vendredi 30 septembre 2011

Un histoire d’espionnage : Les derniers jours d’Herculanum (1754)

Une petite cité de pêcheurs sur le golfe de Naples goûte la douceur de l’été. Les vacances romaines de Pline tirent à leur fin : On flâne au bord de mer pour admirer les filles sur la plage en négligé à la mode Osque, on déguste des glaces au miel et à la graisse d’ursus, on joue aux dés sous les portiques, on « feuillette » les rouleaux anciens dans les boites des bouquinistes. (« Tiens, t’as vu, Cicéron sort encore un best seller, il va bientôt battre Amelia Nothombus !»)…. Mais voilà, nous sommes le 24 Aout 79, et la terre se met soudain à gronder, le ciel s’obscurcit, le Vésuve entre en éruption et la petite cité est ensevelie très rapidement sous une couche de lave et de boue de plus de quinze mètres...

Fig 1 Page de Titre de l’édition originale de 1754 des Observations sur les antiquités d'Herculaneum


Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que la ville sorte de l’oubli. En 1709, le Comte d’Elbeuf fait forer un puits dans sa villa à Resina et tombe par hasard sur un mur et des vestiges antiques, qu'il identifie à tort comme un temple d'Hercule, en réalité le théâtre antique. Il en extrait quelques statues qu’il offre au Prince de Savoie.

Fig 2 les Portiques d’Herculanum


Des fouilles mieux organisées reprennent à partir de 1738 sous la coordination de l'ingénieur-arpenteur espagnol Rocco Gioacchino de Alcubierre. Les fouilles livrent un matériel archéologique exceptionnel, en particulier en bois, ainsi que des œuvres littéraires inconnues jusqu’alors contenues dans la bibliothèque d'une vaste villa suburbaine. Le théâtre, la basilique sont identifiés, on exhume les restes d'un quadrige de bronze, la statue équestre de Nonius Balbus, une peinture représentant Thésée et le Minotaure.

Fig 3 Statue équestre de M. Nonius Balbus, désormais au Musée archéologique de Naples


Fig 4 Le centaure Chiron et le jeune Achille, au fond de la basilique.


Dès 1748, l'humaniste toscan Marcello Venuti publie la « Descrizione delle prime scoperte della antica città d'Ercolano » (Description des premières découvertes de l'antique cité d'Herculanum), ouvrage présenté par Charles de Brosse en 1749 à l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Ce livre (sans gravure) recueille un certain écho auprès des jeunes artistes passionnés d’antiquités classiques Parmi ceux-là, le graveur Charles-Nicolas Cochin fils, rêve, lui aussi, de partir faire le voyage d’Italie.

Charles-Nicolas, né à Paris en 1715, avait de qui tenir puisque son père Charles-Nicolas (également !) était déjà un graveur réputé. Le rejeton de la famille taillait déjà le cuivre dès l’âge de 12 ans et il acheva sa formation chez Le Bas. Remarqué de bonne heure, du reste fort adroit à profiter des occasions et servi par une chance exceptionnelle, Cochin fut nommé, à 24 ans, dessinateur et graveur des Menus Plaisirs (1739)

Pour son voyage, Cochin se joint à la suite d’un personnage influent, très en vue à la Cour, le jeune Poisson de Vandières, Conseiller du Roi (Futur Marquis de Marigny), qui n’est autre que le frère de la marquise de Pompadour (elle-aussi, assez bien vue à la Cour …). Le sieur Poisson était pressenti pour le poste de surintendant des Beaux-arts et il allait donc étudier l’art antique en Italie. Ce groupe comprenait aussi les architectes Bellicard et Jacques-Germain Soufflot, et l'abbé Le Blanc, historiographe des Bâtiments du Roi.

Fig 5 Hommage des auteurs à leur bienfaiteur aux armes piscicoles. Cette vignette est signée et datée : C. Cochin Filius fecit 1754.


A leur retour, en 1754, Cochin et Bellicard font un coup de librairie en publiant clandestinement le livre présenté aujourd’hui, que Cohen décrit ainsi : "Observations sur les antiquités d'Herculaneum, avec quelques réflexions sur la peinture et la sculpture des anciens, par MM. Cochin et Bellicard." Paris, Jombert, 1754. In-12, Jolie vignette par Cochin, gravée par lui-même; le Vésuve, par Cochin, gravé par Gallimard, et 40 planches d'antiquités, gravées par Bellicard (plusieurs non signées). (De 6 à 8fr.). 2ème édition en 1757. Le Vésuve gravé en grand et plié. Je ne sais pas pourquoi cette précision est donnée pour la seconde édition car la gravure est aussi gravée en grand et pliée dans la première édition !

Fig 6 Le Vésuve en éruption gravé par C.N.Cochin fils.


Les circonstances dans lesquelles cette édition a vu le jour sont encore bien mystérieuses. Les carnets de notes de Bellicard, conservés au Metropolitan Museum de New-York, prouvent que le projet de livre était prémédité et que celui-ci a pris des notes sur place, mais on se demande encore comment nos compères ont pu établir des plans et des dessins aussi précis, qui n’ont pas pu être établis simplement de mémoire, même en faisant plusieurs visites sur le site, alors même qu’ils n’étaient pas les maitres d’œuvre des fouilles. Il est probable que le groupe ait eu un contact sur place avec un responsable des excavations et que celui-ci leur ait communiqué secrètement ses relevés et ses plans.(1) Ce qui fait de cet ouvrage non seulement le premier livre à gravures sur Herculanum, et le second paru, mais encore, peut-être, le premier livre d’espionnage !!

La réception de cet ouvrage clandestin fut pourtant très bonne et le succès immédiat. Bellicard nous livre des plans détaillés des principaux bâtiments découverts à l’époque – le théâtre, la basilique et le forum - ainsi qu’un ensemble de relevés très précis de fresques, mosaïques et sculptures, conservé dans la collection exposée par le roi Don Carlos de Naples dans sa villa de Portici.

Fig 7 Arènes


Fig 8 Lampes romaines


Fig 9 Tumulus


On imagine aisément la rage de Francesco Valleta qui fera finalement publier, en 1757 seulement, sous le patronage officiel de Charles III, Le Antichità di Ercolano (Les Antiquités d’Herculanum) avec des gravures et la représentation des peintures. Année où Cochin sort une seconde édition de ses Observations, histoire de casser un peu plus la diffusion de l’ouvrage de Valleta.

La mode d’Herculanum est alors totale, les pensionnaires de l’Académie de France à Rome font le voyage à Naples. L’Encyclopédie produit en 1758 un article enthousiaste de quatre pages sur Herculanum. L’inspiration néoclassique se diffuse en Europe. Puis la ville d’Hercule retombe une nouvelle fois dans l’oubli, au profit de sa grande rivale Pompéi, qui ne fut véritablement découverte qu’un peu plus tard, vers 1763. Aujourd’hui encore, Herculanum est peu visitée, dix fois moins de touristes qu’à Pompéi. Trop encaissée dans la ville moderne, et en grande partie non dégagée, elle n’a certainement pas livré tous ses secrets. Cochin et Bellicard non plus !

Bonne soirée,
Textor

(1) Voir Alden Gordon, Trinity College, Hartford "Archaeological Espionage and the Urgency to Publish Images of the Early Discoveries of Herculaneum and the Bay of Naples.

mercredi 28 septembre 2011

Des nouvelles du site internet www.ebibliophilie.com



Cher(s) lecteur(s) du blog du Bibliomane moderne,

Je remercie tout d’abord Bertrand de me laisser la parole sur le blog.

Certains d'entre vous savent que nous travaillons à une étude sur le marché du livre ancien, ses tendances, les différences entre le marché US, UK, FR. Nous répondrons, ou plutôt tacherons de répondre à certaines questions que se posent les amateurs. Le tout en partant d’une analyse à grande échelle. Cela fera l’objet d’un petit livre.

