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lundi 20 octobre 2008

Virtual bookbinding ou la passion du décor des reliures anciennes



Reliure maroquin mosaïquée du XVIIIe siècle.

C'est avec grand plaisir que je vous présente sur ce blog un site internet consacré en grande partie à la reliure ancienne. Peut-être quelques uns parmi vous sont-ils déjà passés sur ce site, par hasard ou suite à une recherche sur Google. Nombreux sont peut-être ceux qui ne le connaissent pas encore, et c'est à eux d'abord qu'est destiné ce billet de présentation.

M. Miller, comme il l'explique lui-même, était un simple collectionneur de livres, jusqu'au jour où il fit l'acquisition d'un bréviaire de 1647 dont la reliure décorée lui donna envie d'en savoir plus sur le relieur qui avait bien pu exécuter pareille merveille. De collectionneur de livres il est devenu collectionneur de reliures.

Cliquez sur les images pour les agrandir

Ne sachant pratiquement rien du décor des reliures anciennes, ceci l'amena tout naturellement à se lancer dans un vaste programme de recherches consacré aux décors dans leurs moindres détails. Ainsi, il put identifier, d'après des photographies de détails des fers dorés apposés sur les reliures, avec l'aide de quelques bibliographies et catalogues de ventes de bibliothèques (notamment la bibliothèque Raphaël Esmerian), la plupart des relieurs français des XVIe au XVIIIe siècle.

La méthode très poussée que M. Miller a mis en place pour parvenir à détacher des reliures les décors dorés (voir les photographies qui sont explicites) est très efficace et permet une comparaison positive fiable.


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Tous les grands relieurs sont étudiés : Macé Ruette (1606-1638) ; atelier du Maître doreur (1622-1638) ; Antoine Ruette (1638-1669) ; atelier des Caumartin (1652-1715) ; atelier de Charenton (1670-1685) ; Luc-Antoine Boyet (1685-1733) ; Antoine-Michel Padeloup dit le jeune (1685-1758) ; Pierre-Paul Dubuisson (1746-1762) ; Nicolas-Denis Derome dit le jeune (1761-1788) ; etc.

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On y trouve également des pages consacrées aux reliures décorées du XVIe siècle, des pages consacrées aux almanachs du XVIIIe siècle en reliures de luxe mosaïquées.


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Un travail de titan ! M. Miller livre tout ceci aux amateurs, dans la plus pure ligne des humanistes du XVIe siècle, pour faire un don de savoir utile et indispensable à l'ensemble de la communauté bibliophile. Nous vous invitons à une visite approfondie et régulière de son site, régulièrement mis à jour. Les quelques photos qui illustrent cet article sont des copies d'écrans de Virtual bookbinding faites avec l'accord de M. Miller.

M. Miller contribue avec Virtual bookbinding et sa méthode, à faire avancer de façon très significative, l'étude des reliures décorées du XVIe au XVIIIe siècle, période où les plus grands relieurs ne signaient que rarement leurs chefs-d'œuvres.

Un grand merci à M. Miller pour m'avoir autorisé à publier ici des photographies issues de son site, et bon courage à lui pour continuer ce vaste travail de classification. Le site est en anglais.

Visitez Virtual bookbinding

Amitiés bibliophiles et admiratives,
Bertrand

mardi 14 octobre 2008

Michel Fezandat : imprimeur, libraire et marchand de vin (1538-1566)


Chaque nouveau livre qui passe par mes mains est l'occasion d'un voyage merveilleux, un voyage souvent bref, quelquefois plus long et enivrant.


L'esthétisme qui se dégage de cette belle page de titre de 1552 est évident

Cette fois c'est un livre du XVIe siècle qui m'a donné l'occasion de me pencher d'un peu plus près sur le cas d'un imprimeur dont je connaissais le nom seulement, pour l'avoir croisé plusieurs fois sur des catalogues de ventes de livres ou de librairies anciennes.

C'est de
Michel Fezandat que je veux vous entretenir brièvement ce soir. Ce ne sera qu'une évocation, une invitation à aller plus loin. Je ne cherche donc pas ici à être exhaustif sur le personnage mais seulement à vous en faire partager quelques traits, quelques faits.

J'ai tout d'abord été surpris de ne trouver aucun article au nom de
FEZANDAT dans le Dictionnaire encyclopédique du livre (éditions du cercle de la librairie). Rien non plus dans la Biographie universelle de Michaud. Aucune entrée dans le Dictionnaire universel de Pierre Larousse. Maigres références donc.


C'est l'Histoire de l'édition française, publiée sous la direction de Henri-Jean Martin et Roger Chartier qui nous fournit au tome I quelques éléments biographiques ; les voici :

"Installé depuis 1538 au Mont-Saint-Hilaire, en l'hôtel d'Albret, il s'associe en 1542 avec deux autres marchands Bernard Vernet et Guillaume Duboys, chacun apportant dans la communauté cent livres tournois ; pendant cinq ans, ils sont à la fois libraires, imprimeurs et marchands de vin et se partagent tous les frais, notamment la nourriture et les gages de leurs serviteurs. Par cette entente, Fézendat ne semble pas avoir gagné l'argent nécessaire pour faire fonctionner régulièrement son atelier : en 1543, il se fait prêter quatre cents livres tournois par le marchand libraire Pierre Regnault et doit, pour rembourser sa dette, mettre ses presses au service du libraire. En 1550 on le retrouve, concluant une association de dix ans avec Robert Grandjon "à laquelle association ils ont promis et seront tenus apporter et mettre en commung toute la marchandise qu'ils ont de présent de leurd. estat, ensemble les presses, fontes de lettres, poinssons taillez..." ; dès l'année suivante, l'accord est rompu. La situation de Fézandat semble s'améliorer en 1552, année où François Rabelais, délaissant l'atelier de Chrétien Wechel, fait appel à lui pour imprimer l'édition définitive du Tiers livre et la première édition complète du Quart livre. (...)" (cf. Histoire de l'édition française, tome I, p. 251).


Nous n'en saurons pas plus grâce à cette source.

Une autre contribution publiée dans le
Bulletin du bibliophile permet de compléter ce portrait fragmentaire :

"Quant à Michel Fezandat, il est bien connu : c'était un habile typographe qui imprima pour Jehan Petit, François Regnault et Maurice de La Porte. Il avait pour marque la vipère qui s'attache, sans lui faire mal, au doigt de Saint-Paul, dans l'île de Malte, avec ces mots pour devise : Si deus pro nobis, quis contra nos ? Le savant et infaillible bibliophile, Charles Nodier, cite, comme imprimé chez Michel Fézandat, le plus rare volume de la colleciton de Baïf (Tombeau de Marguerite de Valois, P., Michel Fézandat, in-8, 1551), qui résulte de l'association de ce poète avec d'Herberay des Essarts et Nicolas Denisot, surnommé le comte d'Alsinois. (...) " (cf. Bulletin du bibliophile, 1839, p. 602).

