Voici ce qu'on appelle un éphémère (pas de ceux que je traque pour mettre dans ma boîte à mouches naturelles afin de tromper miss fario les jours de grand soleil de mai), non, éphémère papier ou encore ephemera, du genre de papier qu'on ne conserve pas, du genre de papiers qu'on jette une fois lus. Il faut en effet beaucoup de chance et de hasard pour tomber sur ce genre de document insignifiant du point de vue du nombre de pages et du volume, si importants du point de vue de la bibliographie et de l'étude des vieilles publications. Voici donc un spécimen extra ordinaire (de extra = super et de ordinaire = pas commun) donc super pas commun.
Mais qu'est-ce donc ? En voici le titre : LA TABLE PARLANTE JOURNAL DES FAITS MERVEILLEUX. Prospectus pour ce petit journal annoncé mensuel et composé d'un cahier de 32 pages grand in-8°, avec couverture imprimée. Ce période paraissait à la fin de chaque mois et état vendu par abonnement au prix de 6 francs par an pour la France et 7 francs pour l'étranger. On s'abonnait à Paris au Bureau de La Table Tournante, Rue Garancière, 8.
Le prospectus que nous avons sous les yeux est de format in-8° (22,5 x 14 cm) en 4 pages. Il sort des presses de Plon frères à Paris, rue Garancière, 8. Intéressant de constater que les abonnements se font à la même adresse que l'imprimeur Plon Frères. Nous avons trouvé ce prospectus placé en tête (volant) du volume de même format intitulé : Des Tables Tournantes et du Panthéisme par E. Bénézet. Volume publié à Paris chez Sagnier et Bray, libraires-éditeurs, Rue des S. Pères, 64, en 1854. Volume entièrement consacré aux mystères des Tables Tournantes et autres phénomènes de Spiritisme alors très en vogue. Le volume a quant à lui été imprimé à Toulouse sur les presses d'Augustin Manavit.
Que savons-nous de ce périodique "La Table Parlante, Journal des Faits Merveilleux" ? La bibliothèque de Dieppe possède un exemplaire du premier volume de ce journal publié chez Plon. Le titre de la fiche de cette bibliothèque indique : Tables tournantes et parlantes, esprits frappeurs, apparitions, spectres, fantômes, mesmérisme, somnambulisme magnétique, trembleurs des Cévennes, ... La bibliothèque de Nevers quant à elle ne possède, elle aussi, que le premier volume. Cette revue a été visiblement publiée sans date. Mais une autre fiche indique la date de 1854/1855. Google Books en possède un exemplaire numérisé. Ce journal est paginé de 1 à 368. Il semble manquer la fin. Une autre notice bibliographique nous apprend, comme nous le pensions, que seule la première année a paru formant un seul volume. On trouve d'ailleurs l'ouvrage référencé par Robert Yve-Plessis dans sa Bibliographie de la Sorcellerie sous le n°341.
Nous sommes donc ici en présence d'un double éphémère. Prospectus rare devenu introuvable pour une revue qui ne dura qu'une seule année, toute aussi éphémère. Caillet dans son Manuel Bibliographique des Sciences Occultes donne un peu plus de détails encore : Il annonce 319 pages (quid de la page 368 numérisée par Google Books ??). Il donne la liste des collaborateurs de cette revue : MM. B. du Vernet (rédacteur en chef). Henri de Courcy. Gougenot des Mousseaux. Salgues. Caillet ajoute ce commentaire : Ce journal est destiné à étudier les phénomènes des tables etc ... au point de vue du catholicisme. Il contient quelques documents historiques, entre autres les mandements des évêques et de grands détails sur les évènements de Cideville en 1850 : bruits, déplacements d'objets, etc. En lisant ce journal on se croit en plein moyen-âge. Il faut une foi bien robuste pour ne pas douter de tout ce qu'il raconte (note de M. Dureau).
Ce prospectus est si rare que nous pensons utiles aux curieux de le publier in extenso ici. Le voici.
