illustrer ces batailles éprouvantes, quoi de mieux que quelques pages du bon Jules Janin extraites de son ouvrage intitulé « Le Livre » et publié en 1870 chez Plon au format in-8. Quatre années après avoir donné sa mince plaquette L’amour des livres (1866 - LIRE NOTRE PRECEDENT ARTICLE), le critique et l’homme du livre qu’était Jules Janin donne à son public de bibliophiles et d’amateurs un gros morceau d’anthologie bibliophilique avec ce nouvel ouvrage. Récit présenté sous la forme de dialogues entre des auteurs célèbres (Cicéron, Saint-Gelais, Pascal, etc), réunions de bibliophiles causant à plaisir sur le livre et la bibliophilie. Vaste sujet occupant ici pas moins de quatre cent pages.

Collection personnelle. Un des 100 exemplaires sur grand papier de Hollande.
Couv. cons., reliure demi-maroquin marron à coins (reliure signée).

Il a été tiré en outre 2 exemplaires sur vélin non mis dans le commerce... à retrouver !

N°13... je ne suis pas supersticieux...

Nous donnons ici un extrait concernant le feu des enchères, le prix des livres, bref un aperçu rétrospectif des joies et des peines bibliophiliques de nos ayeux du Second Empire.

Laissons la parole à Jules Janin : "Que de batailles célèbres, à commencer seulement par le comte de Labédoyère , à finir par le brave des braves M. Brunet , en cette même salle Sylvestre, aujourd'hui remplacée, ô misère! par les tristes splendeurs de l'hôtel des commissaires-priseurs. Pendant tout un mois, la vente Labédoyère a poussé dans la salle Sylvestre Grecs et Troyens, et pour vous donner une idée approchante de tant de fureurs, voici l'histoire du numéro 1 du présent catalogue. Il s'agissait de la Bible en douze volumes ornée de dessins de Marillier (1789-1804). Elle s'est vendue 720 francs (brochée) à un jeune Troyen très-riche et frais émoulu, qui commence à porter un grand désordre dans le camp des Grecs. A ces 720 francs le même acquéreur ajoute un bordereau de 3,995 francs pour les trois cents dessins originaux de cette même Bible. Ajoutez la somme indispensable à l'habillement de ces douze beaux et vastes in-quarto, par Bauzonnet, vous arriverez facilement à la somme de sept mille francs pour cette Bible unique de Marillier.

Le Nouveau Testament de M. Didot, en cinq volumes in-quarto, provenant de la vente Renouard, où il avait été vendu 1,640 francs ; ce beau livre, enrichi de cent douze dessins originaux de Moreau le jeune, est adjugé au prix de 1,900fr. à M. Capé, relieur de monseigneur le duc d'Aumale. — A 650 francs le savant M. Brunet emporte en sa splendide collection l'Histoire du Vieux et du Nouveau Testament, qui appartenait à M. de Bure et que Dusseuil a reliée. Au prix de 4,000 francs, le Breviarium romanum, qui s'était vendu 800 francs à la vente Lavallière, est vraiment un livre donné.

Le Buffon de l'Imprimerie royale , avec toutes les suites de Buffon et de Lacépède , en cinquante-
six volumes in-quarto , reliés par Bozerian , avec toutes sortes de figures ajoutées, à 1,295 francs. Il se serait vendu trois ou quatre mille livres au siècle dernier, avant que M. Flourens eût publié la nouvelle édition des œuvres de Buffon.

Les vingt-cinq dessins de Moreau pour la Fontaine, 1,620 francs; et ce qui fait honneur à notre école des illustrateurs modernes, les douze charmantes sépias du regrettable Tony Johannot, consacrées aux mêmes Œuvres de la Fontaine, ont atteint à la somme ronde : 1,000 francs. Du même Tony Johannot, quatre dessins pour le roman de Fielding, 560 francs. — Les dessins de Marillier hors de prix : les dessins du Voyage imaginaire, 519 francs. — Les cent vingt dessins du
même artiste pour les Contes des fées, 815 francs. — Les soixante-seize dessins pour les œuvres de l'abbé Prévost, 1,105 francs. Tout cela était rare, exquis, et venait de la vente Renouard.