Nous souhaiterions aussi aborder dans cette étude un aspect plus psychologique. De la même manière que nous avons questionné certains libraires, nous souhaiterions connaitre le sentiment des lecteurs sur les aspects suivants.

- Quels seront à votre avis les types d’ouvrage les plus recherchés dans 50 ans. - Mais surtout Pourquoi ? - Achetez-vous dans ce sens ? [si ce n’est pas le cas, c’est très intéressant]

Nous n’avons pas l’ambition de déterminer la réalité du marché futur, mais d’ouvrir une lucarne vers un futur probable, de voir comment le bibliophile considère sa passion dans un monde en changement.

Si vous souhaitez faire une réponse longue : n’hésitez pas à nous contacter à contact@ebibliophilie.com

Sinon, quelques nouvelles du site www.ebibliophilie.com : comme "Textor" l’avait identifié nous avons eu des problèmes avec notre serveur et je vous prie de nous en excuser, nous avons du migrer sur une offre autorisant de plus nombreuses connections et téléchargements.

Vous étiez en aout prêt de 2500 visiteurs uniques - code IP différents [donc bibliophiles], et de mémoire 90000 pages ont déjà été lues.

Nous avons signé des accords en dehors de la France : en Belgique et plus récemment en Italie avec la librairie maison de ventes Gonnelli à Florence. Je ne sais pas si certains ont pu visiter cette institution, mais le décor est digne de l’ancienne Librairie Morgand-Fatout, et puis elle est aussi ancienne. Il parait que la plupart des librairies italiennes ont ce style.

Je me permettrai, si Bertrand me l’autorise d’intervenir à nouveau sur le site d’ici un mois, pour faire part d’une nouvelle fonctionnalité du site qui plaira aux libraires.

Enfin, je l’espère.

Et pour sourire, une nouvelle publicité ebibliophilie.com

Bonne journée,
Y.

mardi 27 septembre 2011

Les éditions inconnues des Fleurs animées de Grandville par Bernard M. (blog Cartonnages romantiques etc).



La bibliophilie c'est la connaissance par le partage, j'en suis convaincu. Les connaissances de Bernard M. dans le domaine des cartonnages romantiques n'est plus à faire. Et il partage avec nous ses connaissances sur le sujet pour notre plus grand plaisir. Qu'il en soit remercié !

Voici les dernières publications présentées sur son blog :
http://cartonnagesromantiques.blogspot.com/
publications qui concernent des éditions inconnues ou peu connues des Fleurs animées illustrées par J. J. Grandville. Voici les liens vers ces 6 billets importants, à imprimer d'urgence et à conserver précieusement :

ÉDITIONS INCONNUES DE GRANDVILLE (I)

ÉDITIONS INCONNUES DE GRANDVILLE (II)

ÉDITIONS INCONNUES DE GRANDVILLE (III)

ÉDITIONS INCONNUES DE GRANDVILLE (IV)

ÉDITIONS INCONNUES DE GRANDVILLE (V)

ÉDITIONS INCONNUES DE GRANDVILLE(VI)

Vous voilà pourvu de saine lecture pour votre longue soirée du mardi 27 septembre...


Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne

Fiche de libraire : Les Essais de Montaigne dans l'édition in-quarto de 1588, reliés par Trautz-Bauzonnet au XIXe siècle.

Pour faire suite et complément à notre précédent billet consacré à un exemplaire des Essais de Montaigne dans l'édition in-folio de 1595, reliés par Lortic au XIXe siècle, voici une nouvelle fiche de libraire (Librairie parisienne, 2011), avec un très bel exemplaire de l'édition de 1588, au format in quarto et relié en maroquin du XIXe siècle par Trautz-Bauzonnet. Je vous laisse lire la fiche ci-dessous.



28.000 euros demandés pour cet exemplaire donc. Je note.

PS : ce même exemplaire, comme l'indique la fiche, était présenté au catalogue de la librairie Morgand et Fatout sous le n°6.999 au prix de 1.500 francs or (novembre 1880 - ce qui donne un rapport de 1 à 20 environ pour le prix entre 1880 et 2011).

Nous n'en n'avons pas fini avec Montaigne, je vous signalerai régulièrement les beaux exemplaires de ce livre que je croiserai au fil des catalogues. Une sorte de bibliographie continue et interactive en quelque sorte.

Bonne journée,
Bertrand Bibliomane moderne

lundi 26 septembre 2011

Identifier un chiffre ... mais pas seulement un chiffre (1706).

Plat supérieur d'un des cinq volumes


Qui saura identifier ce chiffre doré au centre des plats d'une jolie série en 5 volumes des Œuvres de Saint Evremond (édition d'Amsterdam, chez Pierre Mortier, 1706) ?

L'exemplaire est relié plein veau brun moucheté de l'époque, les dos sont ornés aux petits fers dorés, double-filet doré en encadrement des plats, fleurette dorée dans les angles, tranches mouchetées de rouge. Ce chiffre qu'on peut lire ER (avec effet de symétrie horizontale) ? (ou autre...) est surmonté d'attibuts étranges, deux bras montés au ciel et sortant des créneaux d'une tour (??), les mains tenant un récipient (??) ou un écu (??) plein doré.

Détail du chiffre et ses attributs symboliques

A vos méninges !

Bonne journée,
Bertrand Bibliomane moderne

dimanche 25 septembre 2011

Les bouquinistes des quais à Paris, vers 1900 (vue stéréoscopique).


vue transformée en sépia (une seule vue sur les deux nécessaires à la vision stéréoscopique)


J'étais persuadé vous avoir déjà montré cette photographie stéréoscopique des bouquinistes des quais de la Seine à Paris, vers 1900, et puis je crois bien que finalement je ne l'ai jamais présentée, l'oubli est réparé.

vue stéréoscopique originale, vers 1900


Évidemment, pour profiter pleinement de cette vue, il vous faudrait user d'une lunette binoculaire spécialement conçue pour regarder ce type de photographies, et obtenir une vision en 3D assez impressionnante ! Voici ci-dessous le modèle des années 1890-1900 qui me sert à visionner ces photographies.

visionneuse stéréoscopique de luxe, lunette binoculaire acajou et laiton
(sans marque, fabrication française ? vers 1890-1900 ?)



Ce modèle, qu'une dame m'offrit un jour et qui restera comme un beau présent de l'amitié, est en acajou et laiton (cuivre jaune), c'est un modèle dit de grand luxe. A la même époque il existait aussi de simples petites boites noires en carton noir avec deux oculaires et une fenêtre de verre dépoli sur le devant, ces modèles là étaient les modèles bon marché.

Je vous avais proposé il y a quelques temps déjà de regarder une plaque de verre stéréoscopique cette fois, endommagée certes, mais qui elle aussi montrait les boîtes des bouquinistes. Vous pouvez la voir ou la revoir ICI.

Je vous laisse deviner que les yeux rivés dans les oculaires de ma terrible machine à remonter le temps, je suis à chaque instant tenté de tourner la tête à droite ou à gauche pour suivre les personnages dans leur course intemporelle ... mais voilà ... plus d'un siècle et plusieurs vies nous séparent ... mais c'est émouvant de voir ces mannequins noirs en relief, devant soi, presque encore vivants, là, à bouquiner encore ...

Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne

PS : inutile de dire que je suis acheteur de ce type de vues stéréoscopiques montrant librairies, bouquinistes et autres gentlemen du livre. Vous pouvez me faire des propositions (décentes) à bertrand.bibliomane@gmail.com

samedi 24 septembre 2011

Le tribun Mirabeau et le docteur Cabanis : une amitié au delà de la tombe à travers les livres (1792).



