La Esmeralda,
musique de Mademoiselle Louise Bertin,
Paroles de M. Victor Hugo,
Décors de MM. Philastre et Cambon,
Réprésenté pour la première fois sur le théâtre de l'Académie royale de musique,
le 14 novembre 1836.
Paris, Maurice Schlesinger éditeur,
chez Jonas, libraire de l'opéra,
A Lyon chez Nourtier, 1836
Petite histoire d'un échec en 4 actes ...
Les documents historiques ne manquent pas au sujet de cet opéra. Nous allons essayer de tirer le meilleur des documents consultés au sujet de ce spectacle qui ne connut pas la gloire, loin s'en faut. Ce livret écrit par Victor Hugo est tiré de Notre-Dame de Paris (publié en 1831), il reprend sous le titre éponyme l'histoire de la belle gitane Esméralda, et ce pendant 4 actes. De ce que nous avons pu lire ici ou là, il apparaît que Victor Hugo n'avait guère envie de cette mise en musique de son oeuvre littéraire à succès. Il ne croyait pas que la musique put convenir à son texte.
Louise Bertin est au centre de cette histoire. La vie du ténor Adolphe Nourrit nous apprend quelques détails très intéressants : "Son frère, Armand Bertin, gérant du Journal des Débats et membre de la Commission de surveillance auprès de l'Opéra, et M. Victor Hugo, l'auteur applaudi de Notre-Dame de Paris, aidèrent bien un peu à faire ouvrir une porte fermée à tant d'autres. M. Victor Hugo ne dédaigna pas, lui chef d'école, mais pour cette fois seulement, un genre où brillait un vaudevilliste. Quelle que dût être la fortune de sa pièce, l'auteur se montrait bien inspiré; il travaillait moins en vue de la postérité qu'en vue de son élévation. A cette époque même, la chose a été dite, M. Victor Hugo aspirait à l'Académie française et à la pairie. Or, pour atteindre ce double but, le Journal des Débats ne paraissait pas un appui à dédaigner, et le zèle du gérant pour un ami de la maison était préférable à une bienveillance banale. La Esméralda fut représentée pour la première fois le 14 novembre. La partition, qui se recommande par une facture habile, ne manque ni de mélodie, ni de vigueur. Plusieurs morceaux se firent distinguer, et particulièrement l'air des cloches, chanté par Quasimodo, et que Massol, doué d'une très-belle voix, disait avec beaucoup de verve. Halévy a mentionné honorablement cette partition, « où l'on remarqua, dit-il, une grande abondance d'idées, un coloris heureusement dessiné et souvent une rare puissance d'expression. » M. Victor Hugo, qui sent peu l'harmonie poétique, et qui, en cherchant les vers forts, ne trouve pas les vers coulants, M. Victor Hugo, avec son allure indépendante, ne mettait pas à l'aise sa collaboratrice, sans parler des acteurs qui furent chargés d'articuler des vers dignes de Chapelain [...] Un journal du temps osa critiquer ce système de poésie antimusicale. La Esméralda fut même sifflée. Mais, malgré la réunion des premiers talents, Nourrit, Levasseur, Massol, Mlle Falcon, la Esméralda n'eut qu'un succès très modeste. Il faut s'en prendre à la longueur d'une action dénuée d'intérêt, où figurait un monde sans noblesse. « Par malheur, disait un journal, le libretto n'a pas varié les situations; il est privé de l'animation sans laquelle la meilleure musique s'efface ; car, dans un opéra français, l'intérêt dramatique se compose des paroles que l'on dit et des airs que l'on chante. Si les premières sont froides, la musique, se donnant un mouvement inutile, a l'air d'une folle qui court toute seule dans un espace sans limites. Un mois après son apparition, la Esméralda eut à soutenir un rude assaut. Les amis eux-mêmes avaient reconnu la longueur de la pièce : en la soulageant d'un acte, on avait abrégé d'autant l'ennui des spectateurs, et un joli ballet, tel que la Fille du Danube, venait les dédommager. Après un certain nombre de représentations, Nourrit avait abandonné le rôle de Phœbus. Un soir, le public fit du tapage, et ne voulut pas entendre le dernier acte. Cet opéra fut encore joué quelquefois au commencement de 1837. Il n'est pas resté au répertoire."
