mercredi 8 septembre 2010

De quelques reliures anglaises des années 1520.


Pour fêter dignement les deux ans du Bibliomane Moderne et faire plaisir à Bertrand qui aime les reliures, j’ai choisi de présenter quelques reliures anglaises, puisque c’est à l’occasion d’une recherche sur ces reliures que j’ai découvert l’existence du Bibliomane Moderne en Avril 2009. Je réserve pour l’anniversaire des dix ans les reliures de Marcus Fugger (si, si, j’en ai !) et pour celui des 25 ans, celles de Grolier (ce qui me laissera le temps d’en acquérir !).

A quoi reconnait-on qu’une reliure est anglaise ? That is the question !

Fig 1 Horace, Paris, Josse Bade, 1519


C’est simple, me direz-vous, les reliures anglaises parlent l’anglais ainsi bien que nous le gallo, pardi ! Et bien, justement non, beaucoup de signes distinctifs sont trompeurs. Et les reliures anglaises parlent plus volontiers le latin, voire même le français, avec un accent évidemment, comme sur cette reliure de la Beinecke Library où il est écrit : « Honi soit qui mal y pense ».

C’est ce bon vieux J. Basil Oldham (1) qui s’est lancé dans l’aventure en étudiant puis en classant les différents signes caractéristiques des reliures produites sur l’île de la perfide Albion.

Tout d’abord, nous dit-il, il faut écarter les préjugés qui voudraient que toutes reliures hideuses, en mauvais cuir, dont les plats se détachent, sont anglaises. En effet une reliure française qui passe sous un autobus pourrait être attribuée indûment à un atelier anglais, ce qui, bien sur, serait une erreur scientifique. (2)

Fig 2 Pline le Jeune, imprimé à Venise en 1519. Cet exemplaire confirme que toutes les reliures anglaises ne sont pas moches, ni fragiles.



Fig 3 Pline le Jeune. Détail du plat supérieur.


Pour localiser une reliure, il faut commencer par s’intéresser au lieu d’impression figurant dans le livre qu’elle recouvre. Si ce lieu est en Angleterre, que d’autres éléments permettent de déterminer qu’il n’a jamais quitté la bibliothèque de tel collège d’Oxford ou de Cambridge, la reliure est, à tous coups, anglaise. Mais voilà, cela ne nous aide pas beaucoup pour tous les livres imprimés en Italie ou un France, que les voyageurs anglais ont pu acquérir comme souvenir de leur passage sur la Riviera, et qu’ils ont fait relier ensuite tranquillement chez eux. A noter que la diffusion des ouvrages est à sens unique à l’époque, du Continent vers l’Angleterre, personne n’allait faire son shopping à Londres.

Les marques d’appartenance ont leur importance aussi. Tel ouvrage sur lequel un des premiers possesseurs indique qu’il est à Oxford, comme dans l’exemple ci-dessous : John Toker, collegii cardinalis oxfordiensis, est un indice sérieux (A moins que le Bibliophile Rhémus ne nous apprenne qu’Oxford est aussi le nom d’une bourgade de Champagne !). John Toker était l’un des premiers étudiants du Christ Church Collège qui fut fondé en 1524. Le possesseur suivant avait, quant à lui, étudié à Cambridge ; il a biffé le nom de Toker pour y apposer le sien. Ce Thomas Percy n’a pas profité très longtemps de sa belle reliure anglaise car il est mort prématurément, en 1605, d’une balle de mousquet, et sa tête finit au bout d’une pique ! Il est vrai qu’il avait tenté de faire sauter le Parlement de Londres. Mais la reliure n’a pas souffert.

Fig 4 Ex-libris John Toker, oxfordiensis (biffé)



Fig 5 Ex-libris Thomas Percy


Bref, il est toujours préférable de s’attacher à des caractéristiques plus concrètes de la reliure. Par exemple, les reliures anglaises roulent à gauche. (Les attaches en cuir ou crochets (claps) sont fixés sur le plat supérieur et le loquet (catches) sur le plat inférieur, contrairement à l’usage aux Pays Bas ou en Allemagne. Il y a, comme à toute règle, des exceptions, bien entendu, et les reliures remboitées ou recouvrant des ouvrage en hébreux qui s’ouvrent dans le sens inverse suivront la mode allemande).

