En 1789, François
Ambroise Didot est âgé de 59 ans. Il
peut se montrer satisfait de sa carrière : sous sa direction l’imprimerie
Didot, fondée par son père François, est à l’origine de nombreuses inventions
ou innovations en France : l’introduction du papier vélin, inventé par
Baskerville, le point typographique, dit point Didot, la presse à un coup, qui
permet de doubler les cadences…
De même, il a publié des collections d’ouvrages, qui
témoignent de la reconnaissance obtenue : « la Collection des
Classiques français et latins imprimés pour l’éducation du Dauphin »,
publiée « par ordre du Roi » à partir de 1783, dans les formats in
4°, in-8° et in-18, et également la « Collection d’ouvrages français, en
vers et en prose » imprimée « par ordre du Comte d’Artois », qui
comptera 64 volumes, à partir de 1780.
En 1789, donc, François Ambroise se retire et cède la
direction de l’entreprise familiale à ses deux fils, Pierre, né en 1761, et Firmin,
de trois ans son cadet.
Pierre et Firmin vont se répartir les rôles : à Pierre
l’imprimerie et le travail d’édition, à Firmin le travail de création et de
fonderie des caractères.
En 1789, l’entreprise Didot est proche du pouvoir en place,
comme on le voit. Mais la Révolution qui arrive ne va pas lui nuire :
l’Etat utilisera ses compétences incontournables pour l’émission des assignats,
ce qui confortera la prospérité de l’imprimeur.
Pierre Didot, « l’aîné », comme il se nomme
rapidement, a des ambitions pour l’imprimerie. Il poursuit les Collections
prestigieuses de son père, et met rapidement en chantier de nouveaux projets,
qui sont bien dans l’air du temps.
L’époque a changé, depuis quelques années. Les découvertes
de Pompéï ont suscité un intérêt, un engouement pour l’Antiquité. La Révolution
naissante va conforter cette vogue, par rapprochement avec les Républiques
Romaine et Grecques. Les vertus antiques sont magnifiées : l’époque veut
des Héros et se cherche des modèles dans les auteurs anciens, mais également
dans les grands tragédiens modernes, Racine en tête.
L’iconographie suit le mouvement : le néo classicisme
triomphe, les décors sont antiques, les poses nobles, la douceur et le naturel
des peintres et illustrateurs du siècle passé sont abandonnés. Le peintre qui
domine à ce moment est Jacques-Louis David, avec des œuvres monumentales, comme
« le Serment des Horaces », en 1785, ou le projet pour « le
Serment du Jeu de Paume ».
A partir de 1791, Pierre Didot conçoit une nouvelle Collection
ambitieuse. Il s’agira des œuvres d’auteurs antiques et modernes, illustrés par
les meilleurs artistes du moment, dans un format monumental : l’in-folio.
Gravure de Mathieu d’après Girodet, pour Andromaque, de
Racine, Acte I, scène II, détail.
Pour l’illustration de cette Collection, il demande
naturellement l’assistance de David. Mais celui-ci n’apparaîtra pas, son nom ne
sera jamais cité, peut-être parce que l’illustration n’est pas un genre noble.
Sa participation sera pourtant importante : il choisit parmi ces élèves
ceux qui participeront au projet, suit attentivement les étapes des
réalisations, participe lui-même, en fournissant certains dessins, qu’il fait
signer d’un de ses élèves, en retouchant, voire refaisant certaines
compositions jugées (par lui) trop faibles, à chaque étape, en écartant
certains des artistes qui ne lui plaisent plus.
Le projet est de longue haleine, en effet Pierre Didot vise
la perfection en tous points : correction du texte, correction de la
typographie, caractères, illustrations. Son frère Firmin gravera de nouveaux
caractères, plusieurs fois, pour ces éditions. David corrigera lui-même les
dessins. Tout ceci est très onéreux, et prend beaucoup de temps. Le tirage sera
très restreint, suivant l’habitude des Didot, mise en œuvre notamment sur la
Collection du Dauphin.
Le premier auteur publié sera Virgile, en latin, publié
seulement en 1798. Il s’agit de : Publius Virgilius Maro. Bucolica, Georgica,
et Aeneis. Parisiis, in Aedibus Palatinis, 1798, Reip. VI., Excudebam etrus
Didot, natu major (Paris, Imprimé au Louvre par P. Didot Aîné, 1798, An
VI de la République), illustré par 23 estampes d’après les desseins de Gérard
et Girodet, peintres. Le tirage est
limité à 250 exemplaires, signés et numérotés à la main par Pierre Didot, en
dernière page. Le prix est de 900 francs pour les cent premiers exemplaires,
gravures avant la lettre, et de 600 francs pour les cent cinquante exemplaires
suivants, avec les gravures avec la lettre. Ce livre ne contient « aucune faute typographique, si ce n’est un J
dont le point manque » (Auguste Vitu).