Dans Victor Hugo raconté par lui-même on lit : "Les répétitions de la Esmeralda se firent dans l'été de 1836. L'auteur des paroles n'y assista pas ; il voyageait en Bretagne. A son retour, il fut frappé de la mesquinerie de la mise en scène. Le vieux Paris prêtait aux décorations et aux costumes. Rien de riche ni de pittoresque ; les haillons de la Cour des Miracles, qui auraient pu avoir du caractère et de la nouveauté à l'Opéra, étaient en drap neuf ; de sorte que les seigneurs avaient l'air de pauvres et les truands de bourgeois. M. Victor Hugo avait donné une idée de décor qui aurait pu faire grand effet : c'était l'ascension de Quasimodo enlevant la Esmeralda d'étage en étage ; pour faire monter Quasimodo, il n'y avait qu'à faire descendre la cathédrale. En son absence, on avait déclaré la chose impossible. Ce décor, impossible à l'Opéra, a été fait depuis à l'Ambigu. L'opéra, chanté par MM. Nourrit, Levasseur, Massol, etc., et mademoiselle Falcon, fut applaudi par le public de la première représentation, laquelle fut assombrie par la nouvelle de la mort de Charles X. Les journaux furent d'une violence extrême contre la musique. L'esprit de parti s'en mêla et se vengea sur une femme du journal de son père. Alors, le public siffla. L'opposition augmenta de représentation en représentation, et à la huitième le rideau fut baissé avant la fin. Tout ce que put le directeur, M. Duponchel, qui devait son privilège à M. Bertin, ce fut de jouer de temps en temps, avant le ballet, un acte où l'auteur avait réuni les principaux morceaux des cinq. Le roman est fait sur le mot Ananké ; l'opéra finit par le mot fatalité. Ce fut une première fatalité que cet écrasement d'un ouvrage qui avait pour chanteurs M. Nourrit et mademoiselle Falcon, pour musicienne une femme d'un grand talent, pour librettiste M. Victor Hugo et pour sujet Notre-Dame de Paris. La fatalité s'attacha aux acteurs. Mademoiselle Falcon perdit sa voix ; M. Nourrit alla se tuer en Italie. — Un navire appelé Esmeralda, faisant la traversée d'Angleterre en Irlande, se perdit corps et biens. — Le duc d'Orléans avait nommé Esmeralda une jument de grand prix ; dans une course au clocher, elle se rencontra avec un cheval au galop, et eut la tête fracassée.
Louise Bertin est au centre de cette histoire. La vie du ténor Adolphe Nourrit nous apprend quelques détails très intéressants : "Son frère, Armand Bertin, gérant du Journal des Débats et membre de la Commission de surveillance auprès de l'Opéra, et M. Victor Hugo, l'auteur applaudi de Notre-Dame de Paris, aidèrent bien un peu à faire ouvrir une porte fermée à tant d'autres. M. Victor Hugo ne dédaigna pas, lui chef d'école, mais pour cette fois seulement, un genre où brillait un vaudevilliste. Quelle que dût être la fortune de sa pièce, l'auteur se montrait bien inspiré; il travaillait moins en vue de la postérité qu'en vue de son élévation. A cette époque même, la chose a été dite, M. Victor Hugo aspirait à l'Académie française et à la pairie. Or, pour atteindre ce double but, le Journal des Débats ne paraissait pas un appui à dédaigner, et le zèle du gérant pour un ami de la maison était préférable à une bienveillance banale. La Esméralda fut représentée pour la première fois le 14 novembre. La partition, qui se recommande par une facture habile, ne manque ni de mélodie, ni de vigueur. Plusieurs morceaux se firent distinguer, et particulièrement l'air des cloches, chanté par Quasimodo, et que Massol, doué d'une très-belle voix, disait avec beaucoup de verve. Halévy a mentionné honorablement cette partition, « où l'on remarqua, dit-il, une grande abondance d'idées, un coloris heureusement dessiné et souvent une rare puissance d'expression. » M. Victor Hugo, qui sent peu l'harmonie poétique, et qui, en cherchant les vers forts, ne trouve pas les vers coulants, M. Victor Hugo, avec son allure indépendante, ne mettait pas à l'aise sa collaboratrice, sans parler des acteurs qui furent chargés d'articuler des vers dignes de Chapelain [...] Un journal du temps osa critiquer ce système de poésie antimusicale. La Esméralda fut même sifflée. Mais, malgré la réunion des premiers talents, Nourrit, Levasseur, Massol, Mlle Falcon, la Esméralda n'eut qu'un succès très modeste. Il faut s'en prendre à la longueur d'une action dénuée d'intérêt, où figurait un monde sans noblesse. « Par malheur, disait un journal, le libretto n'a pas varié les situations; il est privé de l'animation sans laquelle la meilleure musique s'efface ; car, dans un opéra français, l'intérêt dramatique se compose des paroles que l'on dit et des airs que l'on chante. Si les premières sont froides, la musique, se donnant un mouvement inutile, a l'air d'une folle qui court toute seule dans un espace sans limites. Un mois après son apparition, la Esméralda eut à soutenir un rude assaut. Les amis eux-mêmes avaient reconnu la longueur de la pièce : en la soulageant d'un acte, on avait abrégé d'autant l'ennui des spectateurs, et un joli ballet, tel que la Fille du Danube, venait les dédommager. Après un certain nombre de représentations, Nourrit avait abandonné le rôle de Phœbus. Un soir, le public fit du tapage, et ne voulut pas entendre le dernier acte. Cet opéra fut encore joué quelquefois au commencement de 1837. Il n'est pas resté au répertoire."