Le 2 avril 1791 s'éteignait "l'orateur du peuple". On l'avait aussi surnommé "la torche de provence". De son vrai nom Honoré Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau. Un grand nom de la Révolution française ! Sa mort semble-t-il reste un mystère. Certains l'attribuèrent aux suites d'une maladie liée à un empoisonnement, d'autres n'hésitèrent pas à écrire que c'est sa vie de débauché qui lui valut de passer si promptement de vie à trépas. Il avait tout juste 42 ans.

Selon Victor Hugo, Mirabeau était d'une « laideur grandiose et fulgurante ». Il est né avec un pied tordu, deux grandes dents et surtout une tête énorme (ce qui a fait dire qu’il était hydrocéphale). Il avait également la langue enchaînée par le filet. Avant de présenter l'enfant à son père, la nourrice le prévint : « Ne vous effrayez pas ». Et l'accoucheur d'ajouter : « Il aura beaucoup de peine à s'exprimer ». À l'âge de trois ans, il fut défiguré par une petite vérole mal soignée ; son visage en garda de profondes cicatrices.

Sans être pessimiste, ça partait plutôt mal dans la vie pour le petit Mirabeau !

Son père, le grand physiocrate, Victor Riquetti, marquis de Mirabeau, n'aimait guère son fils. Le jeune Mirabeau suit d'abord la voie de l'armée, touche de près au libertinage et contracte des dettes. C'est son père même qui le fera enfermer plusieurs fois au château de Vincennes pour se soustraire à ses nombreux créanciers. Finalement exilé au château de Joux, en Franche-Comté, il s’enfuit ensuite aux Provinces-Unies (Pays-Bas) avec sa maîtresse, Marie Thérèse Sophie Richard de Ruffey, rencontrée lors de ses sorties autorisées, qui est l'épouse du marquis de Monnier, président de la chambre des comptes de Dole. En 1776, dans sa fuite, il publie son Essai sur le despotisme qui dénonce l’arbitraire du pouvoir royal : « le despotisme n’est pas une forme de gouvernement (...) s’il en était ainsi, ce serait un brigandage criminel et contre lequel tous les hommes doivent se liguer. » Mirabeau fut condamné à mort par contumace, puis extradé et emprisonné au château de Vincennes de 1777 à 1780. Il y écrivit des lettres, publiées après sa mort sous le titre de Lettres à Sophie, chef d’œuvre de la littérature passionnée ainsi qu’un virulent libelle contre l’arbitraire de la justice de son temps : "Des Lettres de cachet et des prisons d'État."

Mais le temps était à l'orage... la révolution commençait à gronder au loin... mais pas si loin ...

Mirabeau sort de la prison de Vincennes quelques mois avant la prise de la Bastille. Tout va aller ensuite très vite. En quelques mois il s'impose comme l'un des meneurs de 1789. Il se présenta en Provence aux élections des États généraux de cette même année. Repoussé par la noblesse, il publia un discours véhément adressé aux nobles provençaux. Il est alors nommé par le Tiers état, à Aix et à Marseille. Il ne tarda pas à devenir l’un des plus énergiques orateurs de l’Assemblée nationale. Seize mois plus tard, en octobre 1790, il prononce un vibrant discours où il propose que la couleur blanche soit remplacée par les couleurs bleu, blanc, rouge sur les bâtiments de la marine royale. Les matelots devant maintenant crier "vive la nation, la loi et le roi" au lieu de "vive le roi". Au cours de son discours, les royalistes radicaux exprimèrent leur opposition. La dégradation de la monarchie détermina son revirement politique, il était devenu le plus solide appui de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Il devint notamment le conseiller privé de Louis XVI, fonction pour laquelle il se fit rémunérer.

Mirabeau ne connut pas la suite de cette Révolution ... la mort du roi Louis XVI le 21 janvier 1793, celle de la reine Marie-Antoinette le 16 octobre de la même année ... les suites sanglantes de la terreur et autres joyeusetés inhérentes à la libération d'un peuple (on connait encore ceci aujourd'hui sans avoir à chercher bien loin).

Mais au fond, qui était vraiment Mirabeau ? Quel genre d'homme était-il ? Un sage ? Un déraisonnable ? Un exalté ?

Après sa mort, ses connivences avec la cour furent étalées au grand jour. Son image ne fut plus aussi brillante aux yeux du peuple.

Les trois meilleurs amis de Mirabeau étaient Cabanis (**), Frochot et de La Marck, et c'est ce dernier qui fut choisit pour être son exécuteur testamentaire. Nous allons nous attarder sur Cabanis.


Qui était ce Cabanis proche ami du tribun Mirabeau ?

Cabanis était un de ses amis parmi les plus proches mais également son médecin personnel.

"L'amitié nouée entre Cabanis et Mirabeau fut d'une essence si rare qu'elle rappelle celle qui unit Montaigne à La Boétie. Pourtant, Dieu sait si les hommes étaient différents : Cabanis d'une douceur et d'une pureté de moeurs qui l'a fait qualifié d'angélique et l'autre véritable faune avide de plaisirs faisandés, et vénal au point que Rivarol a pu dire de lui "qu'il était capable de tout, même d'une bonne action, pour de l'argent !" (*)

On sait que Cabanis a influencé Mirabeau dans la rédaction de plusieurs de ses discours. Notamment la création d'un lycée national, la réorganisation des études médicales, etc. Cabanis tenta de sauver "son malade" plusieurs fois, en vain.

Lorsque dans la nuit du 27 au 28 mars 1791, Mirabeau fut pris de violentes douleurs thoraciques à la suite d'une longue séance à l'Assemblée où il avait prononcé cinq discours consécutifs d'une voix passionnée, malgré le malaise qu'il avait éprouvé la veille, il n'accepta pas que l'on allât chercher Cabanis, qui se trouvait à Auteuil, disant : "Le dimanche est le seul jour où Cabanis puisse donner plusieurs heures de suite à ses amis d'Auteuil : cet arrangement lui est cher, je ne veux pas absolument qu'on le trouble." (*)

Juste avant de mourir et d'après les dires de Cabanis qui était présent dans ses derniers instants, le tribun aurait dit : "Mon ami, je mourrai aujourd'hui. Quand on en est là, il ne reste plus qu'une chose à faire : c'est de se parfumer, se couronner de fleurs et s'environner de musique afin d'entrer agréablement dans ce somme dont on ne se réveille plus."

Il existe de fortes présomptions sur le fait que Cabanis aurait peut-être hâté le trépas de Mirabeau pour abréger ses souffrances comme il lui aurait expressément demandé peu de temps avant de mourir. On ne sait pas. Quoi qu'il en soit, plus tard, dans ses "Rapports du physique et du moral de l'homme" il s'avèrera un chaud partisan de l'euthanasie (la bonne mort).

Quel rapport avec la bibliophilie me direz-vous ? Nous sommes ici dans l'histoire... la petite et la grande ... mais point question de livres ... mais j'y viens !

Il y a de cela quelques mois, une jeune amie libraire a eu la gentillesse de me prévenir qu'elle venait de rentrer un document qui m'intéresserait certainement (et qu'elle en soit ce soir présentement chaleureusement mais sagement remerciée). Elle m'envoya quelques photos d'un document de 2 pages manuscrites de format petit in-4, bien écrites, très propre (voir photos). Le document est écrit sur un papier vergé ancien filigrané G. LEROY 1783. Il porte en haut, un titre : "Pour Monsieur Cabanis, - // acheté à la vente de feu M. Mirabeau." . S'ensuit une liste de 21 numéros. Il s'agit de 21 numéros décrits des livres de la bibliothèque de Mirabeau, avec le numéro d'ordre dans le catalogue de la vente, le titre et le prix d'adjudication.



Quel document ! Quelle belle découverte !

