mercredi 12 octobre 2022

Des volumes manuscrits provenant de la collection Philidor-Toulouse. Un article signé Krypto.

La vie des livres ainsi faite que parfois ils circulent rapidement. Etudions un petit exemple : des volumes manuscrits provenant de la collection Philidor-Toulouse.

Début février 2022, un manuscrit, copie tardive mais déjà ancienne de textes de Molière, apparait sur le site catawiki (le lien ne fonctionne plus depuis quelques jours) avec une fiche particulièrement courte : 

Manuscrit recensant les différents ballets donnés en l'honneur du roi Louis XIV entre 1666 et 1670.
"Balet des muses
Dansé par sa majesté à son château de St Germain en laye le 2 décembre 1666..."
[Provenance : Ancienne Bibliothèque du comte de Greffulhe à Thomery]

Ce manuscrit, estimé 600/800 euros a alors atteint 1200 euros le 13 février 2022, soit, avec les frais du site (9%) et les frais de port, un total d'environ 1320 euros.



Photos tirées de l'annonce catawiki


Dès le 6 avril, moins de deux mois plus tard, un libraire le propose sur son site, autour de 4000 euros (le prix n'est plus affiché), en précisant « A ce volume pourront se joindre les trois autres volumes qui restent de cette série, probablement divisée lors d'une récente succession. Les textes ne sont plus de Molière mais d'autres auteurs dont Isaac de Bensérade. ». L'exemplaire avait alors été rapidement vendu à un collectionneur.

On y apprend d'ailleurs dans la fiche qu'il fallait 8 volumes à cette série et on comprend aussi que le libraire a acquis 3 autres volumes au même vendeur, avec des textes moins intéressants.

En revanche, la fiche devient nettement plus fournie et explique mieux l'ouvrage, son intérêt, son parcours.




Photos tirées du site du libraire


Enfin, le 5 octobre 2022, les 4 volumes repassaient en vente, cette fois aux enchères publiques à Paris avec une estimation qui fait rêver : 12000/18000 euros. L'exemplaire a été truffé entre temps, par le collectionneur, de quelques documents supplémentaires. Commencé à 8000 euros, il est monté artificiellement à 8800 euros avant d'être retiré. Il est finalement marqué vendu à 9000 euros sur le site de la salle des ventes, certainement suite à une after-sale. Peut-être que, cette fois, les volumes ne ressortirons pas immédiatement.



Photos tirées du site Millon 



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En revanche, il est intéressant de comparer les fiches ! Si les trois autres volumes sont décrits - ce qui n'a pas été fait par le libraire -, on remarque déjà une différence de collation pour le volume contenant les textes de Molière (191 ou 193p ? ). Mis à part ceci, il est amusant de constater que, sans citer la provenance récente, la fiche reprend quasi mot pour mot la fiche du libraire, auquel l'expert a évidemment eu accès : 


Fiche du libraire

Exceptionnel manuscrit contenant les textes seuls de Molière (sans les partitions) pour trois ballets qui furent jouées sur des airs de Lully.


Provenances :
  • Louis-Alexandre de Bourbon (1678-1737), comte de Toulouse, 1er duc de Penthièvre, fils de Louis XIV et de madame de Montespan. Avec ses armes sur les plats et son chiffre LA dans les caissons.
  • Louis-Jean-Marie de Bourbon (1725-1793), second duc de Penthièvre, son fils. 
  • Marie-Adélaïde de Bourbon (1753-1821), mademoiselle de Penthièvre, duchesse de Châtres puis d’Orléans, épouse de Philippe-Egalité, sa fille. 
  • Louis-Philippe d’Orléans (1773-1850), duc d’Orléans puis roi des Français, son fils. Cachet du Palais-Royal au début de l’ouvrage.
  • Catalogue de livres provenant des bibliothèques du feu roi Louis-Philippe. Deuxième partie. Paris, Potier, 1852. Vendu le 17 décembre 1852, n°921. 
  • Volume acheté vraisemblablement par Cretaine ou Payé, un des deux marchands français ayant acquis nombre de livres de la bibliothèque de musique du comte de Toulouse. Ils s’étaient partagé l’essentiel des volumes avec un marchand et collectionneur anglais, William Hope. La partie achetée par Hope est bien connue car elle fut rachetée par Sir Frederick Ouseley et dispersée en 1978.
  • Henry Greffulhe (1848-1932), collectionneur, modèle de Proust pour le duc de Guermantes. Il le conserva dans un de ses châteaux qui avait aussi appartenu au comte de Toulouse et l’y laissa quand il vendit ce château.
  • Château de …. jusqu’à ce jour.

Cette copie est réalisée vers 1703-1705, sous la direction du comte de Toulouse lui même et d’Anne Dalican Philidor (1681-1728), fils d’André et demi-frère de François-André, le fameux joueur d’échecs. André était alors Ordinaire de la Musique du Roi. On sait qu’au moins une douzaine de copistes ont travaillé à la bibliothèque de musique du comte de Toulouse.