LA TABLE PARLANTE,
JOURNAL
DES FAITS MERVEILLEUX.
Depuis un an les esprits sont vivement préoccupés en France de certains phénomènes qui paraissent étrangers aux lois connues de la nature : des personnes réunies autour d'une table qu'elles touchent avec leurs doigts en même temps qu'elles font une chaîne avec leurs mains communiquent bientôt à ce meuble un mouvement de rotation lent ou rapide, sans qu'on puisse l'attribuer à aucune impulsion volontaire donnée par les assistants. Ces tables tournent parfois avec une grande vitesse ; quelques-unes sont d'un tel poids, qu'il serait impossible aux auteurs de l'expérience de les mouvoir par le seul contact des doigts qu'ils emploient pour produire le phénomène.
Pendant plusieurs mois, on s'est borné à faire tourner des tables ; ce mouvement, quoique inexplicable jusqu'ici par les lois de la physique et de la physiologie, était cependant un phénomène naturel dont on pouvait espérer rendre compte par de nouvelles recherches. Mais on est bientôt sorti de cet ordre de faits : à l'imitation de ce qui se pratiquait depuis plusieurs années aux Etats-Unis, on s'est mis à interroger les tables, et, chose merveilleuse ! les tables ont répondu. Ces tables, questionnées par les assistants, ont levé un pied et frappé deux coups en nombre égal à l'ordre numérique qu'occupe la lettre qu'elles voulaient désigner, de manière à former des mots et des phrases ; d'autres fois leur langage a été plus prompt encore et plus évident : elles ont écrit elles-mêmes les réponses aux questions à l'aide d'un crayon enfoncé dans un panier d'osier qu'on avait placé sur une table couverte d'une feuille de papier blanc.
Quoique tous les essais pour produire ces phénomènes n'aient pas réussi, les faits des tables parlantes ont été vus cependant par un si grand nombre de personnes de tous les rangs de la société éclairée qu'il serait impossible d'en nier la réalité, et l'on peut assurer que rien n'empêchera désormais l'esprit de curiosité de tenter sans cesse de nouvelles expériences de la même nature.
Ces phénomènes, ridicules en apparence, sont si sérieux, que le P. Ventura les regarde comme un des plus grands évènements de notre siècle, et que le P. Lacordaire les appelle un demi-jour effrayant sur le monde invisible. Parmi les innombrables témoins de ces merveilles figurent des médecins marquants, des membres de l'Institut, des professeurs de Facultés, des ecclésiastiques du plus grand mérite ; car tout le monde, en France et en Europe, cherche à faire tourner et parler les tables ; les journaux politiques de toutes les nuances entretiennent le public ; les livres et les brochures sur ce sujet les multiplient tous les jours. Cette espèce d'épidémie morale, si répandue en France, est bien pire aux Etats-Unis : dix ou douze énormes journaux quotidiens y sont consacrés au récit de ces faits ; plus de cinq cent mille sectateurs s'y livrent habituellement à ce pratiques, auxquelles ils ont une aptitude spéciale ; toutes les villes de l'Union ont aujourd'hui leurs cercles magiques. On le voit, cet esprit de curiosité ne saurait être arrêté dans sa marche, quoique tout tende à prouver qu'il n'est pas dépourvu de danger ; en effet, l'on cite déjà les aliénations mentales et les suicides qui en ont été la suite. Il pourrait donc être utile, en satisfaisant cette curiosité par le récit des phénomènes, d'en prévenir le danger en dévoilant leur cause, leurs caractères et leurs effets. Tel est le but de ce journal.