Pour moi, ce document, soigneusement calligraphié, sur beau papier, l'a sans doute été par le secrétaire même de Cabanis, dont je n'ai pas recherché l'identité mais qui doit être assez facilement identifiable. Il s'agirait donc d'une "copie" ou "minute" à la manière des notaires, copie destinée à être soigneusement conservée dans les papiers de M. Cabanis, comme archive. A noter que ce document pourrait très bien aussi avoir été rédigé par le libraire-expert de la vente (à savoir Rozet ou Belin), pour le remettre ensuite à M. Cabanis. Nous ne le saurons sans doute jamais.

Analysons rapidement ce document. 21 ouvrages achetés donc. La totalité des ouvrages achetés s'avère être des ouvrages de médecine, la presque totalité sont des ouvrages en latin. Il s'agit comme vous pouvez le constater de numéros faisant partie de la section médecine du catalogue de la bibliothèque de Mirabeau. Je vous laisse lire le document (voir photos).

Cabanis achète donc un total de 21 numéros pour un total de 161 livres et 18 sols. Parmi ces achats il y a de beaux livres payés assez chers comme ce Lucina sine concubitu, adjugé 37 livres et les Boerhaave institutiones rei medicae 5 vol. in-4 pour 36 livres.

Émouvant non ? Je vous ai parlé de Mirabeau et de ses liens particuliers qu'il entretenait avec Cabanis. Mirabeau n'a-t-il jamais pensé légué ses livres de médecine à son ami et médecin personnel ? Il aura fallut que Cabanis les achètent au prix de l'encan. Sans doute Cabanis voulut-il un souvenir de son ami disparu. La vente des livres de la bibliothèque de feu M. Mirabeau eut lieu dans l'une des salles de l'hôtel de Bullion, rue J.-J. Rousseau, le lundi 9 janvier 1792 et les jours suivants. Le catalogue en fut fait et il compte pas moins de 2.854 numéros ! Mirabeau avait une belle bibliothèque, très variée. Vous pouvez parcourir ce catalogue ICI. Vous y retrouverez les numéros achetés par le docteur Cabanis.

Voilà, c'était juste cela que je voulais partager avec vous, et encore une fois remercier une libraire qui sachant ce que je cherche n'oublie jamais de me proposer ses pièces les plus curieuses.

PS : Le hasard a fait que j'ai rentré presque au même moment un ouvrage publié en 1803 traitant de l'épilepsie et ayant appartenu à la bibliothèque de Cabanis, avec son numéro de classement et son nom inscrit à la plume sur la fragile couverture rose de ce broché (voir photo ci-dessous).


Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne


(**) Pierre Jean Georges Cabanis est un médecin, physiologiste et philosophe français, né au manoir de Salagnac, à Cosnac (Corrèze) le 5 juin 1757 et mort à Seraincourt le 5 mai 1808 (hameau de Rueil). Cité généralement sous le nom de Cabanis, on le voit parfois nommé avec l'un de ses prénoms mais, curieusement, pas toujours le même. Les ouvrages essentiels de Cabanis peuvent être classés en trois catégories : les uns à propos de l'histoire de la médecine ; d'autres sur l'organisation de l'enseignement médical et des hôpitaux ; d'autres enfin, et ce sont les plus importants, sur la philosophie de la médecine et particulièrement sur les rapports du physique et du moral, de la physiologie avec la psychologie. Admis dans la société de Mme Helvétius à Auteuil, il y connut Turgot, d'Holbach, Condorcet et d'autres hommes marquants de l'époque. Il embrassa chaudement les principes de la Révolution, se lia étroitement avec Mirabeau et lui donna ses soins comme médecin dans la maladie qui l'emporta. Défenseur farouche du matérialisme au sein des Idéologues, notamment avec Destutt de Tracy, il prendra tardivement une attitude plus spiritualiste en accordant à la nature une finalité. Cabanis est fortement inspiré par Locke, dont il lut les écrits pendant ses études, et qui le mit sur la voie de la philosophie classique et de la philosophie de son temps, et notamment du sensualisme de Condillac. Son apport original à la postérité de ces deux penseurs sera l'introduction de la physiologie dans la psychologie.

(*) Georges Cabanis : le médecin de Brumaire, par André Role et Luc Boulet. cf. page 126-134. Editions F. Sorlot et F. Lanore.

vendredi 23 septembre 2011

Province-Paris / Paris-Province, ou la bibliophilie du XXIe siècle en TGV ! ... Une vente ALDE avec de belles surprises !


Gaspard de la nuit d'Aloysius Bertrand (1842),
adjugé 22.200 euros frais compris.
Un exemplaire vraiment exceptionnel !


Aujourd'hui il y avait une petite messe bibliophilique dans la salle Rossini près Drouot à Paris. La maison de vente ALDE, spécialisée dans les livres et les autographes proposait un catalogue assez disparate d'un peu moins de 450 lots. J'avais décidé de faire le déplacement depuis ma Bourgogne profonde pour aller aux devants de Lutetia parisiorum la Grande ! Ma venue a été prétexte à modeste ripailles au "Central" (juste en face et à deux pas de l'hôtel Drouot) avec trois amis libaires-bibliophiles ou bibliophiles-libraires. Andouillettes-frites, entrecôte-frites ... nous ne sommes que des hommes après tout ! Mais cette rencontre "au sommet" a surtout été l'occasion, comme on aime le faire entre "biblios", à une "causerie" entre amis du livre et du bouquin ... un petit traité de magie noire ayant subrepticement passé de mains en mains avec des ah ! des oh ! des mmmm ! ... et puis les éternelles complaintes shakespeariennes des libraires en mal de "reprise économique" sur fond de crise bancaire internationale ... bref ... des interrogations ... des rires ... des anecdotes diverses et variées qui font que ce métier est et doit rester avant tout une passion.

A 14h la messe commençait.

Nous sommes arrivés pile à l'heure. Il y avait encore de la place sur les chaises de devant (celles que j'affectionne car elles permettent encore de "voir" les livres qu'on n'a pas eu le temps d'examiner pendant la visite). Certains affectionnent les places du fond ... certains disent que ce sont les gredins qui sont à ces places car ainsi ils peuvent épier les moindres gestes de toute la salle devant eux ... mais je ne veux pas croire à cette légende surfaite (sourire). Bref, n°1 etc ...

