lundi 20 février 2012

Le portrait gravé sur bois dans le livre au XVIème siècle.

L’apparition du portrait gravé dans les livres est une caractéristique singulière du XVIème siècle, relevée par les meilleurs auteurs (Cf Lauverjat in Blog du Bibliophile, pour ne citer que le plus connu). (1) (2) Au siècle précédent et jusque dans les années 1540, la représentation de l’individu dans le livre est encore très marquée par l’héritage gothique et le sujet, en général l’auteur, est présenté debout, tendant son livre au dédicataire, ou bien assis à sa table de travail. Ses traits sont schématiques et la ressemblance n’est pas l’objectif principal du graveur, au point qu’un même bois peut servir pour représenter différents auteurs !

Fig 1 Cette figure de Pline (1519) a servi aussi à illustrer une représentation de Cicéron (Epist. 1511)


Le goût pour le portrait peint se serait déclaré dans les premières années du règne de François Ier, préparé par les productions antérieures de peintres tels que Bourdichon ou Perréal. Les artistes s’adonnent alors au portrait de cour, peint à l’huile, directement d’après nature ou à partir de dessins préparatoires au crayon. Ces portraits – on connait la production de Corneille de Lyon par exemple - attestent d’un engouement croissant pour la représentation de l’individu et plus spécifiquement pour la physionomie des personnages illustres. Chacun veut se faire tirer le portrait comme plus tard on ira chez le photographe, affaire de mode.

Fig 2 La douce figure de la duchesse de Savoie


Les graveurs s’emparent du thème en pratiquant la taille sur bois mais aussi, progressivement, la taille-douce, qui émerge au cours de la seconde moitié du siècle. Moins onéreux que la peinture à l’huile, le portrait gravé s’ouvre donc à des commanditaires plus diversifiés, gens de lettres, savants, artistes.

Il n’est pas étonnant dans ces conditions que le portait gravé envahisse les livres du XVIème siècle comme jamais. On le retrouve au titre ou, plus rarement, au frontispice. Il remplace la vignette médiévale ou la marque d’imprimeur et il participe du décor de la page de titre au coté des arrangements typographiques. L’image individualisée prend donc le pas sur la représentation du groupe.

Les artistes de la Renaissance redécouvrent deux formes classiques : le médaillon et le portrait en buste.

La technique employée au début reste rudimentaire. La gravure sur bois limite l’expression de l’artiste, et lui impose une certaine sobriété. C’est par l’attribut extérieur que le personnage est identifié comme important. L’image du Prince, tout en étant plus ressemblante que par le passé, se doit encore d’être idéalisée et assimilée à celle d’un héros de l’Antiquité. Il faut faire passer l’idée de la force, de la noblesse et de la dignité. Cette convention à laquelle se plient tous les artistes de la Renaissance est d’ailleurs formulée par Léonard de Vinci lui-même : « Veille au degré de dignité ou de bassesse des choses que tu veux figurer, c’est-à-dire que le roi soit barbu, plein de gravité dans l’air et les vêtements, placé en un endroit orné, et que l’assistance soit debout avec respect et attention, dignement habillée, comme il convient à la gravité d.une cour royale. »

C’est avec cette idée que le graveur Josse Lambrecht de Gand représente ses médailles de nobles personnages dont on perçoit au premier coup d’œil la fonction de chefs de guerre. L’ouvrage date de 1544, c'est-à-dire de la période charnière où le trait est encore grossier mais cherche néanmoins à coller au sujet.

Fig3 Cet Eric de Brunswick avait une gueule, comme on dit au cinéma


Fig 4 Henri de Brunswick, habillé à la mode de temps.


Fig 5 Albert de Grandville. Pas très malin mais très riche.


Fig 6 Guillaume de Montfort, pas faible pour deux sous (ni cinq sols).


Cette suite de médailles est la plus ancienne que je connaisse. A partir de là, le genre va connaitre un franc succès. C’est le prétexte à figurer des galeries de portraits illustrant les recueils historiques ou les chronologies. La collection de médailles est très pratique car la figure étant entourée d’un double filet permet d’inscrire une légende dans le pourtour. C’est un outil pédagogique. Dans cette catégorie, le Promptuaire des Médailles de Guillaume Rouille connaitra plusieurs rééditions.

Fig 7 Le Promptuaire des Médailles en français.


Fig 8 Le Promptuaire des Médailles en italien.


Désormais, le portrait n’est donc plus chargé de signaler une fonction, mais se doit de refléter une personnalité. Le passage du profil au trois-quarts, qui permet de travailler plus en détail l’expression du visage, et rend possible la rencontre entre les yeux du lecteur et ceux du sujet, renforce l’impression de réalité et de proximité avec le modèle représenté. (3)

Fig 9 Portrait au titre de Philippe Melanchton, humaniste allemand. Le graveur s’est attaché à reproduire des traits spécifiques, individualisés, à rendre une expression.


Une place de plus en plus grande est donc donnée au trait de l’expression. Ce n’est plus par l’attribut extérieur que le personnage est identifié comme important mais par sa physionomie. Bien sur, la gravure sur cuivre permettra encore mieux aux talents de s’exprimer, mais c’est une autre histoire …

Fig 10 Dans les gravures sur cuivre le portrait se doit d’être ressemblant…


Bonne soirée,
Textor

(1) Voir http://bibliophilie.blogspot.com/2010/12/livres-du-16eme-siecle-ou-quand-le.html
(2) Et aussi BRUN, Robert. Le livre illustré en France au XVIème siècle. Paris : Félix Alcan, 1930. 336 p.
(3) Pour une galerie de 309 portraits virtuels : http://www.bvh.univ-tours.fr/img_portrait.asp

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