600 francs : cette somme est considérable pour
l’époque, l’équivalent de deux années de salaire d’un ouvrier, de plusieurs
mois pour un officier.
L’adresse porte : « imprimé au Louvre ». En
effet, l’année précédente, le ministre de l’Intérieur, François de Neufchateau,
pour encourager Pierre Didot dans cette entreprise, lui a permis de s’installer
dans les locaux libérés par l’Imprimerie royale. Cette adresse donnera son nom
à cette Collection. Un premier ouvrage a paru cette année-là, portant cette
adresse : les Amours de Psyché et
Cupidon, suivies d’Adonis, poème, format in-4°, « orné de gravures
d’après les desseins de Gérard, peintre ». Il semble bien que certains de
ces dessins puissent être attribués à David, toujours dans l’ombre.
La publication du Virgile donna lieu à une présentation lors
d’une séance à l’Institut, auquel deux exemplaires « tirés à part »
furent offerts, et à un rapport, le 5 ventôse an VI, par Armand-Gaston Camus :
« Le Virgile est
d’un caractère plus pur que tout ce que nous avons vu. On croirait impossible
d’imaginer mieux, si Didot lui-même n’annonçait qu’il espère faire un pas
au-delà dans l’édition du Racine qu’il projette ».
L’année suivante, 1799, voit la parution du second ouvrage
de la Collection : les œuvres d’Horace, toujours en latin : Quintus
Horatius Flaccus, Opera omnia, Parisiis, in aedibus Paltinis scientiarum et
artium ; excudebat Petrus Didot natu major, un volume in-folio,
orné de 12 vignettes d’après les dessins de Percier. Le tirage est également de
deux cent cinquante exemplaires, dont les cent premiers ont les gravures avant
la lettre. Deux exemplaires sur sont été imprimés sur peau de vélin. L’un
d’eux, avec les dessins de Percier, provenant de la bibliothèque de Junot, a
été adjugé 83650 Livres frais compris par Christies le 13 juin 2002 à Londres.
La collection sera poursuivie par les Œuvres de Racine, en 1801, puis les Fables de La Fontaine, qui paraîtront en 1802, en deux tomes,
illustrées de douze vignettes d’après les dessins de Percier, ferment la
marche. Didot quittera le Louvre en 1805.
Légende : Racine, frontispice, gravure avec la lettre.
Voici l’annonce du Racine dans l’Annuaire de la
librairie :
« Œuvres de Jean Racine, imprimées sur pap. Vélin, à 250
exemplaires, numérotés et signés, et ornés de 57 Estampes. Trois volumes grand
in-fol., divisés en trois livraisons. – De l’Imprimerie de Pierre Didot l’aîné.
– 1ere Livraison, composée du 1er volume, dédié au Premier Consul
Bonaparte, portant pour titre :
Oeuvres de Jean Racine. Tome premier. – A Paris, de l’Imprimerie de
Pierre Didot l’aîné, au Palais National des Sciences et des Arts. An IX ;
M.DCCCI.
Volume grand in-fol., de VIII pag. (titre et faux-titre, dédicace et
avis de l’imprimeur au lecteur), et de 467 pag. de texte ; orné de 24
estampes, dont une servant de frontispice, 5 pour la Thébaïde, 5 pour
Alexandre, 5 pour Andromaque, 3 pour les Plaideurs, et 5 pour
Britannicus ; même suite des pièces contenues dans ce volume.
Chacune des pièces offrira une estampe par chaque acte ; ce qui
fera monter la totalité à cinquante-sept, en y comprenant le frontispice. Les
Dessins de chaque pièce sont tous de la composition d’un même Auteur ; de
sorte que l’ensemble de l’ouvrage produira, sans bizarrerie, une variété
piquante. Ainsi, pour le Tom. 1er, la Thébaïde a été composée en son
entier par Moitte, sculpteur ; Alexandre, par Gérard, peintre ;
Andromaque, par Girodet, peintre ; Britannicus, par Chaudet,
sculpteur ; les Plaideurs par Taunay, peintre.