Fig 6 Cette reliure est très certainement passée par une bibliothèque publique, les trous d’attache de la chaine en témoignent.


Enfin, il y a le dessin estampé des plats qui peut donner des indices, mais là, tout se complique car les fers et roulettes utilisées en Angleterre à l’époque étaient très proches de ceux utilisés en France ou au Pays Bas. Oldham distingue 3 catégories de cadre qui se déclinent en sous-catégories :

- Le premier type est un encadrement de filets qui viennent se couper au trois quart de la hauteur du plat. L’espace intérieur est barré de filets diagonaux qui se coupent pour former des losanges, au centre desquels est placé un fer. Les filets extérieurs seront remplacés par des roulettes au 16ème siècle.

- Le second type est un encadrement composé d’une suite de fers ne se coupant pas. L’espace intérieur est rempli de cadres concentriques produits par des suites de fers ou une roulette.

- Et enfin le troisième type est formé d’un cadre ne se coupant pas dont l’espace intérieur est vide ou agrémenté d’un nouvel encadrement.

Un petit dessin vaut mieux qu’un long discours :

Fig 7 Type d’encadrement de roulettes et de filets selon Oldham.


En scrutant les motifs avec soin, il est parfois possible de retrouver des symboles comme seuls les anglais savent en produire. Sinon, les arabesques et autres signes de la Renaissance n’ont rien de particulier à ceux du Continent.

Si vous voyez une herse couronnée, accompagné de ses 2 chaines, comme sur la pièce anglaise de 1 penny, il n’y pas de doute ce sont les armes du roi Henri VII.

Fig 8 La Herse couronnée, blason des Beaufort, auxquels appartenait la mère d’Henri VII accompagnée des deux roses des Tudor.


Un dragon gallois nous rappellera que le père d’Henri VII était Gallois. ….Et le léopard fait référence aux Tudor.

Fig 9 Le Dragon Gallois


Fig 10 Le léopard des Tudor (à moins qu’il ne s’agisse du Lion des Lancastre ?).


Si tout cela se retrouve sur une seule roulette, il est à parier qu’elle date d’une époque un peu antérieure à la date de fabrication de la reliure puisque Henri VII est décédé en 1509 et que notre reliure a du être créée en 1520-1525.

Etape suivante : retrouver l’atelier d’origine de la reliure. Mission quasi impossible si votre reliure n’est pas clairement signée d’un monogramme WG ou IG, ou d’un fer caractéristique comme celui du « relieur au demi-fer ».

Les fers des espaces losangés sont plus difficiles à attribuer. Oldham en distingue une quarantaine, certains fers pourraient être issus d’un même atelier mais, selon les cuirs et l’usure de l’outil, produire des empreintes différentes

Fig 11 Fer dit à l’ananas


Fig 12 Autre fer d’un genre similaire


Quelques indices pourtant :

Les ateliers de Cambridge utilisaient fréquemment un piment rose que l’on voit encore, parfois, dans le creux des filets.

L’usage d’une empreinte en taille douce et non pas en creux (in taglio) est un signe de provenance d’Oxford. Par ailleurs, les ateliers d’Oxford avaient l’habitude de travailler des cuirs plus fins qui donnaient donc une empreinte plus nette. Cette dernière caractéristique, plus les marques d’appartenance, me font dire que l’Horace de 1519 a été relié vers 1525 à Oxford.

Pour aller plus loin, il vous faudra consulter l’ouvrage d’Oldham mais je dois vous prévenir que la logique de la classification ainsi que le plan suivi au cours de ses trois « lectures » échappent au sens commun et ne peut être vraiment saisis que par nos amis anglais !

Bon Anniversaire, Bibliomane Moderne !
Textor

Fig 13 la roulette de Henri VII


(1) J B Oldham. English Blind-stamped Bindings. Cambridge Press University, 1952
(2) Je cite Oldham pour que vous ne pensiez pas que je suis un Anglophobe primaire : “ For instance, I must agree that most well designed and executed panels were not English products. But, to go further and say that because a panel is well designed and executed it cannot be English seems to me unscientific and arguing in a circle”.

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