lundi 18 novembre 2024

Des chiffres et des lettres ... B C couronné (couronne de Vicomte) sur une reliure française de 1844 (signée E. GAUBERT). Une idée ?

Bonjour à tous,

Je ne vous oublie pas (ceux qui lisent encore ici), désormais la plupart des posts du Bibliomane moderne sont mis en ligne sur cette adresse : https://www.lamourquibouquine.com/blog-bibliomane-moderne

Je poste ici cette petite recherche en cours (19 novembre 2024), nous verrons bien si cette recherche trouve un écho parmi les lecteurs du Bibliomane moderne (il m'est arrivé de recevoir des réponse plusieurs années après avoir posté ...)




Un petit jeu pour bien commencer la semaine !

Des chiffres et des lettres ...
Qui saura trouver l'identité du propriétaire-bibliophile qui se cache derrière ce chiffre couronné ? Les lettres B et C en gothique surmontées d'une couronne (à priori une couronne de Vicomte).
Ce chiffre couronné se trouve poussé à froid sur une reliure datant de 1844 et signée par E. Gaubert (plein chagrin rouge)
A vos claviers !

mercredi 15 mai 2024

"On peut tromper mille fois mille personnes, non, on peut tromper une fois mille personnes, mais on ne peut pas tromper mille fois mille personnes. Non, on peut tromper une fois mille personne mais on peut pas tromper mille fois une personne. Non..." ou le Boccacio de 1527, non ! le Boccacio de 1729 ! en reliure de 1880-1890 ! Une histoire bibliophilique sur plus de 500 ans ! non ?

    La bibliophilie est riche en historiettes amusantes, étranges voire souvent étonnantes ! En voici une qui mérite d'être contée même bon nombre de bibliophiles la connait déjà.

    On a beaucoup glosé sur l'édition de 1527 du Décaméron de Boccace. Revenons cependant un instant sur cet ouvrage qui mérite qu'on en trace les contours historico-littéraires.

    Durant la peste qui frappa la ville de Florence en 1348 et dont l’auteur Giovanni Boccaccio (1313-1375) fût témoin, trois jeunes hommes et sept jeunes femmes se réunissent à l’église Santa María Novella et prennent la décision de s’isoler dans une villa lointaine pour échapper à la peste. Dans ce lieu, pour éviter de repenser aux horreurs qu’ils virent, les jeunes gens se racontent des contes les uns aux autres. Ils restent durant quatorze jours dans la villa mais ne racontent aucune histoire les vendredis et samedis. Le titre vient donc de ces dix journées de contes. Chaque jour, un participant tient le rôle de « roi » et décide du thème des contes. Cependant, le premier et le neuvième jours, cette règle n'est pas appliquée. Au total, l'œuvre se compose de cent récits de longueur inégale. Les sources qu’utilise Boccace sont variées : des classiques gréco-romains aux fabliaux français médiévaux. La femme et la condition féminine est au centre de la plupart des nouvelles. Les moines et l'église ne sont pas épargnés par des récits souvent scabreux, ce qui vaudra un siècle plus tard une condamnation par l'église de Rome. Mais l'ouvrage a acquis une telle célébrité et a été tellement diffusé et traduit que cette réprobation de l'église ne sert à rien.

    Le Décaméron a été rédigé en italien de Florence entre 1349 et 1353 (Il Decameron ou Decameron). Il circula en manuscrit pendant plus d'un siècle. La première édition italienne imprimée du Décaméron, connue sous le nom d'édition Deo Gratias, a paru aux environs de Naples vers 1470 (elle n'est pas datée). Le Décaméron a été très tôt adapté en français. Une première fois dans les années 1415 (depuis une version latine et non italienne) par Laurent de Premierfait. D'abord sous forme de manuscrits puis imprimé (avec de nombreuses modifications) dès 1485 sous différents titres : Livre de cent nouvelles ; Bocace des cent nouvelles ou Le Livre Cameron autrement surnommé le prince Galliot. Il a ensuite été retraduit par Antoine Le Maçon, secrétaire de Marguerite de Navarre en 1545. Les éditions italiennes du Décaméron sont très nombreuses. Si les Alde de Venise en ont donné une très belle édition en 1522 qui passe pour très correcte et très recherchée, c'est l'édition de Florence par Giunta en 1527 qui passe pour être la plus belle de toutes les éditions anciennes. Cette édition de 1527 a depuis lors été recherchée par les amateurs de raretés. Les exemplaires sont si rares que peu de grandes bibliothèques privées ou publiques en possèdent de beaux exemplaires bien conservés et complets de tous les feuillets d'origine. C'est un joli volume de format petit in-4 de 284 feuillets chiffrés non compris le titre et 6 feuillet non chiffrés placés à sa suite. L'impression est en petit caractère italique. Un exemplaire de cette très rare édition de 1527 en reliure d'époque décorée a été vendu 21 000 livres sterling en septembre 2019 (Dominic Winters Auctioneers). En voici la description faite par la maison de vente :

