jeudi 2 septembre 2010

L’image rassurante du Monde d’Honoré d’Autun. (De Imagine Mundi – 1497)


Je voudrais vous présenter brièvement un petit texte que j’ai découvert par hasard et qui était bien caché à la suite des œuvres complètes de Saint Anselme. C’est un ouvrage… disons…scientifique ! Si, si !

Fig 1 La page de titre des œuvres de Saint Anselme imprimés à Bale, sans date, par Johannes Amerbach


Au temps obscur du Moyen-âge les lettrés ont cherché à expliquer le Monde qui les entourait, Ce début de démarche scientifique a donné naissance a un certain nombre d’ouvrages intitulés Trésors, Sommes, Miroirs ou Images, qui ont tous en commun de proposer une description du Monde depuis la création par Dieu, une conception chronologique de l’histoire et une tentative de rendre compte des éléments de la Nature. Ils puisent et compilent toutes les sources disponibles, c'est-à-dire les auteurs profanes comme les livres saints et ceux des Pères de l’Église. Le résultat de ce cocktail est peu original mais souvent … détonant !

Le De Imagine Mundi rédigée vers 1110 est un ouvrage précurseur du genre. C’est une sorte de pèlerinage à travers la cosmologie, les phénomènes naturels, les planètes et les âges du Monde qui inspirera ensuite notamment Gossuin de Metz pour la rédaction de son Image du monde et Pierre d’Ailly pour son Imago Mundi.


Fig 2 Dans la table des matières le De Imagine Mundi apparait tout à la fin, un lecteur du 17ème siècle a éprouvé le besoin de préciser que cette œuvre n’est pas de Saint Anselme et que les fables qu’elle contient sont indignes de ce saint docteur !


Fig 3 Début du De Imagine Mundi – Prologue et Livre 1


Dans son prologue, Honoré d’Autun se présente comme un compilateur respectueux de la tradition qui entend s’adresser au plus grand nombre afin d’éduquer ceux à qui manque l’abondance des textes. Quant au titre (l’Image du monde), il vient de ce que l’on y contemple la disposition de la terre comme dans un miroir.

Qu’est-ce que le Monde ? Le livre commence par ces mots : « Mundus dicitur quasi undique motus… ». C’est à dire « le mot Mundus signifie partout en mouvement parce qu’il est partout en mouvement perpétuel. C’est une boule dont l’intérieur est divisé comme celui d’un œuf ; la goutte de graisse qui est au centre est la Terre … »

Ouvrage de vulgarisation scientifique dans la plus pure tradition étymologico-allégorique, inspiré de Bède le Vénérable, il décrit le monde familier et fini des hommes du XIIe siècle, vu par un reclus (On l’avait surnommé Honoré le Solitaire !). Il est divisé en trois livres : création du monde — conçu comme un globe —, quatre éléments, géographie et astres (livre I), ensuite de questions chronologiques et de comput ecclésiastique (livre II), et enfin de l’histoire, plus exactement des six âges de l’humanité, jusqu’aux empereurs du Saint Empire Romain Germanique du XIIe siècle (livre III). Ce livre III n’a pas été imprimé dans l’édition d’Amerbach et les 2 autres livres contiennent respectivement 28 et 27 chapitres, c'est-à-dire beaucoup moins que les éditions ultérieures.

En fait, nous ne savons que peu de choses sur Honorius Augustodunensis, sinon qu’il n’était probablement pas d’Autun. Il naquit vraisemblablement en Angleterre vers 1080 et il fréquenta l’école de Saint Anselme de Cantorbéry, qui exerça sur lui une profonde influence. Puis, il aurait franchi la Manche en 1097 pour s’installer comme reclus à Saint-Pierre, sans doute un couvent irlandais, près de Ratisbonne en un lieu-dit Augustodunum.(2) C’est là qu’il y serait mort vers1157.

