lundi 4 décembre 2023

Illustration remarquable Art Déco. Une suite complète de 25 eaux-fortes (pointes sèches) rehaussées en couleurs au pinceau pour le centenaire de la parution de l'édition René Kieffer des Bijoux indiscrets de Diderot (achevé d'imprimer le 30 mars 1923).



Le 30 mars 1923, il y a tout juste un peu plus d'un siècle, s'achève l'impression, chez Coulouma à Argenteuil (H. Barthélemy, directeur), des Bijoux indiscrets de Diderot dans une superbe édition commanditée par l'éditeur-relieur d'art René Kieffer installé au 18 rue Séguier à Paris.

Cette jolie édition au tirage limité à 600 exemplaires est richement illustrée de 25 eaux-fortes coloriées au pinceau de Sylvain Sauvage. De format in-4 (27 x 20,5 cm), le tirage se décline ainsi :

50 exemplaires avec 4 états des planches dont l'eau-forte pure et une aquarelle originale, numérotés de 1 à 50.

35 exemplaires avec 3 états des eaux-fortes, numérotés de 51 à 85.

15 exemplaires avec 2 états des eaux-fortes, numérotés de 86 à 100.

500 exemplaires avec l'eau-forte coloriée, numérotés de 101 à 600.



Il est intéressant de noter qu'il n'est pas fait mention du papier utilisé pour chaque tirage. On supposera qu'il s'agit du même papier pour tous les exemplaires. L'exemplaire du tirage à 500 que nous avons sous les yeux est imprimé sur beau papier filigrané "(P. F. B.) Editions René Kieffer". C'est un papier vélin de cuve (sans vergeures ni pontuseaux), fait main donc, qui ressemble à un papier type Madagascar. Les gravures sont tirées sur ce même papier légèrement teinté. Dans notre exemplaire c'est un papier qui est resté sans rousseurs et qui a très bien vieilli. D'après nos recherches ce filigrane P. F. B. indique un papier sorti des papeteries Barjon Moirans. Moirans est un petit bourg situé en Isère non loin de Rives, aussi connu pour ses papeteries, ici Papeteries Barjon de Moirans (P. F. B.).

Pour la petite histoire de cette papeterie qui produisait, nous en avons ici la preuve, un papier de très grande qualité, disons en quelques mots que c'était la famille Michon du Marais qui était propriétaire de cette papeterie à Moirans qui s'appelait désormais Barjon. Ils étaient héritiers d’un moulin en activité depuis le XVIe siècle. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Papeteries Barjon ont fourni du papier à la résistance. Les papeteries Barjon cessèrent leur activité en 1977. Elles employaient 200 salariés en 1970. On sait donc que cette papeterie de l'Isère fabriquait du papier de luxe spécialement pour d'éditeur et relieur parisien René Kieffer.



Mais ce qui nous intéresse avant tout ici ce sont les 25 compositions de Sylvain Sauvage pour cette belle édition des Bijoux indiscrets. 

Cette édition et la suite qui l'ornemente ont toutes deux aujourd'hui dépassé l'âge vénérable de cent ans ! Cela valait bien le temps de prendre la peine de numériser l'intégralité de cette suite qui illustre avec humour et talent un des textes libertins majeurs de Denis Diderot (publié pour la première fois en 1748 de manière clandestine comme toutes les éditions anciennes d'ailleurs).

Un résumé des Bijoux indiscrets permettra à lecteur de ce billet de mieux appréhender la qualité des illustrations. Sylvain Sauvage (1888-1948) signe ici encore une fois un travail puissant et spirituel. Sylvain Sauvage fut l'un des Grands Maîtres du trait Art Déco.

Cette allégorie, qui est la première œuvre romanesque de Diderot, dépeint Louis XV sous les traits du sultan Mangogul du Congo qui reçoit du génie Cucufa un anneau magique qui possède le pouvoir de faire parler les vulves (« bijoux ») des femmes. Mangogul essaie trente fois la bague, dévoilant les secrets intimes des femmes de sa cour et de son royaume, généralement pendant leur sommeil. Il partage les résultats de ses enquêtes avec sa favorite, Mirzoza, qui est elle-même perpétuellement inquiète d'être la victime de la bague. Il faut dire que peu sont épargnées : essentiellement les femmes de la cour, avec leurs différents caractères (la prude, la coquette, la joueuse, la manipulatrice...), leurs différentes extractions (de la haute noblesse à la petite bourgeoise) et leurs origines diverses (l'Anglaise, la Française, l'Italienne, la Turque). Décrivant les mœurs de la cour du point de vue du désir féminin, le roman dresse le tableau d'une société libérée, où l'on multiplie les partenaires sexuels, où les apparences sont trompeuses et où la véritable tendresse est rare. Les entretiens de Mangogul, de sa favorite et de quelques personnages, sont parfois racontés sous forme de bilan sur les différentes formes d'amour, quelquefois sans rapport avec l'intrigue. Une place est également réservée aux débats d'idées au sein de la société française de l'époque : éloge de Voltaire, histoire des mathématiques, sort des jansénistes, etc. C'est aussi une satire du règne de Louis XV et de ses frasques libertines.

Bonne visite !



























Bertrand Hugonnard-Roche,
Bibliomane moderne

Mis en ligne le lundi 4 décembre 2023

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