mercredi 30 mai 2012

De ces bibliophiles qui n’aiment pas les libraires, ou petit essai biblioethnographique.


Connaissez-vous beaucoup de bovins qui aiment les éleveurs qui leur feront passer de vie à trépas ? Connaissez-vous beaucoup de truites qui aiment les pêcheurs ? Connaissez-vous beaucoup de poissons rouges qui aiment leur bocal ? Connaissez-vous beaucoup de bibliophiles qui aiment leurs libraires ?

Ah ! J’en entends d’ici crier à la provocation, au scandale et à la mise en boîte ! Loin de moi cette idée. Je me disais simplement il y a quelques temps : est-ce si naturel qu’un bibliophile aime son (ou ses) libraire(s) ? Et la réponse ne m’a pas parue franchement si évidente.

Qu’est-ce qu’un bibliophile ? Un amateur, un curieux, un esthète, un éclairé des choses du livre, riche ou moins riche, parfois pauvre aspirant à devenir riche, parfois tour à tour les deux, qui aime, cherche et finit par trouver, les livres qui répondent à sa quête.

Qu’est-ce qu’un libraire ? un commerçant qui par définition est là pour répondre à une demande en proposant des produits à des prix qui lui permettront de poursuivre son activité tout en en tirant un plus ou moins grand bénéfice.

Ces deux entités peuvent-elles s’aimer ? Attention ! je ne parle pas d’amour charnel (encore que si l’on en croit les statistiques il est probable qu’un libraire tombe amoureux d’une bibliophile, voire l’inverse – mais c’est tout de même assez peu courant – et ça peut poser des problèmes…). Je parle de d’amour d’intérêt, de ce mariage d’honneur et de droits fondé sur la confiance de l’un envers l’autre, avec une parfaite harmonie dans les sentiments commerciaux pour la bonne marche du houleux ménage bibliophile-bibliopole.

Alors ? Est-ce seulement possible que ces deux là, aux aspirations si antagonistes de prime abord, puissent malgré tout convoler en justes noces pour les siècles des siècles ?

Cela me parait assez difficile dans la réalité des choses. Mais débâtons (tiens en parlant de bâtons...) un peu.

Le bibliophile, encore plus que l’amant, est par nature volage, et d’autant plus par les temps modernes qui courent. Car sa proie, le livre, le beau livre même, se trouve un peu partout dispersé, proposé à tous vents, et de belle façon. Internet propose au chasseur-bibliophile une palanquée de moyens et de subterfuges pour assouvir sa faim. Le bibliophile peut chasser plusieurs lièvres à la fois, sur plusieurs territoires, sans trop faire attention à ce que le libraire grégaire aura à lui proposer. Le bibliophile est non seulement volage mais encore lunatique, colérique et même parfois (pour ne pas dire souvent) bien pire encore. Comment s’en accommoder ?

Le libraire, encore plus qu’une maîtresse, est de nature possessive ; lorsqu’il tient un client, il n’aime pas le lâcher, et on le comprendra aisément lorsqu’on sait que c’est la survie de son revenu qui en est l’enjeu. Un libraire consciencieux aura soin de flatter sa clientèle pour qu’elle lui soit fidèle ad vitam eternam. Le bibliophile est souvent chagrin de cette situation qui l’emprisonne et demande souvent un peu d’air en allant flâner chez le libraire d’en face. Comment s’en accommoder ?

Bref, vous voyez bien que tout ceci n’est pas simple. Les bases du problème étant jetées à terre, il ne nous reste plus qu’à nous débrouiller avec ! Bibliophiles et libraires, dans une sorte de chasse commune, animés pourtant d’intérêts totalement divergeant, peuvent-ils vivre ensemble en totale harmonie ? Ou bien, finalement, ce couple n’est-il qu’un mariage de convenance, pour le profit de l’un et de l’autre certes, mais chacun tirant à hue et à dia ?

Je vous laisse vous faire votre propre opinion avec toute la philosophie et toute la modération qu’un tel débat impose aux plus exaltés d’entre nous. Ce qui est bien avec ce billet, c’est qu’il vous donne la possibilité d’être très franc (c’est assez peu à la mode) ou totalement hypocrite (c’est plus courant).

Nous traiterons tout aussi peu sérieusement, dans un prochain billet, la problématique inverse : De ces libraires qui n’aiment pas les bibliophiles.


Bonne journée,
Bertrand Bibliomane moderne

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