Ce volume fait partie d’un ensemble de 8 volumes dédiés aux « anciens ballets » et porte la tomaison 8 sur le dos. Ces volumes étaient toujours ensemble quand ils ont été vendus en 1852 mais nous perdons la trace de 4 d’entr’eux. Seuls les tomes 2 à 4 et 8 semblent être restés ensemble jusqu’à ce jour (nous supposons que la série a été divisée lors d’une succession au XXe siècle).


Il est amusant de noter que Montespan et La Vallière jouent, avec Louis XIV, dans la mascarade espagnole de ce ballet (6e entrée) et jouent aussi dans la 13e entrée. La Vallière est toujours la maîtresse de Louis XIV qui ne connait que depuis très peu de temps Montespan. Cette dernière se rapprochera de La Vallière et c’est ainsi qu’elle rencontrera Louis XIV et deviendra la favorite à la place de son amie et de cette union naitra le comte de Toulouse.
Fiche de l'expert

Exceptionnels manuscrits contenant les textes seuls de Molière et Benserade (sans les partitions) pour ballets qui furent jouées sur des airs de Lully.

Provenances : Louis-Alexandre de Bourbon (1678-1737), comte de Toulouse, 1er duc de Penthièvre, fils de Louis XIV et de madame de Montespan. Avec ses armes sur les plats et son chiffre LA dans les caissons. (O.H.R. - pl. 2609 n°6 - répertorie les armes des plats comme appartenant à son fils Louis-Jean-Marie de Bourbon, second duc de Penthièvre (1725-1793), le comte de Toulouse portant généralement deux ancres en sautoir mais il est précisé que cette règle fut plusieurs fois enfreinte et que l'on retrouve ces armes à une ancre antérieurement à la naissance du duc de Penthièvre, comme c'est le cas ici.) / Marie-Adélaïde de Bourbon (1753-1821), mademoiselle de Penthièvre, duchesse de Châtres puis d’Orléans, épouse de Philippe-Egalité, sa fille. / Louis-Philippe d’Orléans (1773-1850), duc d’Orléans puis roi des Français, son fils (avec le cachet de la Bibliothèque du Roi au Palais-Royal au début de l’ouvrage ; cf. Catalogue de livres provenant des bibliothèques du feu roi Louis-Philippe. Deuxième partie. Paris, Potier, 1852. Vendu le 17 décembre 1852, n°921.) / Volume acheté vraisemblablement par Cretaine ou Payé, un des deux marchands français ayant acquis nombre de livres de la bibliothèque de musique du comte de Toulouse. Ils s’étaient partagé l’essentiel des volumes avec un marchand et collectionneur anglais, William Hope. La partie achetée par Hope est bien connue car elle fut rachetée par Sir Frederick Ouseley et dispersée en 1978. /Henry Greffulhe (1848-1932), collectionneur, modèle de Proust pour le duc de Guermantes. Il le conserva dans un de ses châteaux qui avait aussi appartenu au comte de Toulouse et l’y laissa quand il vendit ce château.


Ces copies furent réalisées vers 1703-1705, sous la direction du comte de Toulouse lui-même et d’Anne Danican Philidor (1681-1728), fils d’André (bibliothécaire et copiste de Louis XIV, Ordinaire de la Musique du Roi) et demi-frère de François-André, le fameux joueur d’échecs. Anne collabore avec son père dans ses fonctions de bibliothécaire de la Musique du roi à compter de 1702, et l'aide aussi à copier des partitions de la collection Toulouse-Philidor. Il est nommé ""garde de la bibliothèque de musique du roi"" en survivance. Au moins une douzaine de copistes travaillèrent à la bibliothèque de musique du comte de Toulouse.


Ces 4 volumes faisaient partie d'un ensemble de 8 volumes dédiés aux ""anciens ballets"" et porte les tomaisons 2 à 4 et 8 (celle-ci grattée en partie) sur les dos. Ces 8 volumes étaient toujours réunis lors de la vente de 1852 mais 4 d'entre eux disparaissent par la suite.






On retiendra pour l'anecdote la participation de Mme de La Vallière et Mme de Montespan avec Louis XIV à la mascarade espagnole du Ballet des Muses (6e entrée et 13e entrée) : la première, toujours maîtresse de Louis XIV, présentera alors au roi la seconde, qui prendra sa place de favorite et donnera naissance, entre autres, au comte de Toulouse.


Outre la travail de copie et parfois de réécriture, saluons tout de même un détail oublié par le libraire, mis en gras dans ce tableau ci-dessus : 

(O.H.R. - pl. 2609 n°6 - répertorie les armes des plats comme appartenant à son fils Louis-Jean-Marie de Bourbon, second duc de Penthièvre (1725-1793), le comte de Toulouse portant généralement deux ancres en sautoir mais il est précisé que cette règle fut plusieurs fois enfreinte et que l'on retrouve ces armes à une ancre antérieurement à la naissance du duc de Penthièvre, comme c'est le cas ici.).


Signé Krypto

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