Pour le Tom. 2d : Bérénice, par Sérangeli ; Bajazet, par
Gérard ; Mithridate, par Peyron ; Iphigénie, par Gérard ;
Phèdre, par Girodet, peintre.
Pour le 3e Vol. les Dessins d’Esther et d’Athalie sont de la
composition de Chaudet, sculpteur.
A l’égard des caractères, gravés par Firmin Didot, ils ont encore
quelque supériorité sur ceux employés dans le Virgile et l’Horace, in-fol. déjà
publiés, qui forment les 2 premiers vol. de cette Collection.
Le papier de la fabrique de Montgolfier d’Annonai, a plus d’éclat que
celui du Virgile et de l’Horace.
La 1ere Livraison, composée du 1er vol. a été mise en vente
vers la fin de l’an 9 ; la IIe, composée du 3e vol., paroîtra
six mois après la première ; et la IIIe et dernière, composée du 2d vol.,
six mois environ après la seconde.
On paie la totalité de l’Ouvrage, en recevant la 1ere Livraison ou le 1er
vol. ; et le prix est de 1200 fr. pour l’exemplaire avec figures après la
lettre, et de 1800 fr. avec figures avant la lettre, dont on a tiré 100 exemplaires.
On remet aux Souscripteurs un bon pour retirer les deux autres Livraisons à
mesure qu’elles paroîtront, sans qu’ils aient rien à payer de plus.
A la publication de la IIe Livraison ou du 3e vol.,
l’exemplaire avec figures après la lettre sera irrévocablement fixé à 1500 fr.,
et à 2250 fr. avec figures avant la lettre.
Lors de la 3e et dernière Livraison, ou à la publication du
2d vol., l’exemplaire sera de 1800 fr. avec figures après la lettre, et de 2700
fr. avec figures avant la lettre. »
Trois volumes in-folio dont le prix peut atteindre 2700
francs ! C’est le traitement annuel d’un officier, plusieurs années de
revenus de la plus grande partie de la population !
Légende : Page de titre.
Cette édition des Œuvres de Racine présente bien sûr toutes
les pièces de théâtre, par ordre chronologique, qui forment les deux premiers
tomes. Le troisième tome renferme les deux pièces chrétiennes : Esther et
Athalie, auxquelles sont joints d’autres
écrits (« œuvres diverses en vers et en prose ») :
-
la Nymphe de la Seine à la reine, ode ;
-
le Renommée aux Muses ;
-
Idylle sur la Paix ;
-
Epigrammes ;
-
Hymnes traduites du Bréviaire romain ;
-
Cantiques spirituels ;
-
Plan du premier acte d’Iphigénie en Tauride ;
-
Premiere lettre à l’auteur des Hérésies imaginaires et
des deux Visionnaires ;
-
Seconde lettre en réponse à celles de MM. Dubois et
Barbier d’Aucourt ;
-
Discours prononcé à l’Académie françoise, à la
réception de M. l’abbé Colbert ;
-
Discours prononcé à l’Académie françoise, à la
réception de MM. T. Corneille et Bergeret ;
-
Extrait du Traité de Lucien, intitulé : Comment
il faut écrire l’Histoire ;
-
Fragments historiques ;
-
Réflexions pieuses sur quelques passages de
l’Écriture-Sainte ;
-
Ouvrages attribués à M. Racine :
-
Discours prononcé à la tête du Clergé, par M. l’abbé
Colbert, coadjuteur de Rouen ;
-
Relation de ce qui s’est passé au siege de Namur.
Il ne s’agit donc pas des Œuvres complètes de Racine, il
manque notamment l’Abrégé de l’Histoire de Port-Royal. Ce n’est pas une édition
savante : le texte est présenté avec les préfaces de l’auteur, mais sans
notes ni texte de présentation.
On note dans cette liste une apparente faute d’orthographe,
qui pourrait choquer dans un ouvrage d’une telle ambition :
« Premiere » est écrit sans accent grave. Mais c’est volontaire :
Pierre Didot a la volonté de réformer l’orthographe, et met ses idées en
application. De ce fait, dans cet ouvrage ne figure aucun accent grave… Ses
réflexions sur le sujet déboucheront quelques années plus tard sur la création
d’un nouvel accent, l’accent « moyen », intermédiaire entre l’accent
grave et l’accent aigu, symbolisé par un trait vertical. Mais cette innovation
n’aura pas de postérité.
Ici, Firmin Didot, qui a gravé les caractères, a poussé la
recherche de la perfection à son terme. « Lorsqu’on regarde une page composée en Didot, le gris typographique
exprime une sorte de légèreté, de simplicité qui lui est bien particulière.
