52 avant JC. Toute la Gaule est occupée par les Romains. Toute ? Non, le petit village d’Alixia Sancta Arena résiste encore et toujours à l’envahisseur grâce à la perspicacité d’un érudit qui a étudié, dans les ruines antiques, l’art de la castramétation. Cet érudit, vous l’avez, bien sur, reconnu, c’est Bert … Guillaume du Choul, bailli des Montagnes du Dauphiné. (Oui, Jean Marc, j’ai bien dit le Dauphiné !).
La castramétation n’est pas le fait de chanter en mesure avec une voix de fausset, mais vient du latin castrum, le camp et metare, mesurer, c’est l'art de choisir et de disposer l’emplacement d’un camp militaire ou d’une place forte ; Science fort prisée des romains et qui, accessoirement, pouvait encore servir au 16ème siècle. Elle redevient à la mode aujourd’hui avec la reconstruction des châteaux-forts.
Fig 1 Page de titre de l’édition de 1557. La devise de Du Choul (Honor sine honore beatus ) rappelle que cet homme de cour a vainement sollicité les faveurs du Roi. Ses manuscrits étaient destinés à être présenté au Roi.. N’ayant pas reçues les faveurs attendues, il finit par les publier.
Fils de marchand, Guillaume du Choul est né vers 1496. Juriste de formation, ses différentes charges de Bailli des Montagnes du Dauphiné (1522) et de Maitre des Requêtes du Dauphin (1523) ne l’occupaient pas beaucoup (les exerça-t-il seulement ?) et lui donnaient l’opportunité de s’intéresser à tous les sujets qu’un humaniste de l’époque devait connaitre : littérature, histoire, sciences naturelles, archéologie, navigation, numismatique…. Bref, un peu de tout ! Du Choul se piquait surtout d’archéologie et il devint ce qu’on appelait alors un antiquaire, c'est-à-dire un collectionneur de curiosités tirées du sol. (On ne collectionnait pas encore les buffets Henri II !!). Il importait les plus belles pièces de Rome et son hôtel de la montée du Gourguillon, à Lyon, faisait l’admiration de tous les visiteurs, comme Girolamo Fondulo, Michel Servet, Benoît Lecourt, Guillaume et Maurice Scève avec lesquels il forma « l’ Académie de Fourvière ».
S’il a beaucoup écrit, ses manuscrits n’ont pas tous été publiés, la plupart sont même perdus, comme celui sur les coquillages, ou sur les bêtes féroces, les épigrammes de toute la Gaule, ou encore l’image des dieux.
Sur les 4 ouvrages imprimés 3 formaient un ensemble publié chez Guillaume Rouillé. :
- Des bains et antiques exercitations grecques et romaines, Lyon, G. Rouille, 1555, (1)
- Discours sur la castramétation et discipline militaire des Romains, Lyon, G. Rouillé, 1555
- Discours de la religion des anciens Romains, Lyon, G. Rouille, 1556
Le Discours sur la Religion des Anciens Romains aurait du paraitre en même temps, chez le même éditeur, mais des retards dans la composition des gravures, en différèrent l’impression.
(Le privilège des trois livres imprimés chez Rouillé date du 31 octobre 1553). Ce retard chagrina amèrement l’imprimeur qui écrivit : « : Signeurs lecteurs, l'obeissance, que ie doy à ceux qui me peuvent commander, fait que maintenant les deux livres précédens [c'est-à-dire la Castrametation et les Bains] ne doyuent attendre leur compaignon de la Religion des anciens Romains, obstant la raisonnable tardiueté des ouuriers es pourtraits & taille des figures : qui par-ci-apres & au-plustost vous contenteront de tant mieux, que leur aurez donné loisir de sortir en meilleure perfection, sous vn commun accord d'accepter noz iustes excuses en matière tant fauorable. A Dieu » (à lire en prononçant avec l’accent de Fourvière).
Guillaume Rouille réédita donc en 1557 un tirage regroupant la Castramétation, les Bains et y adjoignit la Religion, comme l’annonce la page de titre, mais ce dernier ouvrage ayant une page de titre séparé, certains libraires le propose aujourd’hui seul, comme un exemplaire complet.
Le tailleur de figures qui causa tous ces tracas à G. Rouille n’est autre que Pierre Eskirsch, dit encore Pierre Vase (mais je préfère le sobriquet de Cruche qu’on voit parfois, simple traduction de son nom d’origine germanique.) très demandé dans ces années 1550 et qui ne savait plus où donner du ciseau.
