lundi 10 octobre 2011

L’inventeur des choses par Virgile Polydore (1505)

Mauvaise nouvelle, le monde va mal : les neutrinos ont décidé de passer à la vitesse supérieure et de mettre à néant tous nos repères spatiaux-temporels. Si la lumière, qui était sensée aller plus vite que tout, est dépassée par plus rapide qu’elle, va falloir inventer quelque chose de nouveau pour expliquer tout cela !

Inventer ne veut pas dire fabriquer de toute pièce, ou même, simplement, concevoir pour la première fois mais découvrir ce qui était caché ou ce que le sens commun ne pouvait pas percevoir jusqu’alors. Pourquoi une telle introduction ? Parce que j’ai sous les yeux un petit livre qui, bien qu’étant assez mince, traite justement de toutes les inventions du Monde, depuis la Création.

Fig 1 Ce De Inventoribus est à l’adresse IP de Jean Petit, au lion et au léopard. Notez le lien (hypertexte ?) entre le I et le P.


Fig 2 Jean Gerson passant un coup de fil à son éditeur. A priori ce frontispice n’a rien à voir avec l’ouvrage.



Fig 3 L’objet posé sur le pupitre est un livre, invention dont Virgile Polydore nous décrit brièvement l’histoire au chapitre VII du Livre II.


Virgile Polydore, émerveillé par les progrès de la science dont était témoin son époque, se lança dans la description méthodique des inventions et l’énumération de tous les inventeurs. Cette liste à la Prévert, comme les aimait les humanistes de la Renaissance, avait pour objectif de mieux appréhender le Monde en le cataloguant.

L’auteur, prêtre et diplomate, est né à Urbino en 1470, mais il passa presque toute sa vie en Angleterre. Après avoir étudié à Bologne, auprès de Philippe Béroalde, et à Padoue, il devint le secrétaire du duc d'Urbino puis le camériste du pape Alexandre VI. Ses deux premiers écrits le rendirent célèbres et obtinrent une grande popularité : le Proverbiorum libellu, recueil de proverbes qui rappelle la manière des Adages d’Erasme, puis le De rerum inventoribus libri III. Ce dernier ouvrage parut pour la première fois en 1499 à Venise et fut immédiatement un succès de librairie. L’édition originale comporte trois livres, qui seront ensuite constamment revu par l’auteur dans diverses éditions, puis augmenté de cinq livres en 1521. Le texte sera encore retouché par Polydore Virgile lui-même au cours de différentes éditions, essentiellement bâloises, parues de son vivant jusqu’en 1553.

Fig 4 Le colophon est à la marque de Jean Marchant au Champ-Gaillard pour Jean Petit.


Cet imprimeur a fréquemment utilisé le bois représentant Jean Gerson. L’ouvrage est plutôt distrayant à lire. A la croisée de l’encyclopédie, du livre d’histoire et d’anthropologie, il livre mille anecdotes sur quantité d’inventions dont vous n’auriez même pas pensé à trouver l’origine. Une partie concerne l'agriculture, le blé, les fruits, les viandes, salaisons, gibiers, la découverte de la vigne, l'art de faire le vin, le coupage, la soif, l'ivrognerie. Tout ceci semble classé dans la plus parfaite logique médiévale : Qui a inventé le vin ? Noé, bien, sur. Mais que serait l’invention du vin sans l’invention du Camembert ? De fil en aiguille, selon une trame cousue d’un fil blanc pas très propre, Virgile passe en revue inventions et découvertes sur l’origine des arts et des sciences, sur l’astrologie et la magie, sur la médecine et l’agriculture, la divination, les jeux et les sports, la religion, les hérésies, bref, un peu tout ! Cette accumulation comporte pourtant une construction logique, comme l’a démontré Martine Furno (1).

Le De inuentoribus rerum cherche à donner une image structurée et universellement valide de l’activité humaine, et commence donc par évoquer les activités intellectuelles de l’homme telle qu’elles sont traditionnellement classées par les docteurs : tout le livre I est en fait l’examen des origines des principales activités de l’esprit à partir du classement des disciplines universitaires et des arts de la faculté : religion et langage, puis grammaire, art poétique, histoire, rhétorique, musique, philosophie, astrologie, géométrie et mathématique, médecine, magie et nécromancie.

Le livre II se consacre ensuite à des sujets concernant un groupe plus large, cimenté par une société aristocratique : le droit et les régimes politiques, le comput, les livres, l’art militaire et ses corollaires comme l’équitation et les honneurs militaires, les ornements du luxe (parfums, or, argent, bijoux, verre et cristal) et les ornements des arts, c’est-à-dire la sculpture et la peinture.