Dans Victor Hugo raconté par lui-même on lit : "Les répétitions de la Esmeralda se firent dans l'été de 1836. L'auteur des paroles n'y assista pas ; il voyageait en Bretagne. A son retour, il fut frappé de la mesquinerie de la mise en scène. Le vieux Paris prêtait aux décorations et aux costumes. Rien de riche ni de pittoresque ; les haillons de la Cour des Miracles, qui auraient pu avoir du caractère et de la nouveauté à l'Opéra, étaient en drap neuf ; de sorte que les seigneurs avaient l'air de pauvres et les truands de bourgeois. M. Victor Hugo avait donné une idée de décor qui aurait pu faire grand effet : c'était l'ascension de Quasimodo enlevant la Esmeralda d'étage en étage ; pour faire monter Quasimodo, il n'y avait qu'à faire descendre la cathédrale. En son absence, on avait déclaré la chose impossible. Ce décor, impossible à l'Opéra, a été fait depuis à l'Ambigu. L'opéra, chanté par MM. Nourrit, Levasseur, Massol, etc., et mademoiselle Falcon, fut applaudi par le public de la première représentation, laquelle fut assombrie par la nouvelle de la mort de Charles X. Les journaux furent d'une violence extrême contre la musique. L'esprit de parti s'en mêla et se vengea sur une femme du journal de son père. Alors, le public siffla. L'opposition augmenta de représentation en représentation, et à la huitième le rideau fut baissé avant la fin. Tout ce que put le directeur, M. Duponchel, qui devait son privilège à M. Bertin, ce fut de jouer de temps en temps, avant le ballet, un acte où l'auteur avait réuni les principaux morceaux des cinq. Le roman est fait sur le mot Ananké ; l'opéra finit par le mot fatalité. Ce fut une première fatalité que cet écrasement d'un ouvrage qui avait pour chanteurs M. Nourrit et mademoiselle Falcon, pour musicienne une femme d'un grand talent, pour librettiste M. Victor Hugo et pour sujet Notre-Dame de Paris. La fatalité s'attacha aux acteurs. Mademoiselle Falcon perdit sa voix ; M. Nourrit alla se tuer en Italie. — Un navire appelé Esmeralda, faisant la traversée d'Angleterre en Irlande, se perdit corps et biens. — Le duc d'Orléans avait nommé Esmeralda une jument de grand prix ; dans une course au clocher, elle se rencontra avec un cheval au galop, et eut la tête fracassée.