Boccaccio (Giovanni). Il Decamerone. Nuovamente corretto et con diligentia stampato, Florence: heirs of Filippo di Giunta, 1527, [8], 284 leaves, signatures 2A8 (2A8 blank), 2A8 a-z8 &8 [con]8 [rum]8 A-H8 I12, woodcut Giuntine device to title-page and verso of final leaf, italic types, spaces with printed guide letters, title-page somewhat damp-stained, tipped to initial blank and slightly marked from erasure of 2 old ownership inscriptions, small spot to following leaf 2A2, small damp-stain to lower margins of f3 and s1-2, closed tear in I4 touching a few letters both sides to no effect on legibility, faint tide-mark to final 50 or so leaves, first appearing at head of gutter in quire F, gradually becoming stronger and extending into upper outer corners of text, endpapers sometime renewed, inner hinges tightened. Contemporary Italian binding of dark brown goatskin over pasteboard, sewn on 3 cords, spine with 3 thick raised bands alternating with 4 narrow false bands, compartments with simple floral centrepieces within thick-and-thin blind rules, interlacing rectilinear strapwork design in gilt and blind to covers incorporating central lozenges lettered 'Di Michele da Prato', edges gilt gauffered with ropework pattern, traces of 4 pairs of ties, spine-bands and joints rubbed, headcap torn but largely intact, board-edges slightly rubbed, corners worn, 4to in 8s (21 x 13.6 cm) (Quantity: 1) Brunet I 998-999; Gamba (1828) 156 (‘Rarissimo’); Renouard, ‘Notice sur la famille des Junte’, supplement to Annales de l’imprimerie des Alde, (1834), 93; STC Italian p. 110; not in Adams; see further Kirkham et al., eds., Boccaccio: A Critical Guide to the Complete Works, pp. 42-8. The famous 1527 Giunta edition of the Decameron, known as the Ventisettana, with all the points listed by Brunet distinguishing it from the Venetian facsimile edition of 1729 (Adams B2147). ‘There are few books which have acquired such great esteem and value’ (Renouard). Printed in the year in which Florence threw off Medici rule during the War of the League of Cognac, the Ventisettana was the work of several Florentine humanists, who collated Delfino’s edition printed at Venice in 1516 against manuscripts including the important Mannelli copy made in 1382. It superseded all previous editions and quickly acquired immense prestige, serving as the direct model for all subsequent versions until the 1761 Lucca edition, which was based solely on the Mannelli MS but reproduced much of the textual apparatus of the 1527 edition. Provenance: In a superb contemporary Italian binding in the Grolieresque style developed by the Pflug and Ebeleben binder of Bologna, but perhaps exhibiting greater similarity to the work of the Sienese craftsman active c.1520-40 who is identified in Anthony Hobson’s essay ‘A Central Italian Bookseller and Bookbinder’ (Gutenburg-Jahrbuch 2010, pp. 215-20). Hobson emphasises the Pflug and Ebeleben binder’s predilection for curvilinear fillets as opposed to the rectilinear style of the Siena binder. The panelling seen in the present copy is more elaborate than the forms which Hobson describes, but the other features which he identifies as typical of the Sienese binder’s work are much in evidence: ‘With few exceptions all lines cross each other at right angles. The bindings are of goatskin, usually black, but sometimes red or dark olive-brown, over stiff pasteboards. The edges of five of the more elaborately decorated volumes are gilt and gauffered … Nearly all the volumes were fitted with four pairs of ties. They are sewn on three wide bands. The compartments between the bands are decorated with double blind lines in a variety of patterns … The more elaborately decorated covered were given four false bands alternating with the real ones’ (op. cit., p. 215). The Michele da Prato named on the covers is conceivably Michele Modesti da Prato (b.1510), son of Jacopo Modesti (1463-1530), ‘who had been one of the officials [most] closely involved with the Medici as Chancellor of the Riformagioni from 1515 to 1527, when he was dismissed with the overthrow of the regime’ (H. A. L. Knox, Opposition to Government in Early Sixteenth-Century Florence 1494 -1530, unpublished PhD thesis, Edinburgh, 1998, p. 148). Michele himself was imprisoned in 1528 for criticising the rulers of the short-lived republic, which ended with the restoration of Medici control in 1530. His sister, Dorotea, married into the Giunta family (Treccani, online). An exceptional copy of one of the emblematic books of the Italian Renaissance.