Disons que la vente était divisée en plusieurs parties thématiques. Pour commencer les livres anciens (quelques beaux titres, mais un bon nombre de livres en état très moyen), à noter tout de même un Cyrano de Bergerac in-4 (Paris, Charles de Sercy, 1654), complet mais assez lait, qui de mémoire a fait 1.300 euros sans les frais (un exemplaire plus beau avait fait plus de 5.000 euros lors d'une des dernières ventes ALDE) ; à noter aussi un beau volume de Diderot, Le fils naturel, EO de 1757, plein veau aux armes du duc de La Rochefoucauld, volume estimé 1.500/2.000 euros et bataillé très au delà de cette estimation mais je ne me souviens plus le prix final et j'ai oublié de le marquer ; à noter l'EO des Pensées de Pascal (Paris, Desprez), 1670, partie pour 7.500 euros pour une estimation de 5.000/6.000 euros (Pascal n'a plus tant la cote que cela .... c'est un signe des temps ...). Une Geografia de Ptolémée de 1548 (Venise, Bascarini) fut monté jusqu'à 18.000 euros je crois... et à mon sens ce n'était pas justifié car le volume avait été outrageusement lavé et laminé par Marcellin Lortic qu'on ne remercie pas sur ce coup-là même si la reliure était clinquante... de certains feuillets on aurait dit des photocopies (n'est-ce pas Textor...) ... Un Restif de la Bretonne pour lequel j'étais venu (Les parisiennes, 1787, 4 volumes et 20 fig. de Binet), était si horrible (et je pèse mes mots) que personne n'en voulut même à 500 euros dernier mot du commissaire priseur (sur une estimation à 800/1.000 euros tout de même) ... On n'achète pas du Restif à n'importe quel prix surtout lorsqu'il est hautement moche ! Venaient ensuite les livres du XIXe siècle. Il y avait quelques jolis exemplaires. Un Paul et Virginie de Curmer (1838) sur papier de chine (très rare... 35 ex. d'après Carteret) finit à 4.000 euros (reliure toile éditeur très usagée) ; un must de la vente, ce Gaspard de la nuit de Louis Bertrand ou Aloysius Bertrand (dijonnais de cœur pour les intimes...), EO de 1842, superbe, relié sur brochure par Charles Meunier, maroquin mosaïqué (voir photo ci-dessus), magnifique ouvrage que j'ai tenu quelques instants en mains (telle une relique inaccessible), estimé 8.000/10.000 euros, adjugé 18.500 euros sans les frais (22.200 euros avec les frais) ; quelques belles éditions de Victor Hugo, dont le n°191, La légende des siècles, EO de 1877, 1/10 ex. sur Japon ... avec un envoi à la hauteur (voir catalogue) ... exemplaire rendu unique... magnifique ... bref ... estimé 4.000/5.000 euros .... qui se termine à 23.000 euros si je me souviens bien .... (on a parfois des envies d'être trader à la Société Générale moi je vous le dis ...) ; je passe sur la section consacrée au Félibrige et à la Provence de Mistral et Roumanille ... (nous sommes allés boire un verre bien mérité pendant ce temps...) ; les sections suivantes de la vente consacrées à un vague ensemble régionaliste ne m'a pas non plus attiré ... je n'en parlerai donc pas. Venait au final la section consacrée à la bibliophilie, à la bibliographie, pour bonne partie très bien reliée. Les prix ont été à la hauteur de la beauté des exemplaires et je n'ai rien pu acheter. C'est ainsi.

Voilà ce que je pouvais vous dire sur cette petite escapade parisienne somme toute très "professionnelle". Ah si, j'oubliais ! je suis reparti avec un lot, un seul ! Mais j'en suis assez satisfait. "Bon achat !" a crié le commissaire priseur ... prions ensemble pour qu'il ait dit vrai (sourire).

Je n'irai pas à la vente du 6 octobre prochain (jeudi en fait ...) consacrée à la dispersion des livres de Pierre-Jean Remy, bibliothèque, qui, comme dirait un ami "m’en touche une sans faire bouger l’autre." (je parle des reliures bien évidemment...). Par contre j'irai très probablement à la vente suivante du 28 octobre (Bibliothèque d'un amateur), bibliothèque riche en EO classiques bien reliées (Corneille, Racine, etc) ... c'est tout de même autre chose !

PS : je me vois mal vous laisser sans vous conter la petite aventure de la fin de matinée, avant que la salle Rossini n'ouvre ses portes. Avec Éric, mon ami de la librairie ancienne L'escalier des Sages, nous nous sommes baladés dans la passage des Panoramas (il voulait me montrer une lettre autographe de Victor Hugo qu'il avait vu en vitrine). Je n'ai pas pu résister à lui montrer le 55 passage des Panoramas, lieu mythique à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, qui abrita durant plus de quarante ans la célèbre librairie ancienne Morgand et Fatout, puis la librairie Rahir, son successeur. Il y a au fond de la boutique, aujourd'hui en travaux, encore l'escalier majestueux à double montée/descente latérale, que je vous laisse admirer en photo (la personne qui était présente a gentiment permis que nous visitions les lieux ... je lui ai fais l'historique de la "boutique Morgand" (qu'elle ne connaissait pas visiblement) et nous avons même pu monter à l'étage et admirer les vitrines et bibliothèques en boiseries de la fin du XIXe siècle, étagères sur lesquelles Morgand et Rahir alignaient par centaines autant d'incunables précieux que d'EO parmi les plus rares). J'avoue que le moment était émouvant. Je remercie Eric de l'avoir immortalisé (sourire).

L'escalier à double montée/descente latérale du 55 passage des Panoramas,
escalier encore en place et en parfait état de la librairie ancienne
Morgand et Fatout, puis Edouard Rahir successeur (de 1876 aux années 1920)

Le 55 est aujourd'hui le lieu-boutique de "La Postale"
(philatélie de haut niveau).

La boutique est actuellement en travaux jusqu'à fin octobre 2011.


Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne

mercredi 21 septembre 2011

Réponse à la devinette du Bibliomane moderne : Qui se cache derrière ces attributs apposés sur cette reliure ? Le duc Philippe d'Orléans (1869-1926)


Louis Philippe Robert d'Orléans, " duc d'Orléans " (1869-1926),
arrière-petit-fils de Louis Philippe Ier, Roi des français


Voici la réponse à la devinette du Bibliophile que vous pouvez lire ou relire ICI.

Il s'agit de deux volumes offerts et reliés pour Louis Philippe Robert d'Orléans, « duc d'Orléans ». Il était né le 6 février 1869 à York House, dans le district de Richmond-sur-Tamise, au Royaume-Uni, et décédé le 28 mars 1926 au palais d'Orléans, à Palerme, en Sicile. Il fut le prétendant orléaniste au trône de France sous le nom de « Philippe VIII » de 1894 à 1926. Ce fut également un explorateur, un naturaliste et un écrivain de renom. Le « duc d'Orléans » est le fils aîné de Philippe d'Orléans (1838-1894), comte de Paris, et de son épouse et cousine germaine l'infante franco-espagnole Marie-Isabelle d'Orléans (1848-1919). Par chacun de ses parents, il est l'arrière-petit-fils du roi des Français Louis-Philippe Ier (1773-1850) et de son épouse la reine Marie-Amélie de Bourbon-Siciles (1782-1866), dont il descend à travers Ferdinand-Philippe d'Orléans (1810-1842), duc d'Orléans, et Antoine d'Orléans (1824-1890), duc de Montpensier. Philippe d'Orléans compte également parmi ses autres arrières-grands-parents le prince héréditaire Frédéric de Mecklembourg-Schwerin (1778-1819) et le roi Ferdinand VII d'Espagne (1784-1833). Le 5 novembre 1896, le prince épouse à Vienne, en Autriche, l'archiduchesse Marie-Dorothée de Habsbourg-Lorraine (1867-1932), fille du comte palatin de Hongrie Joseph de Habsbourg-Lorraine (1833-1905) et de son épouse la princesse Clotilde de Saxe-Cobourg-Kohary (1846-1927), elle-même fille de la princesse Clémentine d'Orléans (1817-1907). De cette union malheureuse, qui se termine par une séparation officielle, ne naît aucun enfant et la succession orléaniste passe à l'un des beau-frères du « duc d'Orléans », le prince Jean (1874-1940), « duc de Guise ».

Reliure signée de PETIT et exécutée en 1895 pour Philippe d'Orléans (1869-1926),
à son chiffre P couronné.
Philippe d'Orléans était-il bibliophile ?