Philippe Renouard dans ses Imprimeurs parisiens ( ) ne fait que reprendre les mêmes informations sans rien ajouter ou presque. Il donne la période d'activité de cet imprimeur-libraire : 1538-1566. (cf. Les imprimeurs parisiens, 1898, p. 133).

Si l'on sait que l'imprimeur
Michel Fezandat fut auditionné le 8 avril 1552 suite à la publication du Rabelais (ordonnance du 1er mars 1552 par le parlement de Paris lui-même pressé par les théologiens. cf. Les français italianisants du XVIe siècle par Emile Picot, 1906, p. 104), on sait moins que la même année sortait de ses mêmes presses, pour le libraire Vivant Gautherot, un ouvrage de pure piété dans la ligne droite des ouvrages de défense du christianisme farouchement opposé à la religion réformée Calviniste nouvellement diffusée (Calvin est d'ailleurs toujours vivant et a sans doute lu cet ouvrage).

Cet ouvrage nous l'avons en mains, il porte le titre suivant :

CHRISTIANI/hominis Institutio, aduersus/huius temporis haereses, &/morum corruptiones, quin-/quaginta homiliis Quadra-/gesimalibus distincta./AUTHORE STE-/phano Paris, Aurelianem. Epi-/scopo Abellomen, ex ordine/Praedicatorù assumpto,/& doctore Theologo/Parisiensis./(fleuron)/Cum indice locupletissimo./Cum privilegio/regis./PARISIIS,/Apud Vivantium Gaultherotium, sub signo/S. Martini, in via Iacobaea./(filet)/1552.

[colophon : PARISIIS,/Excudebat Michael Fezandat, Typographus, impensis/Vivantij Gaulterot, An. M.D.LII./pridie Idus Maij.].

Colophon du Chrisitiani hominis institutio d'Etienne Paris orléanais (1552).

Recueil de 50 homélies sur tous les sujets chauds brulants de l'époque, dieu, diable, les hommes et leurs péchés ... Tout un programme.

Le privilège est seul imprimé en français et est daté du premier jour de février 1551. Le volume ayant été imprimé dans les 15 premiers jours de mai 1552. Ce volume in-4 aurait donc été imprimé après le
Rabelais.

Ce volume in-4, imprimé en caractères romain italique, est agrémenté d'un très joli encadrement de titre gravé sur bois (voir photo) et de nombreuses lettrine à fond criblé à la manière de celles de Geoffroy Tory.


Lettrine dans le goût de celles attribuées à Geoffroy Tory ?

Par ce livre on sait désormais que
Michel Fezandat a imprimé au moins une fois pour Vivant Gautherot, ce que nous n'avions relevé nulle part.

Ce volume nous est parvenu dans sa première reliure en veau brun, largement usagée mais qui présente un joli décor à froid en encadrement des plats encore bien visible (triple-file et fleurons d'angles et au centre, décor qui inspirera plus d'un siècle plus tard
Du Seuil pour son célèbre décor).

Restons-en là. Comme je l'ai précisé, cela ne se voulait qu'une évocation rapide.

Parallèlement je souhaitais vous signaler un site internet qui rendra de bien grands services aux amateurs de belles éditions de
Ronsard, Baïf, Montaigne, les livres d'emblèmes, quelques livres d'heures de toute beauté, etc. Je vous laisse découvrir la Gordon Collection présentée dans le cadre de l'Université de Virginie (USA). Bonne visite. Ce lien sera ajouté aux adresses utiles dans la partie gauche du blog.

Version en noir et blanc de la page de titre du
Christiani hominis institutio,
1552, imprimé par Michel Fezandat


PS : N'oubliez pas qu'en cliquant sur chaque image vous obtenez une image agrandie de bien meilleure définition.

Amitiés bibliophiles,
Bertrand


vendredi 10 octobre 2008

Le docteur Jean-François Payen (1800-1870) et Montaigne


Nous évoquerons aujourd’hui de manière succincte le souvenir d’un bibliophile érudit, médecin et disciple du célèbre Dupuytren. C’est évidemment au bibliophile et à l’érudit que nous nous intéresserons tout particulièrement dans les quelques lignes qui suivent.


Jean-François Payen
était né le 24 juillet 1800. Il est mort le 7 février 1870. Outre sa passion pour la médecine à laquelle il consacra une bonne partie de sa vie, notamment en publiant plusieurs travaux (livres et articles) ; notamment sur les eaux minérales sur lesquelles il mena d’importantes recherches. Il avait par ailleurs réuni sur cette matière une collection d’ouvrages anciens et modernes, la plus curieuse et la plus complète sans doute que l’on ait connue jusqu’à ce jour (1870) ; on y trouve même un certain nombre de livres précieux et devenus très-rares.



Parallèlement, et surtout, l’étude complète et générale du seizième siècle, et en particulier de Montaigne et de tout ce qui a rapport à cet illustre philosophe. Le docteur Payen avait voué à Montaigne un véritable culte, et il poussait cette admiration jusqu’à recueillir même les choses les plus insignifiantes ayant quelque rapport à son idole. Il est bien entendu qu’il s’était procuré avant tout, et souvent aux prix d’immenses sacrifices, tout ce qu’on pouvait rassembler de plus précieux sur le grand moraliste : autographes, livres, portraits, gravures, bustes, statues, rien ne manquait à cette remarquable collection. Ainsi il était parvenu à réunir à grand’ peine, et surtout à grands frais, une trentaine d’ouvrages portant des notes de la main de Montaigne ou sa signature, et l’on sait qu’elle est la rareté des autographes de cet homme illustre. Il possédait aussi un grand nombre d’éditions des Essais, peut-être même toutes, depuis l’édition originale de 1580 et celle de 1588, devenues très-rares, jusqu’aux éditions les plus modernes. Enfin, il s’était procuré tous les documents relatifs à Montaigne, qu’il avait pu rencontrer, tous les fragments, les journaux, les publications quelconques, dans lesquels il était fait mention de Montaigne, son nom ne fût-il que prononcé. Ces soins méticuleux de collectionneur avaient coûté à M. Payen bien des fatigues, bien des ennuis et parfois aussi bien de l’argent. Mais il fallait voir comme il était heureux chaque fois qu’il avait pu découvrir un objet qu’il ne possédait pas encore ! Et tout cela était rempli, couvert de notes de sa main, dans la prévision d’une nouvelle édition de Montaigne, qu’il n’a malheureusement pas eu le temps de terminer.