    Cette édition a tant attiré la convoitise des plus grands bibliophiles qu'on a méchamment pensé à les tromper. En 1729, une contrefaçon de cette édition de 1527 a été faite, à Venise, chez Pasinello, par les soins d'Etienne Orlandini, et aux frais de Salvatore Ferrari. Cette édition, dont les caractères neufs ont été fait spécialement pour imiter l'italique de Philippe Giunta, a, selon la tradition et les divers écrits des bibliographes, été imprimée à 300 exemplaires seulement. Cette contrefaçon a été imprimée sur un très beau papier vergé fin fabriqué également pour l'occasion. L'imitation a été si bien faite, tant dans la justification des lignes, les caractères, etc. que les premiers bibliophiles à avoir découvert cette contrefaçon se seraient laissés trompés. Cependant des différences existent bien entre l'édition de Forence de 1527 et son imitation de 1729 sortie des presses vénitiennes d'Orlandini. Même si le bibliographe Brunet dans son Manuel insiste sur le fait qu'on peut aisément faire la différence entre les deux impressions "au premier coup d'oeil", il liste les détails typographiques qui permettent de faire la différence. Les a qui ont la tête en pointe dans la première édition de 1527 ont la tête ronde dans l'impression de 1729. C'est sans doute l'argument principal qui permet en effet de faire de suite la différence. Nous avons pu comparé les deux impressions et d'autres lettres sont légèrement différentes également bien que très proches les unes des autres. Brunet précise également que dans l'impression de 1729 le caractère est neuf tandis que l'impression de 1527 a été faite avec des caractères usés. Brunet indique ensuite des différences dans la numérotation des feuillets et signale que les erreurs de foliotation de l'édition de 1527 ont été corrigées dans l'impression de 1729. Pour être encore plus précis une page pleine mesure 153 millimètres de hauteur (justification) et seulement 149 millimètres dans l'imitation (ce point n'est pas totalement vérifié sur l'exemplaire que nous avons de l'imiation puisque dans notre exemplaire une page pleine mesure 158 mm avec le titre courant et les signatures de bas de page ou bien 149 mm sans). D'autres petites différences sont notées par Brunet. Néanmoins la mise en forme générale, la marque du libraire parfaitement imitée, le colophon avec le registre et la date d'impression, tout est imité sur l'originale avec une certaine perfection et volonté de tromper l'amateur non éclairé par un bibliographe averti (remettons-nous dans le contexte du XVIIIe siècle au moment de la mise en circulation de cette imitation dans les premières semaines après l'impression de 1729). Cette imitation ne tromperait plus personne aujourd'hui. Déjà dans les catalogues de vente de livres rares de la fin du XVIIIe siècle et tout au long du XIXe siècle cette imitation est parfaitement décrite.

    Cette petite histoire méritait d'être à nouveau contée aux bibliophiles du XXIe siècle. Nous l'illustrons avec des photographies d'un exemplaire de l'imitation de 1729 relié à la fin du XIXe siècle en plein maroquin rouge par Visinand. Nous donnons également quelques points de comparaison entre les deux éditions grâce aux photographies de la vente en 2019 de l'exemplaire de 1527.



Ci-desus page de titre de l'imitation de Venise, imprimée en 1729



Ci-dessus page de titre de l'édition de Florence, 1527



Ci-dessus première page de texte de l'imitation de 1729



Ci-dessus première page de texte de l'édition de Florence, 1527



Ci-dessus verso du dernier feuillet (marque) de l'imitation de 1729













Ci-dessus quelques pages de l'imitation de 1729




Ci-dessus reliure plein maroquin signé Visinand (ca 1880-1890) sur l'imitation de 1729



Reliure de l'époque décorée sur l'édition de 1527
(exemplaire adjugé 21 000 livres sterling en 2019)









Ci-dessus quelques pages de l'édition de 1527


Bertrand Hugonnard-Roche

Publié pour le Bibliomane Moderne le 15 mai 2024

vendredi 29 mars 2024

Etiquette du libraire nantais J. Vatar, dont la boutique se trouvait au bas de la Grand-Rue, entre le Puits-Lory et les Changes (Nantes). On trouve aussi chez le même libraire toutes sortes de livres anciens et nouveaux, sur différentes matières, tant de Paris que des pays étrangers.


Taille de l'étiquette : 87 x 37 mm

Sur : La Vie de Madame de Miramion. (par l'Abbé de Choisy).
A Paris, chez Antoine Dezallier, rue S. Jacques, à la Couronne d'Or, 1706
1 vol. in-12



Qui était le libraire J. Vatar à Nantes ?

Voici ce que nous dit la base de donnée de la Bnf :

Elle signale deux Vatar comme libraires.

Nicolas-Joseph Vatar (1739-179.?)
Vatar fils aîné (1739-179.?)

Imprimeur-libraire ; seul imprimeur-libraire ordinaire du Roi et de la Chambre des comptes [de Nantes] (1766). - Fils aîné de l'imprimeur-libraire de Nantes Joseph-Mathurin Vatar ; baptisé le 1er août 1739. Après avoir été formé chez son père puis chez sa mère, veuve de celui-ci, il s'établit libraire en 1764 (attesté lors de l'enquête royale) ou peu avant. Sa mère se démet de sa place d'imprimeur en sa faveur en oct. 1765, mais il n'y est reçu que par arrêt du Conseil du 12 janv. 1767, après avoir été reçu imprimeur du Roi, par survivance, dès le 30 mai 1766. Publie les "Affiches générales de la Bretagne" ou "Affiches de Nantes" de 1773 à 1781, puis en juin 1780 - mai 1781 le "Journal breton". La même année, revend sa librairie à Augustin-Jérôme Brun et sa place d'imprimeur du Roi à Pierre-Jean Brun. Exerce jusqu'en 1790 au moins. Aurait habité Paris, en l'an V (1796-1797) au moins. (in Data Bnf)

Il est cité pour l'impression de deux ouvrages :

"Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne" (1778) de Jean Ogée et autre(s)

"Discours sur divers sujets de religion, avec des réflexions sur les objections contre la religion" (1765) de Jacques-Louis Pinot de Hautecour

Nous avons trouvé également les ouvrages et documents suivants :

Recueil sur les Opérations relatives à la Navigation intérieure de Bretagne. Edité par Nicolas-Paul Vatar, 1785]., [Rennes,, 1785]

Plan de la ville de Rennes levé par F. Forestier après l'incendie arivée le 22 xbre 1720, sur lequel ont esté formé les projets tant du Sr. Robelin Directeur des fortifications de cette province, et signé de luy, que du Sr. Gabriel Contrôleur Général des Bâtiments du Roy. Rennes, Guillaume Vatar, 1726.