Vignette de titre de "Les petits mystères de l'hôtel des ventes"
par Henri Rochefort.
Paris, Dentu, 1862.


Les grands ouvrages à figures, les Galeries, les très-grands papiers en général, ne se sont pas vendus à des prix aussi exagérés que ces aimables petites choses ; ainsi les trois tomes grand in-folio de la Galerie des peintres flamands, de Lebrun, exemplaire unique, ont à peine atteint le prix de 760 francs. — Le Boileau, avec les figures de Bernard Picard en très-grand papier, n'a été vendu que 500 francs. Ce livre était pourtant l'honneur des beaux livres, et celui de la vente Labédoyère. C'était l'exemplaire de Mac Carthy ; à cette vente illustre, il s'était payé 2,195 francs. C'est à peu près aujourd'hui le prix d'un beau Rabelais de François Juste ou d'Étienne Dolet, qui, dans les temps heureux, se payait 5 ou 6 francs. Qui le croirait? le grand Horace de Pierre Didot, en papier vélin broché, 1,150 francs ! — Les figures de Marillier pour le Dorat..., 600 francs. Il est vrai que le texte est déchiré. — Les Contes de La Fontaine, édition des fermiers généraux (1762), très-bel exemplaire, mais avec les écussons modernes de M. de Coislin sur les plats, 790 francs. Qui le croirait? qui le croirait? la Jérusalem délivrée, traduction de le Brun, avec les vingt dessins originaux de Barbier, 900 francs ! — Mais une des plus fortes extravagances et les plus dignes d'envie, c'est le Daphnis et Chloé, du Régent (1718), en condition charmante, il est vrai, et dans une reliure exceptionnelle de Pasdeloup, coûtant 1,210 francs à M. Salomon Rothschild contre un bibliophile trop ardent, M. Defresne, lequel, comme fiche de consolation, s'est donné pour 490 francs un exemplaire en reliure moderne du Perrault de 1781, sur papier de Hollande! Il y a des gens heureux à bon marché.

Arrêtons-nous, s'il vous plaît, à cette suprême folie, au fameux numéro 1624 : les Mille et une Nuits, six volumes reliés en maroquin par Bauzonnet, et adjugés au prix archifou de 1,200 fr.! Je le crois , parce que c'est absurde... et parce que je l'ai vu. Mais lorsque enfin, après tant de péripéties, tant de palpitations de tous ces cœurs de bibliophiles voués à l'hypertrophie, est arrivé le solennel numéro 1023, je voudrais être un homme éloquent autant que Berryer, un poète comme Lamartine ou Théophile Gautier, un prosateur de la force de M. Villemain, pour décrire ici l'intérêt, la curiosité, l'attention et la passion de tous ces hommes atteints de cette monomanie ardente. Ils étaient là, les cheveux hérissés, le feu dans les yeux, bouche béante et silencieux (tout beau leurs cœurs!). Le monde en ce moment pouvait crouler... Sur les ruines du monde ils auraient salué de leurs derniers
regards le fameux numéro 1023 ! Il s'agissait de L'Adonis, manuscrit de Jarry, en lettres bâtardes, vingt-six feuillets encadrés d'or. Ce curieux livre appartint au surintendant Fouquet, dont il porte les armes et l'écureuil. Il avait été vendu à Paris, en 1825, 2,900 francs par les héritiers du prince Galitzin ; il était relié par le Gascon, c'est assez dire. Eh bien, je me souviendrai jusqu'à mon dernier jour de l'heure éclatante entre toutes où L'Adonis fut apporté sur la table des ventes par un de nos plus savants bibliophiles, qui le tenait dans ses deux mains, tremblantes d'une indicible émotion. Deux acolytes, dignes assesseurs d'un pareil grand prêtre, portaient de chaque côté les deux pans de son habit. A l'aspect du livre, l'assemblée entière se leva et battit des mains dans un choc électrique. Il ne fallut guère moins de quatre ou cinq minutes pour remettre au repos ces âmes surexcitées. A la fin le combat commença. Ce furent d'abord des escarmouches légères , des combats d'avant-garde : à trois mille, à quatre et cinq mille, à six et sept mille francs! C'était pour rien, et nous levions les épaules de pitié. Mais, sur les confins de huit mille livres , la chose alors devint sérieuse, et le silence redoubla Adjugé à neuf mille vingt-cinq francs! s'écria le commissaire-priseur... D'un coup sec de son marteau d'ivoire, il mit un terme à tant d'angoisses. Et le combat finit, faute de combattants !"

