dimanche 15 mars 2009

Quelques pensées sur Balzac par son éditeur, Edmond Werdet (1859)



Balzac par Nadar en 1840. Daguerréotype.


En 1859, chez E. Dentu, paraissait un petit volume in-12 sous une modeste couverture jaune imprimée en noir. Quelques 404 pages plus loin, on peut dire que ce livre est un véritable petit chef d'oeuvre de biographie critique, un outil devenu indispensable aujourd'hui à l'amateur balzacien pour bien appréhender son maître.

Je ne suis ni expert dans l'oeuvre de Balzac, ni un grand connaisseur de ses éditions, qui, pour la plupart aujourd'hui, sont bien difficiles à dénicher.

J'admire l'oeuvre qu'il a laissé, ce flot de mots et de phrases pour définir sa Comédie humaine. Cet essai pantagruélique de littérature du XIXe siècle.

J'ai rencontré par ailleurs Edmond Werdet au détour d'un de ses autres ouvrages consacré à l'histoire des libraires et éditeurs de la première moitié du XIXe siècle. J'ai aimé son ton, ses jugements, en bref, le personnage m'a plu.

J'ai attendu pour acquérir l'ouvrage que Werdet a consacré à Balzac... que la hasard fasse les choses. Il est désormais sur mes tablettes.


Portrait intime de Balzac, sa vie, son humeur et son caractère, par Edmond Werdet, son ancien libraire-éditeur.

C'est le titre. Prometteur.

... Et à la lecture... les espérances ne sont pas déçues.
Je vous invite à lire en détail cet excellent ouvrage écrit par un témoin "de près" de Balzac. On y découvre tout Balzac intime.

Je vous livre quelques passages au hasard :

p. 78 : "De Balzac, pas plus que Barbier, ne connaissait la valeur pécuniaire des maisons de librairie, avec lesquelles ils s'étaient liés d'affaires ; les associés auraient bien pu prendre des informations, comme la prudence le conseillait... mais à quoi bon ? Ils étaient tout aussi légers l'un que l'autre ; il s'ensuivit de cette légèreté que la prospérité ne dura pas longtemps dans l'imprimerie de Balzac et Cie, rue des Marais-Saint-Germain."

p. 81 : "Vers 1831, il lui vint une idée littéraire des plus heureuses. Ce fut celle de réunir en faisceau tous les personnages de ses romans et de ses nouvelles, et de publier la totalité de ce qu'il avait écrit, en douze volumes in-8, sous le titre des Etudes des moeurs au XIXe siècle, savoir : Scènes de la vie de Province, Scènes de la vie privée, Scènes de la vie parisienne. De cette idée-type à celle de la Comédie humaine, il n'y a que la main. L'idée-mère de la Comédie humaine dérive tout simplement de celle des Etudes de moeurs. Le jour où de Balzac conçut ce projet, fut un beau jour pour lui !"

p. 199 : "Mais c'était un honnête homme, - un honnête homme endetté, voilà tout, et non un homme d'affaire endetté, comme le prétend M. H. Taine. Malgré les succès de ses livres, de Balzac ne pouvait alors s'enrichir ; il travaillait pour cela avec trop de conscience, avec trop d'amour pour la perfection. On conçoit maintenant que de Balzac dût me sacrifier à ses intérêts, moi, faible et chétif commerçant, à une société riche, puissante, qui devait lui faire payer en espèces, une somme de soixante mille francs et une rente annuelle de quinze mille francs !"

p. 300-301 : "Le jour où je mis en vente la première édition du livre mystique qui contenait Séraphita, ce jour où, par de savantes combinaisons de réclames et de fanfares louangeuses dans tous les journaux, je parvins à faire disparaître de mon magasin, comme par enchantement, l'édition entière ; succès que jamais éditeur n'avait obtenu avec un ouvrage de cet écrivain ; de Balzac, instruit de ce fait par un billet que je lui avais adressé, vint me trouver, ivre de joie de ce triomphe incroyable, qui répondait si victorieusement au superbe dédain de M. Buloz, - pour son oeuvre à laquelle il avait déclaré ne rien comprendre, il m'aborda avec un empressement que je ne lui connaissais pas, et me serrant la main à me la briser : "- Cher ami, me dit-il, moi, Honoré de Balzac, gentilhomme, je veux vous traiter en prince aujourd'hui. Nous dînerons chez Véry ; nous nous montrerons ensuite en grande loge au théâtre de la Porte-Saint-Martin, puis nous irons prendre des glaces chez Tortoni. Soyez prêt à six heures ! je viendrai vous chercher avec mon coupé. A propos, partie carrée ! j'aurai ma Donna... ayez la vôtre ! ... Partie carrée, vous dis-je, mon cher ! c'est indispensable !" A six heures, il était chez moi avec une belle dame, je ne dirai pas laquelle, - je n'ai pas le droit d'en parler."

Sacré Balzac !
Merci M. Werdet !

Bonne journée,
Bertrand