Au fil des
publications, le blog du Bibliomane Moderne décline ses séries comme Monet ou
Warhol alignaient les leurs. La plus
connue est la suite d’articles consacrés à Octave Uzanne, qui finit par être
trop à l’étroit sur ce site. Ma petite
madeleine à moi ce sont les Statuts de Savoie – c’est sur, j’ai du être héraut
d’armes au temps d’Amédée VIII - Je vous
avais présenté la troisième édition de ce texte majeur pour l’histoire de Savoie,
celle imprimée à Turin par François de Silva en 1505.
Comme
l’histoire des éditions successives n’est pas facile à reconstituer –
impressions incunables mal identifiées, seconds tirages d’une même édition,
ajouts de feuillets imprimés postérieurement, etc - un universitaire nous avait
apporté des clarifications très utiles qui ont fait l’objet d’un second
article :
Fig 1
Fig 2
Or, le
hasard des promenades à Drouot a mis sur mon chemin un exemplaire de la
quatrième édition des Statuts, celle imprimée à Genève en 1512 par Jean Belot.
Un commentateur du blog, en 2009, avait précisé : « Exception faite de l’édition de 1586 (déjà pas facile à
trouver), toutes ces éditions sont purement et simplement introuvables, et
lorsqu'elles se trouvent, inabordables... » . Je n’ai donc pas hésité
à me lever et à lancer d’une voix forte : « Préemption au bénéfice de
la Bibliothèque du Textor !! » qui a mis un coup d’arrêt net aux enchères,
le Commissaire-priseur interdit, le marteau levé, a du se dire qu’il y avait
anguille sous roche, mais il a fini par laisser retomber son marteau en lâchant
un « ça valait mieux » !
Voilà
qui me permet de vous offrir, candida lector, une petite présentation de cet
ouvrage intitulé « Statuta Sabaudie. Nova et vetera noviter impressa.»
(c'est-à-dire « les anciens et les nouveaux statuts de Savoie dans une
édition relookée ») (1). La page de
titre est ornée d’un grand bois représentant le duc de Savoie en majesté,
entouré de ses chambellans, avec, à ses pieds, l’écu de Savoie, tenu par trois
lions, entouré par le collier de l’Annonciade sur lequel figure la devise
« Fert ».
Genève a été une des principales places d’impression
de la Suisse avec Bâle. (Le premier livre imprimé est le livre des saints Anges
en 1478). Les ducs de Savoie y eurent une part d’autorité jusqu’en 1535, c’est
pourquoi nous trouvons des imprimeurs travaillant pour leur compte, comme l’indiquent
les armes ducales figurant sur le titre ou à la fin de certaines publications
de Jean Belot (un placard de 1521) ou Jacques Vivian (Le Doctrinal de Court,
1522).
Fig 3 Armes de Savoie
L’exemplaire des Statuts de 1512 de la bibliothèque
savoyarde du docteur Blanc – le dernier passé en vente, à ma connaissance
- était incomplet de 4 feuillets et du
supplément (Ce qui ne l’a pas empêché de trouver preneur). Mon exemplaire
comporte 4 ff supplémentaires que le docteur Blanc s’était procuré séparément
(Vente Blanc, Decembre 2010 - lot 300 : «Sequuntur Statuta per
Illustrissimus Principem dominum D. Karolum secundum Sabaudie et Ducem modernum
condita. » Genève, Jacob Vivian, 5 décembre 1513).
Fig 4 Les Statuts du Duc Charles Second, feuillet 83
Fig 5 Les Statut de Charles Second, titre
La Bibliothèque de Genève nous apprend que cette pièce de
4 feuillets accompagne d'ordinaire l'édition genevoise des Statuta Sabaudie,
par Jean Belot, du 29 Mai 1512. Une particularité amusante est que ce
supplément, bien que publié distinctement l’année suivante, chez un autre
imprimeur, avec une autre adresse, poursuit la foliation des Statuts de Jean
Belot. (folio LXXXIII-LXXXVI – avec une erreur puisque le dernier feuillet de
Belot est déjà le f. LXXXIII) ainsi que la signature (le cahier o6 suivi du
cahier p4). Les exemplaires complets des Statuts doivent donc contenir ce
supplément bien que cela soit assez rare en pratique, si j’en juge par les exemplaires
décrits par les bibliothèques publiques. (Ce que confirme M. Gaullieur dans ses
Études sur la typographie genevoise du XV e au XIXe siècle, pp. 100-101 (2). Voir par
exemple, le volume conservé à la bibliothèque de Genève et numérisé sur e-rara).
La bibliothèque de Lyon en possède un exemplaire complet du supplément (mais
lacunaire de plusieurs cahiers !) et le décrit comme suit : [8],
lxxxvi fol. (sig. [ ]8, a-o6, p4) ; ill. (p. de titre) ; 2° (27,5 cm). Mais il
y a une erreur de lecture du colophon : Anno MVxin (sic) die v decembris,
alors qu’il fallait lire Anno MVcxiii die v decembris, comme vous pouvez en
juger par vous-même sur la figure 7.
Fig 6 Colophon de Jean Belot
Fig 7 Colophon de Jacques Vivian
Il existe une autre version des Statuts du Duc Charles,
en deux feuillets, à une seule colonne, gothiques, non chiffrés, publié par
Louis Garbin de la Cruse, en 1513 également. Il se termine par les armes de
Savoie, un bois plus finement gravé que celui de Vivian, selon Dufour et Rabut
(3).