Dans la Phalange, Journal de la Science Sociale du 10 décembre 1836, on lit cette critique détaillée : "Nous sommes enfin en mesure d'offrir à nos lecteurs notre jugement sur cette pièce qui a suscité une si grande rumeur dans le monde critique, mais dont peu de journaux nous paraissent avoir rendu un compte dégagé de toute considération étrangère à la question d'art. Nous avons assisté lundi dernier à la représentation de cet ouvrage ; il nous est resté une fatigue extrême de l'attention avec laquelle nous avons écouté, et ce malaise résultant toujours de la longue attente d'une sensation qu'on espère et qui n'arrive pas. La musique de mademoiselle Bertin dénote une inexpérience complète, ou l'absence de conception musicale. Quelques lambeaux parsemés, quelques éclairs vraiment remarquables nous feraient plutôt pencher pour la première hypothèse, que légitimerait d'ailleurs l'existence casanière et vide de sensations que mène d'ordinaire une femme, et qui est tout-à-fait incompatible avec le développement des facultés artistiques. Les mélodies sont tellement vagues, que le plus souvent on ne les saisit point ; et nous nous sommes plus d'une fois demandé, dans le cours de l'ouvrage, comment les acteurs avaient pu fixer dans leur mémoire des successions de sons aussi incohérentes et aussi bizarres. Le rôle de Claude Frollo notamment, ne nous a pas paru renfermer une seule phrase saisissable ; il y avait pourtant moyen d'approprier des mélodies bien tranchées à ce sombre et passionné caractère. Tous les morceaux de passion des deux rôles, d'Esméralda et de Phoebus, sont entièrement manqués ; la mélodie en est nulle ou commune. Ce qu'il y a surtout de fatigant dans cette musique, c'est le décousu qui règne d'un bout à l'autre, à peine peut-on signaler un ou deux morceaux qui paraissent avoir été faits sur un plan quelconque ; dans les autres, tantôt la même mesure se répétera avec obstination douze ou quinze fois de suite, tantôt chaque mesure aura un caractère propre et tout-à-fait étranger au caractère de la mesure précédente et de la suivante ; monotonie fatigante ou variété extrême plus fatiguant encore Quelques fragments de chœurs et l'air de Quasimodo font exception. De temps à autre on entend des effets d'harmonie et d'orchestre qui font espérer quelque chose de remarquable, puis rien ; on retombe brusquement dans le chaos. Ainsi, la ritournelle de ce qui doit être probablement un grand air de Claude Frollo présente une combinaison de trombones, et de contrebasses et bassons qui est d'un effet très beau et en parfaite harmonie avec le caractère dramatique du personnage, mais tout se borne à cet annonc e; et ce qui suit n'est qu'un assemblage de sons dont la succession n'a aucune raison d'être. Sans pousser plus loin l'analyse détaillée, bornons-nous à dire qu'il ne fallait rien moins que l'influence de la famille de l'auteur pour déterminer la représentation d'une œuvre aussi incomplète, aussi médiocre que celle-là. Ce qu'il y a de fâcheux, c'est que la mise en scène de cet ouvrage aura retardé celle d'un autre probablement meilleur, et causé ainsi un double préjudice au public et au directeur. Du reste, si nous en jugeons par les sifflets qui ont accompagné les deux derniers actes, notamment le dernier, et par l'ennui marqué qui régnait dans toute la salle, l'existence de la Esmeralda est bien près de toucher à son terme.
Nous pourrions encore citer de nombreuses critiques parues à l'époque dans la presse généraliste ou spécialisée, toutes sur le même ton.
Ce fut la seule incursion de Victor Hugo dans le monde de la musique. Ce premier essai ne lui ayant laissé qu'un goût très amer. On sait la gloire du maître qui ne cessa de s'accroître au fil des années. Louise Bertin quant à elle, cette femme handicapée qui suite à une poliomyélite se déplace en béquilles et pour laquelle les critiques ne voient dans ses compositions des « consolations à ses infirmités physiques » (journal Le Siècle). Pourtant Berlioz qui dirigeait les répétitions à l'Opéra atteste dans sa correspondance des qualités musicales et des nouveautés harmoniques d'une œuvre qu'il qualifie de « virile, forte et neuve ». Qui croire ? Elle mourra en avril 1877 à l'âge de 72 ans.
Internet nous permet d'écouter une interprétation moderne de l'Acte I, Scène 2. Vous pouvez l'écouter ICI. Ou encore 3 actes ICI (acte 1), ICI (acte 2),et ICI (acte 4).
Qu'aurait pensé Victor Hugo et à fortiori Louise Bertin de la comédie musicale Notre-Dame de Paris créée par Luc Plamondon et Richard Cocciante et représentée pour la première fois le 16 septembre 1998, soit 162 ans plus tard ? Cette nouvelle version mêlant chant, danse et musique, et faisant la part belle à La Esméralda dont elle aurait pu conserver le titre, fut un énorme succès international.
Bertrand Hugonnard-Roche pour le Bibliomane moderne