On pouvait craindre, après sa mort, de voir disperser dans une vente publique cette intéressante collection. Certains bibliomanes, tout en épargnant pas leurs sincères regrets à un homme estimé, (« l’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu », La Rochefoucauld), caressaient avec joie l’espoir de posséder un jour ou l’autre quelques volumes de sa bibliothèque, par eux convoités depuis longtemps. Le docteur Payen appelait ses livres « ses enfants » et il ne pouvait dignement les abandonnés à l’encan. Avant de mourir il avait émis à plusieurs reprises le souhait de voir ses chers livres confiés à une bibliothèque publique. Sa mort vint prématurément, mais ses deux filles jugèrent, de ce qu’elles savaient de ses dernières volontés en la matière, et confièrent à M. Taschereau, directeur de la Bibliothèque nationale, le soin de conserver les livres « en bloc ». L’estimation des livres a été faite en leur nom et au nom de la Bibliothèque nationale par MM. P. Jannet et L. Potier (libraires experts) ; elle s’élevait à 31.000 francs (environ 170.000 euros en 2008 en francs/euros constants). Cette somme ayant été acceptée de part et d’autre, la Bibliothèque Nationale devint propriétaire de l’ensemble de ce précieux ensemble « Montaigne » (juin 1870). Toutefois une clause importante stipulait que les livres et l’ensemble des documents relatifs à Montaigne, devaient être conservés dans un cabinet spécial, un lieu dédié.


Anecdote : Tous les rayons, tous les côtés de sa bibliothèque étaient couverts de pensées, de sentences, de remarques de son auteur favori. Il les découpait dans les ouvrages qu’il avait en double (… sacrilège !!!), dans les journaux, dans les revues, etc., et il les collait à tous les coins de son cabinet, de sort qu’il ne pouvait faire un pas ou lever les yeux sans rencontrer une ou plusieurs de ces maximes. Habitude qui touche à la manie ! En un mot il ne semblait vivre et travailler que par et pour Montaigne.


Ainsi il est évident qu’il s’intéressa à tous les proches de son maître à penser : Mlle de Gournay, fille d’alliance de Montaigne et Etienne de La Boëtie. Dans sa collection se trouvait un volume intitulé : la vie des graves et illustres personnages, etc. Le docteur Payen, n’y trouvant pas le nom de ses préférés, a écrit avec une naïve indignation ces simples mots sur la garde : « Ni Montaigne ni la Boëtie !... »



D’après Jules Le Petit (1), le docteur Payen avait le caractère vif et souvent emporté. Une nature « bouillante » tempérée par une « bonté d’âme » et un excellent cœur. Il ne comprenait pas que l’on perde son temps, ainsi il était toujours affairé, chez lui ou ailleurs, toujours cherchant, furetant, toujours s’inquiétant de trouver les pièces qui lui manquaient ou vérifiant si les documents qu’il venait d’acheter étaient exacts, complets. Un amour de la précision, de la perfection même qui transpirent dans tous ses travaux.


La première notice que le docteur Payen donna sur Montaigne date de 1837, il avait 37 ans. Cette notice était prévue pour être placée en tête des Œuvres de Montaigne de la collection du Panthéon Littéraire (Notice bibliographique sur Montaigne. Paris, Duverger, 1837). Elle ne fut tirée à part qu’à un très petit nombre d’exemplaires qu’il distribua à ses amis et qui ne furent pas mis dans le commerce. Les autres études et recherches qu’il donna les années suivantes furent tout aussi confidentielles et eurent à chaque fois les honneurs de la critique (Nodier, Brunet, de Sacy, etc).



Bien vain aujourd’hui, en 2008, près de 140 ans après la disparition du docteur Payen, pour l’amateur bibliophile ou bibliomane, de vouloir trouver un exemplaire du cabinet de cet illustre collectionneur de « Montaigne ». Tout doit être à la Bibliothèque nationale, et mis à part une petite plaquette oubliée ou un ouvrage offert avec envoi qui aura échappé aux deux libraires Potier et Janet et aux autres collectionneurs du temps… il faudra se contenter d’aller au Fonds Payen de la BNF, prendre rendez-vous.


Nous ne donnerons pas ici la liste, ni des ouvrages écrits par Payen dans le domaine de la médecine, ni ceux écrits sur Montaigne et ses études sur le XVIe siècle. Cela donnerait trop de longueur à cet article qui ne se veut qu’une évocation rapide, faite sur la base d’une rare plaquette écrite en 1873 par le bibliographe Jules Le Petit (auteur notamment de la Bibliographie des principales éditions originales publiée en 1888 et aujourd’hui encore fort utile).



Cette plaquette intitulée « Quelques mots sur le docteur J.-F. Payen
» (1873), de format grand in-8 de XXXII pages et tirée à seulement 50 exemplaires sur papier de Hollande (Paris, Typographie de Georges Chamerot, 1873) est déjà mentionnée comme épuisée en 1888. Le Petit est également l’auteur d’un excellent petit ouvrage dans le genre de celui de Jules Janin dont nous avons parlé il y quelques jours (L’amour des livres, 1866), « L’art d’aimer les livres et de les connaître, Lettre à un jeune bibliophile », petit in-8 (1884). Notre exemplaire de ces « Quelques mots… » est agrémenté d’un envoi de Jules Le Petit à M. Rapilly sur le faux-titre, avec également de sa main sur la première couverture le mention suivante : « Tiré à 50 exemplaires non mis dans le commerce. Jules Le Petit. »

Pour aller plus loin, je ne saurais trop vous inviter à la lecture de l’ouvrage de Marcella Leopizzi « Michel de Montaigne chez le docteur Payen : Description des lettres et des ouvrages concernant Montaigne dans le fonds Payen de la Bibliothèque nationale.
»

Progrès du temps aidant, concernant Montaigne, je vous invite à la visite de ce site internet très bien fait et qui reprend les éditions anciennes du monraliste avec photographies et descriptions précises.
C’est l’université de Chicago qui nous donne cette contribution à la connaissance moderne des œuvres de Montaigne : Montaigne Studies.

Pour évocation conforme,
Amitiés bibliophiles, Bertrand


jeudi 2 octobre 2008

Notice sur une précieuse collection des Œuvres de Rabelais (1890)


En 1890, le libraire Damascène Morgand donne une petite plaquette in-8 de 35 pages, sortie des presses de Deslis frères, imprimeurs à Tours. C’est en fait le bras droit du libraire Morgand, Edouard Rahir (futur repreneur de la maison en 1897) qui est l’auteur de cette Notice sur une précieuse collection des Œuvres de Rabelais faisant partie de la bibliothèque d’un amateur bordelais.

