Habitué du salon
du Grand-Palais, cette année j’ai pu acquérir une rare reliure en pleine peau
humaine (Religatum de Pelle Humana).
Cette peau humaine recouvre un livre érotique de 1909 :
le Livre des Beaux de Fazyl Bey. C’est un des cinquante exemplaires sur papier
Japon Impérial (viennent ensuite trois cent sur papier vergé de Hollande).
La fiche du
libraire signalait de belles provenances :
Serge Golifman, amateur
de « cochoncetés » et autres facéties anticléricales. Sans un de ses ex-libris,
mais attesté par la présence de cet ouvrage dans le catalogue de sa vente de
septembre 1985 chez Simonson « Cabinet d’un amateur » (numéro 148). Adjugé
35000 FB au prix marteau, soit 42850 FB avec déjà des frais de 21% ; soit
1060 euros d’aujourd’hui. Le prix de réserve avait été fixé à 30000 FB soit 745 euros.
Catalogue l’Absolution, vente S. Golifman
Et celle de Gérard Nordmann, avec sa délicate vignette
ailée contrecollée au dos du premier plat (https://fr.wikipedia.org/wiki/Maus_Frères_Holding).
Une note au crayon de bois sur la première garde
blanche indique qu’il s’agit d’une reliure en peau d’homme.
D’après les liens internet visités, il est dit que la
peau du ventre est la plus épaisse (https://laporteouverte.me/2012/09/15/les-reliures-en-peau-humaine-1/),
comme trois feuilles de papier (https://www.actualitte.com/article/zone-51/ces-livres-qui-n-ont-que-la-peau-sur-les-mots/31516), et que celle de la femme est la plus fragile (Montgaillard, Histoire de France,
3e édition, T.7, p. 64 en note (http://www.heresie.com/livre_en_peau_humaine.php), et que ce type de
reliure ne nécessite aucun soin particulier ; on évitera donc les cires
habituelles.
J’ai acquis ce livre auprès du librairie genevois Alexandre
Illi (http://illibrairie.ch/) qui proposait aussi sur ce
salon la rare EO de 1785 de : « Le passe-tems du boudoir ou
recueil nouveau de contes en vers » relié en plein maroquin rouge (il m’a
fallu faire un choix).
Histoire de ce livre
Serge Golifman, a acheté le Livre des Beaux en 1969 (avec d’autres tirages de tête) ; chez le collectionneur, et ancien agent de change liègeois Serge Marcotti.
S. Marcotti, souhaitait se débarrasser de quelques ouvrages
« embarrassants » acheté à des prix d’avant-guerre ; et ceci afin
que ses petits enfants ne les voient pas. A cette époque, la note manuscrite
qui signale « relié en peau d’homme » était déjà présente.
Serge Golifman, était alors âgé d’une vingtaine
d’années. Le Livre des Beaux est resté en sa possession jusqu’en septembre 1985,
date à laquelle il décide de le passer en salle des ventes chez Simonson (expert
Degreef).
On peut donc raisonnablement penser que le Livre des
Beaux a été acheté lors de cette vente de 1985 par Gérard Nordmann (1930-1992).
On cherchera en vain le Livre des Beaux dans le
somptueux catalogue Eros invaincu, publié à l’occasion de l’exposition à la
fondation Martin Bodmer de novembre 2004 à mai 2005 : (http://fondationbodmer.ch/expositions-temporaires/expo2004/). Il ne figure pas non plus dans les deux catalogues de la
vente chez Christie’s à Paris, avril et décembre 2006 : (www.christies.com/salelanding/index.aspx?intSaleID=20695) et (www.christies.com/salelanding/index.aspx?intSaleID=20800) et : http://www.christies.com/presscenter/pdf/12152006/141030.pdf
Il semble donc que la société de vente Christie’s n’ai
pas souhaité prendre le risque de créer une polémique en proposant cet ouvrage
dans ces ventes, mais peut-être aussi au vu des origines juives de G. Nordmann
(?).
Le Livre des Beaux a été réédité en 1996 chez Fata
Morgana, avec dix gravures de Cyrille Bartolini.
A propos de Fazyl Bey, l’introduction de l’ouvrage
nous signale qu’il est l’auteur de : « Le livres des femmes et du Livre des Beaux et qu’il fut un contemporain
de Louis XVI, de La Révolution Française et de Napoléon Ier ». Fazyl Bey naquit en Palestine, on ignore en
quelle année. Il accomplit une brillante carrière de bureaucrate ottoman, le
voilà successivement chargé des affaires relatives aux questions pieuses à
Rhodes, directeur des finances à Alep, intendant des mines, ... Puis (invariablement) l’heure de la disgrâce finit pas sonner,
on l’exile en 1799 à la suite de certaine plaintes portées contre lui. En
exil sous le soleil de Rhodes : dans
une île d’amour et des ruses où il s’est beaucoup amusé jadis. L’exilé
tombe malade, il ne relèvera pas et décède le 6 février 1810.
