samedi 21 avril 2012

Hommage à Philippe Gandillet, la Bibliophilie reconnaissante.

Le Bibliomane Moderne, prompt à honorer ses concurrents, estimant qu’il vaut mieux s’entendre avec eux, pour contrôler le marché, plutôt que de s’épuiser dans des luttes de prix fratricides, voudrait célébrer aujourd’hui la mémoire du plus âgé d’entre eux. : Philippe Gandillet !

Philippe Gandillet, gardien de librairie à la retraite, mais toujours immortel académicien, tout à la fois furieusement réactionnaire et délicatement misogyne, d’une culture encyclopédique abîmée dans la citerne des âges, animait avec bonhommie, les lundis seulement, un blog consacré aux curiosités bibliophiliques. Ce n’est que justice que nous profitions de sa présence sous la seule coupole à la mesure de sa gloire – je veux parler du Grand-Palais – pour lui offrir un ouvrage digne de son immortalité finissante. (Offre virtuelle, bien entendu, il ne faut pas pousser mémé dans les orties).

Pour ceux qui ne pourraient pas se libérer et entourer notre ami, un verre de Bandol à la main, sur la mezzanine du Grand-Palais, voici quelques illustrations et descriptions de l’ouvrage qui n’a pas été choisi au hasard mais sur rapport d’un groupe de concertation et après avis des lectrices de Elle.


Fig 1 Le plat supérieur orné de motifs floraux.



Fig 2 Le plat inférieur.


Pour l’extérieur, il s’agit d’une reliure du temps comme on en voit souvent à la charnière des XVIème et XVIIème siècle : Autant dire que ce livre est un parallélépipède rectangle parfait de 8,5 cm x 14,5 cm, presque aussi épais que large. Les plats ornés d'une succession de roulettes dorées formant cadres fleuronnés aux angles avec médaillon ovale au centre, tandis que le dos, de 5,5 cm, est orné comme les plats, le médaillon central excepté.

Le dos est muet comme une carpe, et prétendument lisse selon l’expert qui a officié lors de la vente, mais j’ai connu le dos d’une ukrainienne qui était bien plus lisse que celui-là.

Les reliures début 17ème évoluèrent sensiblement par rapport au siècle précédent quand apparut une nouvelle technique importée d'Italie et d'Espagne. Il s'agit de la dorure à chaud qui consiste à placer une feuille d'or entre la roulette préalablement chauffées, et le livre, afin d'incruster le métal dans les motifs dessinés.


Fig. 3 Dos Muet.



Fig 4 Détail du dos, prétendument lisse, selon certains experts.


Mais là n’est pas le plus important.

Ce livre est offert à Philippe Gandillet, qui occupe, comme chacun sait, le fauteuil 41 de l’Académie Française, parce qu’il contient la seule provenance qui trouve grâce à ses yeux, celle d’un autre académicien. On se souvient sans doute beaucoup moins que le fauteuil 20 de l’Académie fut occupé de 1637 à 1664 par un champenois célèbre pour ses infidélités. (Non, Bertrand, pas celles auxquelles vous pensez) : Nicolas Perrot d’Ablancourt.


Fig 5 Page de titre de l’édition de Samuel Crispin, à Genève.


Né à Châlons-sur-Marne, le 5 avril 1606, issu d’une famille protestante de Champagne, Nicolas Perrot d’Ablancourt fit ses études à Sedan, où professait alors le protestant Roussel. Son professeur devait apprécier cet élève brillant car il lui offrit les œuvres complètes de Sénèque dans une édition de 1614, après avoir ajouté sur la page de titre des félicitations appuyées à propos de son commentaire sur le panégyrique de Brandebourg. Ce détail sur la vie de Perrot d’Ablancourt et les circonstances dans lesquelles il a commenté le panégyrique de Brandebourg avait jusqu’à présent échappé à tous les biographes. (Mais pas au Textor !)


Fig 6 Ex-dono du Professeur Roussel daté de Mai 1620, au jeune Nicolaus Perrotus, catalauniensis, c'est-à-dire de Chalons-sur-Marne.


Nicolas Perrot d’Ablancourt fut reçu comme avocat, mais plaida peu. Après un périple de plusieurs années en Hollande et en Angleterre, il décida de revenir en France et entretint des relations avec les lettrés de son époque. Cinq ans après son retour, en 1637, il fut élu membre de l’Académie Française et se consacra tout entier aux lettres. Entre 1637 et 1662, il publia de très nombreuses traductions du grec et du latin : Arrien, Jules César, Cicéron, Frontin, Homère, Lucien , Plutarque, Tacite, Thucydide, Xénophon, etc…

Son talent pour la traduction était incomparable – certaines sont toujours éditées de nos jours - quoiqu’il prît quelques libertés avec le texte original, l’acclimatant au contexte et le modernisant au point que Gilles Ménage le raillait en disant qu’elle lui rappelait une femme qu'il avait aimée autrefois « et qui était belle mais infidèle». Ce qui fit dire à Voltaire que ses traductions étaient « de belles infidèles », mais on pourrait dire la même chose de Google Traduction !!


Fig 7 Reliure, détail des roulettes.



Fig 8 L’ouvrage de Sénèque « L.Annaei Senecae philisophi, et M.Annaei Senecae rhetoris opera quae extant omnia »


A son décès, en 1664, le fauteuil de Nicolas Perrot d’Ablancourt fut occupé par Roger de Bussy-Rabutin, mais c’est une autre histoire…

Bonne Journée,
Textor

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