Essai analytique sur la richesse et sur l'impôt où l'on réfute la nouvelle doctrine économique, qui a fourni à la Société royale d'agriculture de Limoges les principes d'un programme qu'elle a publié sur l'effet des impôts indirects. Londres, et se trouve à Paris et à Nantes, chez Guillyn, et chez la veuve Vatar, 1767

Corps d'observations de la Société d'agriculture, de Commerce et des Arts, établie par les Etats de Bretagne. Années 1757 et 1758. Années 1759 et 1760. A Rennes et à Paris, chez Jacques Vatar et chez la Veuve de B. Brunet

Principes du droit françois, suivant les maximes de Bretagne (12 volumes). François Vatar, imprimeur du Roi, 1767. 

Dictionnaire françois-celtique ou français-breton. A Rennes, chez Julien Vatar, Imprimeur et libraire, 1732

On trouve apparemment un Vatard imprimeur ou libraire dès 1659 :

La vie, gestes, mort et miracles des saints de la Bretagne armorique.

Discours sur divers sujets de Religion, Ier Discours, Sur la Passion de Jésus-Christ. IIe Discours, Sur la Crainte de Dieu. IIIe Discours, Sur la Résurrection de J.-C. Nantes, veuve Vatar, 1768. 1 vol. in-12

Il y a encore un Vatar imprimeur en 1799 :

Précis historique de la campagne du général Masséna, dans les Grisons et en Helvétie, depuis le passage du Rhin jusqu'à la prise de position sur l'Albis, ou Recueil des rapports qui contiennent les détails des opérations de cette campagne. Paris Imprimerie de Vatar et Jouannet an VII [1799] in-8.

Il y a encore bien d'autres ouvrages où le nom des Vatard se trouve mentionné, entre Nantes, Rennes et Paris, pendant tout le XVIIIe siècle et même encore au début du XIXe siècle.

Notre étiquette doit dater des années 1760-1770.


Publié le 29 mars 2024 par Bertrand Hugonnard-Roche
Pour le Bibliomane moderne

mercredi 27 mars 2024

Les (ultimes) jérémiades de Rétif de la Bretonne in Conclusion où il n'est question que de l'Auteur, le 14 Messidor, an 8 (texte imprimé placé à la fin de la très rare cinquième édition du Pied de Fanchette ou le Soulier couleur de rose (Paris, chez Cordier et Legras, imprimeurs-libraires, An VIII). Notes personnelles ...


Page de titre de la troisième partie de la cinquième édition du
Pied de Fanchette. A Paris, chez Cordier et Legras, imprimeurs-libraires,
rue Galande, N°50, AN VIII (1800)

Voici les uniques notes personnelles ajoutées par Rétif de la Bretonne dans la troisième partie de la cinquième édition du Pied de Fanchette publié en l'an 8 (1800) chez Cordier et Legras, imprimeurs-libraires, rue Galande, n°50. Cette édition était très rare et il nous a semblé utile de reproduire ces jérémiades rétiviennes jusque là restées peu connues du public. En cette année 1800 Rétif de la Bretonne semble être plus que jamais dans une situation financière et morale difficile. Il fait état de ses problèmes dans ces trois notes. Il semble que ses accès paranoaïques soient à leur comble et qu'encore une fois tout se ligue contre lui, auteur méprisé et vieillissant. En 1800 Rétif de la Bretonne est âgé de 66 ans. Il mourra le 3 février 1806 au 16 rue de la Bûcherie à Paris, dans le plus grand dénuement. La première et longue note présentée ci-dessous, comme il est explicitement imprimé par Rétif de la Bretonne, sert de Conclusion à cette cinquième et ultime édition du Pied de Fanchette.


 

Conclusion où il n'est question que de l'Auteur, le 14 Messidor

an 8 (3 juillet 1800). (Il a composé cet Ouvrage en 1768.) (1)