Fazyl
Bey était un bon vivant, il avait un cuisinier arménien, qui apprêtait les
aubergines de quatre cents manières différentes ! Il adorait les banquets
philosophiques, littéraires et … voluptueux. Assis en rond, sur de profonds
divans de pourpre, autour d’un vaste guéridon d’ébène, incrusté de gemmes, ses
gracieux disciples et lui, le Maître, appuyait le coude gauche à un coussin de
brocart d’or, et mangeait avec les doigts de la main droite : la fourchette
est un ustensile impur , puisque Mahomet n’en avait pas. Tout
le monde buvait, à plein verres, les vins de Kirk, de Bordeaux, de Bourgogne ;
avant le dessert, tous les mignons, debout, buvaient une rasade solennelle à la
santé du Maître. Puis on attaquait les melons de Smyrne, les pommes, les
raisins : Fazyl Bey lançait à son favori des grains. Son
Livre des femmes est encyclopédique. Les Européennes n’y sont point oubliés.
Fazyl se pique d’avoir connu les Polonaises, les Françaises, les Allemandes,
les Anglaises, et il raconte, à leur sujet, toutes sortes d’extravagances. Abdul-Halim
Memdouh avait terminé, quelques semaines avant sa mort subite, une traduction
littérale en français du Livre des Beaux d’après l’exemplaire de l’édition typographique
des Œuvres de Fazyl Bey qui se trouve à la Bibliothèque de notre Ecole des
Langues Orientales Vivantes. Le volume qui a paru à Constantinople (en
avril 1869), contient Le Livre des Beaux,
Le Livre des femmes, Le carnet de l’Amoureux, Le Livre de Gaité, et un autre
ouvrage d’un autre écrivain. Malheureusement, le manuscrit de Memdouh forme un
grimoire enchevêtré, qui n’était intelligible que pour son auteur : jamais
personne ne déchiffrera, ni ne débrouillera tout cela. …
Heureusement pour nos lecteurs, nous avons eu la bonne fortune d’entrer en
relations avec un érudit ottoman, qui semblait prédestiné à fournir aux
honnêtes gens des contrées occidentales La meilleure adaptation possible du
Livres des Beaux. Notre imminent collaborateur est Pacha à Trois queues,
c’est-à-dire qu’il a le droit de faire porter devant lui trois queues de
cheval, comme marque de dignité. Nul ne s’étonnera que des considérations de
haute politique intérieure obligent un pareil personnage à garder l’anonyme.
Derrière le Pacha à Trois queues se cacherait Edmond
Fazy, connu aussi sous le nom italianisé de Edmondo Fazio (1870-1910) :
journaliste et homme de lettre nous dit la BnF (http://data.bnf.fr/12728993/edmond_fazy/). Edmond Fazy, a collaboré à La Plume, La Revue Blanche,
et au Festin d’Esope alors dirigé par Guillaume Apollinaire (Pia, col.484).
Né, en 1870, dans une petite ville berrichonne du
Cher, Edmond Fazy est mort à Paris, aux derniers jours d'octobre 1910,
subitement, d'une embolie. Fazy, wagnérien passionné et prosateur décadent.
Edmond Fazy avait publié un poème en prose, du sentiment le plus tendre et le
plus délicat, dans une petite revue d'alors : cela s'appelait Mourir jeune. (http://pataplatform.blogspot.fr/2008/03/edmond-fazy.html). Edm. Fazy, nous laisse dans la collection Erotica
Selecta de Sansot, Les facéties érotiques de Bebelius (1908, sous le nom de
Edmondo Fazio) ; une Anthologie de l’amour turc publié en 1905, un roman en
1901 et Louis II et Richard Wagner, paru en 1893. Le Livre des Beaux a été publié sans nom d’éditeur,
mais avec une adresse qui n’est pas fantaisiste au 7 rue de l’Eperon. Une
recherche dans Pia (col. 484) nous renseigne que c’est l’éditeur E. Sansot et
Cie qui était alors à cette adresse parisienne. Sansot a édité environ 500
titres (https://fr.wikipedia.org/wiki/Edward_Sansot)
et (http://tybalt.pagesperso-orange.fr/LesGendelettres/biographies/SansotE.htm).
