mardi 18 novembre 2008

Alfred Mame et Cie (Tours) à l'Exposition Universelle de Paris en 1867


Le Monde illustré, 1867.
Vue générale des pavillons de l'Exposition universelle.


Très bientôt, vous aurez ici même, un portrait complet de ce libraire industrieux et industriel, qu'était Alfred Mame de Tours.

En attendant, ce que nous vous offrons ici, ce sont quelques lignes de critique sur les reliures "de luxe" qu'il a eu le bon goût d'exposer en 1867 lors de l'exposition Universelle de Paris. Une Exposition Universelle est l'occasion rêvée et unique pour un artisan, un artiste, une industrie, de montrer au monde ce dont on est capable dans son art. M. Mame n'a pas dérogé à la règle. M. Mame y avait sa vitrine, et pas des moindres. Je laisse le rapporteur de cette exposition de la section-délégation des ouvriers relieurs vous la décrire.

Une des réalisations dites "de luxe" par la maison Mame, 1871.

"Devant la vitrine de M. Mame, nous nous arrêtons indécis tout d'abord comme frappés d'étonnement à la vue de cette masse de riches volumes aux dorures superbes, et aux dessins si variés ; nous approchons, et la belle apparence de la dorure, les jolis assortiments de mosaïque confirment notre étonnement.

Comment M. Mame, loin de Paris, loin des artistes de renom, loin des doreurs habiles, a-t-il pu faire produire une exposition aussi variée en riches exécutions ?...

Tout d'abord on se refuse à le croire, malgré sa prétention à faire exécuter complètement chez lui tous ces travaux. M. Mame a dû faire dorer au moins quelques volumes chez un habile doreur de Paris, dont on ne voit nulle part figurer la signature dans l'exposition. Cela se dit, cela se répète, et, à force de le répéter et de le dire, on finit par le croire.

En présence de ces affirmations, notre devoir est de nous renseigner : nous cherchons, nous examinons, nous demandons, nous nous mettons en quête de renseignements et nous arrivons à cette conclusion : que rien de l'exposition de M. Mame n'a dû être fait hors de chez lui.**

Mais ne vous étonnez pas ; ne croyez pas que tout ce travail a été fait en une ou deux années. Non, il y a deux expositions réunies ; il y a là, dans cette vitrine, le travail de dix années !

Nos relieurs de Paris se figurent qu'il suffit pour exposer de se mettre à l'œuvre six mois, quelques fois trois mois à l'avance ; ce n'est pas ainsi que procède la maison Mame. Depuis qu'elle a prétendu à l'honneur d'être récompensée pour produits de luxe, elle entretient continuellement un ouvrier ou plutôt un artiste doreur à faire de riches travaus pour l'exposition.... à venir, qu'elle qu'en soit du reste la date et le lieu. Cet artiste, suffisamment rémunéré, travaille à l'aise, au jour la journée, n'est pressé ni par l'envie de produire plus afin de gagner plus, ni par le besoin de satisfaire les clients, comme nos doreurs à façon de Paris, ni par un patron dont la besogne courante doit être faite en même temps que les travaux extraordinaires.

Dentelle intérieure, roulette dorée avec la signature "RELIURE A. MAME ET FILS."

Un habile dessinateur, attaché à la maison, fournit de nombreux dessins artistement variés pour la dorure en même temps que pour la typographie, et un atelier de gravure exécute immédiatement tous les fers désirables. Ajoutez qu'à l'approche d'une Exposition, un second doreur est-il nécessaire, vite on l'engage, comme cela s'est fait cette fois, et vous comprendrez qu'il n'y a pas de miracle dans l'exposition de M. Mame, surtout si vous songez qu'une assez grande partie des volumes exposés ont déjà figuré à Londres, en 1862.

Et cette affirmation n'est pas gratuite de notre part, car, après nous être préalablement assuré du fait, l'un de nous, qui a eu l'honneur de rencontrer M. Mame (lui-même) à sa vitrine, en a obtenu l'aveu très volontiers. M. Mame trouve cela d'ailleurs très naturel ; nous ne sommes pas de son avis, et nous le renvoyons aux observations que nous avons faites déjà sur ce point à propos des maisons Lenègre, Engel, Gruel-Engelmann. De plus, il nous a été assuré que tous ces travaux, faits pour la satisfaction personnelle de la maison, n'étaient pas destinés à être livrés au commerce, et même qu'elle ne pouvait s'engager à en faire des reproductions.

Ce tour de force de libraire-amateur nous mettra plus à l'aise pour faire la critique de ses travaux et faire remarquer leurs défauts, tout en rendant justice, bien entendu, à leurs qualités.

Maroquin mosaïqué signé MAME sur les Discours de Bossuet, 1842.
Un exemple de reliure luxueuse réalisée par les ateliers Mame,
digne de figurer dans une vitrine d'une exposition universelle.


Le grand ouvrage La Bible illustrée par G. Doré édité en deux volumes par cette maison, offrait toutes les conditions nécessaires à l'exécution de dorures à mosaïque et à grands dessins ; aussi en a-t-elle largement profité.