Ces prodiges, car on peut leur donner ce nom, seraient-ils l'effet de certaines propriétés jusqu'alors ignorées des agents impondérables ? ou bien les réponses des tables parlantes ne seraient-elles que le reflet de la pensée des personnes qui les interrogent, comme l'ont assuré quelques membres de l'Académie des sciences réunis dernièrement chez l'un d'eux pour faire des expériences ? Ces solutions sont peu satisfaisantes. Comment admettre qu'un fluide, quel qu'il soit, puisse donner à un corps inerte une intelligence qu'il ne possède pas lui-même, ou qu'une réponse conçue par un spectateur puisse se détacher de lui et se transmettre au dehors par des coups frappés par une table ?Ne semble-t-il pas, au contraire, qu'un être intelligent, immatériel et invisible, un esprit, enfin, répond aux questions des assistants, et que la table n'est que le moyen de communication et l'instrument matériel dont cet être se sert pour manifester sa présence et sa pensée ? Mais alors on est jeté dans l'ordre surnaturel, dans le monde des esprits. Peut-on admettre la réalité de pareilles évocations ? ou bien y aurait-il une manière naturelle d'expliquer les faits ?
Toutes ces questions seront traitées avec soin dans ce journal, en mettant à contribution les lumières que peuvent fournir les sciences modernes.
Les faits des tables parlantes seront rapprochés, dans ce recueil, d'autres phénomènes prodigieux qui ont avec eux la plus grande analogie, et, suivant nous, la même origine ; tels sont ceux du somnambulisme magnétique, des convulsionnaires du cimetière de Saint-Médard, des possédés, etc. Ainsi sera justifié son titre de Journal des faits merveilleux.
Mais, dira-t-on, quelle utilité peut-il y avoir à recueillir ces faits, à leur donner une nouvelle publicité ? Nous l'avons dit, ce journal sera un remède contre le danger d'expériences qu'il est impossible d'empêcher. Il critiquera les faits ; il fera la part de l'ignorance, de la crédulité, de la jonglerie lorsqu'il en découvrira ; il ramènera autant que possible les faits bien observés à des causes naturelles, et s'il y en a, comme il est impossible de le nier, qui soient d'ordre surnaturel, la Table parlante fera tous ses efforts pour éclairer ses lecteurs sur la voie dangereuse des expérimentateurs. Les faits de cet ordre lui fourniront une arme puissante contre la classe si nombreuse des matérialistes. En effet, si les démons et les âmes des morts peuvent se mettre en communication avec les vivants, ils existent donc ; il y a donc un autre monde, le monde des esprits, et une vie future.
Ce journal sera donc un récit fidèle et un examen critique des événements merveilleux qui préoccupent aujourd'hui tous les esprits, ou qui se sont passés autrefois : Tables tournantes et parlantes. - Esprits frappeurs. - Apparitions. - Fantômes. - Mesmérisme. - Somnambulisme magnétique. - Trembleurs des Cévennes. - Convulsionnaires de Saint-Médard. - Possession des ursulines de Loudun. - Evénement du presbytère de Cideville. - Femme électrique. - Oracles anciens. - Pythonisses. - Possessions. - Obsessions. - Magie. - Nécromancie. - Sorcellerie. - Revenants, etc.
Les faits dont il est question doivent surtout appeler l'attention des médecins, profession la plus éclairée de la société, et naturellement consultée sur tous les phénomènes étonnants de l'organisme vivant, dans l'état de santé ou de maladie. Nulle classe de savants ne saurait comme eux jeter sur ces questions la lumière qu'elles attendent. Obligés de connaître le physique et le moral de l'homme, et tout ce que certains états pathologiques peuvent présenter d'insolite, d'extraordinaire et de merveilleux ; fréquemment appelés à éclairer la justice sur la culpabilité des prévenus cités devant les tribunaux, les médecins doivent se tenir au courant de tous les phénomènes nouveaux, qu'ils soient organiques, vitaux ou moraux. A la manière dont marchent les événements, nous revenons au moyen âge, et le temps n'est pas éloigné où les médecins seront, comme à cette époque, consultés sur des cas de sorcellerie, de magie, d'obsession, etc. Ils trouveront dans la Table parlante tous les documents propres à les éclairer sur ces questions et sur une foule d'autres qui sont essentiellement du domaine médical.
Bonne journée,
Bertrand Bibliomane moderne