Cela tient à ce que chaque lettre possède, par elle-même, ses qualités. Elle le
doit à l’excellence du rapport entre les pleins et les déliés, à l’exacte
verticalité des fûts, à l’exacte horizontalité des empattements et aux
prolongements horizontaux donnés aux attaques. » (Yves Perrousseaux,
Histoire de l’écriture typographique).
Légende : extrait de « l’imprimeur au
lecteur ».
Légende : exemple de la typographie. Extrait de la
« seconde lettre … »
Avec ce projet démesuré, Pierre Didot frappe les esprits.
Les promesses de parution ne seront d’ailleurs pas tenues : la dernière
livraison sera effectuée en 1805. Mais ce petit souci n’a pas d’influence sur
la réception de l’ouvrage. A l’exposition nationale de 1806, il est proclamé
« la plus parfaite production
typographique de tous les pays et de tous les âges », jugement
confirmé par le jury de l’Exposition universelle de Londres en 1851.
Pierre Didot n’a rien ménagé pour s’assurer le succès.
Publié peu après la Paix de Lunéville, le 20 pluviôse an IX (9 février 1801),
qui doit apporter enfin la paix en France, l’ouvrage est dédié au général
Bonaparte, Premier Consul, auquel Pierre Didot s’adresse directement :
Précurseur de la paix, que l'on doit à tes armes,
ce fruit des arts naquit dans le sein des alarmes :
si, digne de Racine, il l'est encor de toi,
quelqu'un de vos lauriers s'abaissera sur moi.
de vos noms réunis, Enfant de la Victoire,
La France avec orgueil contemplera la gloire:
Ses destins sont remplis; le favori de Mars
Dépose ses lauriers dans le temple des Arts.
Oui, préside aux travaux, anime l'industrie;
Fais d'un nouvel éclat rayonner ma patrie;
Et puissent tes exploits, qu'admire l'univers,
Etre un jour consacrés par d'aussi nobles vers !
Habilement, il s’associe au Héros du jour, Bonaparte, et à
l’auteur célébré, Racine.
L’avis de l’imprimeur au lecteur lui permet ensuite
d’exalter son travail. Il met en avant les grands mérites des artistes, qui ont
fourni les dessins « commencés l’an 1er de la république »
(soit huit années plus tôt !), celui de son frère Firmin, qui a gravé et
fondu les caractères, spécialement pour cette édition, celui du citoyen
Montgolfier, dont la fabrique fournit le papier, celui des typographes, et le sien
propre :
Si, au milieu des secousses inséparables d'une révolution, et toujours
affligeantes pour les arts, j'ai pu amener à une heureuse fin l'ensemble de
cette édition remarquable, il ne m'a fallu rien moins qu'une constance
inaltérable et un désintéressement total, joints au désir ardent d'élever à la
gloire de Racine un monument typographique qui devînt pour ainsi dire national.
Elle paroit enfin sous les plus heureux auspices, accueillie par la paix, et
décorée du nom immortel du héros qui en a agréé l'hommage.
Elever un monument : Pierre Didot y est parvenu. 3
volumes in-folio, d’un poids de 21 kilos, ornés de 57 gravures hors-texte (seul
le Théâtre est illustré, d’une planche par acte), d’un style néo-classique
affirmé, exaltant l’héroïsme des personnages, fournis par les artistes du
moment, élèves de David : Taunay, Girodet, Gérard, Serangeli. Prudhon en a
dessiné le frontispice. La présence de sculpteurs parmi les dessinateurs
retenus pourrait surprendre : mais pour être un bon sculpteur, il faut
bien sûr maîtriser le dessin.
Légende : Gravure de Massard d’après Girodet, pour
Phèdre, Acte V, scène VII, gravure avec la lettre. Vente Binoche du 11 novembre
2012.
Cet ensemble de gravures constitue l’apogée du
néo-classicisme. On exalte les vertus héroïques, les pauses, théâtrales par
nature, sont exacerbées, le ton est sérieux. L’époque n’est pas à la grâce ni à
la nonchalance… La délicatesse et la joie de vivre présentes dans les belles
vignettes du XVIIIe siècle sont loin !
Une seule pièce de Racine permet de s’échapper un peu de
cette atmosphère martiale, sa seule comédie : Les Plaideurs, qui sera
illustré par Taunay.
Ce genre évoluera très vite, et les pauses outrées
persisteront, mais au service de l’expression des sentiments : le
romantisme n’est pas loin.