Le comte de Paris trouve la mort le 8 septembre 1894 et son fils, alors âgé de vingt-cinq ans, lui succède comme Chef de la Maison d'Orléans. Le prince hérite alors de l'immense fortune de sa famille, ce qui va lui permettre de financer plus facilement les expéditions qu'il organise à travers le monde. Mais, conscient de ses devoirs de prétendant, le « duc d'Orléans » décide de se marier afin d'assurer un héritier à la dynastie qu'il représente. En 1896, il épouse donc, à Vienne, une petite-fille de la princesse Clémentine d'Orléans, l'archiduchesse Marie-Dorothée de Habsbourg-Lorraine. On apprend cependant plus tard que la princesse est stérile et que le couple ne peut donc concevoir d'enfant. L'union de Philippe et de Marie-Dorothée sonne, pour un temps, l'arrêt des grandes expéditions du prince, mais pas de ses voyages. À bord du yacht Maroussia, le prétendant et son épouse visitent, à partir de 1897 et pendant plusieurs années, le pourtour de la Méditerranée. Ils séjournent ainsi régulièrement en Sicile, dans le superbe Palais d'Orléans de Palerme, où ils reçoivent de nombreuses visites, comme celle du kaiser Guillaume II et de sa femme. Cependant, les années passant et la perspéctive d'être parents s'éloignant, les relations du couple princier se dégradent. Fatigué de sa condition d'exilé, le « duc d'Orléans » décide de reprendre ses expéditions lointaines tandis que son épouse retourne progressivement vivre avec sa famille, au château d'Alcsuth, en Hongrie. Mais ces voyages n'empêchent pas le prince d'accomplir ses devoirs politiques de prétendant, même s'il y prend lui-même peu d'intérêt personnel. À la fin du XIXe siècle, les Français se passionnent pour l'« affaire Dreyfus », qui provoque une grave fracture dans la société. Profondément conservateur, le « duc d'Orléans » se range, dès 1898, parmi les antidreyfusards convaincus et s'aliène ainsi davantage l'opinion publique libérale. Vers la même période, le prince fonde la Jeunesse Royaliste, dont la présidence est confiée au journaliste Paul Bézine. Dans ce climat électrique, le prince pense un moment pouvoir monter sur le trône lors de la tentative de coup d'État organisée par Paul Déroulède, pendant les funérailles du président de la République Félix Faure, en 1899. Cependant, les espoirs du prétendant sont vite déçus et ses interventions politiques ne sont pas écoutées. Son opposition au vote de la loi sur les congrégations de 1901 n'a ainsi aucune conséquence. En réalité, c'est certainement la rencontre du « duc d'Orléans » avec Charles Maurras, en 1908, qui constitue l'événement politique le plus important dans la vie du prétendant. De fait, c'est Maurras, père de L'Action française et des Camelots du Roi, qui va s'emparer du mouvement monarchiste français pendant trente ans et réduire à néant les courants royalistes antérieurs. Le prétendant abandonne en effet à l'auteur de L'Enquête sur la monarchie la réalité de la direction politique du mouvement royaliste pour se consacrer entièrement à ses expéditions.

Philippe d'Orléans était le prétendant orléaniste au trône de France depuis 1894 (Le comte de Paris trouve la mort le 8 septembre 1894). Le duc d'Orléans a 25 ans et devient le chef de la Maison d'Orléans. Ce livre lui est offert vraisemblablement au début de l'année 1895.


En 1904, le « duc d'Orléans » part visiter la Norvège et le Spitzberg à bord du Maroussia. Puis, désirant poursuivre ses expéditions dans l'Océan Arctique, il acquiert un vaisseau plus important, le Belgica, avec lequel il mène trois campagnes polaires entre 1905 et 1909. En compagnie du docteur Joseph Récamier fils, du dessinateur animalier Édouard Mérite et d'un océanographe, il visite la côte est du Groenland et a alors la joie de découvrir des terres encore inconnues qu'il nomme Île-de-France et Terre de FranceN 5. Le prétendant rallie ensuite l'Islande, où il visite le site du parlement traditionnel, l'Althing.

Grâce au récit de cette expédition, qui donne lieu à plusieurs publications, le prince obtient les médailles d'or des Sociétés de géographie belge et française. Surtout, il ramène à York House quantité d'autres trophées de chasse qu'il décide d'entreposer dans un musée. En 1907, il transfère donc ses collections taxidermiques dans une nouvelle demeure, à Wood Norton, dans le Worcestershire. La même année, il repart pour le Grand Nord avec le projet de longer la côte nord de la Sibérie, de la mer de Kara au détroit de Béring. Mais cette nouvelle expédition, racontée dans La Revanche de la banquise, est un échec et le prince ne parvient pas plus loin que la Nouvelle-Zemble. En 1911, le « duc d'Orléans » repart une dernière fois vers les régions australes. Des îles Féroé, il ramène alors d'autres dépouilles animales, qui l'obligent à agrandir son musée de Norton Wood.

Le duc d'Orléans ici en 1910. Il est âgé de 41 ans.


À partir de 1912, Philippe reprend ses expéditions terrestres, mais cette fois plus pour la chasse que pour la science. Il part alors pour le Turkestan, la Russie et le Caucase. L'année suivante, il se rend en Argentine et au Chili. À son retour en Europe, il décide de quitter l'Angleterre et de s'établir en Belgique. Près de Bruxelles, il s'installe dans la résidence de Pluck Dael, qu'il renomme manoir d'Anjou, et y fait bâtir une vaste annexe destinée à accueillir ses collections cynégétiques.

Pendant la réalisation de ces travaux, le prétendant se rend chez les Habsbourgs de Hongrie afin d'y retrouver son épouse, avec laquelle il souhaite se réconcilier et reprendre la vie commune. Mais la « duchesse d'Orléans » refuse catégoriquement de suivre son mari. Quelques temps après, lorsqu'éclate le premier conflit mondial, elle décide même de rester vivre en Autriche-Hongrie, pays pourtant en guerre avec la nation dont elle est, pour les orléanistes, la reine titulaire. Le prétendant est meurtri par cette attitude qu'il considère comme une trahison et ne pardonnera jamais à sa femme son comportement. Finalement, après la guerre et bien des péripéties judiciaires, les époux se séparent.

Lors de la Première Guerre mondiale, le « duc d'Orléans » cherche à participer au combat aux côtés de la Triple-Entente mais ni la France, ni le Royaume-Uni, ni la Russie ou, plus tard, les États-Unis ne lui permettent de s'engager dans leur armée. Seule l'Italie semble, en 1915, vouloir lui ouvrir ses portes. Cependant, une fracture du fémur empêche alors le prétendant de se joindre aux combattants de ce pays et l'opportunité ne lui est pas redonnée par la suite. Déçu par ces rejets, le prétendant retourne s'installer en Angleterre, où il passe toute la guerre. Pendant ces années, sa seule satisfaction est de pouvoir mettre le Belgica à disposition de la Grande-Bretagne afin de ravitailler son allié russe à travers les fleuves sibériens.

Une fois la paix revenue, Philippe d'Orléans retourne vivre en Belgique, où il a le plaisir de retrouver intactes les collections animalières qu'il y a laissées. Pendant l'occupation allemande, l'un de ses cousins éloignés, le grand-duc de Mecklembourg-Schwerin, est en effet intervenu auprès du haut-commandement militaire pour les préserver. N'ayant plus ni espoir de donner vie à un héritier, ni réelle possibilité de rentrer un jour dans son pays, le prétendant décide alors d'organiser ses collections afin de les offrir un jour à la France. Il met ainsi en place de nombreux dioramas qui représentent les paysages qu'il a parcourus tout au long de sa vie. Puis, le prince reprend ses voyages dans le but de compléter ses collections.

En 1921, il repart en Argentine et au Chili puis fait le tour de l'Afrique à bord du navire anglais le Saxon. En janvier 1925, il retourne en Haute-Égypte pour y chasser des oiseaux puis retourne en Europe en passant par Jérusalem. Enfin, en janvier 1926, il se rend une dernière fois en Éthiopie et en Somalie, où il récolte quantité de plantes et d'arbustes destinés à être exposés dans de nouveaux dioramas.

Envoi de l'auteur, Laffleur de Kermaingant, à Monseigneur le Duc d'Orléans (1895).


À la suite de ce dernier voyage, le prince se rend en Italie et s'installe au Palais d'Orléans de Palerme. Après une syncope, le prince est atteint d'une congestion pulmonaire, aggravée par une variole probablement contractée en Égypte. Il meurt quelques jours plus tard, le 27 mars, en compagnie de sa sœur aînée, la reine Amélie de Portugal.

