lundi 5 décembre 2011

Rétro-bibliomania : Les Livres de Fêtes de Madame H.

Amis bibliomanes, ne vous est-il jamais arrivé de regretter d’être né trop tard dans un monde trop moderne ? Voilà pourtant la réflexion qui m’est venue en recevant au courrier le catalogue de la vente organisée par la librairie Giraud-Badin ; l’opuscule est intitulé « Catalogue de Livres Anciens rares et précieux composant la Bibliothèque de Mme H*** ».

La bibliothèque d’une femme bibliophile est une curiosité qui ne manquera pas de faire déplacer les amateurs. C’est Maître Etienne Ader qui officiera au marteau et, bien entendu, l’expert de la vente sera Monsieur Giraud Badin en personne, assisté, à n’en pas douter, par le jeune Courvoisier. Ha Oui, n’oubliez pas la date : la vente aura lieu les Jeudi 19 et Vendredi 20 Mai 1949.

Fig 1 Couverture du Catalogue


Fig 2 Conditions de la vente


Cette vacation contient 419 lots dont pas moins de 207 sont consacrés aux cérémonies officielles : Livres de fêtes, d’entrées des Princes et de pompes funèbres. Tous ces ouvrages ont été publiés pour ces évènements exceptionnels, peu diffusés et sont aujourd’hui souvent très rares. Il faut avoir l’entêtement caractéristique du beau sexe pour rassembler avec autant de persévérance des livres qu’on ne rencontre par hasard qu’une douzaine de fois dans toute une vie.

Je ne sais quelle fatalité veut que les bibliothèques féminines soient toujours dispersées dans la salle n°8 à Drouot. Le phénomène a pu encore être constaté à la récente vente de la Bibliothèque Marie C. Cette salle est pourtant trop exigüe pour l’affluence qu’entraine l’évènement et c’est là un petit mystère dont Henri Rochefort ne dit mot dans son livre sur l’Hôtel des Ventes.

Fig 3 Les premiers lots


Les livres de fêtes, en fixant par le texte et les gravures les instant fugitifs d’un évènement particuliers, sont apparus dès les débuts de l’imprimerie dans la seconde moitié du XVe siècle ; leur usage s’est développé aux XVIe et XVIIe siècles dans toute l’Europe, accompagnant l’essor des cérémonies organisées par les rois, les cours, les villes, les communautés. Ces ouvrages donnent à l’avance le programme; ils permettent de suivre le déroulement de la cérémonie ou du spectacle et assurent à l’organisateur une publicité préalable. Se procurer une telle relation doit permettre de choisir le meilleur endroit pour assister à la fête. Publiée en 1739, la Description de la feste donnée à Versailles à l’occasion du mariage de Madame Louise-Elizabeth, fille Aïnée du Roy avec Don Philippes Infant d’Espagne (Hors Cat.) précise ainsi que « Leurs Majestés & la Famille Royale viendront se placer sur la Terrasse au-dessous de la Galerie, pour être en face du feu dressé dans le jardin […] ».

La plus belle collection privée de livres de fête jamais constituée fut celle de l’artificier Ruggieri, le catalogue de la vente de sa collection dispersée en 1873 fait référence à toutes les suivantes.

La plupart des livres de fêtes sont conçus pour simplement raconter et accompagner l’événement. Se présentant comme le « Récit véritable de tout ce qui s’est fait et passé » (lot 477, Lot 502), ils donnent la date précise, la liste des participants, avec leurs noms, leurs titres et leurs costumes ; ils décrivent les préparatifs et le déroulement sans omettre de détailler décors et inscriptions. Ils complètent ainsi les informations qui ont pu être données dans les périodiques. Dans les Nœuds de l’Amour, décrivant la cérémonie du Mariage de Françoise d’Orléans-Valois et de Charles-Emanuel II, le père Ménestrier juge bon de publier chacune des inscriptions latines et des devises utilisées sur les décors des différents appareils dressé aux quatre coins de la ville : l’Arc placé à la première porte du Faubourg Montmélian, la décoration de la fontaine du Bourneau-Ravier, etc …

Fig 4 Les très-précieux lots 428 et 429


Fig 5 Lots 466 et 467 sur les fêtes données à Chambéry en 1663


J’ai relevé dans ce catalogue quelques lots qui devraient intéresser les bibliomanes modernes :

Pour le Bibliophile Rhemus : Journal du voyage du Roi à Rheims, 1723 (Rel. Chambolle-Duru) et Le Bouquet Royal ou le Parterre des riches inventions qui ont servy à l’entrée du Roy Louis le Juste en ville de Reims par M.N. Bergier. Reims, S de Foigny 1637.

Pour Pierre, le lot 477 : Relation générale et véritable des fêtes de la ville d’Aix pour l’heureux retour de la santé tant désirée de Louis le Grand. (Je ne savais pas qu’il avait fait de la prison) à moins qu’il ne préfère Besançon toute en joye. Besançon, Jean Couché, 1659.

Hugues ne manquera pas de préempter à grand frais le rarissime opuscule intitulé : Le très-excellent enterrement du prince Claude de Lorraine, duc de Guyse et d’Aumalle, contenant la signature autographe d’Etienne Baluze, en provenance de la Bibliothèque de Ruggeri. Paris Gilles Corrozet, 1559. Mais le lot 429 suivant n’est pas mal non plus, avec sa provenance du Baron Pichon. Hugues saura-t-il faire fléchir les banquiers ?

Il serait étonnant que Bertrand laisse passer le lot 462, Description et interprétation des portiques érigés à l’entrée du très-hault et très-puissant prince Louis de Bourbon… en la ville de Dijon, le 6 Mars 1648. Dijon, Guyot, 1650. Mais un hors-catalogue a déjà retenu son attention : La Très-joyeuse Partouze donnée à Bourg-la-Reine en l’honneur du Grand Alcandre.

Jean Marc est déjà allé voir chez Giraud Badin, Décorations de la Ville de Grenoble pour la réception de Monseigneur le duc de Bourgogne. Grenoble, Frémon, 1701.

Lauverjat ne se déplacera pas, il n’y a aucun livre berrichon.

Quant au Textor, il aurait bien aimé acheter le lot 467, Fêtes données à Chambéry à l’occasion du Mariage de Françoise Orléans-Valois avec Charles Emmanuel II, par le Père Claude François Menestrier, Chambéry, chez les Frères Dufour, 1663, mais il l‘a déjà !!

Fig 6 Page de titre des Nœuds de l’Amour


Fig 7 Les Nœuds de l’Amour - Le catalogue indique que cette pièce est très rare et qu’elle manquait à la collection Ruggieri


Fig 8 L’Arc de Triomphe


Fig 9 La décoration de la Fontaine du Bourneau-Ravier


Pour finir de regretter définitivement d’avoir manqué cette belle vente, nous noterons que les frais sont des plus raisonnables puisqu’il faut compter débourser 16,90% en sus des enchères pour la première tranche de 100 000 Francs mais qu’ils tombent à 3% pour les lots d’une valeur allant jusqu’à 500 000 Francs et 4,5 % pour les valeurs supérieures à 500 000. Messieurs les Commissaires-priseurs, vous feriez bien de vous inspirer de ces tarifs plus conformes à la réalité économique, et à la couverture de vos frais fixes !!

Sur ce, je m’en vais faire mon entrée solennelle dans la cuisine pour aller diner …

Bonne journée,
Textor

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