dimanche 6 janvier 2013

Le Promptuaire des Médailles, une opération de marketing ? (1577).

Comment vendre plus pour gagner plus quand on est libraire ? Voilà la question que certains d’entre vous ont déjà dû se poser un jour ou l’autre. Cibler l’amateur spécialisé dans l’ésotérisme, les sciences, la pêche à la mouche ou le curiosa fripon, aligner des maroquins aux armes (et au garde à vous) façon tenture impériale, ou encore taper large en débitant à l’unité des manettes de tout venant : Toutes les stratégies sont possibles et les conseils que vous avez donnés récemment à un candidat à ce beau métier sont bien la preuve que vous avez plus d’un tour dans votre besace pour séduire le bibliophile. Je pense, moi qui n’ai jamais vendu un livre de ma vie et qui peut donc en parler doctement, qu’un peu de publicité et une belle présentation en tête de gondole ne peut pas nuire à la vente d’une édition vénitienne, comme le Pétrarque de 1502, par exemple. Cet avis devait être partagé par Guillaume Rouillé (ou Rovillé) qui, justement, avait débuté sa carrière à Venise. Il travaillait dans l’officine de Giolito de Ferrari lorsqu’il décida, le cœur léger et le bagage mince, de s’installer à Lyon pour faire fortune dans la librairie. Nous sommes en 1543. Il aurait pu alors commencer par sonner chez son banquier florentin pour négocier un découvert mais il choisit plutôt d’épouser la fille de Vincent Ier de Portonaris, histoire de partir sur de bonnes bases.


Fig 1 la page de titre du Promptuaire des Médailles de 1577, version française.

Guillaume Rouillé avait du talent et s’était rendu recommandable par ses belles éditions latines, italiennes ou françaises. Son créneau était le livre qui rapporte : ouvrages religieux, juridiques ou scientifiques et parmi ces derniers, surtout ceux de botanique et médecine. Il diffusait les auteurs latins dans des traductions françaises (car, même à l’époque, le latin était un peu du chinois pour beaucoup) et il faisait découvrir les auteurs contemporains de la Péninsule. Mais son coup de génie commercial, c’est le Promptuaire des Médailles. Cet ouvrage, paru pour la première fois en 1553, est une sorte de biographie universelle des hommes illustres depuis Adam et Ève jusqu'à Jeanne d'Albret et Henri II. Chaque courte notice sur un personnage célèbre est illustrée de portraits en médaillon dessinés par George Reverdy, Corneille de la Haye et d’autres maîtres graveurs. Belles gravures au demeurant, Didot dans son Essai (p. 245) vante le caractère artistique des illustrations et dit qu'on y voit "la gravure sur bois s'efforcer de lutter avec la taille-douce pour rendre le modèle des figures au moyen d'un travail de taille souvent croisées".


Fig 2 Le Promptuaire des Médailles, version italienne.

La seconde édition française (1577) est plus originale que la première - si vous m’autorisez l’expression - car Guillaume Rouillé eut l’idée d’ajouter 142 nouvelles notices qui fait la part belle à ses contemporains. Pas n’importe lesquels : ceux qui figurent au catalogue de sa librairie ! Rouillé aurait pu faire sienne la sentence de Montaigne : Je suis l’objet de mon livre, tant il est vrai qu’il se cite souvent au coté des gloires de son siècle. La notice du jurisconsulte François Duaren en est un bon exemple. Cet illustre inconnu qui aurait fait avancer la science juridique selon Rouillé, a surtout pour mérite d’avoir été publié par lui : « François Duaren, très-excellent jurisconsulte qui était un peu plus âgé que moi, sera à jamais loué et estimé parmi les hommes qui font cas de la science… ses ouvrages en témoignent, principalement les doctes annotations sur le droit appelé le Cours de Duaren, imprimé à Lyon par Guillaume Rouillé, auteur de ce noble et excellent ouvrage, le Promptuaire des Médailles ».


Fig 3 La notice sur François Duaren.

Vous remarquerez qu’il profite de cette notice pour glorifier également au passage son Promptuaire des Médailles. Le B-A BA de la publicité, c’est le matraquage ! Même démarche quelques pages plus loin, pour un médecin cette fois-ci : Antoine Donat Altomare, médecin napolitain, dont les ouvrages épars, confus et remplis de fautes « ont été par lui amassés en un seul, revus et puis imprimés à Lyon par Guillaume Rouillé ». Le passage des plus ambigus est tourné de telle façon qu’il est difficile de dire à sa lecture qui a le plus de mérite entre Donat et Rouillé d’avoir mis en lumière les écrits de Galien ! Il en va de même pour Mattiole à la rubrique précédente dont la gloire doit beaucoup, comme il l’annonce, à Rouillé lui-même : « Guillaume Rouillé a fait traduire en français par un personnage de grand savoir lesdits Commentaires et ensemble les illustres figures des simples … en faveur de ceux qui n’entendent pas la langue latine. Il a fait aussi un beau livre d’épîtres médicinales et de simples médicaments ».


Fig 4 La notice sur Donat et Mattiole.



Fig 5 La notice sur Rondelet.



Fig 6 Paul Eginete.

Les exemples pourraient être ainsi multipliés. Puisque Rouillé n’est pas le premier à publier les œuvres posthumes du médecin Guillaume Rondelet, éditées à Paris, le nom de l’éditeur n’est pas cité (Charles Macé) mais « depuis il s’est trouvé quelques savant médecin, ami dudit Rondelet, pour revoir et corriger l’ouvrage et le bailler à Guillaume Rouillé pour l’imprimer, se fiant à la diligence d’iceluy ». A de rare occasion, le nom d’un confrère apparait, mais s’il cite l’imprimeur, comme dans la notice sur Paul Eginete, c’est parce qu’il s’agit d’Henry Estienne, dont le nom glorieux est seul digne d’apparaître aux cotés du sien : « Henry Estienne a imprimé les livres d’Eginete en latin, avec les autres livres des principaux médecins. Et Guillaume Rouillé l’a imprimé à Lyon, avec doctes annotations de Jacques Goupil, médecin de Paris et Jacques d’Alechamps, médecin de Lyon, tous deux des plus doctes de ce temps, en toutes bonnes lettres. » Comme appelle-t-on aujourd’hui la publicité déguisée sous un article de presse ? de l’infomerciale ?…. Et bien, elle a été inventée par Guillaume Rouillé !

Bonne Journée.
Textor


Nota : Ce très-excellent papier, rédigé par l’honorable Textor, de bonne mémoire, dont la gloire virtuelle s’étend aux quatre coins de la blogosphère, doit beaucoup à Elise Rajchenbach-Teller pour son article « De ceux qui de leurs pouvoirs aydent et favorisent au publiq ; Guillaume Rouillé, libraire à Lyon » in Passeurs de Textes, imprimeurs et Libraires à l’âge de l’humanisme, Ecole des Chartes, 2012 p 99.


Fig 7 La reliure du Promptuaire.

LinkWithin

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...