Quel beau récit ! M. Janin ne s'en sort pas si mal.
Nous avons tous vécu des situations similaires de surexcitation outrée face à des livres d'exceptions.

Je vous conseille vivement la lecture de ce livre.
Vous pouvez l'acheter ou bien tout simplement le télécharger ci-dessous :

LE LIVRE par Jules Janin (1870).

Bonne lecture,
Bertrand

samedi 4 octobre 2008

L'amour des livres par M. Jules Janin (1866)


Chers amis,

il y a des livres de 61 pages qui réjouissent son bibliomane plus qu'une pile de 30 volumes in-folio ! C'est bien le cas ici.


J'ai longtemps cherché cette petite plaquette joliment imprimée sur beau papier vergé de Hollande. En vain. Il faut dire qu'elle n'a été tirée qu'à 204 exemplaires, 200 sur papier vergé et 4 sur peau de vélin. Sans exagérer, je crois bien que je me damnerais pour un des quatre exemplaire sur vélin ! Mais il faut bien se contenter d'un réalisme terrestre, trouver l'introuvable ne sera que le fruit d'un hasard heureux que je n'espère plus guère.

Petit volume élégamment achevé d'imprimer le 1er juin 1866 par Bonaventure et Ducessois, au 55, quai des Grands Augustins, pour le libraire J. Miard, à Paris.


Sous une modeste couverture grise imprimée en rouge et noir se cache un des plus rares titres de la bibliothèque du bibliomaniaque. Et ce n'est pas la mention au crayon au revers de la quatrième de couverture "Très rare - 12 fr." qui nous fait dire cela. Ce livre a été et est rare, de par son tirage restreint certes, mais surtout à cause de la fougue des amateurs qui se sont tout de suite mis à le rechercher dès sa parution.

Nous en trouvons un exemplaire coté au catalogue de la librairie Auguste Fontaine en 1875 sous le n°2406 (demi-reliure mar. viol. ébarb.) 45 fr. !


Quand on sait (d'après Vicaire et son Manuel de l'amateur de livres du XIXe siècle) que ce livre était vendu en libraire 3 fr. pour les exemplaires sur Hollande (les 4 exemplaires sur vélin étant évidemement non mis dans le commerce et souscrits d'avance...).

3 fr. contre 45 fr. en à peine 10 ans !

Notre bonheur n'eut été parfait si nous n'avions réussi à retrouver la trace d'au moins un exemplaire des quatre imprimés sur vélin. C'est l'exemplaire de M. Jules Janin même dont nous trouvons trace et qui fut vendu 1.000 fr. ! Oui, 1.000 fr., certes recouvert d'une fort belle reliure de maroquin mais tout de même. (Polybiblion, revue bibliographique, 1877, p. 374).

Pour passer de 3 fr. (non relié) à 1.000 fr. (très bien relié), avouez qu'il y a tout de même 997 fr. de différence et qu'une belle reliure de l'époque, fut-elle de Trautz-Bauzonnet, valait de 100 à 400 francs pour les plus belles.

Encore une production du bon Jules Janin me direz-vous ! Eh bien, non. Si un petit livre sur l'amour des livres mérite d'être lu (vite lu puisque seulement 60 pages), c'est bien celui-ci. Il résume parfaitement l'esprit du bibliophile, du bibliomane, du collecteur de beaux livres dans l'esprit du XIXe, milieu de siècle.

Alors je vous laisse le découvrir. Le texte est disponible ici.

L'amour des livres par Jules Janin (1866)

Evidemment, rien ne remplacera pour l'amateur la possession du petit volume devenu si rare.

Bonne chasse !

Amitiés bibliomaniaques, Bertrand.


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