Un rien, un accident prévu, porte dans l'âme la douleur et le découragement. Ce qui m'arrive aujourd'hui n'est rien : c'était un avantage non attendu : hier encore, je disais tranquillement : Il faut que j'use de ma carte d'entrée aux spectacles (2) ; je ne l'aurai peut-être pas long-temps .... Je la perds, et j'ai l'âme troublée !.... C'est qu'elle m'est retirée par un scélérat perfide, qui m'ayant enlevé mon occupation, achèvera de me faire perdre considération et appointemens. Infortuné vieillard ! fait pour la liberté, et qui ne peux vivre que dans l'esclavage ! ta timide défiance de toi-même, ton inactivité pour tout ce qui demande que tu te mettes en avant, te perdra ! Dans une foule, tu as toujours été le dernier : tu admirais l'audace ou l'adresse de ceux qu'on ne peut écarter, à la porte même des spectacles. Dans les sections, quand il y en avait, tu te tenais toujours à l'écart ! Jamais tu ne t'es présenté ! Les autres seuls t'ont porté ! Ce sont les autres qui ont apprécié tes ouvrages ; qui ont dit au monde que tu valais quelque chose. O mon pauvre Nicolas ! tu voudrais être encore plus âgé que tu ne l'es, pour te cacher dans le tombeau !.... Tu vas tout perdre ! Que deviendras-tu à-présent, sans secours, sans appointemens ? Vieillard infortuné ! tes ouvrages à publier (3) sont méprisés, avant d'être connus ! Que deviendras-tu tout-à-l"heure, puisque bientôt tu n'auras plus de faculté pour travailler ? Tu es perdu ! Le désespoir va te conduire au tombeau !.... Tu as des pressentimens toujours vrais : jamais ils ne t'ont trompé !.... Je suis perdu !.... Il existe une faction encore, semblable à celle qui agit contre moi à l'Institut national (4) ; faction obscure, invisible, et qui ne se fait sentir que par les coups assurés qu'elle porte .... Je suis au désespoir pour un rien ! pour l'enlèvement d'une carte ! D'où vient donc es-tu accâblé ? C'est que cet enlèvement est un indice assuré d'un discrédit complet, et du pouvoir de l'intrigant qui t'écrase !.... O pauvre Nicolas ! qui t'a donc adjoint à un Dauphinois (5) ! qui t'a malheureusement accouplé avec un scélérat ? C'est le sort barbare, qui t'as toujours poursuivi ! L'intrigant M*** (6), qui dura si peu après toi, a suffisamment duré pour faire cet amalgame infame de l'intrigue avec la simplicité timide, plutôt que de l'incapacité !.... Sans le public, te serais-tu douté, hélas ! que tu avais du mérite !....

(Deux ans après.(7)

Ce péril est passé comme un songe. Un ami m'a sauvé (8). Mais à ce premier péril en succède un autre aujourd'hui. Je suis sans appui (9). Qui me sauvera ? Un intrigant d'une espèce nouvelle m'attaque, et porte contre moi une accusation enfantine (10) ; mais toute inculpation est dangereuse, lorsqu'on est sans appui ! Echapperai-je à ce nouveau danger ? Je l'ignore. Il ne suffit pas de s'observer ; la calomnie sait qu'elle ment. Aussi l'on n'a pas avec elle la ressource de ne plus tomber en faute : aussi est-elle désespérante. C'est le cas où se trouve aujourd'hui, à 67 ans, moi, le vieillard Nicolas, chargé de quatre petits-enfans !.... Je fais ici cette quérimonie, pour soulager ma douleur en l'exprimant.

Vous que les ouvrages d'un Auteur amusent, sachez qu'il ressemble à l'esclave nègre, qui va fabriquer le sucre en souffrant les coups, en supportant les travaux, en s'abreuvant de douleur !....


(1) Cette note est placée à la fin de la troisième partie. Le Pied de Fanchette a paru pour la première fois en 1769.

(2) Rétif de la Bretonne adorait assister aux spectacles et ce depuis sa venue à Paris dans sa jeunesse d'auteur en devenir.

(3) Rétif publiera encore plusieurs ouvrages : les Nouvelles contemporaines, ou Histoires de quelques femmes du jour (en 1802) ; Les Posthumes, lettres reçues après la mort du mari, par sa femme qui le croit à Florence, par feu Cazotte (en 1802)

(4) L'Institut national ne veut pas de Rétif de la Bretonne. En 1796, Louis-Sébastien Mercier tente de le faire admettre dans la section littérature de l'Institut national. Mais sa proposition échoue, en dépit du soutien de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, au prétexte qu'il « a du génie, mais il n'a pas de goût », selon le président de séance. Sur les instances de Mercier, il adresse alors une lettre au directeur Carnot. En réponse, trois des cinq directeurs, Carnot, Reubell et Barras signent le 23 vendémiaire (14 octobre) un arrêté lui allouant, à défaut des 1 500 livres d'indemnité des membres de l'Institut, une aide de cinq livres de pain par jour. Rétif gardera de cet échec une rancune tenace envers Mercier et l'institution.

(5) Qui était ce Dauphinois scélérat ?

(6) Qui était l'intrigant M*** ?

(7) Il doit s'agir ici d'une coquille et il faut lire Deux mois après et non Deux ans après.

(8) Quel est cet ami qui l'a sauvé ?

