Le métier de libraire en livres
anciens est le plus beau métier du Monde ! (Je n’ai pas dit le plus
vieux !).
Quoi de plus extraordinaire que d’être
découvreur de trésors ? Un vieux recueil d’estampes sorti d’un carton de
brocanteur dans la lumière blafarde du petit matin devient après de sérieuses
recherches, et un peu de chance sans doute, une pièce de musée que se disputent
le County Museum de Los Angeles et le Fine Art Museum de San Francisco.
Ces réflexions me viennent de la
consultation du catalogue d’un libraire parisien (Le Feu Follet – Pub !) qui
propose à la vente une suite d’estampes du peintre et dessinateur italien
Salvatore Rosa (1615-1673).
Fig 1 Salvatore Rosa – Figure de
mendiant.
Je vous livre un court extrait de
cette fiche qui est très bien faite :
« Salvatore ROSA
Figurine. Varia et concinna delineamenta
S.n., Ca 1656, petit in 4, un
frontispice et 60 planches. Un Vol. relié 62 eaux fortes sur papier fort. Très
Rare. Salvatore Rosa a exécuté ce travail de gravures vers 1656 dans un recueil
originellement intitulé Figurine. Notre recueil porte un autre titre dans le
cartouche du frontispice, de même que l’exemplaire possédé par le musée
portugais national de Soares dos reis. L’exemplaire du musée portugais est
annoncé comme une publication posthume du XVIIIe. La plupart des gravures de ce
recueil sont visibles séparément au Fine Art Museum of San francisco (Achenbach
Foundation for Graphic Art –plus grande collection américaine de gravures), le County
Museum de Los Angeles en possède 8, le Museum of Fine Art de Boston 4. Les
gravures sont décrites au même format que notre recueil (13,6 x 8,9 cm),
certaines gravées d’après des artistes anonymes, d’autres dessinées par
Salvatore Rosa lui-même , les différences de style sont en effet visibles. Le
frontispice possédé par le musée de San Francisco est vierge. Le musée ne
détient que 52 gravures, par ailleurs toutes inversées. »
Mon sang ne fit qu’un tour. (Comme
quoi, il est possible de prendre de l’adrénaline sans sauter à l’élastique, juste en consultant un catalogue…). Cet ouvrage
est en effet le chainon qui me manquait pour
parfaire des recherches entreprises il y a maintenant 9 ans au sujet de 2 suites
gravées appartenant au Museo Textoris (of Fine Art J !).
Le premier est un recueil de figures
d'après Salvatore Rosa, soit une suite de 60 eaux-fortes représentant des
figures anecdotiques, telles que des soldats, des mendiants, des femmes à l’enfant,
etc … Sur la page de titre, un homme, à gauche, regarde une furie qui s'enfuie
à l'arrière-plan de gauche, et indique un panneau avec le texte suivant :
« SALVATOR ROSA // Invenit // A Paris chez HBonnart, rue St. // Jacques au
coq, avec privilège. ».
Ce recueil fut
daté par l’expert de la vente de 1675, mais la question n’est pas tranchée et
une date autour de 1690 me parait plus plausible. Les catalogues de
bibliothèques mentionnent prudemment 2
dates : 1662 i.e. date avant laquelle l'activité
d'éditeur d'Henri II Bonnart est improbable,
1711 i.e. décès d'Henri II Bonnart.
Fig.2 Page de titre de l’édition
donnée par H Bonnart.
Fig.3 Les Compagnons (Bonnart)
Fig. 4 Page de titre de l’édition donnée par F de Poilly
Le second est une suite également, composée de 43
planches (donc probablement incomplète) représentant des figures anecdotiques.
Sur la page de titre, un homme, à droite, regarde une furie qui s'enfuie
derrière lui, et indique un panneau avec le texte suivant : "SALVATOR ROSA
// Invenit // A Paris chez F De Poilly rue St. Jacques à l'image St.
benoist". Sans date. (Mais après 1669, année durant laquelle François de
Poilly adopte l'enseigne de l'Image saint Benoît.)
Vous avez noté la nuance ? La
furie s’enfuit à gauche dans un recueil et à droite dans l’autre, et de fait,
certaines gravures sont très similaires mais parfaitement inversée.
Fig. 5 Figure d’une donzelle qui minaude (Poilly)
Fig. 6 Soldat et capitaine (Bonnart)
Fig. 7 Figure d’homme (Poilly)
Salvatore Rosa est un peintre célèbre
du baroque italien, né à Naples et mort à Rome. Il travailla à Rome et à la
cour des Médicis. Son style – un rien grandiloquent- influencera les romantiques et d’ailleurs, la
série des Figurines fut encore rééditée à Paris, chez Chéreau, vers 1850 (ce
qui n’empêche pas certains libraires de mentionner circa 1700, toute la nuance
étant dans le circa…). Salvatore Rosa composa aussi des poèmes et il fut de
surcroit un acteur apprécié !
Fig. 8 Satires de Salvatore Rosa
donnée à Londres en 1787, dont la page de titre est une composition du
peintre-poète.
Chaque estampe de la suite proposée
par la librairie le Feu Follet est signée SR ce qui n’est pas le cas de ces
réinterprétations, gravées, l’une par de Poilly, et l’autre par Bonnart.
François de Poilly, (Abbeville 1623 –
Paris 1693) perfectionna son art à Rome auprès de Cornelius Bloemaert, peintre
et graveur flamand. On compte environ
400 pièces gravées par de Poilly, principalement des sujets religieux, d'après
Raphaël, Guido Reni, le Carrache, Mignard, Charles Le Brun, Nicolas Poussin, …
et Salvatore Rosa.
Quant à Henri Bonnart, (1642-1711),
fils de l'imprimeur en taille-douce Henri Ier Bonnart, reçu à l'académie de Saint-Luc comme peintre le 17 avril 1671, il
exerça comme graveur et marchand d'estampes, tout d'abord dans la boutique de
ses parents, puis à son compte, à l’enseigne du Coq, rue Saint-Jacques, et s’est
fait une spécialité des portraits de mode.
La comparaison des eaux-fortes de De
Poilly et de Bonnart ne manque pas d’intérêt, les deux graveurs sont restés
fidèles au modèle original avec une manière différente : Plus vive, aux
contrastes plus forts chez de Poilly. Plus douce et proche de ses gravures de
mode chez Bonnart. Ce qui me laisse penser qu’ils sont bien les graveurs de ces
recueils et qu’ils ne se sont pas contentés de les avoir distribués.
Fig.9
Les voyageurs (Le recueil de Bonnart est à droite)
Fig.10 Homme en costume (Le recueil de
Bonnart est à droite)
Fig.11 Soldatesque (Bonnart)
Fig.12 Soldats et figure féminine
(Poilly)
Bonne journée,
Textor