En partageant une étiquette ancienne de librairie, Bertrand m’a incité à
chercher davantage d’information sur ce libraire et je me suis pris au jeu.
On y lit : « Se Vend, à Rennes, Chez la Veuve de N.AUDRAN,
Imprimeur-Libraire, Place du Palais. Et N. AUDRAN, libraire des Facultés des
Droits, ruë Royale, carrefour de la ruë aux Foulons. »
Fig 1
On sait que ces petits bouts de papier collés au début du livre sont utilisés depuis le 18 ème siècle
environ (En avez-vous trouvé datant du 17ème siècle ?) par les libraires, les papetiers et les relieurs pour faire la réclame de
leur officine. (Et oui, avant Ebay, il n’y avait guère que le bouche à oreille
et la valse des étiquettes !).
J’ai peu d’ouvrages contenant de telles étiquettes, (Pourquoi doubler le
colophon, devaient se dire les proto-imprimeurs !) et mes commentaires
n’ont donc pas valeur de statistiques, mais je constate que celles du 19 et 20
ème siècle sont généralement apposées dans l’angle supérieur du premier contreplat
et qu’elles sont de taille modeste, moins de deux centimètres (un nom, une
adresse) alors que celles du 18 ème siècle sont plus visibles et plus grandes.
Celle qui est présentée ici (30x65 mm) est carrément placées au centre de la
page (sur le verso du premier feuillet blanc) et donne à lire. Il y en a une
sur chacun des deux tomes de cette « Histoire critique de l'établissement
des Bretons dans les Gaules, et de leur dépendance des rois de France et des
ducs de Normandie », écrite par l’Abbé R. Aubert de Vertot, publiée à
Paris chez Nyon, Didot et Quillau en 1730.
D’autres étiquettes contiennent même
un petit inventaire de ce que le client est en droit de trouver dans la boutique du
marchand.
Une recherche effectuée par un amateur canadien nous révèle que ces
étiquettes anciennes sont très courantes
et qu’un collectionneur allemand en a réunie 50 000 exemplaires, rien qu’en
Allemagne ! (j’espère qu’il a gardé les livres-support). Il a remarqué que
les étiquettes sont rares sur le papier d’attente des livres brochés et il en a
déduit que l’apposition du nom du libraire indiquerait un ouvrage qu’il a fait
relier lui-même. Encore qu’on ne trouve pas cette étiquette sur tous les
exemplaires sortis d’une même librairie, mais sur 10-15% d’entre eux environ.
Chiffre difficilement vérifiable ! Ce domaine mériterait une étude plus
approfondie.
1730 : la date d’impression m’a été fort utile pour retrouver une
trace de ce libraire Nicolas Audran car il
s’agit d’une dynastie de libraires-imprimeurs et ils se prénomment tous Nicolas
de père en fils et – comme je le soupçonne – d’oncle à neveu !
Fig 2
Voici l’histoire familiale que j’ai pu brièvement retracer :
- Nicolas 1er Audran,
l’aïeul, né
le 16 juillet 1637 à Lyon, décédé
le 19 septembre 1713 à Rennes, Imprimeur-Libraire à Vannes puis
Rennes, marié le 31 août 1666
à Vannes avec Guyonne Thérèse Grandjean, née avant 1648 et décédée
le 5 juillet 1723. C’est le fils
du dessinateur, graveur et libraire de Lyon Claude I Audran, chez lequel
il fait son apprentissage. C’est en partant faire son tour de France de
compagnon qu’il goute à la douceur quasi-angevine de Nantes. Il travaille alors
en qualité de compagnon chez le libraire Guillaume I Lepaigneux pendant 2 ans,
puis à Quimper, chez l'imprimeur Guillaume II Leblanc pendant 18 mois, puis en
1662 à Vannes chez l'imprimeur Vincent Doriou pendant 2 ans. En 1664, il saute
le pas et ouvre sa propre librairie à Vannes. Peu après août 1666, il s'établit
également imprimeur et prospère notamment grâce à l'exil du parlement de
Bretagne à Vannes en 1675. Au retour de celui-ci à Rennes, il le suit et
transfère vers 1689 son imprimerie dans cette ville, tout en maintenant une
librairie à Vannes, qu'il confie dès lors à son épouse. Un couple moderne en
quelque sorte travaillant à 150 km de distance l’un de l’autre.
- Nicolas II Audran, (1672-1722).
Son fils - celui de notre étiquette - qui a été son apprenti puis imprimeur à
Port-Louis de 1694 à 1704, lui succède alors à Rennes. Il s’est marié le 2 octobre 1708 à
Port-Louis, avec Jeanne Thérèse Pathelin, née vers 1672, qui
reprendra l’imprimerie à son décès en 1722. L’adresse est alors Place du Palais
(Parlement de Bretagne). La veuve Audran exercera jusqu’en 1740.