Cette mince plaquette tirée à très petit nombre (sans doute moins de 100 exemplaires), a été rédigée par M. Edouard Rahir à l’occasion de l’Exposition rétrospective de Tours, en mai 1890.

Bien imprimée, sur beau papier vergé, avec un joli titre en rouge et noir, une couverture ornée du portrait de Rabelais en médaillon gravé sur bois, cette jolie exposition d’une belle collection de livres est illustrée de nombreux fac-simile de titres.

Voici sa présentation par M. Ed. Rahir : « Le célèbre roman de Rabelais, contenant le récit des hauts faits de Gargantua et de Pantagruel, est divisé en cinq livres différents publiés à d’assez longs intervalles. Le premier livre du Pantagruel vit le jour dès 1532, et le roman complet ne fut achevé qu’en 1564. Entre ces dates extrêmes, furent publiées un certain nombre d’éditions, soit des livres séparés, soit même des fragments de ces livres, soit encore de deux ou plusieurs livres réunis. La première édition sous le titre d’œuvres ne parut qu’en 1553, peu de temps avant la mort de Rabelais.

Cette collection comprend exclusivement des éditions des différents livres du roman, publiées séparément avant la réunion en un tout complet ; elle provient pour la plus grande partie de la bibliothèque de lord Sunderland, formée au XVIIe siècle par le duc de Marlborough (1). »

La plaquette qui annonce et décrit 22 volume in-16 et in-8 des livres séparés du Gargantua et du Pantagruel (plus quelques autres volumes attribués à Rabelais) se tait sur l’identité de l’heureux dépositaire de ces précieux volumes. C’est à M. Henri Bordes, bibliophile bordelais de grand renom qu’il faut donner cette collection (2).

Chaque titre est largement et minutieusement décrit par M. Ed. Rahir. Quel serait le prix d’une telle collection aujourd’hui ? Qu’est-elle devenue ? Je n’ai pas poussé ma recherche jusqu’à regarder si ces volumes avaient été dispersés lors de la vente de M. Henri Bordes ?

Nous nous contenterons de donner ci-dessous la reproduction des différents titres de cette collection d’après leur fac-simile respectif.
























(1) Bulletin mensuel de la librairie D. Morgand, III, 8597. Sous ce numéro du Bulletin de la librairie Morgand de l’année 1883, se dévoile un des numéros les plus exceptionnels de ce catalogue déjà prestigieux en de multiples occasions. 60.000 francs or ! Tel est le prix marqué au catalogue de cet ensemble rarissime. En voici la description : « La précieuse collection que nous mettons en vente provient de la bibliothèque de Charles Spencer, troisième comte de Sunderland. La rareté des premières éditions de Rabelais est trop connue pour que nous ayons à y insister ; c’est à peine si, dans les ventes les plus célèbres des deux derniers siècles, comte d’Hoym, duc de La Vallière, etc. on rencontre quelques volumes des éditions séparées des différents livres du roman de Rabelais. – A la vente Solar (1860) figurait une série importante de ces rarissimes volumes, mais leur condition laissait pour la plupart beaucoup à désirer, et les trois derniers livres seuls se trouvaient en éditions originales. Quelques volumes fort précieux figuraient aussi à la vente Potier (1870). »

(2) Cette plaquette a paru également la même année sous le titre Notice sur les Rabelais de M. Bordes, Tours Deslis frères, 1890. In-8 de 23 pages. L’édition en 35 pages que nous présentons est augmentée et hors commerce. Cf. Bibliographie Rabelaisienne, Plan, p. 269. C’est M. Henri Bordes qui s’est donc porté acquéreur de cette collection proposée par Morgand au prix de 60.000 francs or ! A titre de comparaison, chez le même libraire et dans le même catalogue de 1883, on trouve sous le n°8755 les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire en EO de 1857, broché pour 60 francs et sous le n°8801 les Contes et Nouvelles en vers de La Fontaine, 1762, édition des Fermiers généraux, en maroquin ancien, bel exemplaire, pour 1.200 francs. On oubliera, par décence pour nos ayeux, qu’à la même époque, à quelques années près, un ouvrier constructeur de la Tour Eiffel gagnait à peine plus d’un franc par jour…


mardi 30 septembre 2008

François Malherbe (1555-1628) bibliophile, par Hector Lefuel (1925)


Dans la quête effrénée du bibliophile-bibliomane, celui qui aime humer le vieux texte autant que le lire, au bout du chemin des grandes éditions originales, des beaux livres illustrés, des grandes séries bien reliées en 20 volumes, ce qui va manquer inévitablement c’est la petite plaquette de 20 pages devenue introuvable. Le plus souvent tirée à très petit nombre, soit feuille volante n’ayant pas été bien conservée au fil des siècles. Ce sont ces viles brochures en feuilles, ces petits papiers de rien que le bibliophile recherchera alors avidement après avoir goulument assouvi ses désirs de « biens beaux livres ».

C’est le cas de cette mince plaquette in-folio (32 x 20 cm) de 15 pages. Intitulée « Malherbe bibliophile » par Hector Lefuel, publiée à Paris, à la Société des collectionneurs d’ex-libris et de reliures, au 64, boulevard de Courcelles (XVIIe) à Paris, en 1925. Sous couverture rose, cette mince plaquette d’un grand format inhabituel est un tirage à part d’un article extrait des Archives de la Société Française des Collectionneurs d’Ex-libris et de reliures artistiques, en février 1925. Le tirage a été de 200 exemplaires numérotés (tous sur le même papier). Celui-ci porte le n°1. Les illustrations hors-texte et dans le texte sont reproduites ci-dessous à leur place.

Laissons la parole à Hector Lefuel :

« Recueillant les souvenirs de Racan et de plusieurs contemporains, Tallemant des Réaux a, dans ses Historiettes, consacré à Malherbe quelques pages d’un agrément assez vif, car le grand poète y est peint sans apprêt. Il apparait tel qu’il était dans la vie : plein d’âpreté et conscient de sa valeur, sensible à toute faute de style comme à une offense personnelle et même, dans son désir d’une perfection peut-être plus grammaticale que littéraire, irascible jusqu’au complet oubli des convenances.