Fig 6 sur les grands boulevards, il y a tant de choses à boire. Du Choul nous apprend que le vin est une boisson stratégique des romains, le nerf de la guerre en quelque sorte.
La Castrametation c’est Astérix avant l’heure, Du Choul avait du lire Goscinny ! (à moins que ce ne soit le contraire). Il rédige une sorte de commentaire sur des planches représentant l’armée romaine. Ces planches sont copiées sur la Colonne Trajane d'après les relevés de Jacopo Ripanda (Du Choul n’aurait jamais été jusqu’à Rome !?)
Chez du Choul, il y a des Romains un peu fou qui prennent des baffes, forment la tortue pour attaquer les gaulois en pensant « engagez-vous qu’il disait, rengagez-vous ! » ; construisent des camps copiés de Babaorum ou de Petibonum ; Les centurions prétentieux sont à la parade et on y apprend qu’il vaut mieux ne pas parler sèchement à un Numide…
Comme dans l’œuvre de Goscinny, les allusions tirées de l’antiquité renvoie à l’époque contemporaine. Du Choul en bon courtisan cherchait à plaire à François 1er , lequel en 1534, venait de lancer une réforme de l'infanterie française par laquelle sept légions de 6000 hommes avaient été créées, qui portaient le nom des provinces où elles étaient levées. A cette occasion, le roi avait composé un ouvrage sur la Discipline militaire, ce qui a pu influencer Du Choul et expliquerait les comparaisons d'actualité qu'il faisait avec les soldats suisses et turcs.
Par ailleurs, le sujet était à la mode puisque l'architecte bolonais Sebastiano Serlio avait entrepris vers 1545-1546 une recherche sur la castramétation d'après Polybe, alors qu'il vivait encore à Fontainebleau. Du Choul, qui s'y trouvait dans les mêmes années, pouvait en être informé.
Fig 13 La légion lyonnaise, où l’on voit clairement, par l’absence de perspective du dessin, que ce motif est copié de la colonne Trajane.
La bibliothèque de du Choul devait être importante mais son inventaire reste à faire. On connaît actuellement trois livres portant les armes peintes de Du Choul, un Pline imprimé à Bâle en 1525 et deux manuscrits du XVe siècle conservés à la BNF, la Teseida de Boccace (ms. ital. 580), ainsi qu'un Roman de la rose (ms. fr. 1570). Ce dernier provient de la bibliothèque de Philippe de Béthune, frère puîné de Sully, qui fut donnée à Louis XIV en 1662. Cela dit, la dispersion de la bibliothèque de Guillaume du Choul aurait été limitée : d'après Chavigny, elle serait passée pour l'essentiel chez le duc de Nemours. L'inventaire après décès d’Henri de Savoie, duc de Nemours (19 février 1633) n'est pas assez détaillé pour que l'on puisse vérifier cette information, mais il est probable qu'une bonne partie des livres possédés par Du Choul ait rejoint cette bibliothèque parisienne versée dans les antiquités et les dessins d'architecture.
Il avait du réunir, dès 1537 au moins, une documentation abondante. Les livres illustrés exploités par Du Choul sont dans l'ordre chronologique, le Vitruve de fra Giocondo (1511), les Illustrium imagines de Fulvio (1517), les Epigrammata de 1521, le Vitruve de Cesariano (1521), le Simulachrum de Fabio Calvo (1532), les Inscriptiones d'Apianus (1534), l'abrégé du De re navali de Baïf (1537).
Son œuvre eut un grand succès jusqu’au XVIIème siècle. Les ré-éditions sont nombreuses et facile à trouver sur le marché.
Bonne Journée
Textor
Sources :
Ce billet a largement puisé dans l’excellente thèse de Jean Guillemain (2002) « Recherches sur l'antiquaire lyonnais Guillaume du Choul (ca. 1496-1560) ».
(1) A noter que l’édition originale des Bains et de la Castramétation est communément datée de 1555, mais qu’une librairie américaine proposait, il y a quelques années, une édition (pré originale ?) datée de 1554. “Extremely rare first edition with title-page dated 1554. Unrecorded First Edition of this Classic Military History. OCLC also has listed the earliest edition as 1555. As does the British Library and every other reference work available. The title-page includes Du Choul’s work on the religion of the Romans (De la Religion), which was planned as part of the 1555 edition, but was not published until 1556.”