(9) Rétif a perdu ses appuis. Quels étaient-ils alors ? En 1797, il participe à un concours ouvert par l’assemblée administrative de l’Allier et se voit nommer au poste de professeur d’histoire à l’école centrale de Moulins le 14 floréal an VI. Mais, ayant obtenu le 20 avril 1798, grâce à Fanny de Beauharnais, un poste de premier sous-chef à la deuxième section de la deuxième direction, « traducteur de langue espagnole », au ministère de la Police générale, section des lettres interceptées, c'est-à-dire le Cabinet noir, rémunéré 333,68 francs par mois et 4 000 francs par an, il reste à Paris. Toutefois, sous le Consulat, son service est supprimé, et il perd son emploi le 24 prairial an X, même s’il touche son traitement jusqu’au 12 août. Privé alors de ressources, il obtient le secours de Fanny de Beauharnais, qui tente de lui trouver une nouvelle place – elle écrit au préfet de Charente-Maritime. Le 2 juillet, les Posthumes et quelques feuilles imprimées de L'Enclos des oiseaux sont saisis chez lui ; les Posthumes n'en sont pas moins publiées quelque temps plus tard, probablement grâce à Fanny de Beauharnais. La même année paraissent les Nouvelles Contemporaines. Aidé jusqu'au bout par Fanny de Beauharnais, il sollicite à plusieurs reprises des secours officiels. Après une première demande en décembre 1802, il sollicite, le 8 mars 1803, une pension littéraire à Chaptal, ministre de l'Intérieur. Le 3 novembre suivant, il écrit au ministre de la Justice, Claude Ambroise Régnier : « Il fait froid et je n'ai pas de quoi me chauffer. » On ne lui accorde, le 22 décembre, qu'un secours de 50 francs, qu'il ne reçoit d'ailleurs que le 28 février 1804. Après une nouvelle demande de secours à l'attention de Louis Bonaparte, au début de 1805, il meurt dans la misère le 3 février 1806, au 16 rue de la Bûcherie à Paris, au terme d'une maladie qui, selon Michel de Cubières, ne lui permettait plus de marcher ni de tenir une plume. Ses restes sont inhumés le 5 février au cimetière de Sainte-Catherine.

(10) De quelle accusation s'agit-il ?


Nous donnons à la suite les deux autres notes "personnelles" présentes dans la troisième partie de cette cinquième édition du Pied de Fanchette (an 8, 1800) :

(51) P. 6. O Constance ! Tu suffirais seule pour le bonheur des Humains ! Pourquoi n'es-tu pas fille de la nature ?... Mais que dis-je ! la constance est la vertu des dieux : mortel ! elle peut te rapprocher de la divinité : conçois quel est son prix !

(58) P. 45. L'auteur n'a certainement pas à se plaindre de ce qu'on prend des sujets de pièces dans ses ouvrages : c'est une preuve de leur mérite : mais n'a-t-il pas le droit de se condouloir, de ce que des faquins, comme Laya, qui a pris son sujet dans les Fautes son personnelles ; de ce que Flins, qui a pris celui de sa meilleure pièce dans son Epiménide Grec ; de ce que Lachabeaussière, qui a puisé les Maris corrigés dans le II Partie de la Femme dans les trois Etats, roman qu'on va réimprimer en 3eme édition ; de ce que l'Auteur de la Madelon des Variétés-Montansier ; de ce que le jeune-homme dont on a donné hier 14 Messidor an 8 (3 juillet 1800), la Zoé, n'ont pas même eu la politesse de lui envoyer un billet de parterre ? C'est une monstruosité en morale, qui devient un plagiat, par l'affectation de se cacher. O tempore ! ô mores ! Et les jaloux qui se sont opposés à mon admission à l'Institut ne sont-ils pas servis à leur gré par ces plagiaires ?... On avait pris autrefois le sujet d'une pièce intitulée Julie, qui, je crois, est de Marin-Qu'es a quo, ancien secrétaire de la Labrairie, dans sa pauvre Ecole de la Jeunesse. Il ne réclama pas alors. Marin-Qu'es a quo, D'Hémeri, le commis Demaroles ; tous ces gens-là étaient en possession de voler ; ils y étaient autorisés. Mais aujourd'hui l'Auteur se plaint de tous les malhonnêtes-gens, même de ceux de l'Institut, auquel il a cinquante fois plus de droit que ceux qui l'en ont exclu. Ce qui est bien fait pour le dédommager de cette injustice, c'est la preuve qu'il peut donner que presque tout ce qu'il y a de gens de mérite en Europe l'appréciaent mieux que n'ont fait ces messieurs. Il a reçu plus de 60 lettres de tous les pays où ses ouvrages ont pénétré, adressées au Citoyen RESTIF-LABRETONE, membre de l'Institut national. Et certes, ce témoignage d'estime que reçoit ainsi l'Auteur, fait plus d'honneur à l'Institut, qu'il n'est lui-même dans le cas de lui en rendre.

Une autre note placée au bas de la page 45 de la troisième partie renvoie à la note 58, la voici :

(*) On a fait une pièce du Pied de Fanchette, aux Variétés Montansier. J'en ai vu hier (14 Messidor, an 8), une autre au théâtre Favart, tirée de mon histoire de Zoé, ou l'Orpheline bourgeoise, sous le titre de Zoé, ou la pauvre Petite (58) : et pas un de ces Messieurs ne m'envoie un billet de parterre !..... Quelle ingratitude !

Nous donnons ci-dessous quelques reproductions des titres et gravures qui ornent cette édition rare.