Bible maroquin rouge, mosaïqué large bordure sur mosaïque violette, plaque, tranche or et blanc, cousu sur nerfs. Nous avons remarqué avec plaisir la dentelle à la main des plats intérieurs ; elle est très bien faite.

doublure de la reliure ci-dessus, maroquin avec jeu de filets dorés à mi-chemin entre une imitation renaissance et un décor Art Nouveau proche des réalisations de MARIUS-MICHEL.

Bible imprimée sur vélin, maroquin La Vallière clair, dessin, grecque courante, rattachant des croix de Malte, mosaïqué magenta, entourage mosaïqué magenta et vert, contre-plat en vélin blanc semée doré ; ces deux travaux sont parfaits comme dessin et comme exécution ; la mosaïque est bien posée, le vélin intérieur est doré bien proprement, ce qui ne manque pas de mérite. L'endossure est fatiguée par le poids du volume, il est impossible de la juger, les chasses sont véritablement trop petites pour un volume de cette grandeur et de cette force.

Bible maroquin rouge, grain écrasé, dessin de Giacomelli, rappelant assez harmonieusement les ornements du texte, dessinés par le même ; large composition, mosaïqué corinthe, magenta, blanc et vert d'un effet tout nouveau et d'un genre qu'i n'a pas encore de nom, mais que l'on pourrait appeler néo-égyptien tout aussi bien que M. Gruel-Engelmann désigne par néo-grec celui qui orne la Vie de Jules César. Intérieur reproduisant le plat d'une autre bible magenta du même style, sans mosaïque. Cet intérieur est composé de deux appliques de peau ; ce travail d'applique n'a pas été parfaitement réussi, l'ouvrier n'a pas su préparer d'équerre sa peau et il lui a été nécessaire de refouler le grain sur lui-même, ce que l'on pourra remarquer sur la planche photogravure par la veine blanche qui est sur le côté droit de la bande : il existe presque une bosse à cet endroit, et le mirage de la lumière a donné la preuve de cette imperfection. De plus, l'écartement des filets dans la partie supérieure n'est pas sans reproche (Voir la planche ci-dessous reproduite en noir)."

Nous passerons sur le descriptif de quelques autres ouvrages exposés. On y note une critique soutenue et assez constante avec des remarques du type : "la dorure manque de matière" ; "des cassures sans nombre dans les filets" ; "l'endossure est mal faite" ; "les chasses sont trop petites" ; "la couture n'est pas assez serrée, le dos se casse" ; "un coup de fer trop marqué" ; "la couture n'est pas soignée, la passure en colle est négligée, les dos sont mous"...

Quelques compliments tout de même : "Le polissage des maroquins est bien soigné" ; "la dorure à la main est bonne" ...

"En résumé, le grand espace réservé à M. Mame contenait une série d'ouvrages très brillants, d'un aspect très riche, bien faits pour attirer la foule ; mais, à part ces travaux exceptionnels, nous sommes resté convaincu que, pour le reste des reliures exposées, la maison Mame n'a pas égalé la perfection des maisons de Paris travaillant aux mêmes conditions de spécialité. Il en est de même pour les cartonnages toile, qui n'ont pas l'aplomb, le coup d'œil, le cachet enfin de la fabrication parisienne. Cela nous étonne d'autant plus que nul plus que cette maison n'occupe de spécialistes aussi spécialistes que les ouvriers qu'elle emploie ; et que depuis nombre d'années elle livre au commerce et a presque le monopole des livres de distribution de prix reliés ou plutôt cartonnés à la Bradel et emboîtage à l'anglaise. Ce qui fait le principal cachet de ces derniers, la dorure au balancier laisse beaucoup à désirer."

Page de titre d'une édition dite "de luxe" de la maison Mame, 1871.
Tirage à petit nombre sur beau papier.


Voici la liste des collaborateurs connus de la maison Mame (renseignements pris en dehors de la maison) :

Corps d'ouvrage : P. Hubert, endosseur - Lapeyrousse, rogneur - Bertrand, rogneur.
Doreur sur tranches, Leroux - Linacier, ciseleur.
Pareur, Honoré Paul. Couvreur, Goupil.
Doreur sur cuirs, P. Pasquet, Eh. Gogo (dit Dubois)
Colleur de gardes, Bailly.
Pour les ivoires, Fournier, rue du Temple.
Dessinateur, Giacomelli.
Contre-maître de la reliure, Barbot.

Voici donc le petit tour d'horizon de la maison Mame que nous avons pu faire à la lecture de ce compte rendu de l'Exposition de 1867.

L'image qu'on a aujourd'hui, en 2008, de la maison Mame, est celle d'une maison industrielle ou semi-industrielle, qui a produit nombre de livre de prix, le plus souvent en cartonnages décorés ou en toiles estampées à la plaque. On n'évoque aujourd'hui que très rarement les ouvrages de luxe sortis de la maison Mame. A la fois imprimerie, atelier de reliure et de dorure, positionnée en province (Tours), elle a su tout de même laisser une image précise de ce qu'elle a été.

Pour ceux qui se poseraient la question, la maison Mame existe toujours en 2008.

Nous reviendrons très bientôt sur la famille fondatrice de la maison Maison dans la première moitié du XIXe siècle.


PS : Un grand merci à Eric, fidèle lecteur du Bibliomane moderne et qui nous a fourni les photos de la reliure doublée de maroquin signée MAME sur les Discours de Bossuet, 1842.

Amitiés,
Bertrand

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