Les dessinateurs choisis par David et Pierre Didot sont
homogènes :
Jean-François Pierre
Peyron (1744-1814), peintre, élève de Lagrenée, illustre Mithridate (tome
2), soit 5 dessins.
Légende : gravure de Langlois d’après Peyron,
Mithridate, acte V scène II.
Jean-Guillaume Moitte
(1746-1810), sculpteur, élève de Pigalle et Lemoyne, illustre la Thébaïde (tome
1), soit 5 dessins.
Légende : gravure de Blot d’après Moitte, la Thébaïde,
acte V scène VI.
Nicolas-Antoine
Taunay (1755-1830), peintre, élève de David, illustre Les Plaideurs (tome
1), et fournit donc seulement 3 dessins.
Légende : gravure de Duval d’après Taunay, Les
Plaideurs, acte II, scène IV, gravure avec la lettre.
Pierre Paul Prudhon
(1758-1823), peintre, concurrent de David, dessine le frontispice.
Légende : gravure de Marais, d’après Prud’hon,
frontispice, gravure avant la lettre.
Gioacchino Serangeli
(1758-1852), peintre italien, venu à Paris en 1790, élève de David, illustre
Bérénice (tome 2), soit 5 dessins.
Légende : gravure de Massard d’après Serangeli,
Bérénice, acte III scène III.
Antoine-Denis Chaudet
(1763-1810), sculpteur, Prix de Rome en 1784, membre de l'Académie de peinture
et de sculpture en 1789, illustre Britannicus (tome1), Esther et Athalie (tome
3), et fournit donc 13 dessins.
Légende : gravure de Girardet d’après Chaudet, Athalie,
acte V scène VII.
Légende : gravure de Coiny d’après Chaudet, Esther,
Acte III, scène IV.
Légende : gravure de Glairon-Mondet d’après Chaudet,
Britannicus, acte I scène III.
Anne-Louis Girodet,
plus tard Girodet-Trioson, du nom de son père adoptif, (1767-1824), peintre,
élève de David, illustre Andromaque (tome 1) et Phèdre (tome 2), soit 10
dessins.
François Pascal Simon
Gérard (1770-1837), (créé baron en 1819) peintre, élève de David, illustre
Alexandre (tome 1), Bajazet et Iphigénie (tome 2), soit 15 dessins.
Légende : gravure de Le Villain d’après Gérard,
Alexandre, acte II scène II.
Légende : gravure de Fischer d’après Gérard, Bajazet,
acte V scène XI.
Légende : gravure de Girardet et Massard d’après
Gérard, Iphigénie, Acte 1 scène IV.
Ce sont tous des artistes académiques, au métier classique,
la plupart ont séjourné à l’académie de Rome, et sont membres de l’Académie de
peinture. On note que les plus jeunes (Gérard a 31 ans, Girodet 34 ans) sont également ceux qui ont le plus
été sollicités, et à qui on a confié les pièces les plus importantes :
Andromaque, Phèdre, par exemple.
Légende : gravure de Girardet d’après Girodet, pour
Andromaque, Acte IV, scène V, détail.
Les planches existent en deux états : avant la lettre
et avec la lettre. Pour le frontispice, cela concerne le texte du cartouche.
Pour les gravures suivantes, cela cache un petit piège : les gravures
« avant la lettre » comportent une partie du texte : le nom de
la pièce, l’acte et la scène. Le texte omis correspond au dialogue illustré.
Des réductions des planches seront utilisées pour des
éditions moins onéreuses, de format réduit, notamment une édition en 3 volumes
in-8°, publiée en 1816. Ces réductions « sont moins estimées ».
Matériellement, l’ouvrage se présente ainsi :
-
Tome 1 :
[4] ff., 466-[2] pp., avec le faux-titre,
le frontispice, la page de titre, la dédicace au Premier Consul, la page de
« L’imprimeur au lecteur », puis les 5 premières pièces de
théâtre : la Thébaïde, Alexandre, Andromaque, les Plaideurs, Britannicus,
puis la page de justification, au verso du sommaire. Le tome contient, outre le
frontispice, 23 gravures (une par acte, soit 3 pour les Plaideurs et 5 pour les
autres pièces).
-
Tome 2 : [4]-500-[2] pp., avec les 4 pièces de
théâtre suivantes : Bérénice, Bajazet, Mithridate, Iphigénie, Phèdre. Le
tome contient 25 gravures (une par acte, soit 5 par pièce de théâtre).