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Jean Belot, dont le nom apparait
au premier colophon, avait exercé à Lausanne entre 1491 et 1493 et à Genève de 1495 à
1512, mais aussi à Grenoble en 1497 où l’avait appelé l'évêque Laurent
Alleman pour imprimer le « Missale ad usum ecclesie Gratianopolitane ».
Originaire de Rouen, il fut reçu bourgeois de Genève comme imprimeur-libraire
en novembre 1494. On dénombre une cinquantaine d’ouvrages sortis de ses
presses ou portant son nom dont un peu plus de vingt au XVe siècle. Cet
imprimeur itinérant avait imprimé à Lausanne en décembre 1493 un missel qui
est l’unique incunable sorti dans cette ville.
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A Genève,
son adresse était « auprès de la cathédrale Saint Pierre » (Ante
Sanctus Petrus). Il a produit des ouvrages religieux, mais aussi des romans
populaires, des livres de médecine, des livres de droit. Le matériel
typographique suggère une collaboration avec Louis Garbin de la Cruse. Les caractères
utilisés par Jean Belot sont assez raffinés, plutôt anguleux ; ils se
rapprochent de la gothique de forme. Il les avait importés de Paris. (4) C’est en 1512,
année de publication des Statuta Sabaudia, qu’il remet son matériel
typographique à Jacques Vivian. Ce qui explique qu’en 1513 la suite des
Statuts porte l’adresse de Jacques Vivian et que les caractères utilisés
soient identiques.
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Cette impression bien nette et aérée rend la lecture
facile. De nombreuses histoires de Savoie font référence aux Statuta Sabaudia
pour évoquer la vie de l’époque. Cette œuvre
législative, parmi les plus intéressantes du Moyen-age, fut élaborée à Genève
en présence des grands personnages de l’Etat, parmi lesquels ont comparu, comme
témoins : Gaspard de Montmayeur, maréchal de Savoie, Miolans Coudrée, Henri du
Colombier, Lambert Oddinet, président du conseil ducal, Claude du Saix,
président de la Chambre des comptes de Savoie. Pour préparer cette réunion,
Amédée VIII avait convoqué à Thonon, au début du mois de Mai, le chancelier
Jean de Beaufort et quelques conseillers de sa garde rapprochée. La mise au
point du texte prit une quinzaine de jours, entre le 15 mai, date d’arrivée du
Duc à Genève et le début Juin. Le choix de Genève était curieux car la cité
épiscopale n’était pas directement placée sous l’autorité du Duc. D’ailleurs,
il fallu ensuite se déplacer de Genève à Chambéry pour promulguer
officiellement le texte le 17 Juin, au château ducal, toutes portes ouvertes,
en présence du peuple assemblé et des personnages notables de la Ville. (5)
Divisé en cinq livres dans
lesquels ont été regroupés plus de 350 articles, les Statuts reprennent les
textes déjà promulgués par Amédée VIII en 1403 et 1423 en matière de police des
mœurs et de fonctionnement de la Justice. Il les intègre dans un ensemble plus
important et plus cohérent sur l’administration du Duché et son organisation
judiciaire. Le moyen-âge aime l’ordre et la hiérarchie des couches sociales, le
dernier livre propose une règlementation stricte des dépenses somptuaires en
fonction du rang, bannissant le luxe excessif, et même un code vestimentaire
dont la précision étonne aujourd’hui.
Fig 8 Un ex-libris gravé
Pour finir, j’attire l‘attention des spécialistes sur
l’ex-libris gravé, contrecollé au verso de la page de titre et que je n’ai pas
réussi à identifier. Un bibliophile lyonnais semble-t-il.
Voilà tout pour aujourd’hui, mais si l’un d’entre vous me propose un
exemplaire de l’ouvrage intitulé « Les ordonnances et statutz
faitz aux estas dernierement tenus de par tresredoubté monseigneur le duc de
Savoye avec les autres princes en la cité de Mostier en Tharenteyse, le XV
jour de septembre Mil. CCCCC. XXII, sur quoy supplient les chappitres qui
s'ensuyvent », je vous promets d’écrire une saison 4 !
Bonne
soirée
Textor
(1)
Colophon :
Impressa fuerunt suprascripta Sabaudie statuta (ad exemplar illorum que nuper
Taurini impressa fuerunt per M. F. de Silva) Gebenis per Magistrum Johannem Belot
Anno domini M. D. XII. XXIX. mayi. Et venalia invenitur in ejus officina ante
Sanctum petrum Gebenis (f.o5r)
(2)
M.Gallieur,
Genève 1855 publié dans le Bulletin de l’Institut Genevois.
(3)
Dufour
et Rabut L’imprimerie, les imprimeurs et les libraires en Savoie du XV au
XIXème siècle, in Mémoires et documents de la Société Savoisienne d’Histoire et
d’Archéologie, Chambéry 1877. Pp. 17-19.
(4)
A.
Babel L’Histoire économique de Genève p 166.
(5)
Cf
Franco Morenzoni, le Prédicateur et l’Inquisiteur – les tribulations de
Baptiste de Mantoue à Genève en 1430. Presse Universitaire de Lyon, 2007.