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Si dans le cochon tout est bon, dans l'art tout n'est pas bon. Qui jugera du beau ou du moche ? Moi, vous, tout un chacun. Ce qui apparaîtra beau pour certains apparaîtra laid pour d'autres, et vice et versa. Et en matière de vice, justement, nous tendons vers ça ! Vers cette dichotomie du beau et du moche. Alors jugeons ! aimons ! haïssons ! c'est humain. Le pire serait l'indifférence. Il y a tant d'indifférents ... En réalité c'est même très regrettable de penser que l'humanité se divise en deux (comme dirait Blondin) : ceux qui regardent passer les trains et ceux qui montent dedans. Enfin, je vous avouerai que c'est aussi un peu facile à dire, alors restons modestes et contentons-nous (le plus souvent) d'admirer à défaut de pouvoir monter dedans (le train). Vous me suivez ? Bref. Tout ceci pour vous dire que je suis un grand admirateur de l'Art Nouveau (tout en rondeurs naturelles, en fleurs épanouies, en jolies femmes 1900 à chevelures baudelairiennes) moins de l'Art Déco, cet art angulaire et pointu, qui m'apparaît souvent plus agressif, plus industriel, plus pollué par l'abstraction géométrique qu'enrichi par les lignes naturelles. Mais il faut parfois se rendre à l'évidence, l'Art Déco a de belles choses à montrer aux générations futures qui en sont rendues aujourd'hui à l'Art Zéro (j'entends déjà les sifflements ahuris des modernistes archi-défenseurs des indéfendables-zartistes). Oh la ! J'entends bien. Ne sifflez pas ! Je suis très (trop) sensible des oreilles. Bref. Passons.
Donc, voici un cas pratique. J'ai découvert il y a quelques jours l'existence d'un ouvrage que j'aurais sans doute dû croiser 100 fois depuis 20 ans, mais non. Jamais vu ! C'est ainsi. Un curiosa digne de figurer, à mon sens, dans une belle bibliothèque sur le sujet. Il réunit les qualité d'un grand auteur reconnu pour sa spécialité : Pierre Louÿs ; un grand illustrateur de la période 1930. Jean-Pierre Dutel nous dit qu'il s'agit de Marcel Stobbaerts. Croyons-le. J'avoue que je n'avais jamais entendu parlé de lui avant de lire la notice de Dutel. Voici le descriptif précis de cet ouvrage tel que Dutel le donne page 316 du tome III de sa Bibliographie des ouvrages érotiques publiés clandestinement en Français entre 1920 et 1970, sous le numéro 2195 : P. L. / PIBRAC / Edition augmentée et ornée / de vingt aquarelles / PARIS. In-4 (20,3 x 15 cm) de 127 pages et 1 feuillet, couverture rempliée en papier crème imprimée en bleu foncé. Edition publiée au début des années 1930. Elle est illustrée de 20 pochoirs hors-texte en couleurs de Marcel Stobbaerts. Tirage : 250 exemplaires. Les exemplaires sont numérotés au composteur.
Pour compléter la notice de Dutel avec un exemplaire du livre sous les yeux, nous pouvons ajouter que les aquarelles ne sont pas uniquement au pochoir mais également rehaussées au pinceau à la main (on voit nettement la mise en couleurs au pinceau à la main avec dégradés sur les planches). Il est intéressant de noter que Dutel donne la notice de deux autres impressions de ce même livre. Sous les numéro 2196 il décrit une autre édition de 1933 donnée par Marcel Seheur, en 91 pages, tirée à 175 exemplaires, sous couverture de papier gris-vert imprimée en rouge (ornée de 12 illustrations de Marcel Stobbaerts légèrement différentes de celles de l'édition de Paris). Sous le numéro 2197 il décrit une dernière édition de 1939 en 122 pages, ornée de 12 pochoirs également par le même artiste, tirée à 375 exemplaires, sous couverture rempliée en papier rouge imprimée en noir. Concernant cette dernière édition nous avons pu comparer avec les illustrations de notre édition de Paris (1930) et il s'avère que le coloris de cette édition de 1939 est plus simple et le dessin légèrement différent (dessins refaits par une autre main). En résumé, la première édition de Paris (1930) est sans conteste la plus richement illustrée (20 aquarelles contre 12) et la plus joliment mise en couleurs (pochoir et pinceau à la main). Nous passerons ici sur Pierre Louÿs et ce Pibrac trop connu des amateurs pour en faire la notice.
Qui était Marcel Stobbaerts ? Comme son patronyme l'indique Marcel Stobbaerts était belge. Il est né en 1899 et mort en 1979. Il était originaire de Forest, commune au sud ouest non loin de Bruxelles, au sud d'Anderlecht. A vrai dire on ne sait pas grand chose de lui. On sait qu'il remporte le prix de la jeune peinture belge en 1924. Il sera tour à tour illustrateur, aquarelliste et graveur, ami proche d’Hergé, le père de Tintin. Certaines de ses huiles sur toile atteignent des prix non négligeables dans le parnasse commercial de l'art aux enchères (11.000 euros pour une toile "Scène de cabaret à Anvers" datant de 1925 et mesurant 82 x 62 cm). Néanmoins il obtient beaucoup moins (prix galerie) pour un bouquet de fleurs mortes (ou presque), 1.300 euros seulement. Il a donné aussi de nombreuses eaux-fortes. Dans le domaine érotique, nous avons trouvé de lui, dans la période Art Déco, 1925-1930, des scènes d'intérieur de cabaret ou plutôt de tripots à filles d'Anvers et autres endroits louches de la Belgique. Les scènes où sont présentes les filles de joie ne sont pas rares dans son oeuvre dessinée.
Dans le domaine du livre on lui doit quelques frontispices, notamment un superbe d'inspiration cubiste pour Les enfants du malheur de Francis Carco (Maastricht, chez Stols, 1930) dans lequel on pourrait retrouver le travail des lignes abruptes de Jean-Emile Laboureur. Il donne un frontispice gravé sur bois pour Les notes d'un exilé de Léon Daudet (1929). A notre connaissance cependant, ce Pibrac de Louÿs semble être la seule incursion de Marcel Stobbaerts dans le domaine du livre illustré érotique clandestin. Les lignes encore cubistes de cette suite de 20 très jolies aquarelles sont typiques d'une époque (1930) qui sera vite révolue. D'ailleurs il est intéressant de noter que les curiosa clandestins illustrés typiquement Art Déco sont assez rares. On aurait certainement du mal à en trouver plus d'une dizaine. Passons maintenant à la propagande par le fait (oui j'avoue cette faiblesse militante héritée de mes lectures idéalistes utopiques extrémistes. Pierre, Michel, si vous me lisez ...).
Voici donc in extenso cette très belle suite de 20 aquarelles "au pochoir" et "au pinceau" donc, pour le plaisir des adultes consentants. Bonne visite au pays de la gaudriole PierreLouysesque imagée par excellent artiste belge.
Ne me dites pas merci.
Bonne journée,
Bertrand Bibliomane moderne