C’est sa bibliothèque et non son œuvre qui doit être étudiée ici. Mais, après l’adulation de Boileau et la réaction du XIXe siècle en faveur de Ronsard, il n’est pas mauvais de reconnaître les grands services que ce probe écrivain a rendus aux Lettres françaises : il a apporté la pureté concise et vigoureuse que nécessitait, après la fécondité à la fois sensuelle et érudite des poète de la Pléiade, le style mol et plein d’affectation de leurs disciples attardés. Et puis, elle est curieuse cette carrière si tardive de Malherbe, débutant officiellement à un âge où, pour beaucoup d’écrivains, elle se clôt. C’est à cinquante ans seulement, en septembre 1605, qu’il fut présenté à Henri IV et qu’il se fixa à Paris, d’abord aux frais de M. de Bellegarde, puis aux siens à partir de 1610, dans un très modeste logis qu’il loua « rue des Petits-Champs, devant la croix, à l’image Notre-Dame) (1). Presqu’en face, se trouvait l’hôpital de ce Baron de Luz qui fut tué d’un coup d’épée, à quelques pas de là, dans la rue Saint-Honoré, par le Chevalier de Guise le 5 janvier 1613, à une heure après midi, alors qu’il revenait du palais du Louvre : dans une lettre de Malherbe à son fils au sujet de ce duel, était joint un petit plan (2) où son logis est indiqué avec précision. « Il était très mal meublé », a écrit Tallemant des Réaux, « et logeait en chambre garnie où il n’avait que sept ou huit chaises de paille… Presque tous les jours, Malherbe faisait, sur le soir, quelque petite conférence avec Racan, Colomby, Yvrande, Touvant et le président Maynard » (3) qui se disaient ses écoliers ; parfois, se joignaient à eux le peintre Daniel Dumoustier qui fit, du poète, ce crayon d’une analyse très réaliste que les gravures de Vostermann et de Briot ont popularisé.

Là, sur d’humbles planches en bois blanc, s’entassaient les livres (4) de sa bibliothèque. Les auteurs grecs étaient en petit nombre, on ne peut guère y citer qu’Homère et la Théogonie d’Hésiode. Mais les classiques latins, - étudiés avec soin, dans sa jeunesse, aux Universités protestantes de Bâle et de Heidelberg -, étaient tous là : Horace, Juvénal, Martial, Properce, Catulle, Pline, Ovide, Virgile « qui n’avait pas l’honneur de lui plaire » et Stace « qui lui semblait bien plus beau ». Un Tite-Live sont il traduisit le XXXIIIe Livre récemment découvert, Sénèque dont il transcrivit en notre langue les Epîtres et le Traité des Bienfaits, les Psaumes de David qu’il paraphrasa avec tant de talent, les Historiae Normannorum scriptores d’André du Chesne. Parmi les Italiens, on pouvait trouver les Sonnets de Pétrarque, l’Aminte du Tasse et Les Larmes de Saint-Pierre par Luigi Tansillo, poème qu’il avait traduit en vers dès 1587. De nombreux volumes de poètes et prosateurs français, les Odes de Du Bellay, les Stances de Bertaut, les Œuvres de Coeffeteau, de Guez de Balzac, l’Histoire Universelle d’Agrippa d’Aubigné, la Traduction de l’Arithmétique de Diophante offerte par son auteur M. de Méziriac, des livres de droit aussi car Malherbe ne craignait pas les procès, étant Normand. Certes, il n’était point de ces bibliophiles qui gardent, « non coupés », leurs livres ; pour lui, ils étaient des instruments de travail et même de polémique, tels son Ronsard dont il avait biffé une bonne moitié, et surtout son exemplaire des Poésies de Desportes, in-8, sorti en 1600 des presses de Mamert Patisson et qui est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque Nationale (5). Tout en haut du titre, Malherbe a écrit sa devise DELECTARE IN DOMINO, ET DABIT TIBI PETITIONES CORDIS TUI ; dans le bas il a répété trois fois sa signature pour que nul ne l’ignore, et la date de son commentaire « 1606 ». Ce livre, qui a appartenu aux Président Bouhier et de Bourbonne, provenait antérieurement de Guez de Balzac, et ce dernier avait écrit à son sujet, en 1653, à Conrart : « Je vous dirai pour nouvelle de ma bibliothèque, que j’ai ici un exemplaire de Desportes, marqué de la main de feu de Malherbe et corrigé d’une terrible manière. Toutes les pages sont bordées de ses observations critiques. » (6) C’est en relevant ces milliers d’annotations (7) mordantes du poète, que M. Ferdinand Brunot a pu reconstruire, en une savante synthèse, la Doctrine de Malherbe (8).


Tous les volumes de la bibliothèque du poète, qui sont parvenus jusqu’à nous, avaient été reliés avec grande simplicité et presque toujours en vélin blanc ; ils portent sur le titre, en manière d’ex libris, la signature de Malherbe et souvent aussi sa devise. Aucune reliure à ses armes n’avait été, avant celle m’appartenant, jusqu’à présent signalée (9). Et cependant, François de Malherbe aimait à vanter l’antiquité de sa noblesse, prétendant descendre, par la branche de Saint-Agnan, « d’un La Haye Malherbe qui accompagna le duc Guillaume à la conquête d’Angleterre ». Il notait, en outre, à l’intention de son fils : « Nos armoiries, d’argent à six roses de gueules et des hermines de sable sans nombre, se trouvent tant en une salle de l’abbaye de Saint-Etienne à Caen (10) qu’en une abbaye de Saint-Michel au rivage de la mer, en Basse-Normandie » (11). Mais cette filiation était bien lointaine, et les rieurs n’épargnèrent alors, ni la généalogie, ni le blason. Un ami de Mathurin Régnier, Nicolas Berthelot, - satirique qui fut, peut-être alors, un envieux (12) -, s’amusa à parodier, aux dépens du prétendu descendant de tant de héros, une chanson de Malherbe lui-même :

« Vanter en tout endroit sa race,
Plus que celle des rois de Thrace,
Cela se peut facilement.
Mais que pour les armes d’hermine,
Il ait beaucoup meilleure mine,
Cela ne se peut nullement. » (13).

Les railleurs prétendaient, en effet, que le bisaïeul du poète était un tanneur de Caen, père de Guillaume Malherbe ; et la discussion, qui dura toute sa vie, ne fut point chose close à sa mort. Si en 1644 ses neveux et héritiers obtinrent de l’Intendant de Justice à Caen un arrêt de Maintenue, vingt-deux ans plus tard, en 1666, - le ministre Chamillart faisant procéder à des recherches de noblesse -, le généalogiste officiel écarta cet arrêt de Maintenue rendu, affirmait-on, moyennant finance et par l’influence des Jesuites, et n’accorda aux Malherbe contestés que quatre degrés d’une noblesse d’ordre inférieur, à eux personnelle, et due à des charges de magistrature.