Fig 4 Le livre 2


Des auteurs ont pris des risques pour expliquer rationnellement le Monde. Par exemple, Guillaume de Conches, maitre à Chartres, fera la révolution lorsqu’il abordera en physicien et philosophe l’étude de la Création ; son Philosophia Mundi dans lequel il émet des doutes sur la conception purement allégorique du Monde est un vrai brulot : Eve est-elle née d’une cote d’Adam ? se demande-t-il, pour répondre qu’à ce sujet, il ne faut pas prendre les écritures saintes à la lettre ! Voilà qui ne plait pas beaucoup aux autorités ecclésiastiques qui lui préfèrent de loin l’œuvre parfaitement traditionnelle d’Honoré d’Autun. Le De Imagine Mundi n’inventait rien et il va, de ce fait, connaître un beau succès puisqu’on connaît plusieurs rédactions entre 1110 et 1156 et pas moins de trois cent exemplaires manuscrits !


Fig 5 La terre est divisée en 5 zones, qu’on retrouve dans les figures des ouvrages de géographie du XVème siècle comme le De Sphera Mundi du Sacrobosco.


L’approche d’Honorius est marquée par le symbolisme si caractéristique de la période médiévale, qui met en correspondance le monde sensible et les réalités spirituelle. Ainsi la description du Monde n’est pas exactement celle à laquelle nous sommes habitués en quittant Paris par la Porte d’Orléans, c’est une lecture historique de la mappemonde, en même temps qu’une lente dérivation du temps de l'orient vers l'occident : Depuis le Paradis, (une grande île à l'extrémité de l'orient) en passant par Babel, Jérusalem, Délos, Rome, le temps s'enroule jusqu'à Saint-Jacques-de-Compostelle aux confins de l'occident, là où se tiennent deux des quatre anges "debout au quatre coins de la terre" barrant la route, la main droite levée, l'index dressé, pour révéler ce que contient le livre que l'un d'eux tient à la main. Ces mêmes anges, chargés selon le texte de l'Apocalypse (Apoc., VII, 1) de retenir les quatre vents afin que l'on puisse procéder au Jugement Dernier.

Heureusement qu’il n’est pas sorti de son monastère, Honoré, il n’aurait peut-être pas retrouvé son chemin ! Mais bon, vous n’êtes pas obligés non plus de tout prendre à la lettre, et il y aussi des passages intéressants sur le climat ou les phénomènes naturels : « les météores qu’on appelle étoiles tombantes ne sont que des étincelles formées dans un air pur qui viennent se perdre dans un air plus épais. » (Voir ci-dessous, fin du chapitre 22)


Fig 6 Les Météores


Mais les passages qui me plaisent le plus concernent les monstres. Le moyen-âge croyait ferme à l'existence des monstres, qu'Honoré d'Autun décrit avec complaisance. Il nous parle des macrobes, qui ont douze coudées de haut, et de certains pygmées, qui, dans l'Inde, n'ont que deux coudées et s'occupent sans cesse à combattre les mues. « Il y a d'autres monstres dans l'Inde qui ont les pieds retournés, et huit doigts à chaque pied; d'autres qui n'ont qu'un œil; d'autres enfin n'ont qu'un pied, sur lequel ils peuvent courir avec une étonnante rapidité ».

Ce n’est que depuis peu qu’on sait que les cyclopes ont existés. Une exposition à Saint Flour présente en ce moment le crâne de l’un d’eux. Très impressionnant avec son orbite unique au milieu du front !

Bonne journée
Textor

(1) De Imagine Mundi, [livre I, II] in S. Anselmus Opera, Bale, Johann Amerbach, s.d. (Pas après 1497). In 4° de 208 ff. n.c. (dont 13 ff pour l’honoré d’Autun). Impression sur 2 colonnes et 50 lignes. L’impression donnée par J. Amerbach est la seconde édition incunable après celle de Koberger de 1473. Goff A761; HC 1136*; Pell 799
(2) Les avis divergent quant à l’identification d’Augustodunum. (« The frequency German glosses in his writings, and the possibility of reading "Augustodunensis" to mean "a native of Augst" (near Basle) or "of Augsburg" (in Swabia), have induced some historians to conclude that he was a German. »)

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