Bertrand Barère de Vieuzac (1755-1841)
Manuscrit autographe signé non daté (vers 1830 / 1840)
Une fois n'est pas coutume, voici un autographe qui nous a tapé dans l'oeil ! Autographophilie plutôt que bibliomanie, j'en conviens, il n'en reste pas moins que ce petit texte devrait vous frapper au coin du bon sens (paf !). Bonne lecture ! Et surtout bonne réflexion ...
Manuscrit autographe
de Bertrand Barère de Vieuzac (1755-1841), avocat et révolutionnaire.
Pour bien commencer la semaine, je vous propose de secouer
vos neurones encore assoupis avec ces quelques lignes autographes signées
Bertrand Barère de Vieuzac (1755-1841). Ce superbe manuscrit, complet en une
seule page, est intitulé : "Des
peuples et des nations". L'étude du papier (papier vélin fin) indique
une rédaction probable entre 1830 et 1840.
Portrait gravé de Bertrand Barère publié vers 1840.
Dessiné par Gaildrau et gravé par Berlier
Cet avocat méridional, élu à la
Constituante, puis à la Convention où il est une des têtes politiques de la
Plaine (la majorité des députés) avant de se rallier — comme elle et jusqu’au 9
thermidor — à la Montagne, menée par Robespierre, fut l'un des orateurs les
plus importants de la Révolution : l’énoncé de ses motions et de ses rapports
occupe plus de douze colonnes du Moniteur, contre huit pour Robespierre et deux
pour Danton. Rapporteur attitré du Comité de salut public (où il détient le
record de longévité : dix-sept mois), ses discours lui valent un succès
prodigieux à la Convention : il est l’aède des soldats de l’an II avec ses
carmagnoles et donne un visage avenant, par sa verve, aux mesures terroristes
du gouvernement révolutionnaire, de là son surnom d’« Anacréon de la guillotine
» que lui donna son collègue à la Convention Charles-Jean-Marie Alquier.
Proscrit sous le Directoire, amnistié sous le Consulat et l’Empire, exilé sous
la Restauration, rentré en France sous Louis-Philippe, il meurt à 85 ans,
conseiller général à Tarbes. Pendant cette dernière période, il sera élu à
trois reprises député par les électeurs des Hautes-Pyrénées : 1797, 1815, 1834,
ces élections, sauf celle des Cent-Jours, étant à chaque fois annulées par les
pouvoirs en place. Ses Mémoires ont été publiés en 1842 seulement. Nous pensons
que ce petit manuscrit avait vocation à s'insérer dans ses Mémoires (même si
nous ne l'y avons pas retrouvé en l'état). En lisant ce manuscrit on peut se
faire une idée juste de ce qu'était un révolutionnaire éclairé. Son texte est
net, concis et limpide, tout ce qui manquera à beaucoup de révolutionnaires de
1789 (Robespierre par exemple - grâce à qui de nombreux auditeurs ont dû
prolonger plus d'une sieste à l'assemblée). J'ai fait l'acquisition de ce texte
de Barère parce qu'il m'a frappé, terriblement secoué par les vérités qu'il
contient, si simplement énoncées, si proches de nos préoccupations en ce début
de XXIe siècle frémissant. A la lecture de ce document, on ne peut s'empêcher
de souhaiter de nouveaux Barère à la tribune.
Voici la transcription du texte :
« Des peuples et
des nations »
« La vie des
nations est comme la vie des individus, elle se compte par siècles, comme celle
des hommes se compte par années. La vie des nations a sa marche ascendante et
sa marche descendante. Elle a ses âges, ses périodes, depuis sa naissance jusqu’à
sa fin. La longévité des nations est comme la longévité des individus, soumise
aux influences du climat, des mœurs et du caractère originaires des institutions morales et politiques, et de
l’esprit différent des siècles. De même la civilisation, qui est la vie
intellectuelle des peuples, a ses périodes, ses progrès, ses obstacles, ses
erreurs dominantes, ses corruptions inévitables, sa décadence et sa chute. La
terre est couverte de ruines des diverses civilisations plus ou moins
perfectionnées, plus ou moins utiles au genre humain, et plus ou moins longues
de durée. Enfin l’histoire des hommes nous apprend que les peuples ont leur
enfance, leur jeunesse, leur âge mûr, leur âge avancé, leur vieillesse, leur
caducité et leur chute ! Ces périodes de leur vie peuvent être accélérées
ou retardées, perfectionnées ou corrompues selon les temps et les mœurs, selon
les institutions et les loix, selon le voisinage des peuples barbares, ou l’invasion
des conquérants. L’histoire des peuples n’est qu’une suite de révolutions et de
réactions, dont les hommes ne sont que ses instruments, dans les desseins
secrets de la nature. »
Signé Barère de Vieuzac. Sans date [vers 1830/1840 d’après l’étude
du papier]
Réfléchissez-bien ! Bonne journée !
Pour évocation conforme,
Bertrand
Bibliomane modene