mardi 14 février 2012

Bibliophilie or not bibliophilie ? 135 dessins de Proust à Henry Miller qui appartiennent à l'éditeur Pierre Belfond sont dispersés aux enchères.



Voici une vente atypique. 135 dessins d'écrivains ! Des dessins d'écrivains, quelle idée !!? Évidemment il y a des écrivains qui savent dessiner et des dessinateurs qui savent écrire ... mais pas tous !! Alors ? Alors il faut bien le dire, c'est la notoriété de l'écrivain qui fera sa cote de dessinateur, et non son talent d'artiste. Le monde est ainsi fait qu'une chose en entraînant une autre, ou si vous préférez, pour faire écho à l'adage qui dit si justement que l'argent appelle l'argent ou encore mieux, on ne prête qu'aux riches, voici bien la vente la plus improbablement artistique qui soit. C'est en tous cas mon avis. Mais à lire les médias qui couvrent l'évènement de la journée sur le marché fiévreux des enchères parisiennes, je m’aperçois que je suis loin d'être le seul à douter.

J'aime beaucoup la phrase de conclusion de l'article publié dans les Echos : "Des sommes dérisoires comparées aux tarifs pratiqués pour des œuvres d'inconnus dans le domaine de l'art contemporain." J'ai envie de dire : "Et alors ?" S'il y a des personnes pour acheter des bouzes contemporaines improbables foutages de gueules à destination de quelques personnalités en mal de dépenses inconsidérées, pourquoi devrait-il en être autant pour tout. Après moi ce que j'en dis...


Évidemment il y a Victor Hugo, Musset, Maupassant, Verlaine, etc., de grands noms de la plume. Les prix sont à l'avenant, de quelques centaines d'euros pour les plus abordables à plusieurs dizaines de milliers d'euros pour les noms les plus en vue (Proust, Verlaine, Rimbaud, etc) qui risquent fort d'être dépassés. Nous verrons. Encore une belle occasion de voir si la crise est bien là. Je sais, on me rétorquera que ce marché échappe à la crise, comme une sorte de bulle. On sait ce qu'il advient des bulles... avec le vente et les tempêtes...


On est loin de la bibliophilie, même la plus haute et la plus noble. Un petit dessin de Baudelaire à dix fois le prix de l'édition originale des Fleurs du mal. A quand les exemplaires truffés de dessins d'écrivains pour enfin réussir à vendre leurs œuvres par ailleurs délaissées. Dites-moi combien vaut aujourd'hui le plus bel exemplaire d'une EO d'Alfred de Musset ou d'Alfred de Vigny ?



Laissons faire la foule... On est peut-être pas si loin du temps où les livres ne seront plus que de petites armoires. Mais je me trompe certainement sur tout.


Je joins ci-dessous l'article publié dans les Echos (14 février 2012).

Les dessins d'écrivains de Pierre Belfond

135 dessins de Proust à Henry Miller qui appartiennent à l'éditeur sont dispersés aux enchères. Un marché rare mais en hausse sensible.

L'un des buts ultimes de la collection consiste à pénétrer dans l'intimité du créateur ou de la personnalité connue. D'Elisabeth Taylor on aimera posséder un de ses bijoux qui célébraient l'amour que lui portaient ses amants (les 269 lors de la vente de ses bijoux ont été adjugé en décembre pour 137,2 millions de dollars). De Napoléon on voudra une lettre de guerre ou une mèche de cheveux (en 2010 l'une d'elles est partie pour 13.000 dollars). Et de n'importe lequel de ses écrivains favoris, naturellement on attend quelque chose de sa main. L'expert en bibliophilie Alain Nicolas remarque à ce propos que si « la collection de livres en édition originale, exception faîte des pièces particulièrement rares, accuse un ralentissement, en revanche le marché est marqué par un goût certains pour les originaux dans le domaine de l'écriture. Il y a quelques années une lettre de Proust se négociait pour 5 000 à 10 000 euros. Dans les mois derniers certaines ont été adjugées entre 20.000 et 30.000 euros ». Il remarque encore : « C'est peut être le développement d'Internet et de la virtualité qui engendre un phénomène compensatoire avec ce regain d'intérêt pour la correspondance ».
Le 14 février, Artcurial disperse sous son expertise une collection extrêmement originale. Elle a été rassemblée pendant 41 ans par l'éditeur Pierre Belfond . Ce dernier a donné son nom à la fameuse maison revendue en 1991. Mis à part sa vie littéraire particulièrement dense, Pierre Belfond est un collectionneur chevronné de grandes et de petites choses. Il nourrit une passion pour quelques peintres surréalistes dont Picabia, une autre pour des artistes délaissés du XIXe siècle qu'on appelle « les petits maîtres » comme Achille Devéria et enfin déclare un enthousiasme sans borne pour un domaine à la croisée des chemins entre art et littérature : les dessins d'écrivains.
Pièces rarissimes

Pour Alain Nicolas il s'agit d'un secteur sans véritables côtes car la plupart du temps les pièces sont rarissimes. Quant à Pierre Belfond, il justifie la vente de sa collection chérie car « je suis las de ne pas pouvoir acheter ce que je veux. Les prix ont augmenté de manière spectaculaire dans les dernières années ». Il donne l'exemple d'un dessin de Baudelaire. « J'en possède un. J'en voulais un second. Pour le dernier qui est passé en vente j'ai arrêté d'enchérir à 95.000 euros ». Le portrait de la grande passion, la muse et maîtresse de Baudelaire Jeanne Duval exécuté à la plume et à l'encre par le poète est estimé 50.000 euros. Une relique sans prix pour les passionnés des « Fleurs du mal ». Dans la catégorie des mythes absolus de la poésie Pierre Belfond met aussi en vente un dessin de Rimbaud. Il commente avec fierté : « un dessin de Rimbaud on en trouve tous les cinquante ans. Les spécialistes lui en attribuent seulement six ». La feuille figure l'esquisse maladroite d'un cocher à Londres en 1873. La légende en bas du croquis a certainement été inscrite par Verlaine. Estimation : 120.000 euros.
Parmi les pièces rarissimes le catalogue très documenté contient aussi cinq dessins de Marcel Proust. Là, encore une il est clair que c'est l'auteur, un monument littéraire, plutôt que le brio des compositions qui prime. Le plus amusant : le pastiche d'une publicité pour les pneus Michelin estimé 30.000 euros.
Mais parce que le monde de la littérature est lui aussi soumis à des vogues la vente contient des dessins de grands hommes de lettres qui peuvent être beaux et estimés pour des sommes modestes. Alfred de Vigny(1797-1863) a représenté à la mine de plomb dans un style abouti un paysage estimé 2 000 euros qui semble illustrer une de ses phrases : « Le crépuscule ami s'endort dans la vallée ». Plus près de nous l'écrivain américain Henry Miller(1891-1980) qui a décrit dans ses livres le Montparnasse de la bohème peignait couramment à la fin de sa vie. Son « Portrait de couple » une aquarelle dans une veine Fauve est estimé 3000 euros.
Des sommes dérisoires comparées aux tarifs pratiqués pour des oeuvres d'inconnus dans le domaine de l'art contemporain. A surveiller donc.
Le 14 février. Hôtel Marcel Dassault (Paris)
Exposition du 11 au 13 février.

Bonne journée,
Bertrand Bibliomane moderne

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