- Nicolas III Audran (1709-1785) marié le 13 mars 1742, à Rennes, avec
Anne-Marie Vallée (1711-1777) fils du précédent, imprimeur et libraire, il aurait donc exercé
dès 1730, d’après l’étiquette, à l’angle de la rue Royale et de la rue des
Foulons. Il se qualifie de libraire des facultés de droit, pourtant la BNF nous
apprend que lesdites facultés ne
furent transférées de Nantes à Rennes
qu’en 1735. Il doit y avoir une erreur dans la date du transfert ou alors ce
transfert n’est pas lié à son titre. A
moins que ce Nicolas-là ne soit pas notre Nicolas III qui aurait alors 21 ans, un
âge bien précoce pour ouvrir un atelier alors que ses parents s’étaient
installés à trente ans passés, après un long apprentissage.
Le site de data
bnf.fr mentionne aussi que sa mère, Jeanne-Thérèse Pathelin, veuve de Nicolas
II Audran, se démet en sa faveur dès juillet 1740 et qu’il est reçu par arrêt
du Conseil du 9 mai 1742. Voilà qui colle mal, là encore, avec l’information de
l’étiquette : Pouvait-il exercer le métier de libraire avant d’entrer
officiellement dans la corporation ? Y a-t-il une erreur dans la fiche de la Bnf ou
bien le Nicolas de 1730 serait-il un oncle ou un parent quelconque de Nicolas
III ? Le Nicolas de l’étiquette exerçant rue Royale resterait donc à
identifier. Si nos collègues de la BNF étaient tombés sur cette étiquette, ils auraient
pu compléter avantageusement leur fiche …. J .
Après la mort
de Nicolas-Paul Vatar, il est permis à Nicolas III de se démettre en faveur de
son fils Nicolas-Xavier Audran (1784).
- Nicolas-Xavier Audran de
Montenay (1744-1817). J’ignore
pourquoi ce titre n’est apparu qu’à cette génération et de quand date
l’anoblissement. Mais l’époque était mal choisie pour étaler ses privilèges. Jeté en prison
en 1793, pour avoir publié quelques brochures en faveur de la comtesse de
Lamballe, il n’aurait recouvré sa liberté qu'à la condition de transporter son
imprimerie à Brest. Il était resté jusque-là rue aux Foulons, comme on le voit
sur l’adresse d’une brochure vétérinaire de 1787.
Nicolas-Xavier Audran arriva donc à
Brest au commencement de 1794 et, quelques mois après son installation, il
éditait le premier journal quotidien de Brest : le Moniteur de Brest et du
Finistère, Brest, chez Audran, imprimeur de la Représentation Nationale.
Trois ans plus tard, il fonde un bureau de placement et de renseignements
dont le support est l'Indicateur général ou Sallon du commerce, des arts et des
étrangers. On lit dans le prospectus :
« 1° Il y aura, rue de la Rampe, n° 11, sous le nom d'Indicateur
général, un bureau d'indications. Affiches, Demandes, Offres et Propositions
quelconques. L'insertion d'un article, quelle que soit son étendue coûtera 1
livre 4 sous. Cet article restera pendant 10 jours affiché dans le sallon dont
nous parlerons plus bas. Pendant les dix jours de l'insertion, on recevra
autant d'avis qu'il se sera présenté d'offres analogues à la demande, soit à
notre bureau, soit dans les papiers-affiches.
2° Un Sallon de commerce, des arts et des étrangers, qui sera comme le
répertoire de toutes les demandes et propositions quelconques de tout ce qui se
trouve d'objets à vendre ou à acheter, de maisons ou d'appartemens à louer, de
places et d’emplois demandés et offerts. On y trouvera la bourse exacte et
sûre, les lois, arrêtés et reglemens de police qui intéresseront le commerce et
les étrangers, le mouvement des ports, l'état et l'annonce des marchandises
importées ou exportées, etc. Les étrangers qui s'adresseront à notre bureau, y
recevront tous les renseignements dont ils pourront avoir besoin. ».
Le Bon Coin.com était né, mais l’arrière-petit-fils de Nicolas Audran
s’éloignait du métier de ses aïeux….
Bonne journée,
Textor
Références : Léo Mabmacien a consacré sur son site plusieurs articles
à ces étiquettes anciennes de libraire, dont une d’un libraire Rémois. Voir également le blog Chroniques du Livre ancien au Québec (lien sur le
BM).