Cette opinion, à laquelle M. Lalanne s’était rangé, a été combattue par un érudit normand, l’abbé Bourrienne (14), dont les recherches généalogiques semblent ne pas trop infirmer les prétentions du poète qui, de toute façon, donna la célébrité à un nom, peut-être ancien, mais obscur. François Malherbe – qui se disait « sieur de Digny », - était, d’ailleurs de son vivant, traité de cousin par F. du Bouillon-Malherbe dont la noblesse n’était point contestée et qui n’aurait pas permis au père du poète de placer, sur les lucarnes de sa maison réédifiée en 1582 à Caen place de la Belle-Croix, l’écusson des armes auxquelles il n’aurait pas eu droit.


Ce sont ces armes qui se trouvent sur la reliure récemment entrée dans ma collection. Cette reliure in-folio (15) de la fin du XVIe siècle, est en veau fauve, le dos orné du titre et de petits fleurons détachés, les plats sertis d’un filet d’or tandis qu’au centre se trouve une fine couronne d’olivier évoquant, dans sa grâce un peu grêle, l’art de Clovis Eve : au-dessus, le poète, qui avait acheté le livre tout relié, fit frapper ses armes. Le volume, Regularum juris civilis pontificii, ex celeberrimis I.V.D. collectarum. Tomus secundus. Lugduni, apud Stephanum Michaëlem, 1587, ne devait pas être inutile à François Malherbe qui avait le goût inné de la chicane et qui de plus fut, de 1594 à 1595, l’un des six Echevins (16) de cette ville de Caen où il passe pour être né en 1555. Le fer à dorer (17), d’une gravure très fine et d’un beau style héraldique, a dû être exécuté dans un atelier de Paris. Nous savons que le poète était en relation avec plusieurs relieurs parisiens et cela sur le désir de son ami Fabri de Peiresc : le 28 octobre 1609, Malherbe écrivait à ce dernier que, la veille, le relieur Provence lui avait recommandé « un gentil garçon reliant bien » (18) et qui, à la demande du poète, consentait à se rendre à Aix pour relier les livres du savant magistrat dont le monogramme ingénieux ne marque guère que d’intéressants ouvrages. Peut-être ce Provence, - que Léon Gruel n’a point cité dans son Manuel historique et bibliographique de l’amateur de reliures -, est-il l’auteur du fer à dorer de Malherbe ? En tout cas, ce dernier usait, aussi, pour sceller ses lettres de nombreux cachets : l’un également à ses armes, montre en des dimensions plus réduites une composition presque identique, avec le heaume taré de deux tiers, montrant cinq barreaux et entouré de lambrequins, tandis que le second cachet plus petit était constitué de l’élégant monogramme du poète.


Ces deux cachets inédits sont relevés sur une longue lettre autographe, datée du 1er novembre 1625, signée de François Malherbe et adressée « à Monsieur de Racan, gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roy » : cette pièce (19), qui me parait n’avoir pas été publiée, fait depuis 1918 partie de ma collection. Les 221 lettres originales de Malherbe à Peiresc, conservées à la Bibliothèque Nationale (20), nous révèlent deux autres cachets inédits dont les chiffres, compliqués selon le goût de l’époque, ne sont pas sans receler peut-être des jeux de mots. Ces cachets pourraient préciser utilement la date de certaines lettres de Malherbe qui ne seraient point datées : en effet, si en 1606 le poète se sert de son sceau, à partir de 1608 il en utilise un autre, puis l’année suivante, il commence à employer celui à ses armes, n’adoptant qu’après 1615 le cachet à son chiffre. Quand à sa femme, ses lettres sont scellées naturellement aux armes de Corriolis-Malherbe.


Une curieuse gravure, accompagnant une « Généalogie de Malherbe » écrite de la main du poète, existe dans le même recueil (21), portant cette note contemporaine « Armes des Malherbes de Saint-Agnan » : il est à remarquer que les armes ont été régulièrement blasonnées, puisqu’étant « d’argent » elles ont été gravées « d’azur ». Le style en est très voisin de ceux du fer-à-dorer et du cachet héraldique, en outre deux grandes plumes croisées au dessous équilibrent la composition. Cette gravure, ainsi qu’il a été déjà constaté (22), dut – sans doute assez exceptionnellement – servir d’ex libris qui était collé, contrairement à l’habitude, au verso du titre des volumes, et l’ancienne collection Ernest de Rozière en possédait un exemplaire. Un plus petit ex libris, aussi aux armes de Malherbe mais avec un lion-léopardé pour cimier, existerait également.


A côté de sa bibliothèque parisienne, (23) il faut signaler celle que, soit en puisant dans la sienne, soit en achetant chez les libraires, le poète avait constituée à Aix (24) pour son fils. Ce dernier, Marc-Antoine de Malherbe, né à Aix le 14 décembre 1600, était, depuis la mort de Henri et de Jourdaine, le seul enfant survivant de son mariage avec Magdeleine de Corriolis. Elevé à Aix par sa mère, cet enfant semblait annoncer une heureuse nature. « Le petit Marc-Antoine », écrivait Peiresc au père resté à Paris, « est plus grand que vous l’avez laissé d’un bon demi-pied et je ne vis jamais enfant de son âge si gentil et si éveillé que lui… Il dîna dernièrement chez M. du Périer, où il entretint merveilleusement toute la compagnie et avec des discours très pertinents comme s’il eût été un homme consommé » (25). Et l’année suivante : « Votre petit Marc-Antoine est si gentil maintenant qu’il a le haut-de-chausses qu’il ne se daigne d’aller avec les enfants ; ses discours sont si bien sensés que d’homme de trente ans que je connaisse : il m’a fait des vers en latin d’importance. Ce va être une merveille du siècle, Dieu aidant »… (26) Le père, flatté d’une telle précocité, ne cessait de lui faire parvenir des livres par l’intermédiaire de son ami Peiresc, le savant correspondant de Galilée et de Gassendi. Dès le 16 avril 1609, Malherbe envoie à son fils un Panégyrique de M. de Sully (27), qui semble bien austère pour un enfant de huit ans. Le 20 août 1613, c’est un cadeau plus badin, cette sarabande faite par Gautier sur La Danse des Toupinamboux (28) qui était, en somme, le premier essai de musique nègre. Le 23 novembre 1613, le libraire Claude Cramoisy, - père de Sébastien Cramoisy qui fut directeur de l’Imprimerie du Louvre – fait parvenir à Marc-Antoine « un lexicon grec, une Polyanthée récente et les Chiliades d’Erasme » (29). Le 16 décembre 1613, c’est un « paquet de deux cents autres livres » (30) sans doute prélevés dans la bibliothèque du poète ; en février 1614, c’est l’envoi de cent francs à Mme de Malherbe « pour avoir des livres à Marc-Antoine » (31) ; le 10 mars 1614, le poète s’excuse auprès de Peiresc « d’avoir mis quelques livres pour son fils dans un ballot » envoyé au Conseiller (32), et le 20 mai suivant, il en est de même.