-
Tome 3 : [4]-416 pp, avec les deux dernières
pièces : Esther et Athalie, suivies des autres écrits de Racine. Le tome
contient 8 gravures (3 pour Esther et 5 pour Athalie, toutes d’après les
dessins de Chaudet.
C’est un format in-folio, avec deux feuilles par cahier, de
51 cm x 37 cm environ, d’un poids total de 21 kilos.
Le tirage annoncé est de 250 exemplaires numérotés et
signés. A ces exemplaires il faut rajouter l’exemplaire de Firmin Didot, sur
peau de vélin, qui contient, outre les gravures avant la lettre, tous les
dessins. Firmin Didot tentera de le vendre 32000 francs en 1811. Après un
passage en Angleterre, il reviendra en France (à la Bibliothèque Nationale).
A ces 251 exemplaires, il faut ajouter quelques exemplaires
non numérotés mais marqués « exemplaire unique » : pour
l’Institut, la bibliothèque Mazarine, la
Bibliothèque nationale. Il s’agit sans doute d’une sorte de dépôt légal.
L’ouvrage servira de cadeau officiel, comme notamment
l’exemplaire offert en 1806 à Charles-Louis de Vincent, relié aux armes de l’Empereur, vendu 62000
euros le 7 décembre 2008 par Osenat. Il est relié par Bradel en plein maroquin
à long grain cerise, avec doublures et gardes de soie bleu ciel.
L’ouvrage était semble-t-il fourni en cartonnage de papier
vélin, avec gardes de soie bleue. Mais ce livre au prix pour le moins élevé
s’écoulera difficilement. Il semble que les exemplaires non vendus n’aient pas
été numérotés ni signés. Les planches correspondantes ont pu être vendues à
part, à des marchands qui les ont vendues au détail.
Des exemplaires encore en magasin ont ensuite été vendus,
avec ou sans les planches correspondantes. Ces exemplaires n’ont pas été
numérotés ni signés.
Plus tard, vers 1825-1830, des retirages des planches ont
été effectués, ce qui a permis de réassortir des volumes de texte seul.
Dans certains cas, il a été apposé, sur certains de ces
exemplaires, une signature et une numérotation apocryphes.
Signature (certainement exacte) de l’exemplaire en vente à
la librairie Moby’s newt.
Nous trouvons donc actuellement de nombreuses
configurations.
Certains exemplaires sont reliés
en maroquin rouge, aux armes de l’empereur, avec gardes de soie bleue. Ils font
partie des cent premiers exemplaires, avec les planches avant la lettre. Il
s’agit certainement de cadeaux officiels, comme l’exemplaire Vincent, ou
l’exemplaire du Roi d’Espagne, à la Bibliotheca Real de Madrid, ou encore
l’exemplaire passé en vente le 6 décembre 2006 chez Sotheby’s, adjugé 62400
euros.
Légende : exemplaire
Sotheby’s, le 6 décembre 2006.
Des exemplaires en reliure le
plus souvent d’époque, signés et numérotés, avec les gravures dans l’état
correspondant à la numérotation. Cette dernière permet dans certains cas de
suivre les exemplaires : celui de la Bédoyère, numéroté 61, en
demi-reliure de Thouvenin, se trouve maintenant à la Morgan Library.
Il existe un exemplaire avec les
gravures avant la lettre et avec les gravures avec la lettre. Il est dans une
reliure de Canape datée de 1912, sans les gardes de soie bleue. Cet exemplaire,
qui pourrait être un exemplaire normal dans lequel un retirage des gravures
aurait été inséré postérieurement, est en vente à la librairie Moby’s newt de
New York.
Des exemplaires sans
numérotation, avec les gravures le plus souvent avec la lettre, et le
frontispice avant la lettre. Ces exemplaires sont généralement recouverts d’une
reliure plus récente (fin XIXe). D’origine moins noble que les précédents, ils
sont moins cotés, comme l’exemplaire vendu le 28 mai 2009 par Alde, en
demi-vélin à coins, adjugé 2200 euros.
Des séries de gravures seules,
avec la lettre, et le frontispice avant la lettre, comme par exemple le lot
vendu le 9 novembre 2012 chez Binoche et Giquello, adjugé 600 euros.
Comme on le voit, l’écart de
prix entre le « courant » et l’exceptionnel est important : un
rapport de 1 à 100... mais même en modeste condition, tenir un exemplaire de
cette édition, c’est saisir un moment de l’histoire de la bibliophilie :
l’édition du Louvre !
Bonne soirée,
Calamar