L'exemplaire que nous possédons actuellement a été relié sur brochure. Il se présente habillé d'une demi-reliure à petits coins, maroquin vert sombre avec grecque dorée encadrant les plats. Cet exemplaire a été vendu en 1959 (Drouot, Paris, Giraud-Badin) et est présenté comme suit : "Exemplaire relié sur brochure, avec les figures avant la lettre, dans une jolie imitation de reliure ancienne." Nous donnons ci-dessous quelques photographies de cet exemplaire. S'il s'agit d'une imitation de reliure époque Empire, et il nous est très difficile d'être affirmatif, cette imitation est parfaite et n'a pu être effectuée qu'au plus tard dans le dernier quart du XIXe siècle (ca 1875-1880).




Photographies Bertrand Hugonnard-Roche | Librairie L'amour qui bouquine | mars 2024

Publié par Bertrand Hugonnard-Roche,

le 27 mars 2024

lundi 18 mars 2024

Les bouquinistes et les bouquineurs pris sur le vif. Photographie sur plaque de verre (négatif positivé numériquement). Vers 1935-1940 ?

 


Un étal de bouquiniste (marchand d'estampes) sur les quais de la Seine à Paris, vers 1935-1940

Plaque de verre négative positivé numériquement

Coll. privée. Source internet. Consulté le 18 mars 2024.

lundi 18 décembre 2023

Connaissance de la bibliophilie et de la librairie ancienne par la carte postale ancienne : Librairie Emile Nourry, 62, Rue des Ecoles, Paris. 27 avril 1926. "Monsieur, j'ai le regret de vous informer que les ouvrages que vous aviez bien voulu choisir sur mon catalogue étaient vendus avant la réception de votre demande [...]"

Bonjour à tous,

la bibliophilie est fait de petits rien, ce petit billet en est la preuve. Une simple carte postale ancienne envoyée par un libraire ... à son client bibliophile.

Cette carte postale est intéressante néanmoins à plus d'un titre et j'ai pensé que vous seriez heureux d'en avoir copie archivée ici sur la page du Bibliomane moderne.


Le recto montre en photographie en noir et blanc la façade de la librairie E. NOURRY avec devant la porte très certainement Emile Nourry lui-même, une femme (la sienne ?), un commis et un peu plus sur la droite un homme portant une casquette (sans doute également lié à la librairie E. NOURRY). Ce recto est légendé imprimé comme suit : PARIS - Rue des Ecoles (près le Boulevard Saint-Michel)


Le verso porte le cachet en date du 27 avril 1926. En haut à gauche un tampon à l'encre violette donnant l'adresse de la librairie : LIBRAIRIE E. NOURRY 62, Rue des Ecoles, R. C. Seine 334-433 Paris Ve. A droite un autre cachet à l'encre noire : CHEQUES POSTAUX DEMANDEZ L'OUVERTURE D'UN COMPTE COURANT [cachet d'affranchissement postal]. Le verso est divisé en deux volets. A gauche est imprimé un texte de correspondance comme suit :

Monsieur,

J'ai le regret de vous informer que les Ouvrages que vous aviez bien voulu choisir sur mon Catalogue étaient vendus avant la réception de votre demande.

Nous serons, je l'espère, plus heureux une autre fois.

Veuillez agréer, Monsieur, mes bien sincères salutations.

Emile NOURRY,
62, Rue des Ecoles.

à droite a été rédigé, de la main du libraire E. NOURRY ou bien de celle d'un de ses commis, l'adresse du malheureux bibliophile, comme suit :

Monsieur Descelers
13 rue de Dunkerque
Saint-Omer
(Pas-de-Calais)

Cette carte a été affranchie au verso d'un timbre "Semeuse" de 20 centimes.

Voilà, c'est à peu près tout ce que je peux dire en regardant cette jolie carte postale de librairie ancienne. La Librairie Emile Nourry est assez connue pour ne pas revenir sur cette instution parisienne qui proposait de très belles éditions anciennes. Notre ami Jean-Paul Fontaine a fait tout le travail sur l'historique de cette illustre maison sur son blog Histoire de la Bibliophilie. Voici le lien pour lire son étude ICI.

L'information que nous avons en plus ici est qu'il avait pour client un certain Monsieur Descelers qui habitait 13 rue de Dunkerque à Saint-Omer dans le Pas-de-Calais. Nous avons retrouvé la trace de cette famille Descelers à Saint-Omer. Il nous manque le prénom de ce monsieur pour pouvoir le retrouver en toute certitude.

A noter que la carte postale que le libraire E. NOURRY envoyait à ses clients en guise d'excuse d'indisponibilité des ouvrages commandés était exclusivement imprimée en réponse à des Messieurs. Les dames bibliophiles existaient pourtant probablement ... existai-il des cartes spécifiquement imprimées pour les clientes de la librairies ? Il faudra en rencontrer une pour le savoir ...

A bientôt

Bertrand Hugonnard-Roche
Le Bibliomane moderne (*)


(*) ce billet est également publié sur la page le Bibliomane moderne
sur notre site de Librairie L'amour qui bouquine

lundi 4 décembre 2023

Illustration remarquable Art Déco. Une suite complète de 25 eaux-fortes (pointes sèches) rehaussées en couleurs au pinceau pour le centenaire de la parution de l'édition René Kieffer des Bijoux indiscrets de Diderot (achevé d'imprimer le 30 mars 1923).