Sur les titres des volumes donnés à son fils et qui lui avaient appartenu, le poète mettait, outre sa signature, le verset 4 du Psaume XXXVI, dont il avait fait sa devise DELECTARE IN DOMINO, ET DABIT TIBI PETITIONES CORDIS TUI : « Fais du Seigneur tes délices, et il te donnera ce que ton cœur désire ». Le père, en outre, y ajoutait des Ex-dono autographes, tantôt « Fr. Malherbe » pour son fils Marc-Antoine, à Paris, 1619 » comme sur l’exemplaire m’appartenant (Planche II), tantôt « Filio suo, Marco Antonio, Fanciscus Malherbe, Parisiis, 1619 » tel l’exemplaire signalé par Alexis Martin (33).

un sonnet extrait des Poésies publiées par Barbin en 1689

Marc-Antoine, après avoir en 1615 brillamment soutenu ses « thèses en philosophie », vint deux ans plus tard à Paris, auprès de son père. Cependant, bientôt les préférences du jeune homme le portaient vers l’état militaire. Pendant que Fr. Malherbe sollicitait pour son fils une charge de Conseiller au Parlement d’Aix, Marc-Antoine trouvait le moyen de se faire coup-sur-coup, dans cette ville, deux mauvaises affaires. La seconde surtout était fort grave puisqu’il venait de tuer en duel au mois de juin 1624 un bourgeois de la ville, Raymond Audibert. Le Sénéchal d’Aix ayant prononcé contre Marc-Antoine une condamnation à mort, le poète fit appel au Conseil du Roy qui renvoya l’affaire au Parlement de Dijon pendant que son fils se réfugiait en Normandie : des Lettres de Grâce furent enfin obtenues, sur la recommandation expresse et instante de la reine Marie de Médicis, le 13 février 1627. Cinq mois plus tard jour pour jour, le 13 juillet, à quatre lieues d’Aix, Marc-Antoine périssait à son tour dans une querelle avec Gaspard de Bovet, baron de Bromes et avec le beau-frère de celui-ci, Paul de Fortia, seigneur de Piles. Malherbe cria à l’assassinat et un sonnet (34), magnifique d’indignation, nous a révélé toute la profondeur de son affection paternelle.

Que mon fils ait perdu sa dépouille mortelle.
Ce fils qui fut si brave, et que j’aimai si fort :
Je ne l’impute point à l’injure du sort.
Puisque finir, à l’homme, est chose naturelle.

Mais que de deux marauds la surprise infidèle
Ait terminé ses jours d’une tragique mort,
En cela ma douleur n’a point de réconfort,
Et tous mes sentiments sont d’accord avec elle.

O mon Dieu, mon Sauveur, puisque par la raison
Le trouble de mon âme étant sans guérison,
Le vœu de la vengeance est un vœu légitime.

Fais que de ton appui je sois fortifié.
Ta justice t’en prie ; et les auteurs du crime
Sont fils de ces bourreaux qui t’ont crucifié (35).

Page de titre de la seconde édition des Poésies de Malherbe,
donnée par Barbin avec les observations de Ménage, 1689. In-12

Le poète écrivait, en outre, dans des lettres pressantes à Louis XIII qui promit de lui faire rendre justice. Mais, bien que Malherbe lui eût adressé en même temps la belle Ode au Roi allant châtier la rébellion des Rochelois, les meurtriers échappèrent à sa vengeance. Malherbe fit alors, en juillet 1628, le voyage de La Rochelle pour, de nouveau, supplier le roi. C’est pendant son séjour au camp des assiégeants, qu’il prit la maladie qui le terrassa définitivement à Paris, le vendredi 6 octobre, à l’âge de soixante-treize ans ; il logeait alors « rue des Fossés-Saint-Germain-l’Auxerrois, devant l’hôtel de Longueville. » On ignore – puisque son acte de baptême n’a pu, jusqu’à présent, être trouvé –, dans laquelle des deux églises qui se partageaient la France, Malherbe fut élevé ; il mourait toutefois catholique, paraissant avoir limité sa mystique, selon sa propre boutade, « à la religion du Prince ». Mais, jamais son scepticisme n’atteignit son art, pas plus que chez un autre mainteneur de la langue française, Anatole France. Et, - de même que M. Brousson (36) a pu nous montrer ce dernier subissant brimades et rebuffades de sa servante Joséphine dont il ne reprenait jamais les impropriétés de termes -, de même, grâce à Racan (37), il nous est permis de recueillir, avec les dernières paroles de Malherbe, l’aveu de ce qui fut le but de toute sa vie : « On dit qu’une heure avant de mourir, après avoir été deux heures à l’agonie, il se réveilla comme en sursaut pour reprendre son hôtesse, qui lui servait de garde, d’un mot qui n’était pas bien français à son gré ; et, comme son confesseur lui en fit réprimande, il lui dit qu’il ne pouvait s’en empêcher et qu’il voulait, jusques dans la mort, maintenir la pureté de la langue française. »

Hector Lefuel. »