Tout au long de ses voyages, le « duc d'Orléans » a amassé quantité de trophées de chasse qu'il a consciencieusement faits naturaliser et exposer dans ses châteaux, d'abord en Angleterre puis en Belgique. Mais le souhait du prétendant était de léguer ces dépouilles à la France afin de constituer un musée d'histoire naturelle ouvert au public.

À sa mort, la reine Amélie de Portugal fait donc en sorte de réaliser cette volonté et le Muséum d'Histoire naturelle de Paris accueille, dans une de ses annexes, ses précieuses collections. Cependant, le bâtiment, édifié par l'architecte Weber et décoré par Maxime Real del Sarte, est mal conçu et les dépouilles sont rapidement abîmées par le temps. En 1960, les autorités doivent donc se résoudre à démolir le monument et les rares dépouilles encore indemnes sont reléguées à la Grande galerie de l'évolution, où l'on peut encore les admirer aujourd'hui.

Comme prétendant orléaniste au trône de France et chef de la Maison d'Orléans, le prince Philippe pouvait porter chaque titre lié à un apanage traditionnel de la Maison Royale, ou puiser dans les nombreux titres traditionnels de sa branche : duc d'Orléans, duc de Valois, duc de Chartres, duc de Nemours, duc de Montpensier, dauphin d'Auvergne, prince de Joinville, sénéchal héréditaire de Champagne, marquis de Coucy, marquis de Folembray, comte de Soissons, comte de Dourdan, comte de Romorantin et baron de Beaujolais.

Pour ses partisans, les orléanistes, et particulièrement les militants d'Action française, Philippe d'Orléans était l'héritier du trône de France sous le nom de « Philippe VIII ». Il était en effet l'aîné des descendants du roi Louis XIII de France, à l'exclusion des descendants de Philippe V d'Espagne, partis régner de l'autre côté des Pyrénées en vertu du traité d'Utrecht, signé en 1713. Mais, pour ses adversaires légitimistes, pour qui les véritables héritiers du trône étaient ses lointains parents, les princes Charles et Jacques de Bourbon, Philippe d'Orléans n'était « que » duc d'Orléans.

Sous le nom de « Duc d'Orléans », le prince Philippe a publié plusieurs livres de voyages : Une expédition de chasse au Népaul, C. Lévy, Paris, 1892. Une Croisière au Spitzberg, yacht Maroussia, 1904, Imprimerie de Chaix, Paris, 1904. Croisière océanographique accomplie à bord de la Belgica dans la Mer du Grönland, 1905 C. Bulens, Bruxelles, 1907. La Revanche de la banquise : un été de dérive dans la mer de Kara, juin-septembre 1907, Plon-Nourrit, Paris, 1909. Campagne Arctique de 1907, C. Bulens, Bruxelles, 1910-1912. Chasses et chasseurs arctiques, Librairie Plon, Paris, 1929. (Source Wikipedia)

L'arrière-petit-fils de Louis-Philippe Ier roi des français, était-il bibliophile ?

Les reliures que j'ai sous les yeux invitent à le croire. Deux jolis volumes grands in-8 reliés plein maroquin rouge par Petit (en 1895), exemplaire de présent relié aux armes de France et au chiffre de Philippe d'Orléans (P couronné), avec envoi de l'auteur. L'ouvrage qui lui a été offert est un ouvrage historique intitulé : "L'ambassade de France en Angleterre sous Henri IV. Mission de Christophe de Harlay, comte de Beaumont (1602-1605) par P. Laffleur de Kermaingant. (Paris, Librairie de Firmin-Didot, 1895, 2 vol. dont 1 vol. de pièces justificatives (lettres et documents). Les deux volumes sont reliés aux armes et portent au contre plat une petite étiquette "M. V" (probablement un classement de bibliothèque). La bibliothèque du duc Philippe d'Orléans fut-elle vendue à sa mort en 1926 ? Je n'en n'ai pas trouvé trace. On peut supposer que son rang et sa richesse lui ont permis d'avoir une belle bibliothèque. Ce sont les premières reliures de cette provenance que je trouve. Et vous ? En avez-vous déjà rencontré ?

Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne

La devinette du Bibliomane moderne : Qui se cache derrière ces attributs apposés sur cette reliure ?



Billet on ne peut plus simple aujourd'hui. Une petite devinette pour bibliophile amateur (ou amatrice) de vieilles familles nobles et d'héraldique. Qui se cache derrière ces attributs apposés sur cette reliure ?

Bonnes recherches !

Voici les trois photos "indices" !

PS : Attention ! il y a un piège... (sourire).


chiffre en pied des dos


armes frappées au centre des plats


fleur de lis frappée dans les angles des plats


envoi de l'auteur ... je vous laisse chercher encore un peu ...


Bonne journée,
Bertrand Bibliomane moderne

mardi 20 septembre 2011

Esthétisme du livre ancien : un imposant cul-de-lampe (1694)

En bibliophilie comme en tout il faut savoir souvent se laisser guider par son œil, c'est lui le premier instinct du beau, et même si parfois il nous trompe ou nous mène vers des chemins détournés et sinueux, c'est par lui qu'on apprend l'essentiel. C'est en tous cas mon avis, et je le partage.

Ce soir je collationnais une édition de la fin du XVIIe siècle en 3 forts volumes in-4 et mes yeux sont restés admiratifs un long instant de ce motif décoratif situé à la fin d'un chapitre, autrement appelé cul-de-lampe. Celui-ci, gravé sur bois, a la particularité d'être d'une taille hors norme pour ce genre de motif puisqu’il mesure 110 millimètres de largeur par 110 millimètres de hauteur. Il s'agit d'une sorte de cariatide soutenant un plateau où repose un panier de fleurs, le bas du corps s'évanouissant dans de multiples feuillages remontant de chaque côté du corps.


Dimensions réelles : 110 x 110 mm


Je trouve ce cul-de-lampe particulièrement joli et impressionnant, pas vous ?

Il se trouve au verso du feuillet paginé 215 du troisième tome de l'Histoire des révolutions d'Angleterre depuis le commencement de la monarchie, par le Père d'Orléans de la Compagnie de Jésus. Ouvrage publié à Paris chez Claude Barbin, au Palais, sur le Perron de la Sainte Chapelle, en 1694 (achevé d'imprimer le 14 août 1694 sur les presses d'Antoine Lambin). C'est donc du matériel typographique appartenant à ce même Antoine Lambin qui orne ces trois volumes (son nom est mentionné uniquement pour les tomes I et III mais il n'y a pas de raison pour que le tome II sorte d'autres presses, le caractère et les ornements étant en tous points identiques).

Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne

lundi 19 septembre 2011

La première édition de la Bibliothéconomie de L. A. Constantin Hesse, ou un bibliothécaire au XIXe siècle.



Acquisition récente. Un volume assez modeste de format in-12, d'un peu plus d'une centaine de pages. La reliure est de l'époque. C'est d'ailleurs ce dernier point qui m'a finalement décidé à acquérir cet ouvrage.

La bibliothéconomie ne m'a jamais franchement attiré (pas plus que l'économie d'ailleurs... il y a des garçons d'hôtel pour ça ...), en tant que bibliophile et bibliomane, et même en tant que libraire, ranger, classer, trier mes livres, n'a jamais été mon fort, par contre, les dénicher oui ! On ne se refait pas ...