Le 30 mars 1923, il y a tout juste un peu plus d'un siècle, s'achève l'impression, chez Coulouma à Argenteuil (H. Barthélemy, directeur), des Bijoux indiscrets de Diderot dans une superbe édition commanditée par l'éditeur-relieur d'art René Kieffer installé au 18 rue Séguier à Paris.

Cette jolie édition au tirage limité à 600 exemplaires est richement illustrée de 25 eaux-fortes coloriées au pinceau de Sylvain Sauvage. De format in-4 (27 x 20,5 cm), le tirage se décline ainsi :

50 exemplaires avec 4 états des planches dont l'eau-forte pure et une aquarelle originale, numérotés de 1 à 50.

35 exemplaires avec 3 états des eaux-fortes, numérotés de 51 à 85.

15 exemplaires avec 2 états des eaux-fortes, numérotés de 86 à 100.

500 exemplaires avec l'eau-forte coloriée, numérotés de 101 à 600.



Il est intéressant de noter qu'il n'est pas fait mention du papier utilisé pour chaque tirage. On supposera qu'il s'agit du même papier pour tous les exemplaires. L'exemplaire du tirage à 500 que nous avons sous les yeux est imprimé sur beau papier filigrané "(P. F. B.) Editions René Kieffer". C'est un papier vélin de cuve (sans vergeures ni pontuseaux), fait main donc, qui ressemble à un papier type Madagascar. Les gravures sont tirées sur ce même papier légèrement teinté. Dans notre exemplaire c'est un papier qui est resté sans rousseurs et qui a très bien vieilli. D'après nos recherches ce filigrane P. F. B. indique un papier sorti des papeteries Barjon Moirans. Moirans est un petit bourg situé en Isère non loin de Rives, aussi connu pour ses papeteries, ici Papeteries Barjon de Moirans (P. F. B.).

Pour la petite histoire de cette papeterie qui produisait, nous en avons ici la preuve, un papier de très grande qualité, disons en quelques mots que c'était la famille Michon du Marais qui était propriétaire de cette papeterie à Moirans qui s'appelait désormais Barjon. Ils étaient héritiers d’un moulin en activité depuis le XVIe siècle. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Papeteries Barjon ont fourni du papier à la résistance. Les papeteries Barjon cessèrent leur activité en 1977. Elles employaient 200 salariés en 1970. On sait donc que cette papeterie de l'Isère fabriquait du papier de luxe spécialement pour d'éditeur et relieur parisien René Kieffer.



Mais ce qui nous intéresse avant tout ici ce sont les 25 compositions de Sylvain Sauvage pour cette belle édition des Bijoux indiscrets. 

Cette édition et la suite qui l'ornemente ont toutes deux aujourd'hui dépassé l'âge vénérable de cent ans ! Cela valait bien le temps de prendre la peine de numériser l'intégralité de cette suite qui illustre avec humour et talent un des textes libertins majeurs de Denis Diderot (publié pour la première fois en 1748 de manière clandestine comme toutes les éditions anciennes d'ailleurs).

Un résumé des Bijoux indiscrets permettra à lecteur de ce billet de mieux appréhender la qualité des illustrations. Sylvain Sauvage (1888-1948) signe ici encore une fois un travail puissant et spirituel. Sylvain Sauvage fut l'un des Grands Maîtres du trait Art Déco.

Cette allégorie, qui est la première œuvre romanesque de Diderot, dépeint Louis XV sous les traits du sultan Mangogul du Congo qui reçoit du génie Cucufa un anneau magique qui possède le pouvoir de faire parler les vulves (« bijoux ») des femmes. Mangogul essaie trente fois la bague, dévoilant les secrets intimes des femmes de sa cour et de son royaume, généralement pendant leur sommeil. Il partage les résultats de ses enquêtes avec sa favorite, Mirzoza, qui est elle-même perpétuellement inquiète d'être la victime de la bague. Il faut dire que peu sont épargnées : essentiellement les femmes de la cour, avec leurs différents caractères (la prude, la coquette, la joueuse, la manipulatrice...), leurs différentes extractions (de la haute noblesse à la petite bourgeoise) et leurs origines diverses (l'Anglaise, la Française, l'Italienne, la Turque). Décrivant les mœurs de la cour du point de vue du désir féminin, le roman dresse le tableau d'une société libérée, où l'on multiplie les partenaires sexuels, où les apparences sont trompeuses et où la véritable tendresse est rare. Les entretiens de Mangogul, de sa favorite et de quelques personnages, sont parfois racontés sous forme de bilan sur les différentes formes d'amour, quelquefois sans rapport avec l'intrigue. Une place est également réservée aux débats d'idées au sein de la société française de l'époque : éloge de Voltaire, histoire des mathématiques, sort des jansénistes, etc. C'est aussi une satire du règne de Louis XV et de ses frasques libertines.

Bonne visite !



























Bertrand Hugonnard-Roche,
Bibliomane moderne

Mis en ligne le lundi 4 décembre 2023

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