Pascal Pia (col. 818) ; nous dit que ce titre
« traduit, par un Pacha à Trois queues pourrait bien être Edmond
Fazy », la traduction a aussi été attribué à André Gide, Pierre Loti et à
quelques autres…
Le
Livre des Beaux en librairies, salle des ventes, … liste forcément incomplète
Maison de vente chez Degreef : vente Serge Golifman, septembre 1985, lot 148 ; vendu 1060 euros avec les frais (Paris, Bibliothèque international d'édition, 1909, in-16, pleine peau humaine brune, roulette intérieure dorée, doublures et gardes de soie verte dos à 5 nerfs, tête dorée, non rogné, couvertures et dos conservé, étui. Tirage limité à 350 ex. numérotés. 1/50 ex. de tête sur Japon impérial numéroté à la main).
Pierre
Bergé : vente J.-P. Faur / Em. Pierrat (c’était surtout des ouvrages de la
collection de Jean-Pierre Faur), décembre 2007, lot 104. Vendu 7871 euros frais
inclus (in-16, broché, couverture rempliée imprimée en rouge et or. Un des 300
sur hollande van Gelder. « Cette
gloire helvétique manquait à la collection du genevois Gérard Nordmann ».
Un libraire d’outre-Atlantique,
le proposait en 2008 à 350$ en broché, et en 2009 à 450$, relié en demi
maroquin. (ce n’est pas spécifié, mais les ouvrages proposés devaient être sur
vergé).
Vente chez
Prado-Falques/Marseille, juin 2010, vendu 216 euros, 06/10 (exemplaire broché, un
des 300 sur Hollande. Non justifié, mais mention imprimée sur le dos : «
Exemplaire sur Hollande ». Feuillet de faux-titre bruni, fort rares et
minuscules rousseurs. Sinon très bon exemplaire, fort rare. Estimation :
200/300 euros)
Un exemplaire sur
eBay, en février 2011, proposé à 599 euros (exemplaire broché, en mauvais
état) ; un autre en juillet 2014, toujours sur eBay, mais à 1000 euros (aussi
broché, un des 300 sur Hollande Van Gelder Zoonen. Couverture rempliée légèrement
salie avec une fente en bas du plat)
Christian
Galantaris, indique que le moyen de différencier la peau de truie de celle de
l’homme est la forme des pores. De Triangulaires chez le cochon, elle est quadrangulaire
chez l’homme.
Ne possédant pas
d’ouvrage en peau de truie, je me suis rapproché de l’article d’Éric, publié en
mars 2011 (https://le-bibliomane.blogspot.fr/2011/03/reliure-en-peau-humaine-ou-en-peau-de.html)
Peau de truie,
pores en triangle
Le cuir du Livre
des Beaux, on remarque les pores en forme de losange
Et la peau du
rédacteur de ce billet
On notera que la
surface corporelle d’un homme, est d’environ 1.90 m2 https://fr.wikipedia.org/wiki/Surface_corporelle
Juan Valverde-vivae imagines partium corporis.
Plantin, Anvers, 1566
Plantin, Anvers, 1566
Histoire
Pour cette
section, il y a pléthore de sites et de blogs, qui finissent tous par répéter
les mêmes informations, il y énormément de sites de langue anglaise qui renferment
vraiment beaucoup d’informations et que j’ai tenté ici d’extraire.
Bibliopégie anthropodermique
est le terme technique qui désigne un ouvrage relié en peau humaine ;
anthropodermic bibliopegy pour les anglo-saxons.
Du côté des
anglo-saxons, le mot bibliopegy est un synonyme rare pour reliure, quand à
anthropodermic, il semble que ce mot ne soit pas utilisé dans un autre contexte
que celui d’une reliure en peau humaine.
La pratique de la
reliure, relié avec la peau de l’auteur est appelé : autoanthropodermic
bibliopegy (http://www.theinfolist.com/php/SummaryGet.php?FindGo=Anthropodermic
bibliopegy)
Il semblerait que
le premier signalement d’une telle reliure, soit sur une bible en français datant
du XIIIe siècle. Malgré la rareté des reliures en peau humaine, la plupart des
sites et documentation s’accordent à dire que la Bibliopégie Anthropodermique,
a été très courante aux XVIe et XVIIe siècles.
On verra dans un prochain billet que les salles de
vente en France comme à l’étranger, en proposent de temps en temps. Et que
selon l’opérateur de vente, et/ou la publicité lié à une vente
prestigieuse ; la presse, l’état, ou les associations s’en émeuvent.
Merci à Bertrand Hugonnard-Roche qui a accepté d’héberger
ce modeste billet, à la librairie d’Alexandre Illi, et à Serge Golifman qui m’a
aimablement communiquée l’histoire de cette reliure. Qu’ils en soient ici tous
chaleureusement remerciés.
Liens internet vérifiés en juin 2017.
Juin 2017. A 70 lieues de la Bastille
Haroun El Poussah
Haroun El Poussah