Pourtant trois éléments m'ont attiré dans ce petit volume, sa date d'édition, 1839 (une date suffisamment reculée sur le sujet pour en faire un livre pionnier du genre, et il s'avère que c'est le cas), et le nom de l'éditeur, Téchéner, nom qui résonne fort et beau aux oreilles des bibliophiles d'hier et d'aujourd'hui (Joseph Téchener est le fondateur du Bulletin du Bibliophile en 1834). Enfin la reliure de l'époque visiblement bien conservée et typique des années 1840. Ces trois éléments conjugués à un prix plaisant ne m'ont guère permis d'hésiter longtemps sur l'intérêt de la chose. Cependant si l'on cherche un peu, on s’aperçoit vite que ce petit livre n'est guère coté, je veux dire que son prix ne dépasse guère une centaine d'euros. C'est d'ailleurs assez curieux car ce livre, outre les conseils nécessaires pour établir, maintenir, entretenir et faire fonctionner une bibliothèque, contient d'intéressants avis sur les livres rares, la reliure, les nuisibles du livre (humidité, insectes, etc), et un beau passage sur la ... bibliomanie (*) !


Il s'agit ici de la première édition (la moins complète donc) de cet ouvrage qui malgré tout fait date dans la "bibliothéconomie". Christine Teulé a d'ailleurs publié un bel article le concernant dans le Bulletin des Bibliothèques de France (BBF), en voici l'essentiel :

"Dans ce nouveau numéro des « Matériaux pour une histoire de la lecture », Noë Richter commente et met en perspective des extraits d’un manuel technique écrit par Léopold-Auguste Constantin, bibliothécaire du XIXe siècle exerçant en France. Des deux éditions de ce manuel (1839 et 1841), Noë Richter retient la seconde, plus complète et s’adressant aux professionnels devant « ranger et surveiller une collection de livres assez nombreuse pour avoir besoin d’une classification et d’une disposition convenables ». Constantin y expose sa déontologie du métier, annonçant une modernité qui s’affirmera après 1890.

Les bibliothèques de Constantin

L’ouvrage ne s’intéresse pas aux bibliothèques populaires, qui restent à l’époque embryonnaires, paternalistes et financées par des notables locaux, mais aux bibliothèques de tradition savante, les grandes bibliothèques d’étude et de conservation. Il définit deux types de bibliothèques : les bibliothèques publiques, dépendant de l’État, des collectivités territoriales ou des corps constitués, et les bibliothèques spécialisées, appartenant parfois à des personnes privées. La plupart des pages du Manuel sont consacrées aux bibliothèques publiques, qui se caractérisent par leur caractère encyclopédique, la facilité pour chacun d’y accéder et un souci de conservation du patrimoine.

L’intérêt des « bibliothèques spéciales » est leur plus grande richesse dans certains domaines, et le bibliothécaire Constantin se prend à rêver de transformer les bibliothèques publiques en bibliothèques spécialisées, en particulier à Paris, où chacune des bibliothèques serait consacrée à une des branches du savoir. Quant aux bibliothèques de province, elles ne sont souvent que des « amas de papier », des « trésors sans utilité », « faute d’un salaire convenable pour un bibliothécaire ad hoc ». Ce panorama des bibliothèques s’achève par un répertoire des bibliothèques européennes, en introduction duquel Constantin, en véritable moderniste, se plaint du manque de coopération internationale.

Le bibliothécaire selon Constantin

Constantin fustige l’attitude des autorités qui, bien souvent, nomment par complaisance à la tête des bibliothèques des hommes « n’ayant aucune des qualités indispensables à un bibliothécaire ». « Heureuse encore la bibliothèque où un tel sinécuriste a assez d’esprit d’abnégation, d’amour-propre pour remettre, sans restriction, les rênes entre les mains du sous-bibliothécaire, en se contentant de garder les appointements attachés à son titre ». Car un bibliothécaire digne de ce nom doit être versé dans « la pratique de la partie technique » du métier, et maîtriser en détail les méthodes de gestion des bibliothèques. Il se montre en cela novateur, se démarquant de la littérature professionnelle traditionnelle qui assimile les bibliothécaires à des savants, alors que pour Constantin, ils sont avant tout des techniciens. D’où l’emploi du néologisme « bibliothéconomie », même si Constantin n’en revendique pas la paternité.

Savants timides et biblioclastes

Le Manuel se montre préoccupé de la qualité de l’accueil des usagers, à qui il faut proposer de larges horaires d’ouverture, et réserver une « politesse prévenante », afin qu’« un jeune élève, un savant sédentaire et timide, un étranger parlant mal le français, un ouvrier qui a besoin d’un renseignement » ne risquent pas d’être rebutés par « une froideur désobligeante ». Le bibliothécaire doit prendre conscience en effet qu’il a parfois affaire à « des personnes moins instruites que lui et peu habituées à l’usage des livres ».

Constantin apparaît beaucoup plus rétrograde sur le chapitre du prêt des documents, considéré comme une cause majeure de dégradation des collections, et partage en cela le sentiment de ses contemporains. Mais s’il s’emporte contre la négligence des emprunteurs « biblioclastes », des « maladroits », et des « malpropres », il ne fait pas pour autant l’impasse sur le sujet et lui consacre un chapitre entier.

Les catalogues d’un visionnaire

C’est dans les pages qu’il consacre à la rédaction des catalogues que Constantin se montre le plus inventif. Il envisage par exemple la création d’un catalogue collectif, afin d’obtenir « l’aperçu le plus complet et le mieux ordonné d’une bibliothèque universelle ». Enfin et surtout, il critique le système de classification en usage dans les bibliothèques savantes, en arguant qu’une classification doit s’occuper davantage « de l’application pratique et moins des théories ». Il imagine un système « conforme aux progrès que les sciences ont faits » et qui ne donnerait plus la première place à la religion mais à l’histoire.

Qu’il préconise d’associer les bibliothécaires à la conception des établissements ou qu’il propose de nommer des conseils d’administration à la tête des bibliothèques, Constantin étonne tout au long de son Manuel par sa liberté de pensée et la distance prise avec les idées reçues de toute une génération professionnelle.

Notice bibliographique : Constantin, Léopold-Auguste, « Bibliothéconomie », BBF, 2006, n° 6, p. 103-104 [en ligne] Consulté le 19 septembre 2011.


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Deux éléments m'intriguent à propos de cet ouvrage. Le premier étant qu'on annonce la publication de cet ouvrage dans la Collection des Manuels Roret, or, ici il s'agit d'une édition publiée par le libraire Joseph Téchener et qui sort des presses de Mme Huzard (née Vallat La Chapelle, rue de l'Eperon, 7, (à Paris, sous entendu). L'ouvrage est accompagné de 6 planches, certaines dépliantes (reproduction de modèles de registres pour la tenue d'une bibliothèque essentiellement, une planche représente des étagères). Le deuxième élément qui m'intrigue est que mon exemplaire est imprimé sur un beau papier vergé fort de type papier de Hollande. Tous les exemplaires de ce livre ont-ils été imprimés sur ce papier relativement luxueux ? (si vous en possédez un exemplaire votre témoignage m'intéresse évidemment beaucoup).

La reliure agréable, un beau papier, une belle typographie, des passages entiers consacrés à la bibliophilie et à la bibliomanie, font de ce petit livre un livre désormais indispensable à la ma bibliothèque de documentation. Il me restera désormais à trouver un aussi joli exemplaire de la seconde édition de 1841, plus complète et semble-t-il préférable à celle-ci.

Afin de compléter cet article, vous trouverez ICI une publication de l'ENSSIB (École Nationale Supérieure des Sciences de l'Information et des Bibliothèques) qui éclairera encore un peu plus le travail de ce bibliothécaire de la première moitié du XIXe siècle.

Bonne soirée,
Bertrand Bibliomane moderne

(*) Charles Nodier, célèbre bibliophile, sans doute bibliomane aussi (et mythomane parfois...) ... avait publié sa nouvelle intitulée Le Bibliomane dans un recueil à plusieurs mains, intitulé "Paris ou le livre des cent-et-un." Tome premier.- A Paris, Chez Ladvocat, libraire de S.A.R. le Duc d'Orléans, MDCCCXXXI.- XV-407 p.

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