Le troisième livre enfin parcourt les deux activités fondamentales de l’humanité, dont la nécessité ou l’utilité valent pour tous, c’est-à-dire l’agriculture dans les six premiers chapitres, puis l’architecture. Selon ce principe, c’est donc en toute logique que la sculpture et la peinture, arts d’agrément, sont éloignés de l’architecture, qui reste une technique de première nécessité.


Fig 5 Table des 3 livres du De Inventoribus.


Cet opuscule de 61 feuillets, dans l’édition de 1505, remplace avantageusement tout Wikipedia sur le sujet ! Vous ne saviez sans doute pas qui avait inventé la musique : c’est Zethus et Amphion qui vivaient au temps de Cadmus.

Plus intéressants sont les témoignages sur des inventions contemporaines ou pour lesquelles il a pu recueillir des informations de première main. C’est le cas du chapitre sur la découverte de l’imprimerie, qu’il date précisément de 1442. Voici ce qu’il dit à ce sujet (Ma traduction est, bien entendu, approximative ; j’ai étudié le latin dans la méthode Assimil ; mais je vous joins le texte original pour que vous puissiez corriger. A noter que je n’ai pas trouvé de traduction française moderne de ce texte, et je n’ai pas pu consulter celle de Belleforest qui est du XVIème siècle)

Fig 6 Le folio 29 du livre 2 traite de l’invention de la Bibliothèque



Fig 7 Le folio 30 est consacré à l’ars impressoria A partir de la 6ème ligne : Fuit hoc igitur omnino magnum mortalibus munus….


« Cette découverte (la bibliothèque publique) fut un choc pour les mortels. Mais ce ne fut rien comparé à la découverte de notre époque, une nouvelle façon d’écrire. En un seul jour une seule personne est capable d’imprimer un nombre de lettres que plusieurs personnes pourraient difficilement réaliser sur toute une année (toto anno).

Des livres dans toutes les disciplines sont produits avec une telle profusion par cette invention qu’aucun travail de recherche n’est impossible s’il est désiré. Il faut noter aussi que beaucoup d’ouvrages d’auteurs tant grecs que latins ont ainsi été sauvegardés de la destruction. La gloire de l’inventeur d’une telle chose ne doit pas être négligée. La postérité doit savoir qui créditer de ses faveurs divines. Celui-là est un allemand qui se nomme Pierre (Germanus nomine Petrus !), (comme nous l’avons recueilli de ses contemporains) qui le premier a découvert cette technique d’impression de lettres dans une ville allemande appelée Mayence où il commença à travailler.

Avec non moins de diligence, le même auteur inventa une encre que les imprimeurs utilisent maintenant exclusivement. Un certain Conrad, probablement allemand, apporta l’invention à Rome en Italie. Puis le français Nicolas Jenson, le premier, rendit la technique très fameuse et c’est durant cette période qu’elle se développa largement partout dans le monde. Je renonce à donner plus de détail sur cette invention trop bien connue de tous. ».
En fait, Virgile Polydore parait regretter que cette merveilleuse invention se diffuse avec autant de facilité. Par la suite, il ajoutera : « elle a été de grand profit au commencement comme une chose admirée pour sa nouveauté, mais j'estime qu’elle sera avilie pour être trop commune et divulguée. ».

Pour vous rassurer, je précise que, dans les éditions postérieures, Virgile Polydore corrigera « Petrus » en « Ioannes Guthenbergis, natione theutonicus, equestri vir dignitatus » (Jean Gutenberg de la nation teutonne, chevalier de haut rang). Ses premières sources n’étaient sans doute pas très fiables, ou alors… peut-être… est-ce bien Petrus Germanus qui aurait inventé l’imprimerie mais son nom aurait été gommé de l’Histoire Officielle, pour rester caché, enfoui, dans ce seul opuscule, inconnu de toutes les bibliothèques ? Je vous laisse pour aller enquêter plus avant sur ce mystérieux Petrus….

Fig 8 Personne ne doute que la magie est issue de la médecine et que donc Zoroastre en fut le premier inventeur.


Bonne Journée
Textor

(1) Voir Martine Furno, « Les chapitres sur l’architecture dans le De inventoribus rerum de Polydore Virgile : une histoire de l'architecture sans traité ni architecte? », in Cahiers d’Etudes Anciennes de l’Université de Laval - Vitruve - 2011.

LinkWithin

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...