(1) Lalanne : Œuvres de Malherbe, 1862, in-8, tome III, p. 14.
(2) Lalanne : Oeuvrs de Malherbe, tome III, p. 282.
(3) Tallemant des Réaux : Historiettes : 1840, in-12, tome I, P. 245, 257.
(4) Ces ouvrages sont relevés soit dans son œuvre quand il s’en inspira, soit dans sa correspondance où il les cite.
(5) Ye. 2067. (Réserve). Cet exemplaire fut, dès le XVIIe siècle, considéré comme si précieux par ses annotations, que des copies en furent faites. La bibliothèque de l’Arsenal en possède deux : la première copie (B.L. 6582) est rendue très intéressante par quelques additions qui ne se trouvent point dans l’exemplaire de la Bibliothèque Nationale et proviendraient, peut-être, d’un autre Desportes annoté par Malherbe et aujourd’hui disparu ; la seconde copie (B.L. 6583) , d’un intérêt moindre, a appartenu à Charles Nodier.
(6) Œuvres de Guez de Balzac, in-folio, tome I, p. 957.
(7) On pourra s’en rendre compte par les pages 34 et 35 du Desportes reproduites ci-après, Planche I.
(8) 1891, in-8.
(9) Sauf dans une note manuscrite du libraire A. Claudin, en date du 28 août 1873 et accompagnant un petit in-folio, veau aux armes de Malherbe : Placitorum summoe apud Gallos Curioe libri XII, Paris, 1556 (catalogue Lemallier, avril 1923, n° 1550).
(10) Ces armoiries, ainsi exposées, ne remontent pas au-delà du XIVe siècle.
(11) Instruction de Malherbe à son fils, Edition Lalanne, tome I, p. 332.
(12) Le duc Albert de Broglie : Malherbe, 1897, in-16, p. 8.
(13) Le Cabinet satyrique, 1618, in-12, p. 605. Malherbe d’après Ménage, fit alors bâtonner Berthelot par un gentilhomme de Caen, La Boulardière.
(14) Malherbe, points obscurs et nouveaux de sa vie normande, 1895, in-8.
(15) Hauteur 35 X 23 cm.
(16) Par plus de 90 voix, Malherbe fut élu, le 23 février 1594, et le premier de la liste.
(17) Il n’est pas signalé dans le Nouvel Armorial du bibliophile de Guigard et était resté, jusqu’à présente, inédit.
(18) Lalanne, Œuvres de Malherbe, tome III, p. 115.
(19) Bulletin Noël Charavay, juin 1918, n° 86476.
(20) Manuscrits, Fonds Français, n° 9535.
(21) Idem, p. 191 : la gravure a 20 x 16 cm
(22) Cette gravure a été signalée dans Recherches biographiques sur Malherbe et sa famille, Aix, 1840, in-8, par Roux-Alpheran qui l’avait trouvée sur les traités des droits et libertés de l’Eglise gallicane, Paris, 1609, in-4, dont le titre portait signature du poète et un ex-dono à son fils daté de 1619. Elle a été reproduite de plus, ainsi que le signale le Dr. Eug. Olivier, dans Poulet-Malassis : Les ex-libris français, 1875, in-4, p. 16.
(23) La moitié en fut léguée par le poète à son cousin François d’Arbaud de Porchères, avec le droit de faire imprimer ses œuvres, ce qu’il fit chez Ch. Chappellain en 1630.
(24) Cette bibliothèque restées à Aix passa, après la mort de Marc-Antoine, à sa mère ; au décès de cette dernière, elle appartint à la famille d’Eguilles et fut dispersée à l’époque de la Révolution.
(25) Bibliothèque de Carpentras, Manuscrits de Peiresc : Correspondance, vol. H.-M., f° 454, 456.
(26) Ibid, f° 477, 513.
(27) Lalanne, Œuvres de Malherbe, tome II, p. 85
(28) P. 327
(29) P. 355
(30) P. 367
(31) P. 391
(32) Cette signature elle-même varia : à l’origine, il écrivait « Fr. de Malerbe », puis, à dater de décembre 1609, il adopta « Fr. Malherbe ».
(33) Ed. Rouveyre : Connaissances nécessaires à un bibliophile, in-8, tome VI, p. 198. – Signalons aussi un autre volume dont le titre porte la signature et la devise de Malherbe, Raderi, 1611, in-folio, avec sa reliure en vélin blanc ancien, tranches rouges : ce volume, qui fit partie de la Bibliothèque Ambroise Firmin-Didot, est passé, le 25 mai 1909, à la vente Victorien Sardou, Ière partie, n° 108, et a été adjugé 1.810 fr. au libraire Leclerc.
(34) Paru en 1628.
(35) Paul de Fortia passait, à tort ou à raison, pour être d’origine juive. Mais François Malherbe n’avait pas attendu cette cruelle épreuve pour manifester de l’antisémitisme et dès 1622, dans une lettre à son cousin de Colomby, nous devons en constater la très nete affirmation.
(36) Anatole France en pantoufles, 1924, in-12, p. 58-60.
(37) Œuvres complètes de Racan, 1857, in-12, tome I, p. 253.

Pour évocation conforme,
Bertrand

samedi 13 septembre 2008

Les images des Dieux de Cartari


Cet article fait suite au précédent. C’est à l’illustration de la Mythologie de Noel Le Comte donnée par Montlyard dans cette édition de 1612 (voir ci-dessous) que nous allons nous intéresser ici.


Tout d’abord, cette illustration est peu décrite. La plupart des bibliographes la passent sous silence ou ne font que l’évoquer. Cela nous a intrigué car cette illustration est homogène, de qualité et nombreuse. Elle est composée de 71 bois gravés tirés dans le texte mesurant tous 13 x 10 cm. Aucun bois n’est signé, comme presque toujours à cette époque. Il était fort probable que cette illustration dont personne ne parle ait été déjà utilisée avant, pour un autre ouvrage, mais nous ne savions pas lequel.


C’est encore une fois l’Intermédiaire des chercheurs et des curieux de l’année 1876 (question sur Jean de Montlyard – voir ci-dessous) qui nous ouvrit la voie : « Cette quatrième édition qui me fournit ces détails, a été augmentée, par l'éditeur lyonnais, de figures sur bois provenant des Images des Dieux de Vincent Cartari, dont il était propriétaire. »


Quelques informations sur cet ouvrage.


Le Imagini de i dei de gli antichi (les images des Dieux anciens) par Vincenzo CARTARI (1531-1571) fut publié à Venise pour la première fois en 1556 sans illustrations. L’ouvrage fut revu, corrigé et augmenté par son auteur jusqu’en 1571, date à laquelle une nouvelle édition de Venise fut donnée avec des illustrations sur bois par Bolognino Zaltieri. Cette suite est composée de 88 bois gravés. La première édition française de cet ouvrage date de 1581 (Lyon, Estienne Michel), elle est accompagnée de grands bois gravés sur ceux de Bolognino Zaltieri attribués cette fois à Thomas Arande dit le « maître à la capeline ».


Ce sont donc ces bois gravés dès 1581 qui se retrouvent dans notre édition de la Mythologie de Le Comte de 1612. Sur les 88 bois des Images des Dieux, seuls 71 ont été retenus pour illustrer la Mythologie de 1612. Nous avons trouvé un exemplaire d’une édition de Lyon chez Paul Frelon en 1623 des Images des Dieux avec la même suite de 88 bois, ainsi qu’une autre à la date de 1610 chez le même éditeur.


Voici 20 de ces très jolies gravures sur bois tirées de notre exemplaire de l’édition de 1612 de la Mythologie de Le Comte donnée par Jean de Montlyard. Cliquez sur les images pour les agrandir. Admirez le trait de l'artiste !






















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